Le jeu de la vie en Zardoz, chapitre 1 : Crime et Châtiment.

Ici sont chroniquées les histoires des Etats et de leurs dirigeants

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Zardoz
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Le jeu de la vie en Zardoz, chapitre 1 : Crime et Châtiment.

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Les alarmes se mirent à hurler toutes d’un même coup. Le son qu’elles produisaient, grincement long et strident, m’insupportait au plus haut point. Sur le seul téléviseur du bar s’afficha bientôt ce message dont les caractères remplissaient presque tout l’écran : « secteur 37 bouclé », un peu plus bas la bande défilante montrait en boucle la raison nébuleuse et les actes d’accusation : « nettoyage pour : trouble à l’ordre publique, dégradation de bien public, attentat, rébellion, trahison, ... »

« Les pauvres » commenta un client morose et un peu alcoolisé assis non loin de moi.

Un mot attira mon attention. « Dégradation de bien public » ? Quel était le con qui était allé s’en prendre aux robots sentinelles ? Ca ne pouvait être que ça pour un tel bouclage.

Sur ma large montre, incrustée dans mon avant-bras droit, mon code « FL – 32 » se mit à clignoter doucement, indiquant qu’un boulot d’état m’était disponible.

Le patron du bar un peu miteux dans lequel je me trouvais me dévisagea gravement en voyant mon attirail s’emballer, et déjà d’autres visages lourds de reproches étaient tournés vers moi tandis que je me levais.

« Mets ça sur mon ardoise chef, comme d’hab’, je te repaye dès que je peux », déclarais-je sans leur prêter attention et en remettant mon turban pour me protéger des épaisses poussières de sables qui balayaient ce niveau du bunker du fait des larges turbines latérales de ces niveaux-là qui évacuaient la chaleur des niveaux inférieurs.

Le patron détourna simplement le regard en me lançant un « Pas de ce genre d’argent ici tu sais bien Sahel ! ».

Je lui lançais un sourire un peu las et répondais :

« Oh mais l’argent n’a pas d’odeur chef.»

C’en était trop pour le client alcoolisé non loin de moi, lui se leva et balança son verre vers moi.

« Sale chien de Free-Lance ! »

J’esquivais sans grande difficulté un verre à la trajectoire déjà plus que douteuse et disparaissais dans une ruelle balayée par le sable et à l’atmosphère extrêmement chaude et sèche . La cité-bunker du Zardoz avait beau être un joyau de technologies dans le domaine de la vie souterraine, ce niveau 11 dans lequel je me trouvais actuellement avait tout de la misère humaine : puanteur se mêlait à saleté, taudis à insalubrité, promiscuité à maladie, faible espérance de vie à insécurité.

La cité-bunker du Zardoz était composé de 100 étages, ou plutôt de 100 niveaux en dessous du sol. Plus on descendait vers le niveau 100, plus la vie était paisible. Plus on montait vers le niveau 1 et plus la population se paupérisait. Chaque étage était divisé en une multitude de secteurs, et chaque secteur était cloisonné et surveillé en permanence par une armée de droïdes de surveillance à chaque coin de rue, davantage chargés de faire respecter un règlement primaire que le maître du Zardoz avait établi plutôt que de véritables lois au service des habitants.

Agresser l’un de ces derniers dans un secteur en particulier et le-dit secteur était bouclé, puis « nettoyé ». Non pas par l’armée régulière qui n’aimait pas se salir les mains inutilement, ni même par les androïdes qui n’étaient là qu’en soutien…

Je regardais ma montre qui continuait de clignoter. Chaque habitant du Zardoz en avait une. Selon son « mérite », accumulé de différentes façons, une barre d’expérience montait et pouvait faire gagner un niveau. Chaque habitant pouvait descendre des étages et donc se rapprocher d’une vie prospère de plus en plus, mais uniquement jusqu’au niveau qui s’affichait devant sa montre. Etant « FL – 32 » je ne pouvais descendre que jusqu’à l’étage 32 par exemple, et avais libre accès des étages 1 à 32 inclus. Les lettres précédant les chiffres indiquaient le corps de métiers dont la personne faisait partie, et donc quel type de « mérite » elle pouvait accumuler pour espérer gagner un niveau.

Il y avait la lettre « E » pour « érudits », des savants en tous genres et ingénieurs, la lettre « C » pour les chevaliers, un corps de soldat d’élites de la cité, « O » pour les ouvriers, toute la base qui devait se tuer à la tâche pour espérer un jour monter de niveau, et … les « FL », les « Free-lances », qui avaient rejeté leur corps de métier originel pour tenter leur chance et vivre leur aventure… mon corps de métier. Une classe à part où on pouvait monter plus vite mais où ceux qui ne se débrouillaient pas ne faisaient pas de vieux os.

Chaque membre d'un corps de métier, mis à part les "FL", recevait un salaire hebdomadaire fournit par l’état, les plus bas niveaux recevaient le moins, galérant rien que pour subsister et pouvoir donner pitance à leur famille, les plus hauts se gavaient quant à eux comme des vaux gras. Mais les « FL » comme moi avaient cette particularité de ne rien percevoir de l’état automatiquement. Pour percevoir de l’argent et également espérer augmenter sa barre d’expérience ou plutôt de « prestige », il fallait accomplir des actes pour l’état … faire de sales besognes en soit... Ou bien les voler à d’autres : les « FL » avaient cette prérogative que de pouvoir dérober l’expérience et l'argent d’autres personnes légalement ou plutôt « réglementairement » dans des conditions bien particulières qui rapportait d’autant d’expérience que le niveau de l’adversaire était élevé. Sauf qu’aucune demi-mesure n’était acceptée : si on dérobait quelqu’un il fallait mettre sa montre à zéro, c’est-à-dire le tuer… De plus hormis les autres « FL », ne pouvaient être dérobés que les gens dont la montre était en « veille ».

On ne pouvait pas perdre de « prestige » par fractions et donc la barre d’expérience de chaque habitant ne descendait pas hormis si on la volait. En revanche des malus pouvaient être octroyé ce qui avait pour conséquence de mettre en veille la montre de l’habitant concerné, sa lumière changeait, il était alors à la merci de Free-lances tels que moi...

Perdu dans mes pensées, je ne vis pas que j’étais arrivé avant de me retrouver face à un robot sentinelle qui verrouillait un accès.

« Le secteur 37 est bouclé Monsieur, veuillez présenter votre code ou bien passer votre chemin », déclara une voix enjouée sortie du robot.

Sans mot dire je lui présentais ma montre qu’il scanna.

« Hmmm, Sahel Bradley c’est cela ? Vous êtes là pour la mission ? », continua la voix enjouée.

« A ton avis? », lui lançais-je d’une voix glacée.

Le robot continua de se voix joviale.

« Je vous rappelle, Monsieur Bradley, que votre salaire dépendra de votre moisson… »

Je déglutissais difficilement : « moisson » ? Quel terme ! Je détestais ces logiciels ambulants.

« …et que s’en prendre à un autre membre de votre groupe vous vaudrait un malus conséquent, oh sauf si sa montre est en veille bien sûr ! ahahah !.»

« Ouvre donc tas de boulon ! »

« Oh oh ! Rejoignez le premier escadron de freelances qui partira de la porte EST de ce secteur ! Je vous déverrouille l’accès ! Et bon nettoyage ! »

Tandis qu’un large cadran sur le mur coulissait, je m’avançais et disparaissais en silence dans les ombres d’un secteur 37 où désespoir et terreur se mêlaient déjà.
Dernière modification par Zardoz le 04 mars 2016, 19:55, modifié 5 fois.
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Zardoz
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Re: Le jeu de la vie en Zardoz.

Message par Zardoz »

Clac.

Une dernière vérification de mon chargeur. Ok il me resterait assez de cellules à énergie pour tenir un peu.

Un robot-sentinelle passant à côté de moi fit une pause un court instant en analysant mon arme et m’accosta d’un ton léger.

« Hé part’naire ! Je vous rappelle que si vous désirez une arme plus performante que la votre quant au nombre de coup par minutes l’état vous propose pour ses missions une large gamme de fusils lasers à répétition à la location pour un prix tout à fait négligeable vis-à-vis du rendement que de telles armes vous promettent lors de vos moissons ! »

Qu’est-ce qu’ils sont chiants ceux-là.

« Non ça ira, la mienne me va très bien. »

Le robot-sentinelle continua de sa voix enjouée :

« Ou si vous êtes plus du type gros joujou à gros dégâts, un bon coup de fusil à plasma et les murs ne seront même plus des obstacles pour vous ! De toute façon ils n’en auront bientôt plus besoin de leur mur pas vrai ? ahah ! »


« Je t’ai dit non, maintenant dégage ! », m'impatientais-je devant la ténacité du tas de ferraille.

« Comme tu veux part’naire ! Départ dans quelques minutes ! »

Devant mon peu de conversation le robot alla importuner un autre membre du groupe dans lequel j’étais. Nous étions une petite vingtaine de FLs comme ça à attendre le départ de la mission à la porte Est de ce secteur 37. On pouvait supposer qu’à chacune des autres portes : Nord, Ouest et Sud de ce secteur un autre groupe tel que le nôtre se tenait prêt.

