Uhmel Ayin - Exorcisme

Ici sont chroniquées les histoires des Etats et de leurs dirigeants

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Dox
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  • Ils erraient, dans le vide sidéral. Le vent immatériel qui berce le cosmos dans une tétanique agonie avait poussé le Lunopia jusqu'aux portes de Galactica. Le Lunopia était un modèle très primitif de Cuirassier, il tirait son énergie de traction d'une combustion très instable à base d'uranium hautement enrichi. L'enrichissement se fait à bord même du vaisseau, l'énergie réactive des moteurs servant à produire le champ magnétique nécessaire à guider les faisceaux d'ions d'uranium. Ce genre de méthodes très empiriques dataient d'une bonne centaine d'années galactiques. Personne ne tenait la barre du Lunopia, en un siècle de guerres nucléaires les propriétés magnétiques pourtant dites immuables des cinq sphères qui font ce monde avaient légèrement changé. Ce peu avait suffit pour que le pilotage automatique manque son approche, et quitte l'ellipse orbitale de Vertana. Dans le silence le plus absolu et le désintéressement le plus grand de toute la galaxie, un équipage en complète aliénation allait s'écraser...

    Qu'est-ce qu'un débris stellaire qui s'enfonce, déveinard, dans les foudres incandescentes de l'atmosphère de la plus pure des planètes ? Rien.

    Lentement, immuablement, le vaisseau perdait le timide blindage qui faisait de lui une brillante arme de guerre. Et avec les quelques individus qui à l'intérieur, dormaient comme immortalisés dans leurs cocons intemporels, c'était toute une dynastie qui sombrait dans les limbes de l'oubli...
    • — Ayiniens, Émergez.
    Sa voix traversa les parois de sève qui isolaient leur mana, lentement, elle fit fondre les réceptacles scellés de leurs magie. Tous, dans un même souffle, recouvrirent la vie et entrouvrirent leurs paupières avec difficulté. Mais l'absolue paix qui les avait dorlotés durant les cent onze dernières années avait cessé de la plus abrupte des manières. Autour d'eux, un chaos impérieux quêtait leur mort silencieuse. Plus aucun objet ne trouvait sa place, la gravité artificielle dysfonctionnait et l'oxygène s'était raréfié. Leurs esprits, leurs corps, adeptes de ce genre de voyage, n'avait jamais connu pareille escale. Le crash, leur mort, leur extinction semblaient inévitables. Mais la Dynastie des Ewilans n'avait pas réchappé à la rudesse du temps pour sombrer dans un anodin crash stellaire.
    • — Ayiniens, à vos postes de combat.
    Tous s'exécutèrent sans dire mot. Chaque membre de l'État-Major d'Uhmel traversa le portail de plasma manatique qui les téléporta jusqu'au pont. Sans même échanger un regard, ils exécutèrent avec le plus militaire des professionnalisme chaque ordre de leur Amiral. Les boucliers thermiques suppléèrent les obsolètes barrières laser, les réflecteurs magiques échangèrent leur place avec un condensé élémentaire de métal et d'eau, confectionnant avec difficulté une imperceptible membrane plasmique de glace. Une combinaison inédite pour lutter contre la fatalité du destin et sa dure personnification : l'inaltérable chaleur d'une atmosphère planétaire. Mais malgré tous leurs efforts, le vaisseau continuait de se disloquer à pas comptés.
    • — Amiral, la membrane est trop fine, la température de la coque ne cesse d'augmenter.
      — Dites aux Maîtres d'intensifier leurs efforts.
      — Les Maîtres ne répondent pas, Amiral.
      Son visage sombra sous l'ombre de sa longue chevelure et il se mit à marmonner. Nous avons voyagé trop longtemps... Aucun mage traditionnel ne peut se réveiller d'une si longue mort, même artificielle. Sans leur aide, le vaisseau succombera certainement... Il reprit un ton autoritaire, et droit sur ses deux jambes, les poignets croisés dans le dos, il ordonna : Commandant Von Hekel, allez chercher le Dynaste Von Ewilan et engagez la procédure d'évacuation d'urgence.
    Sur le pont, personne ne sourcilla, et chaque commandant, chaque colonel, chaque général s'affairait sans relâche à la survie de leur bâtiment. L'Amiral lui, trônait devant les épaisses vitres de l'avant de son vieux cuirassier, défiant fièrement la toute puissance de Mère Herpé. Après toutes les batailles qu'il avait ainsi toisées de son sens exquis de la guerre, il sentait le million d'âmes, qu'il avait ordonné d'éteindre, l'appeler des tréfonds des enfers. Et s'il y avait bien une mort qu'il eut choisi, ce serait celle-ci. Dans les quartiers impériaux du vaisseau, le Commandant Von Hekel invoquait à lui seul les puissants esprits divins de leur peuple. Autour de lui, un grand cercle de lumière fissurait le plancher. L'Amiral, sensible à cette magie ancestrale ferma les yeux une dernière fois avant d'ordonner à son second :
    • — Général Von Denovian, prenez le commandement et guidez notre Dynaste vers sa survie. Prenez avec vous chaque membre de cet État-Major et honorez votre peuple, honorez vos dieux...
      — Amiral, vou- Il se tut brusquement, le regard grave et humide de son Amiral le soutenant avec insistance.
      — Je suis Eldwin Van Uhmel, Amiral du Lunopia, j'ai juré sur l'honneur de mener à terme chacune des missions qui me serait attribuées par l'Élu Dynaste du peuple Ayinien. Et jamais je n'ai failli. Alors que les lumières de nos flottes transcendaient la galaxie de leur incandescence, alors qu'à quais j'essuyais plus de coups que chacun d'entre-vous, alors que sous mon joug les plus grands stratèges du passé sont tombés un à un... Jamais ce vaisseau ne m'a quitté. Aujourd'hui, il est, avec ce corps, l'hôte de mon âme. Je ressens sa tristesse, son désarroi, sa culpabilité et sa peur. Il est indigne d'un Ayinien d'abandonner ainsi les fondements de son être. Il est indigne d'un homme d'ainsi défier les Dieux. J'accepte la mort qui m'est promise, et des étoiles je veillerai sur chacun d'entre-vous. Maintenant, voguez vers de nouveaux horizons Général.
    Les huit derniers officiers d'Uhmel quittèrent le pont, la tête basse et le corps enivré de tristesse. Ils rejoignirent le Dynaste Ewilan et le Commandant Von Hekel. Les préparatifs étaient achevés, chacun prit place dans un cylindre de lumière, l'une des alcôves demeurait cependant vide, mais personne n'osa trahir les lourdes émotions qui gravaient leur visage du plus profond des chagrins. Et alors que le vaisseaux partait en lambeaux, alors que chaque mur sombrait sous la pression et la chaleur extérieure...les dix derniers représentants Ayiniens disparurent dans une tornade de mana.
Ouzine Lullazhar, Président élu des Euliadoux.

