L'histoire d'une loutre à bec.

Ici sont chroniquées les histoires des Etats et de leurs dirigeants

Modérateur : Modérateurs

Avatar de l’utilisateur
Xodia
Messages : 1093
Inscription : 12 juil. 2010, 18:57

L'histoire d'une loutre à bec.

Message par Xodia »

Clac, clac. Clac.

La Salle des Commandes de l’Antioche était silencieuse, hormis ce claquement incessant. Bien entendu, les officiers n’étaient pas pour autant affairés à des occupations sainement d’ordre militaire.
Non, le calme qui régnait dans la pièce n’était dû qu’à l’attention qu’ils portaient à chaque manipulation de Nelcith sur cet étrange cube…

Clac. Clac, clac.

“Alors là tu es vraiment, vraiment mal barrée gamine.

— Que tu crois mon p'tit Général, que tu crois… Le jour où notre Nel’ ratera quelque chose, notre flotte aura probablement terrassé la moitié de la Galaxie, Ellassar sera gogo dancer pour Kafelor, l’Amiral Delamarre entrera au couvent, et…

— Stooop, stop, stop… Moi j’te dis que tu ne l’auras pas, ton baril de bière ! »

La Capitaine Kaien se tut, laissant un sourire sardonique exprimer ses doutes sur la question.

À chaque déplacement coloré, les officiers retenaient leur souffle, chacun priant pour voir son pari l’emporter. 2min plus tard, chaque face du cube avait uniformément une couleur différente des autres.

La Conseillère de la Reine eu tout juste le temps de lancer un « AhHA ! » victorieux à l’adresse du Général Imbollah que Xodia fit irruption dans la pièce, dans un tourbillon de mousseline bleue et noire.

« Grande nouvelle ! Les autres Roktas, tout comme notre vénérable prêtre, accepteraient volontiers l’accueil de l’Amiral Leister parmi nos rangs ! »

Les Da Krios Roktas, nouvelle lubie de la Reine. Elle avait décidé d’enrôler l’Antioche, avec plusieurs autres Etats plus fraîchement créés, dans une sorte de faction sectaire vénérant une divinité bien étrange, un ornithorynque cosmique du nom de Krios. L’extravagance de l’idée, associée au physique du prêtre qui célébrait la gloire de ce dieu atypique, avait convaincue avec efficacité la monarque de monter cette alliance. Ah, et n’oublions pas l’ennui et la bien connue fantaisie de la Reine, autres facteurs d’importance dans cette démarche.

« Mais, votre Altesse, vous savez bien que tous les Grands Conseillers se sont enfuis après la chute de la Tour Blanche, je doute que Leister se promène en toute indiscrétion quelque part sur l’une des Cinq…

— Pas en toute indiscrétion, non. Disons que nous avons eu beaucoup de chance. Nelcith, lors d’un énième voyage pour en savoir plus sur je ne sais quel nouveau conte entendu on ne sait où, l’a croisé dans un territoire non gouverné de Vertana. Territoire où vit une discrète communauté de mages, probablement inconnue des archives du Conseil. Pour une sécurité maximale et pour éviter de troubler la tranquillité des mages, Nel’ lui a donné un bracelet holographique, que nous activerons à distance, uniquement pour le temps que durera la communication.
Général ? Je vous sens perplexe…


— Eh bien, disons que j’ai quelques doutes sur l’envie de notre blondinet de rejoindre une alliance comportant trois anciens membres du Léviathan, était donné que cette alliance a tenté de le tuer, lui et son amante, et qu’il est probable que ses membres se feraient, encore maintenant, un plaisir de l’exterminer.

