Le Temps est une Invention de l'Homme

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Kel'Zahra
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Le Temps est une Invention de l'Homme

Message par Kel'Zahra »

Toujours de la même demoiselle =)


La première fois que je l'ai découvert... ce don. J'avais dix ans. Mes parents étaient en instance de divorce. Mon père, chômeur, buvait comme un trou, il en devenait violent. Ma mère, elle, n'était jamais là, mais quand elle rentrait du travail, ce n'était qu'engueulade sur engueulade. Le jour où elle est partie de la maison pour aller au boulot avec un coquard violacé à l'œil droit, elle s'est dit que ç'en était assez.

A l'époque, mon petit frère, Justin, avait huit ans. C'était une plaie, il n'a pas facilité la tâche à mes parents, à ne pas vouloir comprendre, à toujours penser à lui, et à poser les questions qu'il ne fallait pas quand il ne fallait pas. Je ne le supportais pas, ce morveux, et j'en venais à lui donner des claques. Un jour, ma mère m'a surprise en train de le jeter contre la commode de ma chambre, dans laquelle il était entré sans permission. La seule chose qu'elle a dite en observant la coupure que l'autre crétin, qui n'arrêtait pas de pleurer, s'était faite au front, m'a encore plus blessée que si elle m'avait giflée : décidément, je tenais de mon père.

Jusqu'alors, j'avais toujours été violente avec Justin quand il m'embêtait très sérieusement, quand il venait dormir dans mon lit parce qu'il avait peur, quand il voulait jouer avec mes affaires, quand il déchirait mes cahiers, quand il me mordait ou me tirait les cheveux, ou bien encore après une punition que j'avais reçu injustement de mes parents, qui étaient persuadés que Justin disait la vérité en affirmant que j'avais volontairement cassée l'assiette qu'il avait lui-même jetée à terre. Mais à partir du moment où elle m'a dit ça, de nouveaux bleus apparaissaient sur Justin tous les jours. C'était probablement la seule chose qui me permettait encore de sourire.

Un jour, Justin chuta « malencontreusement » dans les escaliers. Il fit trois mois d'hôpital, durant lesquels la procédure de divorce put enfin avancer. Même devant le juge, mes parents s'engueulaient. A chaque fois qu'ils venaient, m'emmenant parce qu'ils n'avaient personne pour garder une teigne dans mon genre, ils trouvaient le moyen de se foutre sur la gueule. Le juge avait eu pitié de moi, qui les regardais avec indifférence, et m'avait invitée à dormir chez lui quelques temps. Il n'avait pas le droit, normalement, mais il fallait croire que j'étais réellement un cas désespéré. La femme du juge était très gentille, et elle cuisinait bien.

Leur fille, très gentille aussi, et très belle, avait un petit appartement dans le centre-ville, au-dessus de l'horlogerie qu'elle tenait. Avec eux j'étais sage. J'en éprouvais l'envie, avec tout ce calme qui régnait autour de moi.
Mes notes avaient même remonté de façon prodigieuse, selon le maître. Quand le juge avait affaire à mes parents, il m'emmenait. Ma mère passait pour un parent soucieux de son enfant, il fallait bien que je donne le change pour qu'on lui donne au moins la garde de Justin, que je sois enfin débarrassée de ce fouteur de merde.

Le dernier jugement arriva, je traînais alors dans les couloirs du Tribunal, que je connaissais maintenant par cœur. Je voyais les grands criminels, à la mine patibulaire, qui venaient se prendre des années de prison, pour meurtre, ou encore viol aggravé. J'avais en effet tendance à ne pas me trouver dans la bonne partie des bâtiments, ceux sous haute surveillance étaient tellement plus tentants. Ils ne me faisaient pas peur, ces gros types, à force de me prendre des gifles, j'avais un crâne en diamant, et non contente d'être une tête à claques, j'étais aussi une tête brûlée.