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Dox
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  • Le Lunopia s'éteignait dans ce champ éternel de flammes invisibles. Sur le pont la température atteignait des sommets, l'Amiral ne faisait plus la différence entre larmes et filets de sueur, sous ses pieds le métal rougissait, derrière lui les machines beuglaient ; et devant lui les Enfers ouvraient une bouche plus rouge, plus ardente et plus féroce qu'aucun esprit n'en eut imaginée. Son dernier soupire se confondit avec l'éclatement du verre qui cédait à la titanesque pression du dehors, en quelques instants, le corps entier de l'Amiral se transforma en poussière, les fines lames de la chaleur immatérielle avaient eu raison de son existence. Il avait passé sa vie à cracher des flammes, toute son histoire se résume aux vaisseaux, aux terres, aux adversaires qu'il a réduit en cendres ; et aujourd'hui il essuie l'ignescente récolte de sa semence. Une fois percé à l'avant, le Lunopia sombra rapidement, disparaissant dans le vide sidéral, recraché par une Vertana devenue hostile et austère.

    Tous, les yeux mirant les cieux, sentirent leur âme se déchirer, une fine partie de leur être les quitter et s'en aller guider leur Amiral jusqu'aux confins du voile d'outre-tombe. Les dix héritiers d'un empire débonnaire où la foi était essence de vie, où l'humilité qualité d'or et où l'honneur imprimé dans les moeurs comme l'est aujourd'hui l'hypocrisie, pleuraient. La Dynastie Ayinienne perdait le plus brave et le plus magistral des hommes qu'elle n'eut engendré. Dans les cieux, la longue traînée orange qui relatait leur difficile arrivée venait de s'éteindre, le ciel n'en conserverait pas même une trace, il était redevenu paisible et harmonieux, oubliant cette tragédie si tôt qu'elle eut dévoilé son funeste dénouement. La mort était devenue banale, même la plus magique des planètes ne vibraient plus à l'extinction d'un de ses plus grands adeptes. Tout l'art qu'était la magie s'en est allé, désormais le mana ne sert plus qu'à guerroyer, qu'à duper, qu'à doper ; la magie est une technologie. La magie est un virus qui ronge la pureté des hommes, leur dérobe ce qu'ils avaient d’envoûtant, de féerique et de mystérieux en eux.