— Ce que voulait le Léviathan était prendre le contrôle de la Corporation, ce qui est fait. Je doute qu’il s’évertuerait à courir après un Grand Conseiller privé des pouvoirs qui lui étaient octroyés, et totalement désillusionné. Si c’était tout de même le cas, nous nous efforcerions de les en dissuader. Du reste, mon Général, rappelez-vous que l’Emerald, de par son inexpérience et sa probable intimidation, a peu si ce n'est pas participé à la vie du Léviathan, que Dragonstone est resté bien peu de temps, ne participant pas beaucoup plus, et que Xodia, bien que ses troupes aient été conduites à la bataille du Sénat par mes soins, est restée tout aussi peu active au sein de l’Alliance. Sans compter que le beau prince considère Sa Majesté comme son amie. Je doute que cela ait pu changer.

La dame en question intervint alors, les joues quelque peu rosies.

« Hum… Bien, bien… Quoi qu’il en soit nous verrons de suite son avis. Nel’, si tu veux bien… »

Le clone fit rouler son siège jusqu’à un poste. Après quelques secondes de pianotement, un écran habituellement inanimé se mit à clignoter faiblement.

« Amiral, Amiral m’entendez-vous ? Ici Xodia. »

L’image se fit de plus en plus nette, et un visage se dessina.
Avatar → image ©2013-2014 denkata5698

Remplaçante officielle de Lanthia en anti-constuctivité forumologique.
Avatar de l’utilisateur
Sergent Kami
Soulis de Kalyso
Messages : 785
Inscription : 20 févr. 2008, 10:36

Re: L'histoire d'une loutre à bec.

Message par Sergent Kami »

Brrrrr.
Brrrrr.
Brrrrr.

Quelque part au milieu de la jungle vertanienne, un étrange appareil posé négligemment sur une table s’agitait, attirant l’attention d’un étrange autochtone qui se trouvait là, par le plus grand des hasards, à fumer on ne sait quel mélange d’herbes de la planète verte. Un cône se consumant lentement entre ses lèvres desséchées, le jeune mage s’approchait lentement de l’engin et inclinait lentement la tête sur le coté comme si sa mémoire altérée cherchait à identifier la fonction du dispositif. Puis, un sourire idiot se dessina sur son visage.


Woah, c’est quoi ce truc ? On dirait un…


L’homme se tourna alors vers un possible propriétaire en grimaçant –qui sait alors quelle pensée perverse lui avait effleuré l’esprit- avant de reprendre l’inspection de l’engin, qui vibrait de plus bel.


Mais ça r’ssemble trop pas à c’que j’avais vu avant... J’vais quômême lui prendre, ça à l’air swag ; Bertha va grave kiffer, conclut-il d’une voix éteinte.

Il approcha une main tremblante pour s’emparer du dispositif. Une image holographique apparut alors, d’abord en noir et blanc, puis rapidement en couleur. Le vertanien eut un mouvement de recul car sous son regard vitreux, une femme se dessinait, habillée telle une princesse de contes de fées et ornant son visage d’un large sourire chaleureux. Immédiatement, le mage tenta de se refaire une beauté, passa rapidement sa main dans ses cheveux gras et emmêlés pour essayer de les réorganiser en un simulacre de coiffure et sourit de manière béate dévoilant par la même occasion quelques dents tachées.

- Amiral, Amiral m’entendez-vous ? Ici Xodia.

- Bonjour m’dame, répondit l’autochtone d’un air penaud.

Le vertanien fit une pause et plissa les yeux, signe de l’intense réflexion qui devait animer l’un ou l’autre de ses hémisphères crâniens. Alors que le sourire de la mystérieuse princesse s’estompait et qu’elle jetait un regard interrogateur derrière elle, il reprit.

Euh… vous êtes réelle ?

- Hum, ce doit être une erreur… L’Amiral Leister ne se trouve donc pas parmi vous, s’enquit la femme en arborant un air gêné.

- ‘Chais pas… Mais z’êtes trop belle quoi. Ça vous dit de v’nir boire un verre histoire qu’on s’mette à l’aise ?
…. Eeh mais… revenez ! Hé ho !


Faisant écho au hurlement surpris du jeune homme, l’appareil de communication s’élevait lentement dans les airs, mû par une force surnaturelle.


