Pantins, Impératrice et Amirale

Ici sont chroniquées les histoires des Etats et de leurs dirigeants

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Kossnei
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Re: Pantins, Impératrice et Amirale

Message par Kossnei »

« Fiuh... »

Dia souffla un grand coup, relâchant la contraction des muscles de son bras, puis fut prise d'une violente quinte de toux qui tacheta le sable d'une giclée de sang. Peinant à faire cesser la démangeaison, la Princesse entreprit de cautériser, d'un revers de main, la plaie béante qui avait cavé sa poitrine et échancré sa toge qui n'avait plus rien de la couleur immaculée qu'on lui connaissait.
Aussitôt, la toux se calma avec l'hémorragie, et le Démon put enfin respirer avec délice l'air des vivants, si garni d'uranium qu'il était.


« Saletés d'humains... Ils sont drôlement coriaces, aujourd'hui... » cracha-t-elle.

Levant les yeux au ciel, la belle fit le ménage dans ses pensées.

Il y avait d'abord eu cet homme, l'Amiral, ce sombre personnage qui sous son apparence trompeuse dissimulait, habilement, à la fois une force étonnante, une grande sagesse, et un lot de souvenirs dont Dia avait entraperçu l'existence alors que son opposant se trouvait en difficulté. Nul doute qu'elle voulût alors s'en nourrir mais, sagement, elle avait réfréné ses envies, et avait préféré le combat à cette chute enivrante dans les méandres incertains qui formaient la mémoire humaine.
Car, oui, Dia Negacié avait commencé à soupçonner qu'elle eût un jour pu être humaine, et que ces hallucinations qui survenaient de manière fortuite et imprévisible en son esprit représentaient probablement, davantage que les témoignages de ses pairs, les propres réminiscences de son subconscient, et que ce dernier avait probablement lui-même enterrées...
Et elle s'était alors enquise avec enthousiasme de repérer et de percer tous les secrets de tels artefacts. Et si cela pouvait, sinon l'amener à une étonnante découverte, au moins lui faire passer le temps, alors la Princesse s'en verrait infiniment réjouie.

Elle songea qu'il faudrait, un jour ou l'autre, retrouver cet homme et le capturer. Puis le tuer. Oui, le tuer, car outre de l'intérêt, Dia éprouvait encore cette haine naturelle qui naît de la rivalité entre deux êtres, qui en l'autre ont trouvé un adversaire digne de leur estime et pourtant bourreau de leur ego.
Alors elle retrouverait l'Amiral.


« Et ce jour-là, c'en sera fini de lui », songea-t-elle.

Elle continua son inventaire.
Il y avait eu cette explosion nucléaire. Ce missile qu'elle avait pris de plein fouet, ayant eu recours à une immense réserve de magie pour en limiter les dégâts sur son corps, et également vaporiser une partie de la radiation. Sauvée par ses réflexes démoniaques, à défaut d'avoir eu suffisamment de temps pour une esquive maîtrisée de l'arme nucléaire qui s'était abattue sur elle, Dia n'avait pas eu le droit à l'hésitation.

Et juste après cela, comme si le destin s'était levé contre elle, un homme encore avait su la surprendre. Ce capitaine de pacotille, fouillant au plus profond de son être en quête des ressources nécessaires, l'avait prise par surprise et à nouveau blessée, la forçant à user une fois de plus de son pouvoir quasi-intarissable.

Et pourtant, l'Amirale semblait donner des signes de faiblesse. Ne cessant d'inspirer à grandes goulées l'air insuffisamment fourni en dioxygène, Dia Negacié luttait pour ne pas défaillir.


« Il faut que je me casse d'ici », constata-t-elle, alors qu'une flamme intérieure commençait à calciner ses poumons.

Et un mouvement de sourcil plus tard, elle avait disparu dans le lointain.



---

Laboratoire NecPl, Empire Platin, 8h00.


« Allons, gamine, 'faut dégager maintenant j'te dis ! »

Devar Shurak était là qui pressait Mess, la mage Veesnienne et associée d'Ethel Trust au projet PrC, au départ. Mais la jeune femme semblait atteinte par une sorte de schizophrénie incontrôlable due, sans doute, à la Nécromancie qu'elle opérait depuis plusieurs jours d'affilée.
Elle murmurait des mots insensés, liant et déliant les lèvres à un rythme effréné, se laissant traîner par l'Empereur Platin dans les méandres sinueux qu'étaient les couloirs du Centre de Recherche. Devar suait à grosses gouttes, car il sentait que le temps jouait contre eux. Il dut contenir ses émotions pour ne pas brusquer Mess qui, toujours en état de transe, les conduirait directement et irrémédiablement à leur perte.