    Et si, jusque dans les moindres recoins de cette galaxie plus aucun mage ne sentait son coeur battre en harmonie avec l'essence même de la Vie ; le Dynaste Ewilan sentait les larmes éteintes de Mère Herpé perler au travers de sa fine barbe de trois jours. Le chagrin était grand, surtout une fois le coup d'adrénaline, de cette évacuation surprise, tombé. Mais les Ayiniens devaient prendre leur destin en mains. Ils étaient esseulés dans un futur inhospitalier, et les Dieux les guideraient, comme ils l'ont toujours fait. Le gant beige du dynaste essuya ce qui serait la dernière des perles versées en la mémoire de l'Amiral Uhmel. Ici, sur la terre ferme, perdus dans la jungle sauvage de l'équateur vertanien, Alhiem Von Ewilan, l'Élu d'Ayin, incarnait l'autorité absolue. Son lourd regard se posa sur chacun des visages éthérés de son État-Major, tous perdus dans la beauté des souvenirs, fuyant le déroutant présent. Il posa son bras lourd sur l'épaule abattue de la Général Van Heddam et lui souffla ces quelques mots à l'oreille :
    • — Ces sanglots attestent de votre pureté Solèn, ils sont pour moi un réconfort. Car tant que ce coeur continuera de battre l'amour sororale qui vous lie à Herpé, l'Amiral vivra aux travers de nos songes et de notre magie. Mais dans les bribes infinies du temps, il aura besoin que nous le guidions. Et jamais il ne suivra une voix éplorée et étouffée par le chagrin. Alors Général, prenez ce linge, séchez ces larmes et montrez-vous digne de la parure que vous arborez.
    Le Dynaste s'attarda à rendre leur lumière à chaque visage, distillant avec tendresse et soin ses douces formules de réconfort. Tous finirent par se redresser, déterminés, complètement galvanisés par la douce magie d'apaisement de leur souverain. Alhiem, fier de voir ces neuf regards le soutenir de nouveau lança la marche, ses épaules saillantes et la démarche pleine de volonté, il s'en alla défier toute l'immensité de la sauvage nature vertanienne.

    Les sombres sous-bois de la planète verte s'échangèrent bientôt pour de longues prairies verdoyantes. Les hauts herbages dessinaient les courants harmonieux du vent, du doux zéphyr, si pur si limpide, qui transporte les contes et les chants de l'ancienne époque, imprégné de l'âme de Vertana, puisant les fondements de sa mélodie dans les bémols de l'Histoire, tel un fluide salvateur il indiqua à l'élu, dans un murmure imperceptible, le lit vide d'une rivière asséchée. Le monarque ralentit le pas, s'approchant du lit du cours d'eau il sondait les alentours, à la recherche d'une explication, liant regard et instinct, magie et réflexion pour mettre la main sur l'auteur de ce sacrilège. Mais rien à portée de sens ne lui donna de réponse, après quelques rapides coups d'oeil sur la grise poussière qui avait remplacé la vase, il détermina rapidement le sens du courant originel de la rivière. Les dix Ayiniens descendirent de la berge, et entamèrent une longue ascension vers l'origine de ce sacrilège. Comment pouvait-on ainsi délabrer l'oeuvre sacrée de Mère Herpé...

    Le groupuscule du passé marchait maintenant depuis onze longues heures, au-dessus de leur tête le soleil avait fini son arc de cercle et dans leur dos il sombrait dans les denses cimes de la jungle. Bien qu'ils aient dormi pendant cent onze longues années, bien qu'ils soient la fine fleur des mages saint d'Ayin, leurs organismes commençaient à souffrir de la rudesse de leur expédition. Après la souplesse de la basse-montagne, c'était un mont à la cime perdue dans les nuages qui se dressait devant eux. D'un commun accord, ils décidèrent de monter le camp dans un petit bosquet naturel au sommet d'une petite colline écarté du lit de la rivière. Tous s'affairèrent, disposant tout autour du camp, quelques sceaux qui les rendaient inodores, invisibles et inaudibles. Allongés sur quelques matelas douillets, rapidement confectionnés à partir des fougères qui les entouraient, ils sombrèrent très vite dans l'hypnotique macrocosme des rêves. Chacun poussé par une chimère différente, ils se laissèrent dorloter par les doux bras de Morphée, une fois leurs prières achevées.