Sauf que ce jour-là, l'un d'entre eux, dont le procès avait pour lui été décisif, avait eu le bon goût d'avoir un complice. Avec le recul, je le félicitais intérieurement d'avoir eu une idée aussi brillante pour aussi peu de cervelle. Le but, pourtant, était loin d'être aussi intelligent. Plutôt que de croupir en prison avec les mecs qui l'y avaient mis se pavanant dehors, à la lumière du jour, il préférait crever sur-le-champ, avec eux. Le complice était plus loin devant moi, qui parlais avec le gardien, le prisonnier passait à côté de lui en lui jetant un regard significatif quand il fit exploser la bombe. Je me rappelle juste avoir entendu crier, j'ai tourné la tête.

Tous les murs s'envolaient autour de moi, comme s'ils avaient été fixés avec de la colle de supermarché, et la déflagration arrivait dans le couloir, comme une vague rouge et brûlante. J'entendais le gardien me crier de courir, mais j'avais dix ans, et pas assez de neurones, faute à trop de claques, je regardais le feu venir vers moi sans bouger, et ne réalisais l'ampleur de la situation qu'en sentant une épouvantable douleur à mon poignet, qui noircissait. J'ai paniqué. Je me suis dit que j'allais mourir.


Et c'est là que ça s'est arrêté. Tout s'est stoppé. Plus rien ne bougeait, les flammes étaient immobiles, et leur chaleur entourant mon bras n'était un souvenir un peu vif. Je regardais autour de moi d'un air hébété. L'immobilité régnait. Les gens qui s'étaient mis à courir étaient bloqués dans leur position de fuite. Et le silence me vrillait les tympans. Je me mis à pleurer doucement « que ça n'arrive pas, que ça n'arrive pas ». Je voulais que ce soit un mauvais rêve, la déflagration, et cette chose étrange. Rien n'est arrivé. Je suis la seule à me souvenir que ce jour-là, trente-et-une personnes sont mortes dans l'explosion de l'aile ouest du Tribunal. Je suis la seule au courant.

Quand le temps s'est remis en marche, le gardien qui parlait avec moi a baissé tranquillement les yeux sur ses papiers un instant, alors qu'un prisonnier qui avait reçu la peine capitale sortait du procès, bien entouré de gardes, et qu'un homme assez maigrichon se levait pour aller en contre-sens de l'autre. Le gardien eut le temps de relever la tête, et de me demander pourquoi soudain, j'avais une brûlure épouvantable au bras. Je me tournais déjà vers l'homme en hurlant
« Attention ! Il a une bombe ! ».

Dans ces cas-là, les gens ne se demandent pas s'il s'agit d'une farce ou de la vérité, l'essentiel est d'écarter toute menace le plus vite possible. Il fut arrêté avant d'avoir pu la déclencher, trois armes pointées sur sa tête. Je fus félicitée, soignée de ma blessure que je refusais d'expliquer, et gagnais le double des clés de la maison du juge. Quand il sortit de l'hôpital, Justin ne comprit pas pourquoi il partait dans un autre appartement avec ma mère. Moi, je restais avec mon père. Les violents ensembles. Mais voilà...
Le temps est une invention de l'Homme. S'il n'était pas, le temps n'aurait pas lieu d'être. C'est comme ça que je suis devenue Jazz Soen, la manipulatrice des heures.



Le jeune garçon fut projeté contre les casiers avec un gémissement de douleur alors que tous les élèves dans le couloir éclataient de rire. Il releva la tête, écartant brièvement sa frange blonde qui le gênait. Les trois gars de troisième qui l'avaient poussé l'entouraient, un sourire mesquin aux lèvres. Il essaya de glisser doucement la main jusqu'à son sac, tombé plus loin, mais l'un d'entre eux la lui écrasa violemment avait qu'il ait pu l'atteindre. Il grimaça de douleur, mais pas un son ne sortit de sa bouche. La foule se resserra autour d'eux dans un bruissement excité.

- Tu cris pas facilement, hein, morveux, ricana le plus grand des garçons. T'es coriace, mine de rien ! On dirait pas, avec tes cheveux blonds et tes yeux bleus ! Une vraie poupée de porcelaine !

Les élèves rigolèrent alors que l'adolescent retirait sa main, pleine de sang. Ils lui avaient carrément déchiré la peau. Il se redressa tant bien que mal, essuyant négligemment le sang sur sa veste en jean, avant de répondre.

- Ma sœur me frappait bien plus fort que ça.