« Dépêche-toi, s'il te plaît, fillette. Allez ! »
« Pas sans Sarune. »

Shurak s'arrêta net. Il se retourna, et n'eut que le temps de subir, à deux centimètres de son visage, la lame qui lui en lacéra l'épiderme.
Hurlant de douleur, l'Empereur porta sa main droite à la coupure béante, et entreprit, tremblant, de fouiller dans sa ceinture et d'y dénicher un mini-kit de premier secours. Il ne sentait aucune menace de la part de son adversaire. Alors pourquoi ?
Lorsqu'il rouvrit les yeux, Mess avait filé.


« Salope... »


---

« Sarune... ? »

Dia Negacié parcourait une distance infinie en un temps record. Disparaissant puis reparaissant quelques kilomètres plus loin, elle avançait très rapidement en direction de la capitale platine. Cependant, une idée avait mûrie dans sa tête qui était née de l'ultime phrase du Capitaine Shiarl qu'elle avait froidement incinéré.

Usant de télépathie, elle prit contact dans sa course effrénée avec la maîtresse des opérations de sa prise de pouvoir.


« Jega, tu m'entends ? »

A des centaines de kilomètres de là, l'Erynie du Pouvoir posa la pile de dossier qu'elle avait entre les mains, et répondit avec soulagement :

« Mademoiselle Negacié... J'avais peur que vous ayez disparue de la circulation. »

« Ne t'en fais pas. Comment avancent les opérations au Palais ? »

« Très bien, très bien. Nous sommes un peu juste sur la deadline, mais la sécurité est revenue à la normale, et toute force armée a été éradiquée par Dulkes et Mires. »

« Bon. »

« En effet. »

« Dis-moi... J'ai besoin d'une information. »

« Dites toujours. »

« Sarune Herikovkà. »

« Ah ! je me demandais si vous alliez finalement y venir... »



---

« C'est prématuré... »

Mess était penchée sur Sarune, inspectant d'abord ses yeux avec une lampe de poche, prenant son pouls, puis contrôlant sa respiration.

« ... mais il faut essayer. »

Elle s'introduisit dans l'esprit de la jeune femme avec autant de facilité qu'elle ouvrait la porte de ses appartements le soir.

« Sarune... ? » murmura-t-elle.

L'absence de réponse lui fit froid dans le dos. Avait-elle perdu l'Amirale à cause de cette intervention de l'Empereur Platin ? La Nécromancie s'était-elle soldée par un échec ?

« Sar... »

« Je suis là. »


Mess sursauta. Elle se retourna, et vit l'Amirale, menaçante, pointer sur elle son index inquisiteur.

« Pourquoi tu es partie comme ça, Marine ? »


---

« Putain de gosse... »

Devar avait désinfecté et bandé la plaie. Il dégaina son arme, et marcha à grands pas en direction du laboratoire où il avait trouvé Mess, quelques minutes auparavant.

« Ah elle veut la jouer comme ça, AH ELLE VEUT ME CASSER LES COUILLES, CETTE CONNE ?! »

Il se mit à courir dans les dédales de couloirs, avant que, au détour d'un coude, il ne fut stoppé net.

Devant lui était Dia Negacié, qui avançait d'un pas serein dans la même direction que lui, lui tournant le dos donc. Par réflexe, il se colla au mur perpendiculaire. La Princesse, ayant surpris un souffle derrière elle, se figea un moment. Elle se retourna, suspecte, puis reprit sa marche, non sans s'être assuré qu'aucune présence magiquement invisible ne se dissimulait là, à quelques mètres d'elle.


« Merde... Elle est là... »

Shurak tremblait de tout son corps. La nécessité de récupérer Mess était grande, mais à présent que Dia Negacié elle-même se tenait entre l'Empereur et sa cible, il devait trouver un moyen de récupérer rapidement cette dernière, ou songer à la fuite.

Observant avec attention les murs, Devar y releva une bouche d'aération, à deux mètres de hauteur. Sans hésiter, il en arracha la grille, dégoupilla une grenade, la jeta en direction du couloir où se trouvait l'ennemie, puis sauta avec force et se faufila avec agilité dans le conduit, avant que, deux secondes plus tard, quelques mètres plus loin, la détonation attendue se fit entendre.