(Voix de plus en plus faible) M’dame, moi c’est Keurk…
(Hurlement au loin) Mec ! Si tu m’pète mon coup j’te défonce !
… Non ! Pas l’tabouret !

(Bruit sec d’un objet qui en heurte un autre) AIE ! BORDEL, JE SAIGNE ! CONNARD, TU M’AS PETE L’NEZ !

(Voix sèche amplifiée magiquement) Si tu ne la fermes pas tout de suite, tu n’auras pas que le nez de cassé.

Puis dans un ultime soubresaut magique, le tabouret incriminé effectua une dernière pirouette devant le dispositif de transmission, se plaça au sol sur ses trois pieds avant que l’appareil ne se pose délicatement sur le meuble.

L’engin faisait maintenant face à un homme blond en pleine méditation, cheveux en bataille et au teint légèrement halé. Il était assis en tailleur dans un carré d’herbe, torse nu pour mieux dévoiler une musculature athlétique qui semblait entretenue sans être trop imposante pour autant -plus par habitude qu’autre chose - et sur laquelle transparaissaient encore les cicatrices d’une ère qui venait de s’achever. Si la dame avait encore des doutes quant à la personne qui lui faisait face, un simple regard sur son bras gauche couvert de rune toutes aussi mystérieuses les unes que les autres suffisaient à lui offrir une énième confirmation.

Et aussitôt la reine ne put s’empêcher de rester muette, les joues rougissant en un élégant écho de ces étoiles qui brillaient dans les yeux de sa majesté. Un léger sourire béat se dessinait sur son visage et face à l’absence de réaction de son chevalier blond, la monarque décida de briser le silence pour mieux essayer de reprendre ses esprits.

Amiral Leister…

Cela fait bien une saison que ce titre n’a plus de sens, Dame Xodia
, murmura froidement le volcanien en ouvrant les yeux. Sans attendre de réponse de son interlocutrice, il reprit :

Dois-je vous rafraichir la mémoire ?

Bien que le militaire en moi vous félicite pour cette décision qui ne manqua pas d’affirmer la puissance de votre royaume, les faits parlent d’eux-mêmes. Vous m’avez purement et simplement trahie.

Suite à la chute de la Corporation, j’ai non seulement perdu le travail que j’avais mis tant de temps à accomplir, j’ai perdu toute trace des autres Conseillers, mais en plus, le conseil des tribus du Veesna à jugé bon de me relever de mes fonctions. Ainsi pour faire court, je suis un Conseiller de Galactica déchu, un Amiral sans armée à commander et un homme dont le cœur perd peu à peu le rythme de la vie depuis que son amante est portée disparue.

Dame Xodia, si vous aviez voulu en finir avec moi, vous n’auriez pas mieux fait
, conclut Kami d’un ton si calme que c’en était réellement effrayant.

Et maintenant, sans même avoir cherché à prendre de mes nouvelles durant ma si longue absence, je croise au hasard de mes pas votre clone, qui m’apprend de but en blanc que vous aviez des choses à me dire. Des choses à me dire… Ha. Estimez-vous heureuse que mon révolver fût alors déchargé car assurément, j’aurais pris un malin plaisir à expédier Nelcith de l’autre coté du voile… Au fond, cela n’aurait été qu’un juste retour pour ce manque flagrant de manières, indigne d’une prétendue amie.

Néanmoins, puisque vous avez le culot de m’aborder de la sorte et que je n’ai rien de mieux à faire que de vous écouter, faîtes à votre guise ô ma Reine.

Vous avez toute mon attention
, lança finalement Leister, esquissant un sourire énigmatique tout en plongeant son regard perçant dans celui de sa partenaire holographique.
Amiral Andrew K. R. Leister, dit le Feu, à votre service.
Un homme éclairé a écrit :Sergent dieu n'aime pas être contredit ! :evil:
Avatar de l’utilisateur
Xodia
Messages : 1093
Inscription : 12 juil. 2010, 18:57

Re: L'histoire d'une loutre à bec.