L'autre lui jeta un regard noir avant de lui envoyer un coup de pied dans le ventre. Il l'accusa sans broncher.

- Et ta sœur ? Elle faisait plus mal que ça ?

- Nettement.

Il allait lui donner un autre coup quand une brunette de quatrième l'attrapa par le bras pour le tirer en arrière.

- Adam, arrête, s'exclama-t-elle. C'est pas à toi de décider avec qui je peux parler !

- La ferme, Maya, répliqua Adam en se dégageant pour la pousser ensuite. Il faut bien lui faire comprendre qu'il n'a pas le droit de t'adresser la parole, et encore moins te demander de faire un projet avec lui ! Faut remettre les nazes à leur place !

- Et la tienne, elle est en colle, cassa l'autre en s'appuyant sur les casiers, essayant de se redresser.

Il savait qu'il ne devait pas le provoquer, il avait beau être très grand pour son âge, il n'en était pas moins aussi épais qu'un bâton d'allumette. Un grand échalas sur échasses, dont le visage était encore trop enfantin. Quand il était petit, les gens disaient souvent que lui et sa sœur se ressemblaient beaucoup.

Maintenant qu'elle était en seconde, dans il ne savait quel lycée, il se demandait bien si elle aussi souffrait de telles disproportions. Adam lui donna un coup violent dans l'avant-bras, appuyé sur le sol, qui l'aidait à se relever, il retomba à nouveau sous les rires des autres collégiens. Sa main droite lui faisait trop mal pour qu'il puisse s'en servir, et il venait de se faire bousiller le bras gauche. Allongé sur le dos, le souffle court, celui-ci se coupa totalement quand il vit le pied d'Adam près à s'abattre sur sa figure. Il ferma les yeux, attendant le coup. Qui ne vint pas.

Il n'entendait plus rien autour de lui, alors, il rouvrit les yeux. Il sursauta en voyant le pied d'Adam à à peine une dizaine de centimètres de sa tête. Il sursauta, la respiration saccadée, avant de se rendre compte qu'Adam avait suspendu son geste, il semblait... figé. Fronçant les sourcils, le garçon tourna la tête sur le côté pour voir que la totalité des élèves avait tout bonnement arrêté de bouger, et de respirer par la même occasion.


- Qu'est-ce que, marmonna-t-il.

Il roula sur le côté, s'éloignant ostensiblement du pied d'Adam. Et se redressa difficilement, appuyant son épaule contre le mur. Maya aussi ne bougeait plus non plus, elle était immobilisée alors qu'elle était en train de se relever, Adam l'ayant faite tomber en la poussant.

- Merde , fit l'autre en faisant un tour sur lui-même. Merde ! Merde !

Il se mordit la lèvre inférieure, tentant désespérément de savoir ce qui se passait. Plus personne ne bougeait à par lui.

- Bon, souffla-t-il, soit je fais un cauchemar, soit un grand méchant a tout figé pour venir me ratatiner pour une raison que j'ignore totalement, soit... c'est moi qui ai fait ça. Merde... Bougez ! Allez, bougez !

Mais les élèves n'étaient toujours pas délivrés de leur inertie complète. Affolé, l'adolescent attrapa son sac de sa main encore valide, et y prit son portable.

- Maman, Maman, Maman, répéta-t-il en cherchant le numéro de sa mère dans le répertoire.

Il stoppa net en voyant le nom de sa sœur, avant celui de sa mère.

- Non, pas Maman, fit-il en sélectionnant le numéro de sa sœur, elle va me tuer.

Trois sonneries se firent entendre avant qu'une voix ennuyée décroche.

- Allô, Jazz, s'exclama-t-il avant que l'autre ait pu dire quoi que ce soit. C'est Justin ! Je crois que... je crois que j'ai fait une connerie.

C'est comme ça que je revis Justin, cinq ans après le divorce de nos parents. Nous ne nous étions pas recroisés entre temps. Et ce n'était pas pour me manquer. J'avais alors quinze ans. Il en avait treize. Je vivais maintenant dans un appart miteux avec mon père, qui avait retrouvé un travail dans un magasin de photo. Il aimait bien la photo, il s'en sortait bien. Il avait arrêté de boire, c'était déjà une bonne chose. De toute façon, à la maison, c'est moi qui menais la danse, puisque c'était moi qui faisais la cuisine, mon vieux était à ma merci.