    A l'aube, après un petit déjeuner à base de fruits exotiques et d'insectes, ils entamèrent l'escalade d'un premier ravin, qui à l'origine était recouvert d'un manteau blanc écume. Après plusieurs kilomètres de faux plats parsemés de rochers aiguisés, ils se hissèrent au sommet d'une autre cascade. Un vent majestueux et puissant s'était levé, ils avaient traversé un coton de brume qui annonçait une imminente et importante masse aquatique. Et alors qu'ils pensaient tomber nez à nez avec un immense complexe hydroélectrique, leurs yeux s'écarquillèrent pour une majestueuse cité vénitienne...
        • Image
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  •      Ils restèrent là, les yeux englués dans l'horizon, les rayons du soleil sublimant la magnifique cité qui s'était dressée de toute sa splendeur, sous le sourd étonnement des venus du passé. Tous avaient la main devant la bouche, des larmes perlant de leurs yeux scintillants, cent ans qu'ils attendaient cela, cent ans que leur conscience, morte, subissait ces visions chimériques de leur lointain passé. Ils étaient choqués, tétanisés par ce décors féerique, leurs coeurs battaient la chamade, leurs esprits s'emballaient et une joie infinie s'inscrivait sur leurs visages ébahis. Ayin'Félia avait fait ce voyage avec eux. Cent ans plus tard, guidés dans une jungle inconnue par la noblesse de leurs instincts, ils avaient retrouvé la sublime capitale Ayinienne. Eux qui avaient été envoyés pour traverser le chaos qu'annonçaient les anciens, pour réchapper à la succession de cataclysmes qui allaient s'abattre sur la galaxie, pour assurer à la lignée la plus homérique et la plus vénérable de leur ère un avenir décent... n'avaient finalement perdu aucun des êtres chers qui définissaient leur vie, ils distinguaient les toits de l'académie, les fenêtres du Quartier Général de la Défense et même le Sérail Impérial, tout était là, scrupuleusement identique à la cité d'il y a un siècle.

    Tous sentaient d'étranges fourmillements dans les jambes, témoin privilégié d'une excitation exceptionnelle, ils se regardaient, le sourire radieux et serein. Tous, pas tout à fait ; le Général Von Denovian et le Dynaste Von Ewilan étaient un pas devant leurs confrères, les yeux graves et le visage endolori. Leurs deux mains, synchronisées, dessinèrent une prière. Ils fermèrent les yeux, posèrent un genou à terre et y laissèrent perler une goutte de leur sang. Alors leurs pires craintes se manifestèrent, leurs de gouttes de sang s'évaporèrent dans un nuage opalescent avant même de toucher le sol. Cette terre n'était plus celle de leurs dieux, et ces maisons n'abritaient plus leur peuple. Mais, des huit officiers qui les regardèrent attentivement, seuls trois acceptèrent la dure réalité, leur visage sombrant sous leurs épaules, accablés par l'intense espoir qui s'éclipsait. Les cinq autres disparurent dans une tornade de mana, avant même qu'Ewilan ne songe à les en empêcher. Quelque chose dans l'aura de ces cinq saints avait brusquement changé, une immense sensation d'inquiétude s'empara du glacial Von Denovian. Son visage se durcit, et son bras, tendu devant lui, projeta une immense orbe hyaline. La vague de mana sombra lentement, caressant chaque toit, chaque mur, jusqu'à s'évanouir dans l'eau calme du Fléyin ; le fleuve divin qui baigne Ayin'Félia.
    • — Majesté, ils ont disparu de la surface de la Cité.
      — Moi-même je ne les ressens pas, Kylian. Mais avant qu'ils ne disparaissent, quelque chose s'est immiscé en eux... Les deux grands hommes acquiescèrent l'un et l'autre aux dires de son interlocuteur. Quelque chose d'inquiétant se tramait, il fallait réagir sans attendre. Léna ?
      — Oui votre majesté.
      — Trouvez un endroit pour monter le camp. Adil et Cristobal, vous vous occuperez des sortilèges de camouflage. Usez des plus puissantes incantations de nos ancêtres. Et restez à l'écart de la cité. Minimisez au maximum l'espace occupé par le campement. Quelque chose nous guette, et il m'est interdit de laisser d'autres Ayiniens finir entre ses mains. Le Général et moi allons partir enquêter à l'intérieur de la cité.
      — Surtout, Commandants, ne vous fiez plus aux apparences, ressentez chaque nouvel élément du décor. Nous sommes en proie à des illusions d'une grande puissance. Nos sens classiques sont devenus obsolètes. Gardez la foi, et les dieux vous protégeront.
      — Oui Général.
    Le duo directeur enjamba la digue extérieure et disparut dans les rues fantomatiques d'Ayin'Félia. Les trois commandants commencèrent à sombrer dans la paranoïa. Heureusement, les ayiniens avaient une confiance aveugle les uns envers les autres, le soutien moral que leur offrait la seule présence d'un frère de sang valait n'importe quelle thérapie. Mais rien ne permettait d'endiguer les folles idées qui leur parvenaient. Ensemble, une fois le campement au point, ils s’essayèrent autour du feu, discutant simplement. Au total, deux généraux, deux colonels et un commandant s'étaient laissés abusés par cette illusion impénétrable. De quoi vous geler l'échine, lorsque vous n'êtes qu'un jeune commandant qui vie magiquement au crochet de son souverain. Quoi que, quelque part, c'était sûrement ce qui les avait sauvés.

