L'Insurrection

[Kossnei]

Jour glacial sur Galactica, et pourtant Volcan ne s'y prête habituellement guère.
Joug glacial sur Galactica, et pourtant une âme ne s'y mêle guère.

Trenia Heqat, hors-la-loi parmi leurs représentants, dernière arrivante au Grand Conseil, erre dans les rayons des Archives, en quête de quelqu'un, de quelque chose... La prestance de sa marche ne laisse présumer son rang, et cela traduit bien, sans doute, la situation dans laquelle elle se trouve actuellement. Qu'importe, elle n'a plus qu'un but. Rencontrer ce Kami, et savoir ce qu'il cherche. Alors elle l'attend, patiemment. Relit des chroniques, par-ci, par-là.

Et elle retombe sur un vieil ouvrage, un vestige du passé.

"Chroniques des Fédéralis".

Elle croyait ce dossier enfoui au plus profond des Archives de la Tour Blanche mais, non, il reposait là, coincé entre celui de l'Empire Platin et un autre, plus connu : l'Ekelia. Elle a un pincement au coeur quand elle repense à Erigeo Sondar, puis à son frère. Une larme est prête à couler lorsque, soudain, un bruit se fait entendre...

[Sergent Kami]

Quelqu’un le filait. C’était désormais une certitude. Depuis sur retour en Galactica, il sentait la présence d’un de ces "démons du passé", d’une de ces âmes qu’il ne voulait pas revoir, du moins pas à ce moment de l’aventure. Non c’était bien trop tôt. Se retourner et faire face ne constituait pas une option intéressante. Tant que cet être restait dans son "champ de vision" sans savoir qu’il était découvert, Kami possédait un atout de taille…

D’un pas lent, l’ex-kaméen se rendait aux grandes archives de la corporation. A cette heure de la journée, le lieu était vide de toute présence ou presque. Là bas, errant parmi les étagères poussiéreuses se trouvait une vielle connaissance. Une autre survivante. Une autre âme en peine. Dans la plus grande discrétion, Kami s’appuya contre une étagère non-loin d’elle et la fixait sans un mot.

Seulement après quelques minutes d’observation, l’homme s’avança et marcha malencontreusement sur une feuille qui s’était échappée de sa prison de carton. Instinctivement, l’autre se raidit.

Bonjour, Trenia.

Kami posa une main sur l’épaule de Trenia et se retint de l’enlacer. Il ne pouvait céder aussi facilement à ce genre de pulsions ; ce n’était pas ce que l’on attendait de lui. Il se contenta simplement de récolter la larme solitaire qui glissait sur la joue de la femme et se dirigea lentement vers le fond de la salle, invitant son interlocutrice à faire de même.

Pleurer en public n’est pas convenable pour une dame de votre rang.

Au fil de sa marche, le volcanien jetait des regards sur les dossiers rangés. Lorsque l’un d’entre eux portant l’inscription « Kamagma » apparut, Kami ne put retenir une larme accompagnée d’un sourire désabusé. La blessure ne s’était toujours pas refermée…

[Kossnei]

Suivant Kami d'un pas lent, Trenia répondit :

« Une dame de mon rang ? De quel rang parlez-vous donc, Kami ? Ignorez-vous donc que le Grand Conseil se hiérarchise, finalement ? Je ne suis qu'une ombre, bien que plus puissante que celle dont vous êtes en quête. Une des rares à avoir réchappé du projet BO. Le connaissez-vous, Kami ? Il pourrait sans doute vous intéresser... »

Tiraillée par l'envie de lui en faire savoir davantage et celle de lui soutirer des informations, Trenia approchait prudemment. Elle savait l'homme habile, et hésitait à s'en faire son allié. En effet, elle qui n'avait jamais compté que sur sa personne devait à présent, pour la première fois de sa vie, suivre le rythme d'une conversation menée par un autre. Et si l'affaire s'annonçait excitante, elle doutait de sa capacité à emmener l'homme où elle le désirait.

Ses pouvoirs, elle le sentait, seraient inutiles. Trop faibles, elle ne pouvait plus en user, et ne le voulait guère.

Alors, elle s'assit dans un canapé, et attendit que le Kaméen lui réponde, tout en faisant mine de farfouiller dans des papiers.

[Sergent Kami]

Une phrase en suspend, une étincelle dans le regard… Kami toisait Trenia en haussant un sourcil. Ceci ne pouvait être qu’une subtile passe pour le prendre au piège. Pourtant le projet BO ou brumes oniriques apparaissait de temps à autres dans ses recherches. Plus particulièrement quand il soutirait des informations de force à quelques imbéciles à la langue un peu trop pendante.
Bien, il lui suffisait de faire mine de se prendre au jeu pour avoir ce qu’il voulait.