Son boulot lui prenait pas mal de temps, donc quand il n'était pas, j'avais pris le temps de m'entraîner à utiliser ce pouvoir, j'étais super forte ! Mes capacités ne se limitaient pas à arrêter le temps et revenir en arrière. Je pouvais l'accélérer, le ralentir, faire en bond en arrière ou en avant de plusieurs dizaines d'années, une fois, j'étais même arrivé dans les Caraïbes au dix-huitième siècle. Belle expérience que l'abordage d'un navire marchand en compagnie de pirates !


Et le fait que je m'en servais principalement à des fins personnelles n'était pas pour me poser un cas de conscience. Après tout, j'en avais jamais eu, pas besoin de commencer maintenant. J'avais aussi pris des cours de boxe, avec mon don naturel pour la bagarre, il ne m'avait pas été très difficile d'en comprendre les bases et de les appliquer. Je travaillais à mi-temps avec Tora, la fille du juge, dans son horlogerie, c'était vraiment un endroit magique. Elle était au courant de mes dons, et n'avait même pas trouvé ça anormal, quand je lui en avais parlé.

J'étais en cours d'histoire que je prenais soin d'accélérer, l'ennui me prenant vite à la gorge. La révolution française était probablement l'une des étapes de mes voyages dans lesquelles je m'étais le plus amusée. Mais racontée par cette prof, ça vous donnait surtout envie de finir comme ce cher gouverneur de la Bastille _ un abruti, soit dit en passant. Et, là, mon portable sonna. Immobilisant le reste de la classe, je le prenais et décrochais, étonnée de voir le numéro de Justin s'afficher. Ce nul ne m'avait même pas contactée pour les anniversaires, je lui avais par ailleurs bien rendue la pareille. « Allô, Jazz ! C'est Justin ! Je crois que... je crois que j'ai fais une connerie ».

Ah oui ! Pour en avoir fait une, il en avait fait une belle ! Il manquait plus que ça, mon frangin contrôlait aussi le temps ! Moi qui pensais en avoir le monopole, la première chose que j'ai ressenti quand il m'a dit ça, c'est que mon amour propre en prenait un coup. Pour une fois que j'avais quelque chose de plus que lui, fallait qu'il l'ait aussi ! Egoïste ? Moi ? Hum... un nombre incalculable de personnes me l'ont déjà sortie, celle-là. J'arrivais donc très vite au collège de mon frère, expédiant le cours de façon définitive. Faut dire qu'il était à trois rues du lycée, je savais même pas qu'il était dans ce collège ! Et après tout, j'en avais strictement rien à faire. Je le trouvais prostré dans un coin du couloir, la main droite en sang et le bras gauche pété... pourtant je ne me rappelais pas avoir prêté mon souffre-douleur à qui que ce soit... tout était figé, et un crétin qui devait environner la troisième avait le pied en l'air, près à écraser quelque chose qui ne se trouvait plus sous son pied.

Non contente d'être indisciplinée, mon quotient intellectuel frôlait la ionosphère, raison pour laquelle je n'avais pas été encore renvoyée du lycée. J'en déduisis donc très vite que c'était la tête de mon adorable petit frère qui se trouvait sous cette semelle il y a peu. Celui-ci, totalement paniqué, n'avait même pas remarqué que j'étais arrivée. Je préférais pas le lui dire avant de me remettre de mes émotions. Cet andouille me faisait une tête, maintenant ! Le jour où j'ai dit à Tora que j'avais la poisse, je pensais pas avoir autant raison ! Bon, il était toujours blond, un peu plus foncé peut-être, mais bon, ça... moi aussi j'avais bruni, y'en avait pas beaucoup qui osaient me dire que j'étais blonde. Vu ses yeux bleus et le temps qu'il faisait, ses iris devaient toujours pouvoir changer de couleur en fonction de la météo.