Je prêtais un peu plus attention à mes collègues. On distinguait deux genres différents de Free-lances pour ce type d’opération de « nettoyage ». D’un côté on avait les FLs dans le besoin : vêtements ou armure misérables, arme d’occasion, montre avec souvent un bas niveau d’affiché, qui en étaient réduit à ce genre de mission par nécessité pour pouvoir s’acheter de quoi survivre. De l’autre côté on avait à l'inverse des FLs en armure rutilante ne laissant dépasser que le cadran de leur montre incrusté dans leur avant-bras, aux armes de haute qualité, et au niveau élevé. Ces derniers n’effectuaient ce genre de mission que pour une chose : étancher leur soif de sang.

Je mémorisais à peu près à quelle tenue correspondait quel code sur la montre et quelle type d'arme, autant éviter les plus dangereux. De l'autre côté de mon groupe, je vis un autre membre du groupe noté « FL - 25 » et qui paraissait un peu mieux équipé que moi lorgner quant à lui sur mon « FL – 32 ». Peut-être se disait-il qu’il pourrait me suivre après la mission et me régler mon compte dans une ruelle de cet étage… Je soutenais son regard.

Le robot-sentinelle qui accompagnait notre groupe utilisa une sonorité plus puissante, mais au ton toujours aussi artificiellement joyeux, afin de prévenir l’ensemble du groupe.


« Ayé les aventuriers! Bientôt le départ ! Dernières consignes : les habituelles ! Chacune de vos montres a été enregistrée à votre inscription afin de pouvoir évaluer vos performances par comparaison avec vos rendements finaux. Les montres de vos cibles ont été toutes mises en veille : vous pouvez désormais faire votre leur prestige et leurs crédits ! L’état vous payera une part variable, en plus que ce que vous avez amassé sur place, en sortie de mission selon vos performances et le temps global passé ! Je vous rappelle que les montres des enfants de moins de 15 ans de ce secteur n’ont pas été mises en veille : une balle perdue vous conférera un léger malus de crédits alors faite un peu attention! Nous ne sommes pas des monstres après tout ! ahah !»

Légère pause dans le discours du robot-sentinelle, comme si ses programmeurs avaient voulu que leurs interlocuteurs aient bien le temps d'apprécier leur type d’humour.

« Des plus le pillage n’est pas autorisé, un seul objet au titre de « souvenir » peut-être emporté en dehors de ce secteur une fois la mission terminée. Seule tolérance ! Le reste des biens personnels du secteur 37 est d’ores et déjà propriété de l’état ! »

La tirade se finissait, on pouvait déjà sentir l’effervescence et la tension qui animaient l’ensemble du groupe de FLs.

« Très bien en rang cow boys ! Les festivités vont bientôt commencer ! N’oubliez pas d’en laisser un peu à votre voisin ! ahah ! »

Un signal sonore sortit de chacune de nos montres tandis que les lettres et chiffres qui composaient nos codes, d’un rouge habituellement assez neutre, prirent une couleur rouge écarlate et gagnèrent en luminosité afin de plus facilement nous repérer entre nous. C’était le signal. Le départ de la mission était donné, nous étions mandatés par l’état.

Déjà les premiers s’élançaient. Les habitants s’étaient pour la plupart baricadés chez eux mais les premiers coups de feu ne se firent pas attendre. Dans ce monde souterrain cloisonné de toutes parts chaque coup de feu tiré était amplifié et résonnait un certain temps laissant à chacun de vivre encore plus pleinement le début de ce nouvel enfer sur terre.

Je restais un peu en retrait et regardais sur un côté un immense panneau qui annonçait : « secteur 37, domaine du clan Igakawa, 1032 âmes». Le temps d’un clignement des yeux devant l’éclat d’une fusée au loin le panneau s’était actualisé et affichait déjà « 1029 âmes ».

Je me décidais enfin à pénétrer parmi le dédale de ruelle qui composaient ce secteur. Un bruit de course derrière moi me fit tourner la tête. Un autre FL, le noté « FL – 25 » qui avait lorgné sur ma montre il y a quelques instants, vint me rejoindre.

« Mec ! Hé Mec attend moi ! »


Je m’arrêtais, sur mes gardes. L’homme continua :

« Une petite alliance de circonstance ça te dit ? On dit que certains sont barricadés avec quelques pétoires à projectiles. Toi et moi, faut pas s'voiler la face, on a pas d’armures dernier cri comme certains des autres de la mission . Aussi...Ca te dit qu’on se couvre l’un l’autre histoire de pas avoir de mauvaise surprise? On s’partage le pactole à la fin, genre fifty-fifty ? »

Je le dévisageais intensément. Un jeune homme qui avait un peu de jugeote à coup sûr, et un fusil plasma pas trop dégueu, d'une dizaine d'années mon cadet. Qu'est ce qu'il était allé se faire voler son âme chez les FLs ce garçon? Quelle était son histoire?

Enfin bref, pas le temps pour ça...

Je remis mon fusil en bandoulière et lui tendis ma main droite sans mot dire.

Il me regarda, sa méfiance se dissipant il prit son arme en main gauche, puis serra ma main tendue, un petit sourire satisfait sur le visage.

« Et bien mec ! Je suis sûr que c’est le début d’une grande… »

Pan.

Le bruit du coup de feu se noya dans celui de tant d’autres qui résonnaient déjà incessamment à nos oreilles. D’un repli de ma robe, une légère fumée s’échappa du canon d’un pistolet laser que je gardais caché le long de ma hanche gauche. Je lisais la surprise dans l'expression figée du jeune homme. Un filet de sang coulait le long de la jointure de son armure entre son thorax et son abdomen.

Je gardais sa main bien serrée contre la mienne tandis que le reste de son corps s'affalait au sol. Sur sa montre les chiffres défilaient dans un ordre décroissant. Elle finit par afficher « 000 » tandis que la vie quittait son propriétaire. Je regardais la mienne, qui se mit à clignoter. Ma barre de prestige s'était légèrement élevée et sur un coin s’afficha temporairement un « +25 crédits ».


« Merci petit. »

Je lâchais enfin sa main qui retomba inanimée au sol.

Ma montre continua de clignoter ainsi quelques instants avant de prendre une couleur grisée signant son entrée en veille. Un écriteau s’afficha en petites lettres : « malus de 24h ».
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Kafelor
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Re: Le jeu de la vie en Zardoz.

Message par Kafelor »

Un peu plus tôt…


Je sortis mon inhalateur de ma poche un instant afin de prendre quelques bouffées d’oxygène. L’air chaud était difficilement respirable et le vacarme des machines qui tournaient à plein régime était assourdissant. Moi et les autres O (ouvriers) devions déplacer jour et nuit des tonnes de mélanges chimiques toxiques hautement inflammables au sein d’un énorme entrepôt. Ces substances étaient ensuite verser dans d’énormes tuyaux en fonte servant à alimenter la plus grosse centrale énergétique du Zardoz.


Inutile de dire que les masques et les tenues de protection de fortune qu’on nous avait donné ne nous protégeaient pas suffisamment. Mais nous n’avions de toute façon pas assez de « mérite » sur nos montres respectives pour nous offrir des vêtements plus adaptés. Les ouvriers disposaient d’une maigre barre d’expérience et restaient cantonnés aux étages supérieurs. Rares étaient ceux qui pouvaient passer dans des étages inférieurs. A peine notre salaire de misère nous permettait-il de subvenir aux besoins primaires de nos foyers.


Je voyais ma femme et ma fille très rarement, mon boulot m’occupait une large partie de la journée et une large partie de la nuit. J’étais encore jeune mais déjà j’avais les traits du visage tirés par plusieurs années de dur labeur et il me fallait un inhalateur pour ne pas m’étouffer au bout d’une dizaine de minutes. Après avoir économisé quelques sous durant plusieurs jours, je l’avais acheté dans un marché à puces. Le troc était toléré mais il ne fallait pas faire montre de trop de signe de richesse, car vous n’étiez pas à l’abri des nombreuses « rafles ». J’avais également bricolé avec une ficelle, du tissu et des plumes, une sorte de casque. Il me permettait de subir un peu moins le tohu-bohu des machines environnantes. J’allais justement le sortir lorsque j’entendis derrière moi plusieurs ouvriers chuchoter.


"Il est tout seul, on y va à trois."
"Ok. Un… deux… TROIS !"



M’attendant à ce qu’ils sortent quelque part pour m’agresser, je les vis en réalité déboucher quelques mètres plus loin dans une direction différente avec des marteaux, des enclumes et une scie à métaux. Ils se dirigèrent droit vers un robot sentinelle et le martelèrent de coups. Les rébellions étaient fréquentes au sein de la population ouvrière. Cette révolte semblait improvisée et allait sûrement être matée rapidement. Déjà, l’androïde se retourna et commença à envoyer valdinguer l’un des fauteurs de trouble. Les autres ne reculèrent pas pour autant et s’évertuèrent à désosser la carcasse métallique du robot sans véritable succès. Ils étaient projetés les uns après les autres contre la paroi de l’entrepôt ou vers les nombreuses étagères.