Si vous n’êtes qu’une ombre… Que suis-je alors ? Un instant plus tard. Ne cherchez pas, la réponse est rien… ou personne.

Le projet BO… Je n’en ai jamais entendu parler mais j’ai le sentiment qu’il s’agit là d’une information importante. Je vous en prie, dîtes-m’en plus ma chère…

Le volcanien esquissa un léger sourire pour la mettre à l’aise, ce poisson risquait d’être dur à ferrer. Il ne pouvait laisser s’échapper une telle mine d’informations…

[Kossnei]

Trenia fut frappée. Ainsi son interlocuteur ne connaissait rien de ce projet. Il n'était donc peut-être pas si proche de Nikki Katarilis qu'elle le pensait. Le jeu en valait la chandelle. Elle lui retranscrit donc une vérité partielle. Sans pour autant dévoiler l'entièreté de ses pensées.

« Le Projet BO, Kami, est la plus grande manigance du Grand Conseil. La raison, ou, pardon, l'une des raisons pour lesquelles le Grand Conseil est si peu apprécié est dû à cette entreprise. Je pensais que vous la connaissiez, mais il n'en est rien. Le Kamagma que vous dirigiez n'en a-t-il subi les foudres ? Étonnant. »

Elle regardait Kami, qui affichait un intérêt plus que prononcé pour les propos de la Conseillère. Cela pouvait vouloir dire deux choses : Kami apprenait quelque chose de saisissant, ou alors... il cherchait les détails qu'il ne connaissait pas.
Elle penchait pour la première proposition, par confiance, mais la réticence à trop parler la gagnait. Elle attendrait quelque chose en retour. Trenia se contenta donc, succinctement, de lui décrire le Projet.

« Vous n'ignorez guère que nombre d'états ont été rayés de la carte, il y a un peu plus d'un an. Les guerres durèrent jusqu'en Volcan dernier, ou peu avant. »

Il acquiesça d'un signe de tête. Trenia continua :

« En réalité, ceci est la conclusion macabre du Projet BO, douloureusement sous-jacent au projet O.B.E. BO tient pour "Brumes Oniriques", cette alliance qui tenta d'imposer une hégémonie en 3727. Elle était constituée, majoritairement, de Grands Conseillers mandatés par Althor Terluan pour éradiquer les menaces grandissantes à son encontre, ou du moins à l'ordre qu'il avait instauré. La Corporation, de plus en plus faible, nécessitait des aides extérieures. C'est là qu'a commencé la hiérarchisation du Conseil. Et ses déboires avec. La pire erreur de Terluan.

Que croyez-vous qu'ait fait Terluan, Kami ? Dites-moi ce que vous savez. J'étais bien loin de notre monde lorsque cela arriva. Tout ce que je vous raconte n'est que lecture, formatage, et je n'ai guère confiance en cela. Alors partageons, vous voulez bien ? »


Trenia dévisageait à présent Kami, d'un regard à la fois profond et ancien. Une flamme bleue, celle qui habitait l'Enjôleuse il y a longtemps, s'allumait à nouveau au cœur de son iris. La bataille, rhétorique d'abord, voyait son futur croître de manière de plus en plus ambitieuse...

[Sergent Kami]

Kami était comme captivé par le regard de son interlocutrice. Il se sentait tomber dans une forme de léthargie provoquée par la magie. Ainsi elle avait osé. Même si l’enjôleuse gagnait du terrain à une vitesse croissante, il restait suffisamment de forces mentales à Kami pour l’expulser de sa tête. Après avoir érigé une barricade infranchissable dans son esprit derrière laquelle l’homme se replia, il l’étendit violemment vers l’extérieur et brisa par la même occasion le charme qui le tenait captif. Désormais, son esprit était scellé…

Le retour à la réalité prit quelques secondes. Kami lança alors un regard assassin à Trenia et lui murmura à l’oreille d’un ton méprisant :

Ne recommence jamais ça. Je ne suis pas l’un de tes jouets.

Puis il s’éloigna de quelques pas et reprit d’un ton sec. L’homme était plus tendu et une lueur de haine brillait dans son regard.

Serais-tu en train de me dire que vous, grands conseillers, êtes coupables de la mort de ma femme… ?

Kami sentait les larmes monter. Son esprit reconstruisait les derniers évènements qu’il vécut sur le Kamagma. Tout s’expliquait maintenant. A cet instant le Kaméen semblait prêt à exploser. Dans ses yeux brillait une flamme d’un tout autre genre : celle causée par une profonde tristesse, par une envie de vengeance aveugle, de haine exacerbée. Non, le moment n’était pas venu, mais il n’oublierait pas cette confession.

