L'obscurité est un foyer

Ici sont chroniquées les histoires des Etats et de leurs dirigeants

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Nelcith
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L'obscurité est un foyer

Message par Nelcith »

Le grand salon était vide. Il l'était toujours, depuis que l'Edelweiss avait fané. Hormis ce jour, où Kami Raykovith y avait été convié...
Nelcith sourit à la réminiscence de ce souvenir. Elle alla chercher sa dague contre sa cuisse, et entreprit de la faire tourner entre ses doigts, lentement. Des traces brunes en ornaient encore le manche d'argent. Du sang du Grand Conseiller, elle n'en avait débarrassé que la lame. Ôter le reste ne lui avait paru d'aucune utilité. L'arme devait garder son tranchant, voilà qui était tout. Il n'y avait rien à laver.

Cette fois-là, elle avait souligné le manque de crédibilité grandissant du Grand Conseil. La direction de la Corporation ne cherchait à masquer ni son apathie, ni sa léthargie. Or se déclarer uniques maîtres et décideurs tout s'affichant en bête chétive et maladive équivalait à s'offrir aux mâchoires des charognards de tout bords. Voilà qui n'avait pas manqué d'arriver. Les Léviathans avaient fondu sur la Tour Blanche, l'avaient faite chuter, rencontrant si peu de résistance... Le reste de l'univers se moquait éperdument du Grand Conseil. Les seuls dirigeants qui s'étaient levés contre l'arrogance et la fièvre dominatrice des États « dirigés » par le Zenob le faisaient par haine à leur encontre. Ni plus, ni moins.

Les choses avaient-elles changé ? La Tour Blanche se dressait de nouveau, certes. Mais dans les dédales marbrés du pouvoir corporatiste, la cape verte de Nelcith était bien la dernière que l'on y apercevait encore, depuis bien longtemps. Si l'ivoire qui s'élevait là-bas avait été édifié à l'identique de ce qui figurait autrefois l'autorité du Grand Conseil, il lui tenait désormais plutôt lieu de pierre tombale.
Car, si le clone n'avait jamais cessé d'assurer ses fonctions, ses semblables avaient totalement quitté les lieux. Les Archimages, quand à eux, répondaient de tant à autres aux sollicitations, par le peuple ou un Conseiller, sur tel ou tel dossier. Le Système Galacticain se trouvait globalement abandonné aux mains des chefs d'États, pour lesquels l'état général de ce monde était bien le cadet des soucis.
Bon nombre d'entre eux ne se souciaient d'ailleurs plus de grand chose. Nelcith avait toujours connu la majeure partie des Cinq plongée dans une certaine torpeur, mais cette brume s'étendait aujourd'hui comme jamais. Les dirigeants se préoccupant ne seraient-ce que de leurs propres intérêts sur ce monde se faisaient rares.
Un monde flasque et figé.

Le statut de Grand Conseiller s'avérait bien moins amusant que prévu. Il pleuvait parfois, mais la terre craquelée ne s'en abreuvait pas, elle la laissait couler, et son bénéfice était perdu. Elle s'échauffait même parfois, la recrachant en un geyser tout bouillant de rage. Vous pouviez bien pleuvoir, les gens s'en moquaient ou s'en agaçaient. Même les nuages passaient souvent leur chemin sans trop d'attention.

Tant de connaissances, cependant, s'étaient offertes à elle. Elle pouvait caresser des milliers de lignes d'histoires à l'odeur poussiéreuse, sans la moindre restriction, et bon nombre de contours si flous dans la mémoire de Xodia se trouvaient précisés, élargis, remodelés.

Elle s'étira de satisfaction, dans la canapé immaculé. Cette pièce, elle l'appréciait beaucoup. Mobilier, murs, sol et plafond étaient d'un blanc immaculé, qu'un liseré d'argent venait de temps à autre relever. Étant donné que c'était là la couleur de prédilection de Nelcith en matière d'habillage, elle se fondait totalement dans le décor. Il est probable que si un employé passait par là, pour peu qu'elle resta immobile, il ne l'aurait jamais remarquée. Cela l'amusait.
Qui plus est, une fois le salon immergé, nul regard ne pouvait s'enquérir de sa présence.
La lueur attirait des nawpas près des vitres. Ces êtres aquatiques ressemblaient à des noyés disaient beaucoup de gens, dont les bras auraient mués en d'immenses ailes, toutes aussi voluptueuses que leur queue. À Nelcith, elles évoquaient plutôt des robes abandonnées, qui refuseraient d'arrêter de danser.