    L'archimage et son second continuaient d'arpenter les rues désertes d'Ayin'Félia. Les drapeaux du Sérail voletaient, la fontaine coulait, les feuilles dansaient mais chaque élément de ce décor idyllique semblait étouffer sous une indescriptible magie qui les maintenait en vie. A chaque intersection, ils entendaient des murmures courir entre les murs, de vieux songes se lever des entrailles de Vertana la pure. Mais jamais une seule de ces ombres sournoises ne demeura plus d'un instant... Devant l'impressionnante maîtrise dont faisait preuve leur adversaire, les deux hommes se mirent à ralentir le pas, cherchant à chacune de ces étrangetés une explication, qui avec un peu de chance, le guiderait sur une piste...
    • Allons vers le cimetière.
      — Afin de savoir de quand date cette création. Bonne idée, votre Majesté.
    Les deux hommes accélèrent subitement le pas, tentant de perdre la magie qui les guettait. Mais malgré l'utilisation d'une technique interdite qui permet à la fois d'accroître la résistance de leur système musculaire et d'inhiber les synapses nerveux, ils ne parvinrent à accroître l'étendue de ces ombres, à améliorer la netteté de ces murmures, à analyser la provenance de ces songes... Tout était pareil, partout, en n'importe quel endroit de cette ville. Même une fois invisible à l'oeil humain, l'incroyable magie qui sévissait ne sourcillait et les suivait telles des ombres. Les deux hommes montèrent les quelques marches qui les séparaient du tombeau impérial, ils se penchèrent sur chacune des tombes... Elles étaient toutes là, et aucune nouvelle pierre n'avait été dressée, partout dans le cimetière, c'était la même chose. Ils commencèrent à s'agacer, perdus dans l'incompréhension et le flou qu'avait créé cette illusion d'une inimaginable exactitude.
    • — C'est exactement le jour où nous l'avions quitter. Qu'est-ce que cela signifie...
      Le Dynaste ne releva même pas ce sourcillement plein de désarroi. Son attention était ailleurs... Soit ils sont des centaines... Soit il est seul et il nous connait. Malheureusement, je ne connaissais nul homme de mon temps capable de tourmenter ainsi dix des plus grands Ayiniens.
      De ton temps...
    La voix résonna jusque les profondeurs abyssales de leurs esprits. Cette voix était portée par une onde noire qui tétanisait chaque partie de leurs corps sulfureux. Un froid extrême commençait à faire fondre leurs âmes, ils perdaient conscience, ils n'étaient plus assez lucides pour paniquer. Instinctivement les yeux d'Alhiam se tournèrent vers le versant nord de la ville... Sous son regard subjugué, une ombre progressait, ne laissant que des ruines ensanglantées et brûlantes sur son passage pandémoniaque. Alors que les premières lignes creuses de ce visage éthéré sortaient des ombres, les trois commandants apparurent au-dessus de leur dynaste. Mais le manteau luciférien du mage noir jeta une nouvelle vague opaque, et les trois officiers perdurent instantanément connaissance... Alhiam retrouva de la mobilité, se levant avec nonchalance et aisance, il téléporta les quatre corps jonchés derrière lui dans le campement à la lisière nord de l'Ayin'Félia imaginaire —maintenant détruite de nouveau.
    • Rendez-moi les autres.
      L'homme esquissa un sourire carnassier, dans le noir impénétrable qui le recouvrait de la tête au pied, ses dents brillaient de mille feux. Il réprima un rire, il fit craquer les os de son cou et sa langue rouge sang passa sur ses fines lèvres. Il soupira, s'arrêta, jeta sa capuche en arrière... J'ai passé des années de ma vie à nourrir le voile et payer cette rançon infinie qu'il me réclame... Et Il est allé jusqu'à renvoyer ici! sur Vertana! ma propre image! Alors que cela va faire deux ans qu'il me doit le retour de mon Maître ?
      Toi, sale créature sibylline, la violence de ta mort résonnera jusque les entrailles du voile qui t'a vu naître. Aujourd'hui, tu vas mourir de la colère de l'Arkange Azariel, cette noire magie qui ruisselle de nouveau dans les fibres de mon âme taira chaque essence artificielle de ton hypothétique vie. Crève !
Prochain post : Evergreen's Guardian vs Death's Guardian
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  • Déni, colère, folie ; la sphère de mort, une fois descellée, métamorphosait son porteur. Son pouvoir est si grand, que les deux derniers archimages du Grand Conseil nient son existence. Scellée aujourd'hui dans les profondeurs du nécromant Azhar, elle catalyse les sentiments les plus sombres, réveille des douleurs vieilles de plusieurs siècles et hante jusque les déserts de son subconscient. Comme un tambour lent et sourd qui ne cesse de toquer les parois de votre conscience, jusqu'à en ouvrir, en traverser, en exploser la porte pour vous submerger, puis vous contrôler, et user de tout ce qui vous constitue pour répandre le mal dans les moindres recoins de votre monde.