Mais alors que le dernier « insurgé » du groupe fut envoyé au tapis et que l’histoire allait s’arrêter là, les autres ouvriers présents dans le bâtiment vinrent prêter main forte à leurs collègues. C’était un peu surréaliste de les voir tous courir dans leur tenue tels des hystériques. L’androïde sortit une arme et commença à tirer. D’autres robots sentinelles entrèrent dans l’entrepôt, les choses commençaient à complètement dégénérer.


Je restai là sans rien faire, assistant malgré moi à ce spectacle macabre, lorsqu’un ouvrier sortit de nulle part courut à en perdre l’haleine avec une charge explosive. Pendant qu’il s’approchait des robots, les autres ouvriers se mettaient en travers pour le protéger. Mais ce ne fut pas suffisant. L’ouvrier fut touché mortellement à la poitrine avant d’être projeté par un androïde pour atterrir juste devant moi. Ventre à terre, il contempla mes pieds. Dans un ultime effort, il leva la tête pour me supplier :



-Fais-le, tout en montrant la charge explosive, avant de s’effondrer totalement au sol.


Je ne savais que faire, j’étais complètement paralysé. A un mètre de moi, la bombe était activée et il ne restait que quelques secondes avant qu’elle n’explose. Des robots sentinelles se dirigeaient dans ma direction et semblait en découdre.

Je n’avais guère de choix. Envoyer d’un coup de pied cette fichu bombe sur les androïdes ou bien les laisser la désactiver et me tuer.
Dans un réflexe de survie, je pris mon courage à deux mains et envoya voltiger la charge explosive contre les robots sentinelles d’un puissant coup de pied. J’eus à peine le temps de me mettre à l’abri derrière un caisson.


Un souffle puissant parcourut la pièce au moment de l’explosion mais je réussis à me cramponner et à m’en sortir vivant. Je n’osais bouger. Le silence régna bizarrement au sein de l’entrepôt pendant quelques secondes (les machines s’étaient soudainement mises à l’arrêt) avant qu’une énorme alarme retentisse. Après un moment d’hésitation, je finis par sortir de ma cachette et découvrit l’ampleur du désastre. L’entrepôt était en grande partie détruit.


Il ne fallait pas que je reste là. Désormais, le temps m’était compté. Vu les dégâts occasionnés, il n’allait pas tarder à envoyer l’artillerie lourde pour me régler mon compte ou plus tôt les FLs, les « Free-Lance ». Je devais absolument retrouver ma femme et ma fille avant eux…
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Zardoz
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Re: Le jeu de la vie en Zardoz.

Message par Zardoz »

Ting-Ting-Ting-Ting.

Le bruit insupportable de la montre d’un autre Free-Lance que j’avais tué il y a quelques minutes me cassait déjà les oreilles. C’était ce qui arrivait quand on tuait un FL sans lui « vider » sa montre. La montre clignotait et petit à petit un son répétitif à sonorité croissante sortait de l’appareil qui ne percevait plus les battements du cœur de son propriétaire. Ce qui ne manquait pas, et c’était le but, d’attirer les autres FLs des environs vers une proie facile car déjà morte, tels des charognards.

J’attendais là. Parmi le tas de cadavres calcinés d’un groupe d’anciens résidents de ce secteur, entremêlés les uns entre les autres, les uns sur les autres. Je m’étais allongé entre eux, mon corps caché aux yeux des autres passants car camouflé au sein des corps mutilés, ma propre odeur masquée par celle de la chair calciné. La pointe de mon canon était dirigée vers le corps sans vie du FL à une trentaine de mètres dont la montre continuait son appel incessant. Je restais là, totalement immobile, entre mes compagnons à l’infortune récente et si malheureuse.

Ca n’allait pas tarder à mordre…

«Et tu te croies bien caché mec ? Pitoyable !»

Mon cœur s’arrêta l’espace d’un instant. Mes poils se hérissèrent. La voix venait de derrière moi. Je n’aurais pas le temps de me retourner pour tirer, il devait déjà m’avoir en plein dans son viseur. Merde je me croyais mieux caché que ça.

Mais rien ne se passa. La présence s’approcha doucement de moi, je la sentais enjamber résolument les cadavres alentours. L’individu finit par s’agenouiller près de moi. Sans arme à la main.

J’écarquillais d’abord les yeux avant de pousser un soupir de soulagement et de faire retourner mon regard vers l’appât que j’avais laissé plus loin.

Ting-Ting-Ting-Ting

«Hey! J’aurais souhaité un peu plus d’attention de la part du mec qui m’a tué !», s’énerva l’individu.

Je chuchotais quasi inaudiblement :

«Tu es mort justement, laisse ce monde aux vivants.»

Il faudrait que je reprenne mes médicaments. Mais pas maintenant. Préparer ma dose et de me l’injecter, cela prendrait à la fois trop de temps et me rendrait trop visible à gesticuler.

«Bah, laisse-moi le temps de lui faire mes adieux à ce monde, j’ai eu un départ un peu précipité je te rappelle ! On m’y reprendra à vouloir faire des alliances!»

«Tsss, si tu crois que tu aurais tenu longtemps dans le métier…», lui répondis-je en un murmure.

L’ancien FL se releva et mis son pied sur moi, il avait beau ne pas exister je sentais le poids de son pied appuyer lourdement sur mon dos.

«Ecoute moi bien fils de…», s’énerva mon apparition.

«Chuuut le génocidaire ! Tu vois bien qu’il se concentre ! Quelqu’un arrive !», s’exclama une autre voix.

«Merci», répondis-je en me re-concentrant sur le viseur de mon fusil laser.

Heu… un moment.

Je retournais les yeux. Un des cadavres à mes côtés, au visage calciné mais à peu près intègre dans son anatomie, me répondit en levant le bras.

«De rien mon garçon.»

Quelques autres voix d’encouragement s’élevèrent parmi les cadavres. J’essayais de ne pas y prêter attention même si ça faisait étrangement plaisir. Elles n’existaient pas. Tout ça c’est dans ta tête Sahel.

« Oh putain. Ca sera double dose quand je sortirai de là. »

Mais quelqu’un arrivait finalement en face. Pas une apparition douteuse apparemment car il s’agissait de deux individus qui se dirigeaient prudemment vers la montre du FL à terre plus loin qui continuait son appel incessant.

Ting-Ting-Ting-Ting

« Un coup de veine ça ! », murmura l’un d’eux : un FL un peu baraque avec un minigun. « Celui là c’était un FL 40 ! Probablement lui qui à fait ce petit massacre dans la rue avant de se faire avoir comme un con. »

« Oui mais tu trouves pas ça bizarre toi ? Le mec qui l’a tué aurait pas essayer de lui piquer son arme ou de lui arracher le bras pour faire taire sa montre ? », se méfia son collègue un peu plus court sur patte, qui tenait un fusil plasma d’un modèle assez léger.

« Bah, t’occupe, ils sont tous cons quand la peur les gagne », continua le premier.« Faudra penser à vérifier les cadavres dans la rue après, il a peut-être pas eu le temps de vider toutes les montres.»

Oh ça tu seras mort avant mon coco.

Je méditais en vitesse. Deux d’un coup c’était un peu chaud. Mais bon ça se tentait et c’était toujours mieux que trois. Par lequel commencer ? Le plus grand ferait plus de dégâts une fois que son minigun cracherait la mort, mais il offrait une cible plus facile et son arme mettrait un court laps de temps avant de s’enclencher. L’autre ferait moins de coups/minute mais j’aurai plus de mal à le viser une fois qu’il connaitrait ma présence, en sus il présentait une moins grande surface à viser et une carcasse surement plus rapide…

Je ne pouvais pas louper ma première cible, mais je n’avais aucune garantie pour la seconde.


« C’est un coup un peu gros pour toi tu crois pas ? », déclara le FL décédé qui me tenait la discussion.

« T’occupes et ferme là », murmurais-je simplement.

Le plus costaud des deux FLs se baissa finalement. Il saisit la montre du FL décédé et je compris que les chiffres de prestiges et les crédits de cette montre étaient en train de changer de propriétaire.

Ting-Ting-Ting-T…

Le bruit de la montre cessa: le transfert était effectué.

Tudut!

« Oh! J’y crois pas! J’ai gagné un niv… ! »

Pan.

Un seul coup de feu fusa de mon arme. Le laser perça la tête du FL qui venait de remplir sa montre.

Le FL plus malingre eut le temps de se mettre à couvert, mais je compris qu'il n'avait pas identifié l'origine du tir et qu’il me cherchait incessamment du regard. Je voyais le bout de son fusil plasma trembler témoignant que tout son corps était dans le même état.

« Héhé, avoue que tu aimes ça. », me déclara le FL fantomatique debout à côté de moi qui se délectait de la scène.