Rampant rapidement dans ce labyrinthe exigu, l'Empereur Platin profita de la diversion pour dépasser la position de l'ennemie, puis d'avancer à l'aveugle dans l'unique direction donnée. Peu de temps après, il aperçut de la lumière. Le conduit d'aération débouchait sur une petite pièce dont l'unique néon venait tamiser l'ambiance, éclairant une pile de dossiers rendus humides par l'excavation par laquelle se glissa Shurak.
Ce dernier fut surpris qu'une installation aussi récente que ce centre de recherche puisse accueillir un cagibi si peu soigné. Aussi, malgré l'urgence de la situation, s'attarda-t-il un instant sur les dossiers moites, et en ouvrit un dont la première de couverture était vierge. Il parcourut une, deux, puis dix feuilles, et conclut que la totalité du recueil était semblable à la parure : totalement vide.
Shurak sortit un paquet de cigarettes de sa poche, dégaina son briquet, et alluma ce précieux tube de félicité. Une épaisse fumée se dégagea du foyer alors que Devar aspirait la première bouffée. Ce dernier approcha le dossier vierge de son briquet, tentant de faire apparaître un quelconque message à la lueur, sinon la chaleur de la flamme.

Mais rien ne se produisit. Dépité, il rangea le dossier dans son long manteau, en fit de même avec quelques autres, puis se dirigea vers la sortie. Mais la porte avait disparu. Il releva la tête. La bouche d'aération avait disparu, elle aussi.


« Bordel... Qu'est-ce que... ? »


---

« Pourquoi tu es partie comme ça, Marine ? »

Mess eut un frisson. Sarune avait les yeux hagards, un regard qui se perdait dans un abîme insondable, ce qui déclencha une vive terreur chez la jeune femme. Elle tâcha de la contenir, mais son antagoniste leva le sourcil, et elle sut qu'elle avait commis une terrible erreur.

« Tu m'as trahie, n'est-ce pas ? »

Mess riposta sans la moindre hésitation, de manière à reprendre un semblant de contrôle sur elle-même :

« Ne raconte pas de bêtises. Je suis ton amie, tu le sais. Viens, nous devons partir. Réveille-toi, Sarune... »

Elle allait trop vite, bien trop vite... C'était risqué, dangereux, inconscient, mais le temps l'imposait. Néanmoins, la Nécromanciée ne l'entendait pas de l'oreille de la Necroman.
Elle prit un air triste pendant un instant, penchant la tête sur le côté...


« Veux-tu me tuer, Marine ? »

... puis la releva, et hurla d'une voix stridente :

« CAR JE VAIS LE FAIRE, MOI ! »


---

Paranoïa :

Premier stade de la dégénérescence d'un sujet.
NB : Après la peur de l'autre en vient la haine. Ai observé de nombreux cas de décès durant intervention, après déclenchement d'une paranoïa psycho-défensive.


Extrait du lexique des Runes d'Arthea Heqat, supposé fondateur du mouvement Necroman.


---

« MEURS ! »

Mess suffoquait sous l'étreinte. Sarune s'était jetée sur elle et lui broyait le cou avec une puissance incroyable, comme les dernières forces d'une personne qui va bientôt mourir. A croire que de nombreuses règles identiques à celles du monde des vivants s'appliquaient dans celui des morts...

La vue de la Necroman commençait à se brouiller, et bientôt elle ne vit plus que des formes pixelisées et monochromes, et n'entendit plus qu'un bourdonnement intense ponctué par le rythme asynchrone et décroissant de ses pulsations vitales.

Un grand claquement.

Puis plus rien.

...

...

...

Puis la lumière, puis le bruit. Mess crut au paradis, puis envisagea l'enfer, avant de réaliser qu'elle se trouvait toujours au même endroit, allongée dans le même sable fin que celui où elle avait failli mourir.

Elle observa les environs, encore remuée par les événements.

A quelques pas d'elle, le corps inerte de Sarune Herikovkà était lui aussi étalé dans la poussière. Déboussolée, la jeune femme peinait à comprendre l'intrigue de la situation. Jusqu'à ce qu'elle ne lève les yeux et reconnaisse une femme à la chevelure des blés et à l’œil vif. Une femme qui par son dynamisme avait changé la destinée d'un homme qui lui était cher et que Mess elle-même avait sauvé lorsqu'il avait couru à sa perte qui, curieusement, était due à cette exacte même jeune femme... Une dame, encore, qui avait été Grande Conseillère, qui fut Amirale, et qui finit par rejoindre les morts, après avoir noué des liens d'une force incommensurable avec son ami de longue date : Kami Raykovith.

Aussi improbable que cela pouvait paraître, devant Mess se tenait Nikki Katarilis.



---

Les morts n'ont qu'un visage.