Moi, ils le faisaient plus depuis que j'avais douze ans ! Bleu-gris, continuellement. D'un autre côté, lui, il ressemblait plus à rien, une espèce de carambar géant tout au plus. Treize ans, bientôt quatorze, et un mètre quatre-vingt ! Quelques années encore et il aurait presque du sex-appeal ! Moi, au moins, j'étais bien proportionnée. Très bien proportionnée, même, aux dires de mes ex. Je me décidais enfin à lui lancer mon paquet de clopes à la figure. Il sursauta en s'écrasant tout bonnement contre le mur... peur d'un méchant qui aurait tout figé pour venir le ratatiner pour une raison qu'il ignore totalement. Typique, ça me l'avait fait aussi, au début.
Dernière modification par Kel'Zahra le 29 févr. 2008, 16:16, modifié 1 fois.
Kel'Zahra
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Re: Le Temps est une Invention de l'Homme

Message par Kel'Zahra »

La voila la suite ^^


Justin, sentant qu'on lui lançait quelque chose dessus, se recula plus contre les casiers et releva vivement la tête. C'était une jeune fille d'une quinzaine d'année, à mi-chemin entre le blond et le châtain, qui lui avait lancé un paquet de cigarettes. Un visage magnifique, des yeux bleus acier, perçants, elle portait un pantalon treillis, kaki, et une camisole blanche par-dessus laquelle elle avait enfilé une veste de la même couleur que son bas. Elle avait les mains dans les poches, son sac noir pendant à son épaule gauche, et observait le gamin d'un air exaspéré.

- Jazz, finit par dire celui-ci.

- Tu t'attendais à voir qui, la Vierge, ricana sa grande sœur. Tu m'as appelé, non ? Je viens réparer tes bêtises !

Justin ne répondit pas et l'observa des pieds à la tête. Dans ses souvenirs, sa sœur était plate. Et elle n'avait pas les oreilles percées, encore moins d'un tel nombre de boucles, toutes dépareillées. Un pic transperçait aussi son arcade droite. Il fixa celui-ci d'un air tout bonnement choqué. Jazz lui indiqua le piercing.

- Cadeau de Papa, pour mes quatorze ans, expliqua-t-elle. J'espère que tu ne les as pas changés de place.

- Non, fit Justin en se redressant difficilement, le paquet de clopes dans sa main valide. Tu fumes ?

- De temps en temps, répondit Jazz avec un soupir, quand je suis avec les copines, j'ai jamais été accro, va pas t'imaginer des trucs. Bon, que l'on mette les choses au clair dès maintenant. Ce qui s'est passé, ici, dans ce couloir, à cet instant... ce n'est pas arrivé.

Justin fronça les sourcils.

- Tu as figé le temps, Justin, déclara sa sœur en reprenant ses clopes. Tu es ce que l'on appelle un manipulateur des heures.

- Attend, marmonna Justin d'un air perdu, comment tu sais ça ?

- C'est une inspiration que t'as eu, en m'appelant moi, et pas Maman ? Ce que tu as fait, frangin, je peux le faire, en mille fois mieux. Ça fait cinq ans que je pratique. Alors je vais prendre le monopole de ce temps, et nous ramener avant que l'autre con ne décide de s'en prendre à toi, pour une quelconque raison.

- Deux minutes, s'exclama son frère, tu veux rire ?! C'est quoi ce délire ?! Tu peux faire ça ?!

- Une fois, je suis même allée deux-cent ans en arrière, répliqua l'adolescente en s'avançant. Dis-toi que c'est réel, ce que tu vis, là, ce n'est pas un rêve, ni même un cauchemar, c'est la réalité pure et dure.

- Mais, coupa Justin, depuis quand...

- Pendant que tu étais à l'hôpital, dit l'aînée, c'était au Tribunal, le jour du dernier jugement. Tu sais que j'ai fait arrêter un mec avec une bombe ?

Justin acquiesça d'un air perplexe.

- Ben j'ai figé le temps au moment où l'explosion me brûlait le bras, expliqua Jazz en remontant les manches de sa veste, et je suis revenue en arrière. Cette cicatrice inexplicable, elle vient de là.

Son frère observa la cicatrice qui ornait le poignet de sa sœur, il avait entendu dire par sa mère qu'elle avait été brûlée au second degré sans qu'on sache comment, il ne l'avait jamais cru.