Message par Xodia »

Son Altesse semblait on ne peut plus choquée. Suite au mutisme vint la tristesse, mêlée d’amertume.

« Monsieur Leister, à vous entendre, on croirait que vous n’avez jamais eu à endosser la responsabilité du devenir de tout un Etat, ou alors n’en avez-vous jamais ressenti toutes les implications ? L’importance de votre fierté personnelle serait-elle au-delà de celle de la sauvegarde de quelques milliers de vies quelconques, placées sous votre égide ? »

Nelcith écarquilla les yeux. Jamais elle n’aurait cru que ses discours au sujet de la férocité et de l’assurance que l’Antioche devrait incarner au travers de sa Reine pourraient jamais avoir un tel impact sur la monarque. Jamais elle n’avait pu lire les prémices d’une telle véhémence dans l’esprit de Sa Majesté.  Les propos du Grand Conseiller auraient-ils remués Xodia au point de réaliser un tel « déclic » ?

« Le jour où j’ai fait intégrer l’Antioche au Léviathan, j’étais attirée par les idéaux qu’il clamait. Il annonçait être le nouveau garant d’un Equilibre, indépendant de la notion de Bien ou de Mal, peu importe ce qu’impliquerait son règne, et quitte à détrôner la Corporation elle-même. Mon attachement à ces valeurs de maintient d'une Justice, sans autres prétentions, étaient la démonstration même de ma naïveté.
Mes contributions à l’application des desseins du Léviathan ont finalement été plutôt négligeables, hormis peut-être celle d’accepter d’être clonée, afin de tester ses connaissances et compétences en la matière. Je ne regrette d’ailleurs pas ses résultats. »


Elle eût un regard furtif vers Necith, et le clone décela alors quelque chose proche de cette sensation chaude et bizarre, qu’on appelait tendresse, dans les pensées de Sa Majesté.

« Votre nomination au sein du Grand Conseil a constitué pour moi un espoir considérable concernant l’assainissement de son fonctionnement, et l’avènement d’une Justice digne de ce nom en cette Galaxie.

Peu de temps après, voilà que des troupes du Léviathan se dirigent vers le Sénat pour l’assaut final, fortes de la puissance militaire de ses troupes, mais aussi de celle de son Arme dont la qualification finale fut celle de « DarkAurel ». »


Quelques officiers ricanèrent à l’évocation de ce nom.

« Avez-vous la moindre idée de ce que j’ai pu ressentir ce soir-là ? Afin de ne pas trahir mon alliance, je me devais d’envoyer mes troupes assaillir le Sénat. Attaquer le Siège de la Corporation, dont vous figuriez parmi les représentants ?
Je sais votre courage et votre sens aigu de l’honneur, je savais donc pertinemment que jamais vous n’abandonneriez la défense des lieux. Comment aurais-je alors pu envoyer ma flotte contre le Sénat et la Tour Blanche, et attenter à votre vie ?

J’imagine que, si vous n’avez conscience des sentiments que je vous porte, vous ne pouvez saisir l’importance du dilemme mais je vais vous simplifier les choses avec un schéma des plus simples : d’un côté le Léviathan, dont je suis membre et dont l’importance des forces armées me fait supposer qu’il écrasera la Corporation, de l’autre côté vous, seul Conseiller auquel je porte une grande affection. D’un côté, la menace des vengeances d’un groupe de puissants Etats qui fonderont assurément sur mon Royaume si je les trahis, assurant la mort de mon peuple dans d’atroces souffrances, de l’autre la trahison envers une seule personne. Figurez-vous que face à ce dilemme, j’étais incapable de prendre une décision. Cela rehausse-t-il votre personne à un niveau d’importance qui lui sied ou est-ce encore insuffisant ?