L’homme ferma les yeux et inspira un grand coup. Son regard était redevenu… froid, comme à l’accoutumée. Kami continua sur le ton de la discussion :

Terluan n’est qu’un hypocrite. Un dangereux hypocrite. Il a peur que ses manigances soient mises à jour, ce qui à coup sur causerait une insurrection irrépressible sur les cinq. La fin de notre monde en somme.

Et pendant le déroulement de ce sinistre projet, Terluan n’aura rien fait pour nous aider. Mais cela devient presque une coutume. Au fond, nous ne lui en demandions pas tant.

Je n’ai que peu d’informations susceptibles de vous intéresser ma chère. Mes recherches à ce sujet furent vite écourtées par votre sécurité. Et je dois avouer qu’après ces évènements, ce n’était pas ma principale préoccupation…

Kami esquissa une courte pause et dévisagea Trenia.

Et parce que je sais que vous ne me dîtes pas tout, je vous invite à poursuivre votre petite histoire…

[Kossnei]

Trenia eut un sourire gêné. Elle soutint le regard de Kami, et lui répondit, posément :

« Bien vu. Doublement, même.
Vous avez été capable de déceler un changement dans votre comportement, chose dont peu de personnes sont capables, mais ce n'est pas tout ! Vous avez également réussi à faire fuir cette magie de votre esprit. Je vous en félicite et m'en excuse. Ainsi, vous êtes sûrement celui qu'il me faut. »

Elle lui tendit la main. Kami baissa les yeux, hésita, eut un petit rictus, puis approcha lentement la sienne.

« Continuez. Pourquoi doublement ? Et en quoi suis-je celui qu'il vous faut ? » lâcha-t-il d'un ton froid.

« Doublement, parce que... Vous avez raison, le Grand Conseil a en effet détruit le Kamagma. Enfin, pour être plus précis, il faudrait plutôt dire qu'Althor Terluan le détruisit.
Le plan O.B.E consistait en la création du plan B.O, pour assouvir une hégémonie maintenant la Corporation en sécurité, comme je vous l'ai dit. Mais il y avait plus à cela. Une fois que la Corporation eût repris une bonne condition, notamment grâce à la relance de l'économie de guerre, elle informa les Grands Conseillers de leur incompétence dans le plan B.O. Alors commença la seconde partie du plan O.B.E. Althor Terluan plongea tous les Grands Conseillers dans un état léthargique, comme une cryogénie, en somme, afin de transformer l'hégémonie en une éradication de l'univers dans sa quasi-intégralité. Un retour à zéro, en quelque sorte. C'est là que vous perdîtes votre femme, Kami.

Les Conseillers n'avaient pas échoué. Ils avaient simplement été trompés par leur meneur. Ce ne serait pas la première fois, n'est-ce pas ?
Voilà l'histoire telle qu'on la connaît. Elle est absolument vraie.


Mais il y a une nuance qui la rend incomplète. Et cette nuance, c'est là où mon histoire devient intéressante. »

[Sergent Kami]

Le rictus de Kami s’élargit. Elle se jouait de lui, délivrant ses informations au compte-gouttes pour mieux s’assurer de la maîtrise de la discussion. Tout cela avait le don d’énerver notre homme, lui qui avait horreur de perdre son temps.

Une nuance hein ? Est-ce la nuance qui sépare la vérité du mensonge ? lança le volcanien.

Notre monde est fait de nuances. Et c’est également une nuance qui me retient ici alors que vous me faîtes perdre mon temps…

Et quelle nuance... L’homme qui suivait le Kaméen se trouvait juste derrière la porte des archives. Kami sentait son aura dans son esprit. Tant que la situation ne s’était pas éclaircie, il ne quitterait certainement pas ce lieu.

Cette fois, le regard de l’homme était dur et perçant, son ton sec.

Alors avant que je ne regrette vraiment ma présence, dîtes-moi tout ce que vous savez sans atours ni détours. Et à ce moment là, peut-être accepterais-je de partager mes informations.

Le jeu pouvait reprendre…

[Kossnei]

Trenia sourit. Elle aimait faire durer les choses, même lorsque Terluan pouvait à tout moment surprendre son petit jeu et la renvoyer d'où elle venait, dans ces limbes où elle vécut une année de sa vie. Dans cette cage de photons, où la vie et la mort s'entremêlent.
Qu'importe. Elle profitait, savourait, se délectait. Rien que cela lui maintenait les pieds sur terre à tout instant, l'aidait à ne pas se laisser enlacer par un surréalisme trompeur, une sournoise irréalité, pour en ses bras s'assoupir. Cette discussion, chaque mot, chaque rictus, chaque toussotement, tout n'était que bouffées d'oxygène supplémentaires pour la Conseillère déchue. Mais il était, sans doute, l'heure d'arrêter le manège, de lever le rideau. Le public n'a que trop attendu...