« Moi c’est pour ce genre de sensation : sentir la peur dans mon ennemi au moment où il sait qu’il va mourir, que j’ai fais FL. Bon j’avoue que c’est plus facile sur les civils… Tu sais je suis sûr qu’on aurait formé une belle équipe, je devine qu’on est pareil sur ce point là ! », continua-t-il.

« Laisse-moi, je me concentre . »

Ma cible n’avait aucun moyen de s’enfuir. Je laissais passer les secondes, puis les minutes. Elle me cherchait s’aventurant de plus en plus hors de sa cachette croyant deviner que je n’avais pas ce champ de visée et que je me trouvais probablement sur d’autres bâtiments plus loin. Je prenais mon temps. Il ne s’agissait pas de la louper.

Ting-Ting-Ting-Ting

Au bout de 5 minutes la montre de son camarade commença sa complainte, doucement d'abord. Il ne fallait pas que je traîne trop.

Finalement pris de panique, submergé par le trop plein d'émotion, le FL que je visais se mit à courir dans le sens opposé.

Pan.

Un coup dans le dos. Bien net. Bien propre. Plus qu’à ramasser mon gain sur leurs montres avant que quelqu’un d’autre n’arrive...

« C’est lâche… », commenta l’apparition qui me hantait .

« Oh toi ta gueule ! », criais-je dans le vide.

Et plus qu'à me trouver un coin tranquille pour prendre mes médocs…
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Kafelor
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Re: Le jeu de la vie en Zardoz.

Message par Kafelor »

J’étais encore sonné par l’explosion. Je me tatai le menton et ma main fût légèrement recouverte de sang. Je m’examinai rapidement, je n’avais rien de casser, simplement des entailles et des égratignures à certains endroits.


Je contemplai quelques secondes l’entrepôt détruit avant de reprendre mes esprits. Il n’y avait pas de temps à perdre. Pour un acte aussi grave, les autorités allaient envoyer l’artillerie lourde, entendre par là toute une multitude de FLs. Je pris mes jambes à mon cou. Je me faufilai dans plusieurs couloirs, grimpait plusieurs escaliers, tournaient tantôt à droite, tantôt jusqu’à attendre la sortie de l’usine.


Je débouchai sur une artère relativement passante. Je courrai à vive allure, évitant les passants et les mini sidefly (sorte de chaises volantes servant de locomotion urbaine). Il n’y avait pas de véhicules à cet étage. Les gens n’étaient pas assez fortunés, et si l’un d’eux ou un des étages supérieurs s’aventuraient avec un véhicule, il était sûr de se la faire voler ou désosser et de se faire tuer par la même occasion.


Je continuai à courir comme un dératé. Je longeai une autre ruelle moins empruntée, puis une autre, puis encore une autre, avant d’arriver à nouveau à une avenue très fréquentée. Des passants malchanceux se faisaient alpaguer et agresser, comme chaque jour et chaque nuit, dans ce quartier malfamé. J’évitai les quelques groupuscules un peu douteux et regardai ma montre. Elle n’allait pas tarder à se mettre en veille. Lorsque ce serait le cas, n’importe qui, n’importe quoi deviendra un danger et ce n’était pas les gangs de rue qui deviendraient la principale menace. Mais, pour l’instant, ce n’était pas ma priorité, il me fallait mettre à l’abri ma femme et ma fille avant que la « chasse » ne commence.


Je commençai à être à bout de souffle. Je grimpai le plus vite possible les nombreuses marches de mon immeuble miteux, sortis la clé de l’appartement de ma poche et déverrouillai la porte.



"Sophie ? Adeline ?" criai-je à plein poumon. "Sophie ? Adeline ?" répétai-je.


Ma femme était au chômage, comme environ la moitié de la population à ce niveau du bunker du Zardoz. Elle s’évertuait pourtant à rester active en aidant à droite à gauche les voisins de l’immeuble, des personnes très âgées pour la plupart, qui lui donnaient en retour quelques crédits. Cela complétait un peu mon maigre salaire pour subvenir à nos besoins.



"Sophie ? Adeline ?" répétai-je, après avoir fait trois fois le tour de notre petit deux pièces.


Elles n’étaient pas là. Un moment de panique s'empara de moi. Je criai désormais dans le reste de l’immeuble, n’hésitant pas à frapper aux portes des voisins. Une porte s’ouvrit à la volée. Adeline me regardait :


"Adeline !" dis-je dans un souffle avant de l’attraper dans mes bras.


Ma femme était juste derrière. Je l’embrassai rapidement avant de leur dire d’un trait :



"Vite, il faut partir. Je dois vous mettre à l’abri."


Ma fille me regardait hébétée. J’essayai alors de prendre un air un peu plus normal. Je m’accroupis vers elle pour la contempler et lui parler d’une voix douce.



"Ad’, ma chérie, tu te souviens du jeu du cache-cache qu’on faisait dans le skate park ?"


Elle me fit un signe affirmatif mais elle restait inquiète.


"Et bien, est-ce que ça te dirait de participer au plus grand cache-cache de tous les temps? Tout le monde va devoir se cacher et le dernier qui est retrouvé a gagné. C’est rigolo hein ?"


Elle me fit à nouveau un signe affirmatif sans dire un mot, trop inquiète pour dire quoi que ce soit.
Subitement, ma montre se mit en veille. La traque n’allait pas tarder à commencer.


Ma femme regarda ma montre également et comprit aussitôt le danger imminent qui allait arriver. On n’avait pas besoin de se parler, un simple regard suffit pour qu’on se comprenne. Je pris Adeline dans mes bras, nous allâmes prendre les sous que nous avions mis de côté dans une petite boite en carton et nous nous mîmes à descendre les marches à vive allure.


Il nous fallait rejoindre l’un des ascenseurs géants permettant de passer d’un niveau à un autre de la cité. Il y en avait un non loin de là, à quelques centaines de mètres, mais déjà la population était paniquée et les premiers tirs se firent entendre. Une alarme retentissait dans tout le quartier indiquant qu’une chasse à l’homme était engagée. Mais tous savaient que cela signifiait davantage une boucherie générale.


Face à nous, un groupe de trois voyous avec des barres de fer s’amusait à terroriser les gens. Ils « barraient » (sans faire de mauvais jeu de mot) le chemin menant ensuite au seul escalier d’entrée permettant d’accéder à la plateforme de l’ascenseur.
Je confiai Adeline à ma femme et les enjoignai de se tenir à l’écart. Les trois brutes s’avançèrent vers moi tapant leur batte contre la paume de leur main opposée, un grand sourire aux lèvres.



"T’aurais dû t’enfuir mec. On va te démolir ta sale pet…"


Bim, je lui assenai un uppercut du droit en pleine machoire. Je n’avais pas un physique d’athlète mais je me débrouillai au corps à corps. Il fallait dire qu'il ne se passait pas un jour sans que je doive me défendre dans le ghetto.


Le gars en face de moi se tenait la machoire, les deux autres m’attaquèrent sur les côtés, j’attendis qu’ils lèvent leur batte et qu'ils tentent une première attaque pour me baisser complètement. Les battes passèrent juste au-dessus de ma tête et vinrent se fracasser l’une l’autre. Des débris volèrent un peu partout autour de nous. Les deux hommes étaient quelque peu abasourdis. Je profitai de ce moment d’hésitation pour choper deux morceaux bien tranchants par terre pour en planter un sur le pied et un autre dans la cuisse. Les deux voyous gémirent de douleur comme des bêtes blessées.
Le troisième semblait décontenancé par ce scénario et finit par prendre la poudre d’escampette.



"Venez", dis-je. Sophie et Adeline sortirent de derrière le muret. "Nous y sommes presque."


J’ouvris la porte, elles entrèrent l’une après l’autre. Ma fille commença à dire



"Pourquoi "venez"? Est-ce que tu demandes aussi à mamam de se cach..."


Je passai la porte à mon tour lorsque…


BAM


Une balle me toucha à l’épaule. Je chancelai puis tombai à terre. Je sentis une douleur intense me traverser le corps mais je ravalai mon envie d’hurler. Ma fille me regardait fébrilement. Il ne fallait surtout pas l’effrayer encore plus et faire comme si tout était normal.


"T’as vu, papa a glissé. Y a des trous dans ses chaussures", lui dis-je en esquissait un léger sourire comme je pus.


Je devais rester fort. Je devais les mettre dans l’ascenseur avant de mourir.





Mon montre n’arrêtait désormais pas d’afficher un même message en boucle : « Nettoyage pour trouble à l’ordre public, dégradation de bien public, attentat, rébellion, trahison… »
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Kafelor
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Re: Le jeu de la vie en Zardoz.

Message par Kafelor »

Je pissai le sang au niveau de l’épaule. La balle avait traversé. Je maintins une pression avec ma main gauche, mais le sang continuait à couler abondamment. J’essayais de cacher cette plaie béante à ma fille mais elle avait compris que quelque chose de terrible était arrivée.


"Ma chérie, peux-tu faire quelque chose pour moi ?"


Adeline restait paralysée par l’émotion.