    Mais, le bois était robuste, le bois était pur, le bois transpirait la sérénité, car quels que furent les désastres naturels qui s'abattirent sur Vertana, toujours la forêt eut survécu. Après un siècle de sommeil, devant le méphistophélique pouvoir qui émergeait devant lui, le Dynaste Ewilan résistait fièrement. Le combat faisait rage, les deux mages se rendaient coup pour coup, nul ne parvenait à prendre l'avantage. Des sortilèges d'une extraordinaire puissance se heurtaient dans des vacarmes assourdissants, mais aucune des magies ne tressaillait. Le gardien de la sphère de mort, caché dans les ombres qui constituent son aura rencontrait une résistance inattendue. L'Evergreen haletait, et un fin filet de sang coulait du coin de ses lèvres. Autour d'eux les cratères se multipliaient, assénant d'autres irrémédiables blessures à cette cité déjà dévastée. Le combat ne pouvait durer ainsi éternellement, les deux adversaires sentaient leurs forces les quitter devant la fantastique intensité de ce duel épique. Il fallait en finir.
    • — Comme le veut la tradition Ayinienne... Je vous laisserai trois secondes avant d'éteindre la flamme impure qui nourrit ce pouvoir dantesque. Déposez les armes.
    Les deux hommes firent glisser une petite baguette des longues manches de leurs bures respectives. Ils la brandirent, droit devant eux, la pointe défiant le regard impénétrable qu'ils s'échangeaient. Leurs deux auras explosèrent en simultané, une incommensurable onde de choc chassa les amas poussiéreux qui commençaient à revêtir leur arène en ruines. Leurs corps, impassibles, disparaissaient, recouverts par leurs auras denses et presque opaques. Autour d'eux, l'atmosphère devenait palpable, le mana se matérialisait littéralement, formant dans l'air des flocons bicolores, liant la pure magie de l'Evergreen et le noir insondable du Death's Guardian. Ce décors chaotique ne répondait plus d'aucune loi physique, défiant l'absolutisme du temps, le duo réunissait une effroyable quantité de pouvoir en de ridiculement courts instants.
    • — 3 !
    Leurs deux baguettes étaient identiques, constituées d'une sève translucide extraite du glacial arbre gardien des jardins Azhars, elles mesuraient une trentaine de centimètres et formaient un cône dont la base —d'un diamètre d'un centimètre-et-demi— dessinait un étrange crochet. Quelques festons noirs et verts recouvraient cette glace chaude et incassable, révélant des sceaux uniques aux héritiers de la lignée reine d'Azhar. Ces écrits ancestraux se mirent à briller, les baguettes à se remplir d'une énergie si pure que leur couleur nous était imperceptible. Dans leurs mains fermes elles tremblaient, vibraient, frissonnaient... Ils étaient à une dizaine de mètres l'un de l'autre et autour d'eux, une immense sphère d'énergie pure avait figé jusque la moindre molécule d'air... L'explosion cataclysmique que provoquerait le relâchement de ces affreux pouvoirs se ressentirait encore pendant des siècles. La planète souffrirait d'une cicatrice qui jamais ne se refermerait. Car ce que ces deux hommes s’apprêtaient à faire, c'était lier par une magie atemporelle deux espaces temps ostensiblement distincts.
    • — 2... 1 !