Quoi qu’il en soit, j’eus assez peu mon mot à dire puisque, pour m’éviter le désagrément d’un choix aussi douloureux, Nelcith me conduisit dans le bunker originel de l’Antioche, m’y enferma puis conduisit nos troupes sur le champ de bataille. Elle pensait qu’ainsi je serais disculpée aux yeux de chaque camp. Une erreur, semble-t-il. »


Le regard de la Reine se perdit un instant. Instant durant lequel on eût l’impression que c’est à elle-même qu’elle s’était adressée, et qu’il lui fallait accuser la désillusion occasionnée par ses propres propos.

« Quoi qu’il en soit, je veux aujourd’hui faire une croix sur ce type d’évènements. Sérieux et gravité n’ont qu’à m’attendre dans un autre monde. Tout ce que je souhaite désormais, c’est baigner dans la légèreté, la fantaisie et les enfantillages. Ce qui nous amène à la raison pour laquelle je souhaitais vous contacter.
J’ai récemment créé, avec quelques nouveaux dirigeants encore méconnus, une faction du nom des Da Krios Roktas. Elle est régie par un Conseil où siège chaque dirigeant, et n’a de prétention que celle de répandre la Volonté de Krios, divin Ornithorynque Cosmique. 

Je voulais simplement vous proposer de nous rejoindre. En dehors de tout ce que vous pourriez apporter à notre alliance de votre point de vue d'Amiral – ou d'ancien Amiral, comme vous l'entendrez – je m’étais permise de supposer qu'après la chute de la Tour Blanche, cette nouvelle entité que vous espériez pouvoir autant que faire se peut défendre et appliquer vos idéaux, vous vous retrouveriez tout aussi dépouillé de vos illusions que moi, vous rapprochant de l'état d'esprit qui est à présent le mien. Celui de se laisser essentiellement guider par une... gaieté, folie, insouciance ?

Je comprends votre méfiance au regard de la longue association de mon nom et de celui de mon État au Léviathan, mais c'est une erreur. Avant que vous ne le découvriez par vous-même, je dois d'ores et déjà vous avouer que même après avoir fondé les Da Krios Rokta, je suis restée très liée au Léviathan, me considérant encore comme l'un des leurs et défendant même leurs intérêts avec tant de ferveur que mes troupes ont par trois fois sombré pour eux. C'était pourtant une grande erreur et après avoir subit l'humiliation d'être remise à ma place par rapport à ses membres véritables et d'importance par leur propre chef, je vous assure que l'Antioche n'aura plus jamais rien à voir dans les affaires Léviathaniques, et que le sort de leur Alliance m'est désormais totalement égal, pour peu qu'il ne menace pas la sécurité des miens. »
Avatar → image ©2013-2014 denkata5698

Remplaçante officielle de Lanthia en anti-constuctivité forumologique.
Avatar de l’utilisateur
Sergent Kami
Soulis de Kalyso
Messages : 785
Inscription : 20 févr. 2008, 10:36

Re: L'histoire d'une loutre à bec.

Message par Sergent Kami »

Inéluctablement mon sourire s’effaça. Chaque mot me revenait avec la force d’un ouragan. Chaque souvenir évoqué s’écrasait contre mon être avec le poids du remord et de la souffrance. Sous l’effet de mille coups de poignard astucieusement donnés, je me laissais tomber vers l’avant, tremblant de colère et de honte. L’archétype du type qui prend soudainement conscience de toute l’amplitude de son erreur. Et si finalement, tout n’était qu’une question d’égo mal placé ?

Le silence s’imposa en maitre dans la clairière. Assurément, la Reine attendait encore quelques exploits de ma personne alors que, privé de raison de vivre, mon être s’était abreuvé d’amertume et de remords. De pleurs et de sang. Les premières pensées que je réprimais n’étaient que cynisme et ironie déplacée. Le genre de répliques toutes faîtes, ressassées au-delà du raisonnable, devenue au fil du temps automatismes. Depuis toujours, je m’abritais derrière ce masque idiot et désuet. Elle avait vu juste sur toute la ligne ; il était temps de rompre les liens pour mieux se reprendre en main. Un petit rire nerveux ponctua l’épilogue de cette tortueuse réflexion qui me taraudait.