"Regarde papa, ma chérie. Papa va bien. Il a juste un peu froid. Peux-tu aller chercher une veste dans le hall d’accueil de la gare d’ascenseur ? Je suis sur qu’en demandant gentiment, une personne charitable t’en prêtera une."


Ma fille resta pendant quelques secondes complètement perdue avant d’assimiler l’information. Elle me fit alors subrepticement un bisou sur le front et partit en direction du hall d’accueil.
Je la regardai courir avec ses petites jambes vers un groupe de voyageurs. Pendant qu’elle était occupée et qu’elle avait le dos tourné, je pus m’examiner plus attentivement. Le tir m’avait gravement atteint. Je perdais beaucoup de sang. L’idéal pour beaucoup aurait été d’aller voir un médecin, mais au vue de la situation, ce n’était pas possible pour moi, et quoi qu’il soit, les hôpitaux ou les cabinets médicaux n’existaient pas à ce niveau de la cité-bunker.


Je tirai un bout de ma chemise pour en faire une boule enfin de l’appliquer avec vigueur sur ma blessure. Une fois fait, je tentai une première fois de me relever mais n’y parvins pas, mes jambes étaient chancelantes. Je pris mon courage à deux mains pour me mettre debout une seconde fois. L’effort fût douloureux mais je réussis à me tenir en équilibre.


Je marchais alors vers ma fille aussi vite que possible. J’entendais des hurlements et des tirs dehors en mode guerilla urbaine la plus totale. La grande porte d’entrée était fermée mais elle n’allait pas tarder à s’ouvrir. Un FL m’avait probablement vu entrer, il n’allait sûrement pas me lâcher. Et si ce n’était pas lui qui m’achèverait, un autre le ferait à sa place.
Adeline revint alors vers moi.



"Je n’ai trouvé personne, papa."


Je regardai sur ma droite, un agent de la gare d’ascenseur venait d’ouvrir un guichet. Je me ruai comme je pus vers lui. Je levai la main et l’agitai à tout rompre pour lui faire signe.


"Monsieur, Monsieur, je voudrais deux billets s’il vous plait !"


Il ne faisait pas attention à moi. Il était occupé à regarder je ne sais quoi sur la table. J’arrivai alors à hauteur du guichetier et frappa du poing sur son bureau.


"Monsieur, s’il vous plait, c’est urgent !"


Je m’aperçus alors qu’il s’agissait en réalité d’une femme. Je l’avais confondus avec un homme en raison de son crâne rasé et de sa tête relativement bourrue, mais au vue de sa tenue, il n’y avais guère de doute. Elle portait une robe qui descendait relativement bas au niveau de sa poitrine. Un joli collier ornait son cou et surtout elle sentait bon. Inutile de dire que les hommes à cet étage puaient pratiquement tous sans exception. A moins que… et si… c’était une transsexuelle ? Ou un transsexuel ? merde je suis perdu maintenant…


"Bon euh, excusez-moi, mais il me faut absolument deux billets."


Il ou elle me répondit :


"Ouai ça j’ai compris, c’est pour ça que vous êtes là, je suis pas conne (ah ben si c’est bien une femme …), le tout est de savoir pour qui, pour quelle offre, quand et pour quelle destination."


Je consultais ma poche gauche, je n’avais guère de sous pour payer un trajet de plusieurs niveaux inférieurs.


"Pour ma fille et ma femme, pour le niveau 12."

"Pour quelle heure ?"

"Ben maintenant !"

"Assis ou debout ?"

"Euh debout."

"En quelle classe ?"

"Classe économique."

"Coin de l’ascenseur ou milieu ?"


Je trépignai d’impatience. Elle commençait sérieusement à me gonfler avec ces questions.


"Ben j’en sais rien ce que vous avez."


"Coin droit, troisième rang, côte à côte, place 31. Coin droit, quatrième rang, côte à côte, place 40. Coin droit, cinquième, côte à côte, place 5. Coin droit, sixième…"

"Vous êtes sérieuse là ? Vous allez m’énumérer toutes les places encore disponibles ? Mais putain attribuez deux places au hasard !"

"Inutile de vous énerver Monsieur, je fais juste mon travail."

Je voulus répondre mais ma blessure se raviva d’un coup et je n’eus d’autres choix que de contenir ma rage intérieurement. Elle poursuivit :


"Avez-vous une carte de fidélité ?"

"Non."

"Voulez-vous une assurance échange et annulation ?"

"Non."

"Voulez-vous un supplément bagage ?"

"Non."

"Voulez-vous un supplément repas à bord ?"

"Non."

"Voulez-vous un supplément combinaison intégrale ?"

"Une combinaison ? pour quoi faire ?"

"Pour amortir le choc au moment de l’arrivée. Sans ça, vous avez une probabilité de 50% de vous briser un membre."

"Euh… ouai pourquoi pas."

"Voulez-vous un supplément narcotique ?"

"Non."

"Voulez-vous un supplément taxiderme?"

"Taxiderme ?"

"Oui un endroit en soute pour poser votre animal empaillé."

"Mais non bordel, j’en ai pas."

"Inutile de vous énerver Monsieur, je fais juste mon…"

"Oui justement, faites votre travail. Donnez-moi deux billets. Et sans aucun supplément. Enfin si avec la combi.

"Très bien. Cela vous fera un total de 450 crédits."

"Combien ?"

"450 crédits."

"Sérieusement ? Mais c’est de l’arnaque ! C’est une combi en mana altérée ou bien ?"


Je retatai ma poche gauche à la recherche des pièces mais mes bourses étaient vides. Il n’y en avait à l’évidence pas assez.


"Mettez moi une seule place comme ça finalement et ça ira."

"Papa, tu parles à qui ?"


Une violente explosion se fut alors entendre. La porte d’entrée avait été littéralement soufflée. Des hommes armés firent irruption.


"Vos papiers d’identité je vous prie."

"Non mais ce n’est pas pour moi, c’est pour ma fille."


Je me tournai vers Adeline. Son visage était plus inquiet que jamais. Je la pris dans mes bras et après l’avoir étreint de tout mon être, je caressai ses cheveux tendrement.


"Ma chérie, tu vas faire un petit voyage. Tu te souviens, il faut bien te cacher. Papa et Maman vont vite te rejoindre mon cœur."

"Mais Papa, Maman est…"


BAM


Un tir vint à nouveau me frapper, cette fois-ci en plein dans la cuisse.
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Zardoz
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Re: Le jeu de la vie en Zardoz.

Message par Zardoz »

La chaleur envahissait doucement mon bras tandis que le mélange opalescent d’une seringue que j’avais préparée à l’instant emplissait peu à peu mes veines. Cela faisait mal. Un peu plus à chaque fois en fait. C’était comme si mes vaisseaux étaient parcourus de lames de rasoirs au site de l’injection, et léchés par quelques flammèches dans tout mon corps. Mais au moins mes démons se turent, pour un temps.

Je m’étais isolé dans un ancien appartement à quelques ruelles de ma dernière prise. Les murs de celui-ci étaient encore rouges du sang de leurs propriétaires : deux anciens, encore l’un contre l’autre, qui n’avaient pas souhaité, ou pas pu, fuir.

C’en serait presque mignon.

Un bruit dans le couloir, je me retourne brutalement en pointant mon fusil laser en direction de l’ancienne porte de l’appartement, laquelle avait été défoncée par le précédent visiteur.

Mes mains tremblaient sous l’effet du médicament intraveineux que je venais de m’administrer. La seringue presque vide s’arracha de mon bras, suite à mon mouvement brusque, pour aller rouler doucement par terre.

Les secondes passèrent. Rien. Plus un bruit à l’intérieur. Mais dehors les coups de feu continuaient dans tout le secteur devenant pourtant de plus en plus sporadiques.

Un coup d’œil à ma montre. J’avais gagné un niveau avec mes dernières prises. Mon nouveau code « FL-33 » était toujours affiché en lettres grisées sur ma montre en veille, et plus bas était indiqué mon malus actuel : 94 heures. Il était peut-être temps de remballer doucement ma carcasse et de se casser de cet enfer avant que la purge ne soit finie et que tous les FLs ne se dirigent vers les sorties.

Boum

Un bruit sourd et métallique non loin.

Boum, boum, boum, …

Des bruits de pas en fait, qui se rapprochaient. Ceux d’une armure mécanisée : lourds, pesants, mais si terribles.
Je relevais à nouveau mon arme. Mon viseur continuait d’osciller doucement tandis que les pas se rapprochaient.


Boum, boum, …

M’avait-il vu ? Quel type d’armure était-ce ? Ce n’est pas bon.

Boum, boum.

Les bruits de pas s’arrêtèrent à quelques mètres de l’entrée, derrière un épais mur porteur. Une voix métallisée rendue inhumaine résonna dans tout le couloir :

Ma traque s’arrête donc ici. J’ai vu ta petite mascarade de tout à l’heure Paria.

Merde. Je suis plutôt du genre à ne pas me laisser prendre en filature si facilement d’habitude.

Non pas que je n’ai pas apprécié ta petite mise en scène cela dit. Mais je dois avouer ma déception : tu n’es finalement qu’un sale junkie.