      Azarath Metrion Zinthos
    Leurs yeux s'écarquillèrent. Ils s'arrêtèrent soudainement. L'orbe qui les entourait s'évanouissait lentement, ravalée par leurs âmes béates. Les flocons qu'elle avait piégé s'écrasèrent sur le sol, libérant de fines particules colorées qui retournaient à leur porteur respectif via la pointe aiguisée de leurs baguettes inanimées. Leurs tuniques retournèrent s'accoler à leurs corps épuisés, leurs bouts de sève retournèrent se cacher dans leurs manches, et la bouche entrouverte ils découvraient pour la première fois les moindres détails de leurs visages respectifs. Et ces deux visages étaient scrupuleusement identiques, les mêmes pommettes, le même creux entre la joue et la mâchoire inférieure, la même cicatrice sous l'oreille gauche et les mêmes cheveux bruns, longs et ondulés. Des pupilles marrons, profondes et enflammées par un pouvoir qu'ils scellaient en permanence... Un pouvoir, une aura... Identique elle aussi.
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  • Ils haletaient, leurs corps paralysés par leurs imaginations chantantes. La frontière de leurs croyances éprouvée, ils abandonnèrent toutes raisons et s'adonnèrent aux divagations. Tant de questions qui ne trouvaient réponse qu'au-delà des barrières de leur entendement. Lentement la mort se repliait dans les ténèbres. Autour d'eux le calme doucement revenait, la fatalité sereine s’immisçait parmi les décombres. Elle libérait doucettement cette odeur trop connue, de chaos et de paix. Dans les chimères sinueuses de leurs esprits en tumulte, une once d'hypothèse naissait.
    • — Qu'es-tu devenu ? Il s'empressa de rectifier, que suis-je devenu ?

      — Tu n'es pas de ce monde. L'analogie que tu dessines n'est qu'une fiction.

      — Et pourtant nous voilà. A balbutier pour s'extirper de la stupéfaction.

      — Tu t'invites sur mon territoire. Tu actives des défenses vieilles des nuits liventiennes... Tu, il tenta de ralentir le débit. Sa haine jaillissais, comme le sang d'une artère s'échappant des lésions tortueuses d'une lame émoussée.

      — Et pourtant nous voilà nous tutoyant. L'interrompit-il.

      — Tu n'es rien ici. Et si tu imagines que cette courte impasse sonne l'avènement de mon pardon, tu ne sais pas ce que je suis. Il prit une courte inspiration, libéra en un court battement de paupières toute l'essence de sa noirceur. Né des cendres de l'héritier d'Alhiem, j'ai arpenté les voûtes du passé. J'ai appris à dompter la sphère de bois, seul. J'ai lissé les contours d'un mythe à l'avènement de la trahison des Grands Conseillers afin de soumettre le pouvoir de la mort. J'ai jonché ma route des corps de mes alliés, dévoré les entrailles de mes ennemis. Aucun peuple, de cet univers, ne m'a pas un jour, une heure, parfois qu'un instant, craint. Laisse tes pensées les plus noires t'envahir, laisse les t'apprendre à avancer en marge de la destinée, laisse les te dicter les ordres du Voile... Continue d'avancer, brave les ombres, souffle l'espoir, ouvre toi tout entier aux ténèbres ; et lorsque tu verras ton âme, lorsqu'elle sera si lourde qu'elle glissera dans ton ombre, tu feras tes premiers pas dans mon monde.
    Le regard vide, il esquissa un sourire narquois avant de s’évanouir dans un voile obscur. Une faible brise vint souffler l'effluve de mana, laissant l'héritier Ayinien seul dans le brouillard de guerre.