- Les plaies que l'on se fait ne disparaissent pas, même si l'on remonte le temps, ajouta Jazz. Ecoute, on fait ça maintenant, parce que mon temps n'est pas arrêté, je suis en train de sécher un cours. Je t'expliquerais tout plus tard. Pour l'instant, ne fais pas ce qui a mis l'autre abruti en colère, et surtout, ne dis pas pourquoi tu es blessé.

Avant qu'il ait eu le temps d'ajouter autre chose, j'avais remonté le temps avant l'incident, et mon petit frère, complètement perdu, s'appuyait contre son casier en essayant tant bien que mal de reprendre sa respiration, tenant distraitement sa main blessée. Le gusse de troisième et ses acolytes, qui l'avaient attaqué, étaient en face, à leur propre casier. Justin regardait autour de lui d'un air déboussolé, je m'amusais beaucoup de le voir ainsi. Je préférais rester pour mettre les choses au point. JE suis surdouée, pas mon frère, il ferait forcément ce qu'il fallait pour se remettre dans le même pétrin.


Une jolie gamine de son âge arriva et ouvrit le casier à côté du sien. Justin lui jeta un regard troublé et je compris le pourquoi de l'histoire. Adresser la parole à la meuf d'un autre était vraiment la dernière chose à faire, mon frangin était décidément un crétin pas fini. Je ne comptais moi-même plus le nombre de binoclards décérébrés qui s'étaient retrouvés pendus au drapeau de l'école par le caleçon car mes mecs trouvaient qu'ils m'avaient approchée de trop près. La petite se tourna vers lui. « Salut, Justin ! Ça va ? ». En fait, c'est elle qui l'enfonçait, elle devait pas avoir l'habitude de jouer de son statut, cette môme... encore une femme fatale de perdue ! « Euh... salut, Maya... ». Jusqu'alors, je n'avais jamais félicité mon frère pour son tact. Maintenant, j'en étais sûre, ça n'arriverait pas de sitôt ! « Mon dieu ! Mais comment tu t'es blessé ?! Justin ! Viens, je t'emmène à l'infirmerie ! ». Une bonne samaritaine ?

Pas comme le mec qui avait des vues sur elle, en tout cas. Il regardait déjà mon frangin d'un air mauvais. Moi, je me contentais de l'observer avec un sourire en coin, me fichant pas mal des élèves qui me regardaient d'un air étrange. Fallait dire que je détonnais un max dans le décor ! Une junkie dans un lycée de bourges, j'étais folle et fière de l'être ! J'attendis qu'il commence à prendre la direction dans laquelle cette nouille de Justin s'était laissé traîner, avec ses deux potes, pour aller à sa rencontre. Lui tapotant sur l'épaule, il se retourna et je ne dis rien quand il me détailla de la tête au pied. Limite, il bavait par terre, c'était un nul parmi tant d'autres, après tout. « Qu'est-ce que tu me veux ? T'es qui ? ». Je ricanais intérieurement et me décidais enfin à répondre.

Jazz remit doucement l'une de ses mèches blondes derrière son oreille percée, faisant habilement tenter la créole noire qui la décorait, avant d'esquisser un sourire timide. Ça y était, le mec croyait à une fan.

- En fait, hésita-t-elle, je suis du lycée d'à côté, je sais que je devrais pas être ici, surtout que j'ai séché les cours...

Elle prit une mine coupable avant de continuer.

- Mais... il fallait absolument que je te demande un truc.

L'autre péquenot sourit.

- Et c'est quoi ?

- Eh bien... je suis Jazz Soen, et...

A peine avait-il eu le temps de faire le rapprochement avec Justin Soen qu'il était étalé par terre, le bras courbé par les soins de Jazz dans un angle pour le moins étrange.

- J'aimerais vraiment que tu évites de martyriser mon petit frère, finit Jazz avec un sourire carnassier en tordant sans difficulté le poignet qu'elle ne tenait que d'une main, c'est mon pushing-ball personnel. Il n'a jamais été question pour moi de le prêter à qui que ce soit, aussi, si jamais je devais revoir ne serait-ce qu'un bleu sur le bout de son ongle, je me verrais dans l'obligation de faire gicler de l'hémoglobine, et crois-moi...