Il me voyait donc au travers du mur. Si son casque était muni d’un détecteur thermique cela s’annonçait d’autant plus mal que son armure était d’une des dernières générations. Je n’allais pas être de taille.

Je baissais mon arme et d’un bond je me mis à courir au travers de la pièce vers la seule fenêtre de cet appartement.

C’est illusoire de chercher à s’enfuir, tonna la voix métallisée.

Derrière moi l’épais mur de soutien se brisa tandis que des éclats de gravats parcoururent toute la pièce. Le coup me manqua de peu allant faire fondre tout un pan de mur à la place que j’occupais quelques millisecondes auparavant. Son arme aussi, en sus de son armure, était donc surpuissante. D’une main j’empoignais une grenade à fragmentation que je lâchais là après avoir activé le minuteur, de l’autre je me protégeais le visage avant de me jeter au travers de la fenêtre encore fermée qui se brisa en milles éclats de verres aussi tranchants que des couteaux.

Je ne m’étais installé qu’au second étage. Ce qui n’empêcha pas que la chute fut rude. A un premier atterrissage qui se voulut souple succédèrent quelques roulades afin d’atténuer le choc. Plus haut ma grenade explosa projetant de nombreux débris dans la rue au travers d’un mur de flamme.

Je me relevais difficilement, titubant légèrement, et allais récupérer mon fusil plus loin dont la bandoulière avait glissé de mon épaule lors de ma chute.

Je vérifiais à la va-vite que le chargeur était toujours en place et commençais à repartir.

Quelques minutes de tranquillités ne feraient pas de mal maintenant.

Il est grand temps que je me barre de se merdier, pestais-je.

Un éclat de rire métallisé plus haut me fit me retourner. L’individu en armure assistée s’avança au travers des flammes et se tint au milieu des décombres encore enflammés, me jaugeant du deuxième étage.

Tu crois que de telles broutilles peuvent me faire quelque chose ?

Rho, tu fais chier.

Sans demander mon reste je déguerpis immédiatement, tournant dans une ruelle tandis qu’un autre tir plasmatique dévora une échoppe devant laquelle je passais juste.

J’entendis le léger vrombissement d’un réacteur derrière mois. Il avait donc un jet pack en sus de son armure sur-cheatée. Il allait être coriace celui-là.

En quelques secondes il m’avait rattrapé et se posa face à moi. Pas le temps de pointer mon fusil et de la mettre en joue… j’essayais de lui asséner un coup de crosse. D’une main il m’arracha mon arme. De l’autre la broya, la brisant en deux morceaux distincts dans un craquement.

J’imagine que tu te sens particulièrement fort là-dedans, lui lançais-je.

Bof, tu sais avec l’habitude on a plus l’impression que ce sont les autres qui ne sont que des faibles.

Il se saisit de son arme dernière génération. Il ne resterait bientôt de moi plus que ma montre et quelques bouts de chair en fusion si ça continuait comme ça.

De sous ma robe, je me saisis de mon pistolet en vitesse et me jetais sur lui. Un coup à bout portant de mon léger calibre ne suffirait pas à percer son armure, et je ne pouvais gagner au corps à corps. Mais un jet pack est une arme à double tranchant.

AHAH ! C’est peine perdu petite merd…

Pan.

Je tirais un coup unique sur le système de commande de son engin de propulsion. Une des fusées se mit en marche. L’inconnu eut juste le temps de me projeter contre un mur avant de décoller du sol sans aucun équilibre ni contrôle sur sa direction.

Je crachais du sang, complètement essoufflé. La puissance de son coup m’avait probablement cassée plusieurs côtes. D’un revers de main j’essuyais ma bouche ensanglantée. De l’autre main je relevais mon pistolaser vers mon agresseur dont le jet pack fou le baladait encore à grande vitesse d’un bout de la rue à l’autre, tantôt dans un bal aérien, tantôt en le traînant au sol.

Je me ravisais, ma main tremblait trop pour sa vitesse… et puis ce type allait être retenu assez longtemps, le temps qu’il reprenne le contrôle de son accessoire en fait, pour me permettre de filer cette fois...

Je jetais un coup d’œil sur ma position actuelle. Le plus simple d’ici c’était de rejoindre la sortie nord près des ascenseurs de ce secteur. Ces derniers étaient habituellement condamnés durant ce type d’opération. C’était bien dommage ils auraient permis de m’éloigner de cet enfer à vitesse grand V…

Je prenais donc cette direction d’un pas chancelant mais décidé.

Sur le chemin je croisais un de ces grands panneaux d’informations globales sur le secteur, identique à celui que j’avais croisé à mon entrée. Y était indiqué « secteur 37, domaine du clan Igakawa, 326 âmes».
Ne resteraient bientôt que quelques enfants épargnés de la folie sanguinaire des équipes FLs… Il était bel et bien temps de filer.


Passant devant les ascenseurs, et ayant croisés sur mon chemin de nombreux corps sans vie, je m’arrêtais interloqué. Un homme se tenait là, au milieu des guichets d’attentes tous fermés et calcinés pour la plupart. Certains avaient les vitres encore baignés du sang de ceux qui avaient cru pouvoir fuir par cette voie.

Un homme se tenait là, homme du secteur surement, au visage qui me semblait dément, faisant face à une petite fille qui le regardait tremblante.

L’instant d’après il se jeta sur elle et l’agrippa. Contait-il s’en servir de bouclier humain ? Ou bien assouvir ses derniers désirs sur elle ? Je ne comptais pas prendre le temps de lui demander. Je dégainais mon arme en un mouvement.


Pan.

Le coup partit. Mes mains tremblaient encore et la précision ne fut pas au rendez-vous : je loupais ses points vitaux.

Bordel pourquoi je perds mon temps avec ça.
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Kafelor
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Re: Le jeu de la vie en Zardoz.

Message par Kafelor »

Je m’affalais à nouveau au sol. Ma jambe me faisait horriblement mal. Je souffrais le martyr. Je maintins ma tête face contre terre pour ne pas montrer mes lourds grimacements de douleur à ma fille. Des tirs fusaient au-dessus de nos têtes. Le temps semblait évoluer au ralenti. Je sentis presque la caresse meurtrière des balles et les bruits sourds de détonation. La mort rodait. Elle était devenue l’unique issue après l’agonie.


Je relevais la tête, me tordant toujours de douleur et voyait ma fille recroqueviller à côté de moi. Elle avait enfoui sa petite tête entre ses épaules. Elle était si belle. Elle ressemblait tellement à sa mère. J’aurai voulu la réconforter, la serrer dans mes bras, la protéger coûte que coûte mais je ne pouvais pas bouger. Mes forces m’avaient quitté. Je sentais le sang, mon sang, couler abondamment. La fin approchait à grand pas et je ne voyais comment la sauver.


Mes yeux mi-clos essayèrent de rester focalisés sur l’instant présent. Je fixai du regard au loin ce qui semblait être un groupe de sentinelles androïdes. Quand soudain, un homme passa à deux mètres de moi. Il s’arrêta et me regarda comme interloqué. Je le regardai à mon tour. Il avait lui aussi fatigué. Il portait un pistolet laser caractéristique des Free Lance mais quelque chose chez lui paraissait « différent ». Alors que je me demandais sans plus de réflexion si cela venait de son accoutrement ou bien de l’expression de son visage, je remarquai soudain que sa montre était en veille, comme la mienne. Il fuyait le massacre. Et pour l’instant, il ne semblait pas blessé, il semblait même en relative bonne forme.

Mon cerveau ne fit qu’un tour…

S’il y avait un infime espoir de remplir ma dernière mission, celle de sauver ma fille de cette boucherie, je devais essayer.


J’appelai alors ma fille de toutes mes forces :



« Adeline…
Adeline… »



Ma fille se retourna vers moi. Elle était en pleurs.


« Sophie… ma chérie… je suis désolé que tu es à endurer tout cela… je ne voulais pas te… te faire subir tout cela… je regrette tellement… oh si tu savais comme je… regrette… »


Ma respiration devenait difficile. Les secondes étaient comptées.


« Je… je voudrais que tu m’écoutes attentivement ma chérie… je… je voudrais que tu ailles te… te cacher derrière le comptoir le plus proche… et que… tu y restes… jusqu’à ce que… ce FL devant nous… vienne te chercher… promets-moi que… tu vas le suivre… comme si c’était… moi »


Elle pleurait toujours à chaudes larmes. Elle tremblait de tout son corps.


« Adeline… je t’aime… je t’ai toujours aimé… maintenant pars…. cours… cours vite te cacher ma chérie… vite… »


Les tirs redoublèrent d’intensité. Je vis Adeline prendre la poudre d’escampette en direction d’un des comptoirs. Elle courrait pour sa survie. Elle était si belle. Elle ressemblait tellement à sa mère… C’était la dernière fois que je la voyais.


Je tournai la tête légèrement pour parler au FL qui se tenait à quelques pas de là. Il observait désormais les alentours à la recherche peut-être d’une éventuelle faille afin de s’y engouffrer et de se sortir de ce traquenard.