Dame Xodia, malgré tout le respect que j’éprouve à votre égard, je pense que nous nous aventurons sur une pente glissante et dangereuse pour notre relation future. Peut-être qu’avant de palabrer sur mon incommensurable fierté, éternel bourreau de mon être, ou encore l’hypothétique importance que vous jugez devoir m’accorder, un léger ajustement me semble nécessaire.

Vous souvenez-vous de cette folie que je réalisais pour vous un soir de Galan, avant de vous en dévoiler toute l’étendue au pied de votre palais ? Ce soir là, je ne pus me résoudre à quitter Aquablue tant votre sécurité m’importait.

Pour cela, je fus durement sanctionné mais qu’importe, votre bonheur m’a suffit à encaisser le châtiment. Aucun de mes pairs ne comprit mon action. Alors pour s’assurer que je ne dévierai plus, je fus contraint de séjourner à la Tour Blanche et noyé sous une masse d’affaires futiles. Saviez-vous que même un Conseiller pouvait subir l’effet du sceau d’anti-magie, sur ordre d’un Archimage ? Je puis vous assurer que le temps passe terriblement lentement lorsqu’on se retrouve enfermé dans une cage, si grande soit-elle…

Ma Reine, vous imaginez-vous ce que j’ai ressenti derrière ce masque impassible au moment où les troupes de l’Antioche furent identifiées parmi nos assaillants ? Pensez-vous être la seule à avoir été confrontée au choix entre votre devoir et vos sentiments ?

La seule différence entre nous, c’est que pour avoir la chance d’entendre à nouveau votre douce voix résonner en moi, j’ai vu des hommes entrainés de force et mourir pour des décideurs pour qui soldats riment avec chair-à-canon. Je me suis battu pour que le sang qui éclaboussait le champ de bataille ne soit ni le mien, ni celui d’innocents pris à parti. Mais au fond, on s’en fout, puisque comme vous le soulignez si bien, même dans la défaite, mon égo s’en trouve intact. Puisque d’après votre humble personne, il n’y a que cela qui compte à mes yeux
, soufflais-je sous l’effet de la désillusion.

Et en entendant la façon dont, de prime abord, vous balayez d’un revers de main le passage le plus important de votre monologue ; comment pourrais-je répondre favorablement à votre invitation
, murmurais-je après un long instant de silence.

Néanmoins, avant de clore définitivement cet entretien, permettez-moi de vérifier un insignifiant détail qui possède une importance non-négligeable à mes yeux
, ajoutais-je. Un instant je vous prie.


Et au pas de course, hors du champ du transmetteur, je troquais mes vêtements de toile pour ceux de cuir de couleur saphir, bien plus élégants. Une goutte d’un parfum rappelant le bois et les épices pour clore le tout. Il ne me restait plus qu’a fixer mon holster pour transporter mon antique révolver et ma lame, puis à couvrir le tout de ma tout aussi ancienne mais non moins confortable cape de voyage. Et en un clin d’œil, je disparaissais.

Deux minutes plus tard, sur l’Antioche.

Un cri strident d’une Reine effrayée agressa mes tympans, le tout ponctué du bruit spécifique mais ô combien évocateur de révolvers qu’on armait. Je me retenais contre le montant de la porte pour reprendre mes esprits. J’avais indéniablement perdu la main, et la téléportation m’avait bien plus affecté que prévu…



Alors là mon coco, tu as fait une grossière erreur, cracha un gradé présent en pointant sur moi son arme de service.

Oh, j’avais omis ce détail
, murmurais-je pour moi-même.

Je me redressais et d’un regard attristé, compris dans quelle inextricable merde je venais encore de me mettre. Comme à chaque fois que j’agissais sur un coup de tête, en fait. J’esquissais un sourire forcé, et saluait l’assemblée d’un signe de tête, liant le geste à la parole :


Messieurs, Mademoiselle, Nelcith...

Puis une once de tendresse s’invita en moi : Votre altesse.