    Après le départ du Gardien de la sphère de mort, c'est tout Ayin'Félia qui lentement se redessinait. Les ruines sombraient sous la montée des eaux, les quelques tours qui toisaient le fleuve retrouvaient une seconde jeunesse en arborant ce manteau mirifique. Chaque parcelle de ces terres, trompaient l'astre mère, chacun de ses photons rebondissaient sur l'inexistant. Chaque tunnel de lumière vivifiait les couloir d'un mensonge. Une magie dans laquelle la nature elle-même se confondait. A peine Ewilan eut-il le temps de rejoindre ses officiers, que déjà quelques battements d'ailes annonçaient les chants printaniers des prairies vertannes. Il ne pouvait quitter ce pouvoir des yeux, comme envoûté par sa justesse, dompté par sa pureté. Aucune peur ne savait obscurcir son jugement, il n'y avait pas de fantôme. Seulement l'Uhmel Ayin, qui sous ses pieds naissaient.
    • — Votre altesse ?
      — Je vais bien. Il a battu en retraite, il n'a pas le pouvoir de nous vaincre. Il nous faut retrouver les autres et percer les mystères de cette cité.
      — Nous les avons cherchés, dynaste. Ils ont comme disparu.
      — Ils vont revenir. Ils ne peut pas les retenir, pas dans cet état.
      — Il n'est peut-être pas seul.
      — Crois moi il l'est...affreusement seul même.
    Dubitatifs et soucieux, le commandant Van Hikel et sa protégée l'officier de pont Anya, partirent à la recherche des disparus. Le général Von Denovan, son second et le Dynaste choisirent d'investir les quartiers de l'état-major d'Uhmel Ayin.

    De son côté, Théran déposa les cinq corps des officiers ayiniens égarés dont il s'était emparé, à la lisière des terres du Shadowsong. Un endroit peu fréquentable dont la magie divine saura taire tous les senseurs des endormis du Lunopia. Abandonnant les vestiges de son héritage, il prit la direction des terres sombres du Nécrolia. Autrefois flambant, ce n'était plus aujourd'hui qu'un amas de brouillard, une obscure nébulosité qui dessinait péniblement les silhouettes des gigantesques bâtiments en ruines. Aucun mage, vaisseau, aucune âme ne s'aventurait plus parmi ces débris. L'Histoire faisait office de justice, et ses terres étaient bannies des chroniques. Plus jamais la magie qu'elle habite ne serait enseignée ; plus jamais les stratégies qu'elle a vu naître ne seraient tolérées. Pourtant, elle gardait une gardienne. Une maîtresse qu'aucun conte ne saurait jamais salir, qu'aucune lubie ne saurait faire fuir.
    • — Maître. Sa voix était hésitante, elle peinait à sortir de sa torpeur.
      — Maîtresse Elovie.
      — Ils ont donc trouvé l'Uhmel.
      — Oui.
      — A quoi ressemble-t-elle ?
      — Il est fort. Mais leur Histoire semble différente de la nôtre. Les terres animées d'Inertis ont dessiné son monde.
      — A-t-il reconnu les sortilèges ?
      — Non.
      — Alors il ne connait le voile.
      — Il n'avait sans doute pas percé leur monde.
      — Au moment où nous avons ouvert la porte.
      — Pourtant je les ai entendus parler de la destruction de leur monde.
      — Sûrement ont-ils sombré en stase. Beaucoup se sont éteints, ici aussi, après la percée des premiers démons.
      — Sûrement.
      — Que faisons-nous maintenant ?
      — Pars. J'ai laissé quatre des leurs, blessés, à la frontière nord du Palais. Gagne leur confiance. Éveille l'Uhmel Ayin. Exhume les inhértistes. Épouse leurs idéaux et guide les parmi les chroniques.
      — Bien Maître. Et vous ?
      — Je pars en quête de sacrifices, je nourrirai ton pouvoir.
Ouzine Lullazhar, Président élu des Euliadoux.

Khyrhyle, Magister des Naïadimes
Hidaï Lévi, Ingénieur en Chef Saharidiste.
Fondateur des Columna Creationis et éternel membre de la Pléiade.
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