« Vous… oui vous, le FL mis en veille… »


L’homme me regarda à nouveau. Je ne savais pas s’il me jugeait mais ses yeux se tournèrent ensuite vers l’endroit où s’était provisoirement réfugié ma fille. Comme pour lui confirmer, je poursuivis faiblement :


« Oui, c’est bien ma fille… je suis un abruti… je pensais faire le bien en l’amenant ici mais je l’ai mené à la mort… je ne suis pas digne d’être son père… »


Je m’arrêtai quelques secondes. Le souffle me quittait peu à peu.


« Je vous en supplie… ayez pitié d’elle… tuez moi et emmenez là avec vous… je vous en prie… elle mérite de vivre… »


Des larmes coulèrent sur mes joues. Cela ne venait pas des douleurs de mes blessures, je pleurais pour ma fille. Et cet homme était mon dernier espoir…


« C’est de ma faute toute cette boucherie… en me tuant, vous pourrez arrêter ce massacre… et peut-être vous échapper plus facilement… »


Je suffoque. Mes poumons me brulent. Je me noie dans mon propre sang.


« Selon vos règles… vous avez le droit… d’emporter un « souvenir »… après les rafles… je vous en supplie… choisissez ma fille… considérez là comme un présent… je vous jure… que vous ne le regretterez pas… »


Je reste malgré moi conscient et j'agonise lentement. Je veux que cette douleur insupportable cesse enfin.

« Et maintenant par pitié... tuez moi...»
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Zardoz
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Re: Le jeu de la vie en Zardoz.

Message par Zardoz »

Etait-ce les coups que j’avais reçus ? La dose de drogue que je m’étais injectée ? Ou bien peut-être me faisais-je tout simplement trop vieux pour ce genre de conneries… Je me rendis compte bien vite au vu de la réaction de la fillette qu’elle connaissait cet homme selon un aspect relationnel que je ne m’étais même pas évoqué parmi ce carnage.

Simplement un père paumé qui cherchait désespérément à sauver la peau de sa fille.

Je détournais le regard tandis que la fillette s’était recroquevillée en pleurs près de l’homme que j’avais touché. La sortie n’était plus bien loin, je pouvais distinguer deux robots sentinelles au loin la gardant. Plus que quelques pas… laisse donc ces deux-là à leur sort Sahel, de toute façon ils n’ont plus grand avenir à court voir très court terme pour l’homme…

Un autre regard, une hésitation. Bon dieu que je me haïssais. Ce n’est pas avec ce genre de réactions que j’avais pu me faire de "vieux" os dans le métier : je me dirigeais vers le père et sa fille voir ce qu’il en était de plus près.

L’homme croisa mon regard et me jaugea depuis le sol lorsque je fus à quelques mètres. Je m’arrêtais et le dévisageais à mon tour. Le sang coulait au sol en un flot modéré mais continu et son visage avait la pâleur d’un linge, l’hémorragie aurait sans doute bientôt raison de lui quel que soit le type de compression faite.

Je le vis se détourner et parler à la petite, qui était bien sa fille, laquelle était toujours larmoyante.

Quel avenir pour elle une fois qu’il serait mort ? Elle pouvait certes se cacher et attendre la fin des combats. Les autres FLs n’avaient après tout, hormis le plaisir de la « chasse », aucun intérêt à tuer les enfants. Après la fin de la mission de purge les Free-Lances évacueraient les lieux pour réclamer leur prime, et peu après des robots sentinelles et équipes de nettoyage investiraient les lieux. Les quelques survivants parmi les enfants seront retrouvés, rassemblés, décontaminés et chassés de ce secteur qui n’appartenait dès lors plus à leur famille, puis… la mendicité ? Une vie de misère à demander à des gens, déjà plus que pauvres, de quoi pouvoir survivre au quotidien pour finir par mourir de faim ou de maladie dans une ruelle sombre et l'indifférence générale. Ou bien la vente en tant qu’esclave dans le but d’espérer avoir sa ration de pain chaque jour ? Ceux-là finiraient pour l’immense majorité à vendre leur corps pour le profit de proxénètes sans scrupules et le plaisir et la perversion de quelques pédophiles. Ou bien… vendre son âme à l’état et finir… à ma place… perdre son humanité et se faire chasser par les anciens dès le début de sa vie de jeune FL, traqué toute sa vie tel une bête sauvage par un chasseur sur-armé.


La fillette, Adeline, partit se cacher un peu plus loin après ce qui ressemblait à des adieux de son père. Ce dernier retourna sa tête vers moi tant bien que mal et m’exposa ses intentions.

De la pitié ? J’en avais toujours eu : pour ce monde, cet état, cette folie, pour ce peuple et… pour moi. Etait-ce pour autant que j’étais un homme bon ? Non j’étais un homme de mal, je tuais, tous les jours à chaque instant, je tuais pour vivre et pour survivre. J’avais beau être le dernier recours que pouvait envisager cet homme, comment pouvait-il en confiant sa fille à un Free-Lance, même avec une montre en veille, espérer le mieux pour elle ? Le mieux ne serait-il pas justement de la tuer elle aussi pour lui éviter trop de souffrances ?

Un frisson me parcourut le dos. J'imaginais que beaucoup de parents avaient du faire ça eux mêmes à leurs enfants depuis le début de la "moisson".


Mais après tout, peut-être était-ce mon destin que de me retrouver là à cet instant, à faire ce choix? Peut-être même que je me reconnaissais un peu en cette petite? Pourquoi n’aurait-elle pas la chance de faire ses preuves, en bien ou en mal ? Pourquoi n'aurait-elle pas la chance de vivre et de souffrir comme les autres? De choisir par elle même la façon dont elle veut vivre... et mourir...

Un souffle d’agonie de l’homme. Je réfléchissais à toute vitesse : oui je pouvais la faire sortir avant la fin de la purge et qu’elle ne soit comptabilisée dans les propriétés de l’état… mais pour ça il ne fallait pas que ce gars lâche avant de…

Oui, je connais les règles. Mais ce" souvenir" que les FLs peuvent emporter ne peut pas être une personne... il ne peut être qu’une chose, qu'un objet..., et pour faire de votre fille, encore mineure, un objet sans passer via l’état il me faut le consentement parental.

Il faut que vous m’autorisiez à l’acheter, vous comprenez ? Je peux la sauver, l’emmener hors de ces murs. Mais il faudra qu’elle m’appartienne en tant qu’esclave pour passer les sentinelles. Vous compr… ? Restez avec moi ! Vous comprenez ?!

La lueur dans les yeux de l’homme s’amenuise peu à peu, mais il lui reste encore assez de volonté pour me répondre simplement et suppliant.

Prenez soin d’elle, prenez soin de mon Adeline.

Bien.

D’un geste, je rapproche ma montre de la sienne. J’entame les procédures. Je les connaissais à peu près correctement. De mon vieux temps j’avais pu donner dans le trafic d’esclaves, de ce temps ou encore jeune et nouveau Free-Lance je pensais que c’était un moyen comme un autre de sauver des gens des différentes boucheries et horreurs que le Zardoz réservait aux premiers étages… En réalité il n'en était rien.

Je jette un œil dans mon dos. Pourvu que le FL en armure assistée ou un autre n’arrive pas entre temps…

Une voix mécanisée s’élève de la montre de mon interlocuteur.

Validation vocale et digitale nécessaire pour ce type d'accord. Poursuivez en indiquant noms et prénoms de votre personne, de l’objet et du destinataire de votre accord.

J’attendis qu’il retrouve un peu d’esprit, son souffle, ou simplement qu’il fasse le deuil de sa fille et du fait qu’il me la cédait comme une marchandise dans un espoir un peu fou…

Après un temps il murmura, la respiration saccadée :

Je donne mon accord,... moi Blaise Pascal du clan Igakawa,... pour que ma fille Blaise Adeline du clan Igakawa soit… vendu à…

Il s’arrêta et me regarda dans les yeux. Je poursuivis d’une voix forte.

Wigmar Sahel, sans clan, Free-lance d’état de niveau 33.

Le père d’Adeline posa sa main tremblante et couverte de sang sur son écran de montre inscrustée dans son avant bras.

Après un court instant,une autre voix moins mécanisée, mais plus féminine et moins neutre s'éleva mais de ma montre cette fois.

Accord validé.

Saleté de personnalisation vocale, ça ne faisait pas très adapté à la situation... mais voilà qui était fait. Dans quoi m’embarquais-je donc ?

Et maintenant… tuez-moi… Sahel…

Il n’en avait plus pour bien longtemps de toute façon ce pauvre bougre. J’espérais lui épargner de longues et douloureuses minutes d’agonies.

Faisons ça proprement, regarde ailleurs...

Je vérifiais que sa fille ne regardait pas, elle devenait continuer à pleurer toutes les larmes de son corps de derrière son comptoir, et je sortis mon pistolet laser. Je mis un tissu en bouchon au bout du canon pour atténuer le bruit. Au loin, des coups de feu sporadiques continuaient.