« Ladite nuance ne sépare pas la vérité du mensonge. Elle altère juste notre perception de l'événement. »

Trenia perçut le froncement de sourcils de son interlocuteur. Malgré ses airs autoritaires et ses légères menaces, l'homme était captivé, elle le savait. Son attention était braquée sur les lèvres de la Conseillère, sur les plissements de ses fossettes, le mouvement régulier de son menton.

Elle continua.

« Comprenez que le Projet B.O était inévitable. On y entrait, de force, selon les ordres de Terluan, ou l'on devenait un pion. »

Kami la coupa :

« Vous êtes déjà des pions, Conseillers... »

Trenia eut un sourire triste. Elle baissa les yeux, et répondit, d'une voix lourde de sentiments :

« C'est là sans doute la différence entre le fou, le cavalier, et de simples pions... Je suppose. Et nombre de nos pièces ont été prises, depuis. Le Grand Conseil est en difficulté croissante depuis quelques temps, et les noirs ont repris l'avantage sur les blancs. Notre Reine, Kalyso, est isolée quelque part sur l'échiquier, tandis que le Roi, Althor, se réfugie derrière ce qu'il lui reste de forces. Quant à moi, je suis acculée. Mais peut-être viendrez-vous me sauver, Kami... ? Ou alors sauverez-vous Nikki... »

Kami ressentit comme une décharge électrique dans son corps. Elle l'avait fait. Elle avait mentionné le nom de celle qu'il cherchait. Inconsciemment, il pressa sa main sur son ventre. Une flamme s'allumait en lui, alors qu'une douleur indescriptible revenait. Celle-là même qui n'a eu de cesse de le hanter durant toutes ces années.

« Où est Nikki ? », demanda-t-il simplement.

Trenia étendit les bras, et annonça d'un air grave :

« Il n'y a rien à dire, Kami. Elle est quelque part, cachée, ou alors... quelqu'un la retient. »

[Sergent Kami]

En cet instant Kami croyait l’ex-conseillère. Cela se présentait mal. Même elle ne pouvait le guider jusqu'à Nikki… Les recherches risquaient de s’éterniser et l’ex-procréatrice pouvait disparaître d’un jour à l’autre. La situation bien que désespérée exigeait des réactions rapides et réfléchies.

Sous le regard empli de tristesse de Trenia, le Kaméen faisait les cents pas. L’homme avait bien quelques pistes à explorer mais cela risquait de concentrer l’attention sur eux. La plupart des lieux se trouvaient à une distance respectable de la corporation, et si Kami avait vu juste, l’ex-conseillère était plus ou moins recherchée.

Dans un premier temps, Kami devait savoir si la personne qui l’attendait en dehors de la salle se trouvait être un ami ou non. Une rencontre inopportune menaçait grandement le plan qu’il échafaudait mentalement. L’homme se dirigea vers une étagère et dit d’un ton calme :

Maintenant ma chère, il est temps de me faire confiance. J’ai horreur des mauvaises surprises. Aussi, si comme je le pense l’homme qui attend gentiment dehors vous est lié d’une manière ou d’une autre, faîtes-le entrer.

Pendant que Trenia se dirigeait vers la porte, le volcanien extirpa le dossier poussiéreux du Kamagma et se dirigea vers l’un des écrans holographiques situés au fond de la salle. D’un geste, il décrocha l’une des petites sphères de cristacier attachées à sa ceinture et la posa sur le lecteur adéquat. Instantanément, Galactica apparut devant le Kaméen. Une multitude d’indications en kalaïr – langue maternelle de Kami – défilait autour de la planète.

Sans prêter grande attention aux deux personnes s’approchant de la scène, Kami continuait les préparatifs.

Bonjour Devar, cela faisait longtemps, dit-il simplement lorsque ce dernier fut suffisamment proche de lui.

D’un geste de la main, une carte centrée sur le quartier de la corporation remplaça la planète grise. Un autre geste fit s’élever les bâtiments et apparaître les reliefs de la zone. Il s’agissait bien sur d’une miniature, mais on s’imaginait sans mal en train de déambuler entre les constructions holographiques.

Avant de tenter quoi que ce soit, reprit le volcanien, nous allons devoir nous équiper décemment. Fort heureusement pour nous, je sais où trouver ce dont nous aurons besoin.

A cet instant, leur position actuelle clignota sur la carte, bientôt rejoint par une maison dont le seul accès semblait être une étroite ruelle.

Et c’est ici que nous irons, ajouta Kami en pointant ce nouveau lieu.