Soudain, elle vit du coin de l'œil apparaître une ombre. La Grand Conseillère n'eût le temps que de se redresser et d'esquisser un mouvement pour sauter derrière le sofa, que celle-ci avait grandi, formé une silhouette humaine, dont le dessin se précisait de plus en plus, jusqu'à ce qu'il s'en échappe un visage encadré par de longs cheveux bruns ondulés. Une cicatrice sous l'oreille gauche écartait tout doute sur l'identité du visiteur.

« Oooooh ! »

Elle joignit un éclat de rire franchement amusé à un bref applaudissement.

Les sourcils se froncèrent au-dessus des pupilles sombres.

« J'apprécie l'entrée, ni plus ni moins. D'autant plus amusante qu'elle eût pu être visuellement imperceptible, ailleurs. Dans cette pièce, elle devient tonitruante. Et puis, l'inattendu ! L'inattendu se fait rare, dans ce monde, Théran Azhar. Et je l'aime bien, il me fait toujours rire. Il fait pétiller n'importe quelle situation.

— Un Maudit aurait-t-il l'audace de chercher à retrouver un Prince Démon uniquement pour rompre avec la monotonie de son quotidien ? Ou est-ce là l'œuvre d'une Grande Conseillère fraîchement élue qui jubilerait de débusquer ma présence sur une terre d'où ses maîtres m'ont banni ; pour la leur présenter, la queue battante ? »

À la vérité, la Reine d'Antioche avait bien peu réfléchi aux raisons pour lesquelles elle souhaitait cette entrevue. L'inexorable chute de son royaume, en force comme en crédibilité et influence, lui avait soufflé l'existence d'un ancien allié sombre et puissant comme solution. Il suffisait qu'un pouvoir soit drapé de quelques mystères pour que les humains en fantasment tous les tenants et aboutissants.

Face à la colère qui commençait à se faire de plus en plus pesante et brûlante, Nelcith hésita. Tenter un apaisement dont elle avait le secret pourrait bien être perçu comme une agression. Une telle ingérence sur son esprit pourrait même, à ce stade de la rencontre, la faire apparaître comme un piège tendu au mage noir. Elle ignorait l'étendue réelle des pouvoirs de l'Azhar et, surtout, l'emprise que les siens pourraient avoir sur le démon... Survivre à un quiproquo de ce type semblait peu probable...

Elle sourit.

« Vous êtes réputé pour être inflexible dans vos véritables alliances, et vous le savez. L'Antioche et l'Exitium furent très liés autrefois. Au point même qu'il se murmurait que notre État n'était pas souverain, et que vous le dirigiez de façon directe. Si la volonté de non-agression mutuelle n'a jamais été brisée, vous n'êtes pour autant pas entré en communication avec Sa Majesté depuis la chute du Cartel. Cela fait quelques années. Depuis votre exclusion du Grand Conseil, il lui était même impossible de savoir si vous viviez toujours ou, du moins, au sein de ce monde. Xodia aimerait, tout autant que moi, savoir où en est cette relation.

Pour ce qui est de mes intérêts personnels, ils seraient plutôt d'assouvir ma curiosité. Les archives du Conseil sont aussi vastes qu'incomplètes, et soulèvent parfois dans mon esprit plus de questions que de réponses. »


Elle se pencha au-dessus de l'accoudoir du divan, dont elle pressa un bouton.

« Dîtes à la Reine qu'un invité s'est présenté au Grand Salon. Précisez de ma part qu'il serait malvenu de s'y rendre accompagnée. »

Elle posa à nouveau un regard malicieux sur l'héritier d'Eulième. Elle désigna d'un signe de la main un fauteuil plus élevé que les autres, à l'assise ferme.

« Mettez-vous à l'aise, je vous en prie. Le temps que la Reine arrive, nous pourrions même avoir le temps de discuter. Dites-moi, qu'est devenue l'Académie, exactement ? »
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Dox
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Re: L'obscurité est un foyer

Message par Dox »

    • — Votre curiosité ? Le prenait-elle pour un animal de foire ? Ma petite Dame, il serait bon, pour la suite de cette entrevue, que vous vous rappeliez tout ce pourquoi je suis réputé...
    Théran prit place sur le fauteuil. Elle semblait amusée, alors il souriait. Mais ses dents brillaient, et son regarde dévorait. Il était chez lui, bien plus que cette hérétique dont seul le rang ouvrait les portes de ce salon. Car si cela fait maintenant deux ans qu'il n'a plus mis les pieds en Antioche, il y fut pendant six ans d'avantage qu'un invité.
    • — À chaque maudit qui croise la mort, qu'il la donne ou la reçoive, je grandis. Je n'ai dirigé que le Nécrolia. Depuis, je conseille. L'Académie n'est plus. Et les ruines qui font les hypothétiques vestiges, du Grand Conseil, et arrosent leur renommée des crédits de ces reliques manufacturées ; ne sont qu'une insulte à sa mémoire.