Prenez soin d’elle, murmura une nouvelle fois le mourant.

Vous me hanterez bien assez tôt pour me le rappeler, dis-je simplement.

Je profitais d’une salve de tir assez proche, pour tirer un coup au milieu de la cadence. Le coup fut net et précis, le laser lui perfora le cœur sans que sa fille puisse l’entendre.

Le silence retomba petit à petit. Les bruits de râles respiratoires et de souffrances de l'homme ayant disparu ce ne furent bientôt que les bruits des sanglots incessants d'une petite fille cachée non loin qui parvinrent à mes oreilles.
Dernière modification par Zardoz le 26 oct. 2015, 18:16, modifié 3 fois.
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Zardoz
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Re: Le jeu de la vie en Zardoz.

Message par Zardoz »

Après avoir recouvert le corps du père d’un modeste tissu je m’étais dirigé vers le comptoir derrière lequel la petite se cachait. Je la trouvais là toujours en pleurs et m’accroupissais auprès d’elle pour me mettre plus à son niveau. Quel âge pouvait-elle bien avoir ?

Bonjour Adeline.

Elle eut un sursaut : elle ne m’avait même pas entendue approcher. Son regard humide et effrayé croisa le mien. Un mélange de détresse et de peur habitait ses yeux rougis.

Je vais m’occuper de toi pour un temps. Passe-moi ta main, il va falloir que je règle ta montre.

Elle ne s’exécuta pas mais resta là, prostrée et tremblante.

Papa… où est mon papa ?

A quoi bon essayer de lui expliquer ce que je comptais faire ? Ses émotions semblaient avoir pris totalement le dessus, et l’âge n’aidant pas ce serait une pure perte de temps. Alors quoi ? Fallait-il que je la rassure ? Que je lui mente ? Ou que je lui dise la vérité aussi crue et implacable soit-elle aux yeux d’une petite fille ?

Mon regard se porta sur le corps inerte de son père, puis vers la ville enflammée d’où s’élevait encore quelques flashes lumineux de lasers tirés au loin, je ne savais rien de sa mère ni du reste de sa famille mais je me doutais de leur sort.

Un lourd sanglot encore. J’arrachais un bout de ma tunique déjà émiettée et le tendait à la petite pour essuyer ses larmes et qu’elle puisse se moucher. Puis je posais une main encore pleine de sang coagulé dans ses cheveux.

Ton papa ne va pas continuer avec nous petite. Je suis désolé.

Elle tenta de se relever mais ses jambes frêles et tremblantes ne supportaient même plus le poids de son corps pourtant menu.

Papa il veut pas que je parle à des étrangers, et surtout pas à des FLs. Je veux le voir ! Papa ! Je veux pas aller avec lui, il me fait peur ! Ne me laisse pas papa !

Et bien, et bien, ça promettait.

Moi c’est Sahel. Tu sais Adeline, ton papa t’a aussi dit de bien faire ce que je te dirais aussi tout à l’heure non ?

Ou quelque chose dans le genre là me semblait-il.

C’est qu’il avait confiance en moi non ? Tu peux avoir confiance en moi toi aussi, comme ton papa ?

Elle me dévisagea intensément de ses yeux turquoises et lâcha un petit : «oui mais… papa ».

Ton père il sera toujours près de toi Adeline tu sais ?

Je lui montrais sa tête, tandis qu'elle me regardais incrédule.

Là.

Puis mon doigt se posa sur sa poitrine, pointant son cœur.

Et là.

J’esquissais un léger sourire pour la rassurer. Mon petit speech n’avait pas arrêté ses pleurs, mais peut-être au moins aura-t-il permis que je la terrifie moins.

Un éclat dans le lointain attira mon regard. Je relevais brusquement la tête pour mieux voir avant de me jeter ventre à terre. Le Free-lance en armure assistée de tout à l’heure dont j’avais pu me débarrasser en rendant fou son jet-pack se trouvait là à quelques dizaines de mètres. Il devait-être à ma recherche.

Je fis signe à la petite de se taire. Avec l’émanation de chaleur qui se dégageait en permanence de la structure des gigantesques ascenseurs se trouvant derrière nous, même si ceux-ci étaient rendus inactifs pour l’heure, les lunettes de détection thermique de ce FL traqueur ne devaient pas avoir pu nous localiser aussi performantes soient-elles.

Je rampais doucement jusqu’à un coin du comptoir pour avoir un meilleur angle de vue tout en restant autant que possible dissimulé à la vue de mon précédent adversaire et je tirais mon pistolet laser de ma ceinture en l’armant.

Tu me fais peur monsieur, me déclara la petite non loin de moi dont les joues étaient toujours ruisselantes.

Tais-toi Adeline, et moi c’est Sahel, Monsieur c’était mon père, je sais que je suis vieux mais tout de même, pestais-je en un murmure.

Le FL en armure assistée sembla jeter un œil dans notre direction, puis son regard dévia vers une autre position. Comment pouvait-il se douter que j’avais fait un détour par ces ascenseurs inactifs alors que la sortie gardée par les sentinelles était si proche après tout ? La trace de mes pas l'avait mené jusqu'ici mais la chose devait lui paraître tellement illogique.

Finalement le Fl quitta mon champ de vision semblant aller tenter sa chance ailleurs. J’en profitais pour me retourner et saisir le bras de la fillette qui était muni de sa montre. De mon autre main je tapotais sur l’écran de ma propre montre.

L’écran de la montre d’Adeline s’alluma.


D..Dix milles crédits ? Pourquoi ça s’affiche sur ma montre Mons… euh Sahel ?

C’est l’offre que je te fais, en échange de cette somme tu feras tout ce que je te dis à partir de maintenant. Tu t’y engages tu comprends Adeline ? Comme une grande, et les grands ne reviennent pas sur leur parole. Si tu es d’accord tu valides en le disant avec ta voix et en appuyant sur le « V » sur ta montre, si tu n’es pas d’accord tu appuies sur la croix, celle-ci en « X ». Mais je pense que ton papa sera triste où il est si tu fais ça car je ne pourrais pas veiller sur toi.

Où comment expliquer une vente d’esclave à une enfant… J’avais un peu honte de mes raccourcis, de ne pas lui expliquer totalement ce que cela impliquait, et de la manipuler un peu aussi… Peut-être essayais-je de couvrir ma honte en l’achetant à plus de trois fois les prix du marché. Cela lui ferait une coquette somme pour commencer que je ne comptais pas les lui reprendre.

Papa veut que je fasse ça ?

Et bien. Disons qu’il veut te voir sauve pour l’heure, et que je n’ai pas de meilleur moyen pour garantir la chose, donc, oui on peut dire que ton père veut ça.

Et tout cet argent il est pour moi?

Petite vénale...

Oui rien qu'à toi tu en feras ce que tu veux.

D’accord je veux bien, dit simplement Adeline en appuyant sur la validation de sa montre.

Une voix féminine s’éleva de ma propre montre.

Transfert de propriété validé.

Bien maintenant quittons cet endroit…

Adeline peinait toujours à se remettre debout aussi après avoir vérifié les alentours je la relevais en la tenant par les épaules.

Veux-tu que je te porte ? J’ai une connaissance récente qui à l’air de me chercher depuis tout à l’heure et si tu veux tout savoir j’aimerais qu’on ait rejoint le poste de sortie avant qu’elle ne nous voit car elle ne me veut pas du bien. On sera à découvert ci-tôt sorti de cette cachette aussi elle ne mettra pas longtemps à nous retrouver si elle est toujours dans le coin, et si on ne court pas jusque là-bas elle nous aura surement. Une fois dans la zone d'action des robots sentinelles elle n’osera plus rien nous faire.

La petite me regardait en clignant des yeux. Elle n’avait rien du capter. Trop d’informations tuent l’information dit-on…

Euh… tu veux que je te porte ?

En gros.

Je la prenais sur mon dos après avoir remis à ma ceinture mon arme, elle ne pesait presque rien cette petite. Ses bras enserrèrent bientôt mon cou et j’agrippais ses jambes au niveau de mes hanches.

Son regard se porta vers le corps de son père qui gisait quelques mètres plus loin mais masqué à nos yeux par le linceul que j’avais posé sur lui. Une larme coula à nouveau sur la joue d’Adeline puis elle tourna la tête pour l’ensevelir entre mes omoplates. Peut-être comprenait-elle plus que je ne le pensais la situation...

Tiens-toi bien.

D'accord.

Après une profonde inspiration je m’élançais en vitesse vers la zone de sortie quelques dizaines de mètres plus loin. Je percevais déjà l’éclat de deux robots sentinelles qui attendaient bien sagement à leur poste. Semblant apprécier la scène du carnage qui se finissait en ville comme deux spectateurs au cinéma tenant de larges paquets de pop-corn et friandises entre leurs mains. Ces robots au programme dégénéré représentant l'ordre étaient considérés par tous comme des instruments de mort dans les premiers étages, mais me concernant, dans l’instant présent, ils seraient mon salut et celui du petit bout de femme que je portais sur le dos.
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