Elle se pencha sur son oreille, prenant soin à bien écraser son dos à l'aide de ses boots.

- La mort par exsanguination est particulièrement douloureuse, susurra-t-elle, je ne suis pas du genre à butter mes proies avec de la tétrodotoxine. L'emploie d'un athamée est tellement plus jouissif...

- Tétrodo-quoi, fit l'autre en grimaçant de douleur.

- Hum... c'est normal que tu ne comprennes pas ce que je te raconte, ricana Jazz en le lâchant enfin pour le retourner sur le dos d'un coup de pied. C'est parce que je suis très intelligente. Promet que jamais plus tu ne toucheras à un seul cheveu de mon petit frère.

- C'est bon ! J'promets, mais laisse-moi tranquille !

Jazz eu un sourire méprisable.

- Tu sais, gamin, si tu veux véritablement que je te foute la paix, il n'en tient qu'à toi de tenir ta promesse. Même si c'est pas toi qui bousilles le frangin, c'est ta tronche, et seulement la tienne, que je bousillerais. Si tu ne veux pas avoir à subir une opération chirurgicale pour déformation de faciès, je te conseille vivement d'appliquer ce que je viens de te dire à la lettre.

Environ une semaine plus tard, alors que je tentais désespérément d'apprendre à Justin les rudiments de la manipulation de temps, ce qui n'était pas tâche facile vu le cancre qu'il était, il m'apprit que Maya lui avait proposé à l'infirmerie de faire leur projet de sciences naturelles avec elle, et que le bruit courrait dans toute l'école qu'il avait une sœur surdouée active dans le réseau terroriste, que tous les fédéraux rêvaient de coincer. J'en ai bien ri... ce qu'on ne savait pas à l'époque, c'est que quelques dizaines d'années plus tard, ce serait vrai !
Dernière modification par Kel'Zahra le 29 févr. 2008, 16:25, modifié 1 fois.
Kel'Zahra
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Re: Le Temps est une Invention de l'Homme

Message par Kel'Zahra »

Jazz posa le carton remplis de montres sur le comptoir en soupirant. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire pour qu'une horlogerie tienne la route ? Elle essuya distraitement la sueur qui perlait sur son front avant de se tourner vers la jeune femme, magnifique, qui arrivait de l'arrière-boutique, le nez dans des feuilles pleines de chiffres, à donner la migraine.

- Tu crois que c'est bon, là, demanda-t-elle.

- Il faut encore placer les produits sur les étagères, remarqua Tora en s'appuyant sur la surface de verre pour faire les comptes.

- Oh, c'est bon ! L'autre guignol aura qu'à le faire, il a roupillé toute l'après-midi dans l'arrière boutique.

- Il réparait une montre, calma Tora, mais il va t'aider, il a fini.

- Tu parles, marmonna Jazz d'un air blasé en s'appuyant d'un bras sur le comptoir, l'autre poing sur la hanche, il va faire genre qu'il y a un autre problème pour me laisser ranger toute seule, cette feignasse ! Déjà qu'au bahut, il fait semblant de pas comprendre pour envoyer des textos à ses potes ! La vérité, c'est que c'est qu'un glandeur !

- Chi a belle posta alterca, la verita non cerca, susurra une voix envoûtante à son oreille.

Jazz sursauta en se retournant brusquement, se planquant contre le comptoir. Il observa d'un air septique le beau gosse de dix-sept ans qui se tenait devant elle, ricanant les bras croisés. Les cheveux sombres, tombant sous ses oreilles percées, il avait de beaux yeux noirs et trop d'abdos parfaits pour avoir quelque chose dans la cervelle.

- Nan mais tu te fiches de moi, se récria enfin Jazz. Ne cherche pas la vérité, ne cherche pas la vérité, mes fesses, ouais ! J'ai pas besoin de la chercher, je la connais ! Et ça, mon vieux, c'est parce que contrairement à toi, je suis très intelligente !

- Pourquoi, interrogea Tora en fronçant les sourcils, qu'est-ce qu'il a dit ?