Cette dernière semblait figée sous ce masque mêlant effroi, surprise et incompréhension, saupoudré d’un chouïa de regret. En cet instant, je me sentais désarmé face à la réaction de l’acteur principal. Je me ressaisissais et avançais vers elle lentement. Chacun de mes pas résonnait dans la salle, alourdissant d’autant l’atmosphère tandis que les officiers de sa majesté m’encerclaient.


Halte ! Andrew Leister, vous êtes désormais en état d’arrestation, hurla l’un d’entre eux dans mon dos.

J’avais parcouru la moitié de la distance. Toujours tenu en joue par l’Etat-major de l’Antioche, je me raidis.


Vous voyez bien que je ne compte pas obtempérer, non ? Alors, tirez nom d’un chien ! Ou rangez vos armes, laissez-moi passer que sais-je. Mais par pitié, faîtes quelque chose, qu’on puisse enfin se sortir de cette inconfortable situation, grognais-je agacé en levant les yeux vers le ciel.

Mais c’est exactement ce que je vais faire mon mignon, s’écrira une Capitaine en me barrant la route. Et maintenant, je veux voir tes bras en l’air et sans geste brusque.

Amusant, rétorquais-je d’un air désinvolte.

J’avançais d’un pas. Un coup de feu retentit immédiatement suivit de deux autres. Les balles trouèrent mon corps en autant de volutes de fumée alors qu’anticipant le pire, je lançais mon bras en direction du clone et usais de magie. La rune que j’invoquais arrêta la tumultueuse balle de plasma à quelques centimètres du visage d’une Nelcith étonnée de mon geste.


Ça va Nelcith, m’enquis-je en lui lançant un regard bienveillant, tandis que la balle se désagrégeait.

Je te tiens, hurla Kaïen en me sautant dessus. Je me dégageais avec élégance en passant sous forme éthérée et réapparaissais à coté de l’officier qui, voulant attraper de l’air, se retrouva inévitablement à terre.

Il suffit, trancha Xodia si froidement que cela me surprit. Que faîtes-vous ici, Monsieur Leister ?

Vous avez raison mon amie, il suffit
, dis-je simplement en marchant à sa rencontre. Arrivé à ses pieds, je m’agenouillais respectueusement.

Ma présence ici n’est le fruit d’aucune pensée belliqueuse mais simplement la conclusion d’une introspection que j’aurai du réaliser bien avant notre entretien, lançais-je d’un ton duquel transperçait une tristesse mêlée à une douceur qu’on ne me connaissait pas habituellement.

Il n’existe de mot assez fort pour vous exposer ce que j’ai sur le cœur, Dame Xodia. Tout d’abord, pardon et merci. Grâce à vous, j’ai réalisé à quel point je passais à coté de ces petites choses qui faisaient auparavant ma joie de vivre. Il est temps de cesser ces sacrifices futiles pour lesquels personne ne se sent redevable. Puisqu’on m’a chassé à la force des canons, bien que je sache d’avance ce qui ne manquera pas de se passer, le destin du monde ne m’intéresse plus. Il est temps pour moi de vivre, tout simplement.


Je me relevais et plongeais mon regard, puits d’émotions aussi contradictoires les unes que les autres, de celui non moins merveilleusement riche de sa Majesté.

Plutôt que de brandir votre politique comme garantie ou de ressasser nos si douloureux passés, je vous propose d’aller de l’avant vous et moi, et de me convaincre autour d’une promenade enchanteresse, loin de tous les problèmes de votre quotidien.



Vous m’offriez la possibilité de laisser libre court à l’insouciance et la folie qui étreint mon cœur ? Je vous invite à laisser le votre s’exprimer, à donner corps à vos envies et faire en sorte que ces mots ne soient pas que de vains projets trop vite éteints
, ajoutais-je en tendant lentement ma main droite vers Xodia.
Amiral Andrew K. R. Leister, dit le Feu, à votre service.
Un homme éclairé a écrit :Sergent dieu n'aime pas être contredit ! :evil:
Répondre