      La magie s'est émancipée. Le Conseil s'est adapté. C'est une motion qui fut débattue à mon époque. Une motion qui offrait au plus grand prodige de chaque état prêtant allégeance aux règles de la Corporation, l'accès au titre de Maître Mage. Il n'y a plus d'académie aujourd'hui, car le Conseil envoie directement ses incompétents sbires sur les cinq. Les lobbys militaires l'exigèrent, il l'eurent. Cela couta plus à ce monde que vous ne le reconnaitrez jamais. Vous avez voulu faciliter l'accès au savoir, mais ils n'en ont fait que des armes. Si bien qu'aujourd'hui les Maîtres Mages peinent à s'entendre sur les bases même des éléments. Certains fonctionnent encore avec des cercles, dans l'espoir d'un jour percer le secret de nos plus grandes incantations. D'autres, plus illuminés encore, s'imaginent que le bois éteint le feu et l'eau s'enflamme. Ils apprennent à leur techno-guerriers un sortilège de suicide et les nomment Techno-Prêtres. Pourtant ils sont incapables de faire la différence entre un leurre et un cuirassier, et jamais n'ont appris à téléporter ; alors viser les entrailles fragiles mais surprotégées des vaisseaux mères ennemis ? Quel genre d'érudit échafaude de tels plans ? Les Maîtres Mages engendrés par votre Conseil dégénéré.

      Vous parlez d'exclusion. Je dis départs. Vous êtes toujours à tisser les fils de l'Histoire. Et pourtant vous voilà quémandant pour la vérité. Vous rendez-vous compte que vous êtes vous-mêmes victimes de vos idioties ? Vous pensez pouvoir écrire la destinée ? Vous pensez que deux discours suffisent à évincer l’œuvre des Dieux ? Votre ignorance n'a d'égal que votre arrogance.
      Cette cape verte est cousue de pouvoirs et d'armes, mais ne masque en rien les Maitres Mages boiteux qui la revêtent.
      Vous voulez apprendre ?
      La galaxie était au bord de la révolution. Le système battait de l'aile. Terluan avait quitté sa grotte, et accouchait d'idées folles. L'intégralité de la Constitution était en cours de rénovation. Lorsqu'il eut fini de reprendre ses esprits. Il mit l'archimage Azhar et le mécène Lord Agnarh au pouvoir. Il pensait envoyer un message fort. Il unifiait pour la première fois lobbyistes et magisters. Mais si ce triumvirat su prouver sa stabilité, il n'accoucha cependant que d'une année de stase supplémentaire. Certes bien des idées furent avancées, débattues et même entendues par l'ensemble des corporationnistes. Mais aucune d'entre-elles ne prit jamais forme.
      Et ma fidélité est, comme vous avez su le souligner, ailleurs. Je ne suis pas un homme de consensus et de diplomatie. Je suis un homme de pouvoir. Et là-haut ? Tout n'est plus que spectacle. Vos doigts bougent dans le vent, pendant que d'autres pianistes récitent la mélodie. Vous n'êtes même pas un fantôme, car la seule crainte que vous inspirez est la livide et sourde fatalité. Or, je ne suis de ces âmes qui se dorlotent sur les sièges dorés de la renommée. Je suis un acteur. Et lorsque mes maudits sont revenus, nécessitant mon aide. J'ai usé de tous les instruments à la portée de mon doigté pour leur offrir encore, ce chant aux accents d'ombre.

      Vous aimez appeler ça la déchéance. J'appelle cela la puissance. Parce que l'on perd du prestige pour gagner en liberté on devient un échec dans votre petite société. Dans la mienne c'est cette audace qui ouvre les portes de la signifiance. Et tant que Théran Azhar signifiera quelque chose, alors Théran Azhar sera. Daignez, un seul instant, me dire qu'Orilla, Oxymore ou Métabunker vous effraie d'avantage que moi ?
      Je n'oublierai jamais, ceux qui m'ont fait. Je n'abandonnerai jamais les maudits, pour tout l'or du monde. Mon allégeance est égale à la leur, elle est égale à la vôtre. Elle est éternelle et sera, car je le souhaite, mon mausolée.

      Maintenant, vous êtes un peuple maudit. Ma mort résonnera jusqu'aux tréfonds de vos âmes. Tant que vous n'en avez pas conscience, soyez sûrs que je vis.
      Où est votre Reine ? Car à moins que vous n'ayez d'autres lumières à assombrir, j'aimerai m'entretenir avec elle.
Ouzine Lullazhar, Président élu des Euliadoux.

Khyrhyle, Magister des Naïadimes
Hidaï Lévi, Ingénieur en Chef Saharidiste.
Fondateur des Columna Creationis et éternel membre de la Pléiade.
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