Ce qu'il avait dit ? Simple. Qui dispute par plaisir, ne cherche pas la vérité. Mais la vérité était là, Orlando Dall'Ava était un glandeur. Ce beau mec italien était arrivé dans ma classe en début d'année dernière, il avait comme moi dix-sept ans. J'avais déjà dû le supporter à côté de moi dans chaque cours pendant les trois trimestres de première, il fallait que je me le retape en terminale, alors que ce crétin de Justin avait trouvé le moyen d'entrer en seconde dans mon lycée, en cachant à Maman le fait que je m'y trouvais _ d'un autre côté, ça n'avait pas été bien dur, son très cher nouveau mari n'avait rien trouvé de mieux que de lui faire un gosse !

Elle était enceinte de trois mois, au grand dam de mon petit frère qui ne supportait pas son beau-père. C'était d'ailleurs la raison principale pour laquelle il allait dormir le plus souvent sur le canapé d'Orlando, qui se trouvait dans la chambre de celui-ci ! Petit problème, la chambre d'Orlando, c'était la chambre d'amis de la maison de mon père parce qu'Orlando ne pouvait pas saquer sa famille d'accueil ! J'avais donc deux dom juan qui squattaient ma baraque, et je ne pouvais rien dire, car mon vieux était content de voir Justin, et Orlando était officiellement devenu son futur beau-fils. Tsu ! Dans ses rêves, oui, jamais je sortirais avec un abruti pareil.


Orlando était un élève étranger qui venait tout droit de Naples pour apprendre la langue, qu'il avait appris à maîtriser en trois mois seulement. Pourquoi ? Il était surdoué, comme moi. De plus, à son contact, en trois mois, j'avais appris l'italien, très pratique ! Surtout quand on est allés à Rome l'année dernière, pour visiter le colisée ! Enfin, c'est ce qu'on pensait, mais on avait zappé qu'à l'époque, ils parlaient latin, pas très grave, on savait faire aussi. La seule différence avec des touristes normaux, c'est qu'eux, ils avaient pas les gladiateurs et Jules César en chair et en os ! C'était tellement pratique, les voyages dans le temps ! Parce que, comme je l'avais découvert peu de temps après son arrivée dans ma classe, Orlando manipulait les heures. On s'était « trouvés », je dirais, durant un contrôle de physique, le prof ne me supportait pas et me donnait toujours des sujets sur lesquels nous n'avions pas travaillé.

J'étais intelligente, donc je pouvais répondre facilement, mais il arrivait parfois à me poser des colles. Dans ces cas-là, ni une, ni deux, je figeais la classe et cherchais les réponses dans son cartable. Eh bien, un jour où je m'adonnais à cette pratique amusante au possible, je n'ai pas pu figer Orlando. Pour la très simple et très bonne raison que l'on ne peut pas avoir une quelconque prise sur un autre manipulateur des heures.

Orlando avait appris qu'il avait ce don quand son grand frère, Luigi, avait immobilisé sa famille entière lors d'un repas qui tournait au drame, ce qui était monnaie courante dans une famille de bourges comme la sienne. Je n'avais jamais rencontré Luigi, je lui avais seulement parlé au téléphone, après tout, quand son frangin était sous la douche, c'était moi qui décrochait, je passais plus de temps dans sa chambre que dans la mienne puisque Papa lui avait mis l'ordi, la connexion internet y passant mieux que dans la mienne, mais c'était lui qui avait entraîné Orlando, visiblement surdoué dès le début puisqu'il avait maîtrisé ses pouvoirs en deux mois seulement...

J'aurais aimé en dire autant de Justin, mais c'était peine perdue. Depuis qu'il s'était découvert ce don, il s'en servait pour draguer les filles. Il se prenait un râteau ? Rien de plus simple, il remontait le temps et tentait une autre approche ! Mais ses pouvoirs avaient parfois des ratés, on savait toujours pas pourquoi. On avait même demandé à Luigi s'il en avait eu, eh bah non ! Tout ne se défigeait pas sans qu'il ne dise rien, et le temps ne se ralentissait pas quand il voulait l'accélérer ! Fallait se faire à l'idée, mon frangin était un boulet, et le resterait toujours !
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