Il est des similitudes singulières et d'ailleurs insoupçonnées entre notre monde et celui des morts.
En voilà une toute particulière que je souhaiterais aborder en ce lieu [...] : les morts n'ont qu'un visage.
En effet, comme en notre monde, lorsque vient la mort, toute supercherie n'a plus lieu d'être, et rares sont ceux qui emportent avec eux dans la tombe les secrets les plus confidentiels.
Figurez-vous que j'ai été frappé par cette réalité, il y a très longtemps, lorsque je m'appliquai à tenter une Necromancie autodidacte sur un cobaye quelconque : ce n'était pas la même femme qui était attachée à la table d'opération que à qui je m'adressais par la pensée. Non, elles n'avaient vraiment rien en commun, physiquement parlant.
[...]
J'appris plus tard que cette femme avait subi de nombreuses opérations chirurgicales, notamment esthétiques, et s'adonnait à un véritable culte que celui de changer d'apparence à volonté par la magie qu'elle s'était enquise d'exercer, n'en pouvant plus du bistouri.
[...]
Eh bien, je vous le certifie, mesdames, messieurs : les morts n'ont qu'un visage.


Extrait d'un discours d'Arthea Heqat.


---

« Prends ma main. »

Mess posa lentement son regard dans celui de Katarilis. La jeune Necroman était abasourdie, mais elle s'exécuta néanmoins.
Il y eut une grande secousse, puis Mess reparut dans le laboratoire de recherche, en face du corps sans vie de Sarune Herikovkà. Elle sursauta lorsqu'elle sentit une main non plus amicale et chaleureuse, mais osseuse et écrasante lui serrer la sienne.
Poussant un cri de douleur, Mess tomba à genoux. Elle releva la tête et se rendit compte avec horreur que Nikki n'était plus et que c'était à présent Dia Negacié qui l'observait de son regard plein de haine.


« Donne-moi la clef pour ramener cette femme à la vie. Dépêche-toi, c'est d'une importance capitale. »

La jeune Necroman resta sans voix. Elle ne savait que faire, et son regard oscillait entre Sarune et Dia, alors qu'elle tentait d'économiser du temps.

« Allons, petite, je te laisserai la vie sauve si tu acceptes... N'est-ce pas là le plus précieux des cadeaux ? »

Résignée, Mess porta la main à sa ceinture, et tendit un petit objet à son ennemie.

« Voilà la clef... »

Dia se pencha sur le poing fermé de la jeune femme.

« ... l'Aplexosyphe Ogionale ! », clama-t-elle en envoyant une sorte de poudre évanescente dans les yeux de la Princesse, qui hurla à la mort en se tenant le visage.

Mess décocha un petit sourire à l'aveuglée, puis ne se fit pas prier pour prendre la poudre d'escampette, alors que son ennemie fulminante continuait de masser ses yeux meurtris.


« Désolée, Sarune... », pensa-t-elle.


---

Village d'Eenia, Veesna, 8h43.

Accoudé sur un large bureau, Kami se massait les tempes. La confrontation à la frontière de l'Empire Platin avait été rude et, bien qu'il peinât à reprendre des forces, il avait réclamé une solitude absolue.
Aussi fut-il à la fois surpris et irrité lorsque le téléphone retentit dans ses appartement.

Il décrocha malgré tout le combiné, et répondit d'une voix monocorde :


« Andrew Leister. »

A l'autre bout du fil, il entendit la voix mi-paniquée, mi-enjouée de sa subordonnée et amie : Mess. A peine eut-il le temps d'entamer une syllabe qu'elle le coupa d'une voix ferme qui lui était peu commune, et de lui déclarer à brûle-pourpoint :

« Je sais qui est Dia Negacié. »

Kami sursauta sur son siège en cuir, et ordonna fermement :

« Retrouve-moi à Eenia. »
« Altea seit Ethel. Ton nom ne sera jamais oublié... » - Kami Raykovith
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Sergent Kami
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Re: Pantins, Impératrice et Amirale

Message par Sergent Kami »

Clac.

Je raccrochais sèchement l’antique combiné, alors assailli par des sentiments contradictoires. A cet instant, j’étais comme tétanisé, bouche entrouverte, ma main droite tenant toujours aussi fermement le téléphone. La conversation, aussi brève soit-elle, venait de créer un vide insondable au plus profond de mon être… Emporté dans un flot de pensées, je perdis le fil d’un temps pour le moins précieux, alors qu’a la porte du bureau, mes subordonnés se pressaient pour prendre connaissance de la suite de la manœuvre.

D’un geste semblable à une caresse, je lâchais l’appareil et laissait les hommes d’armes violer l’intimité que j’avais eu tant de mal à trouver. Tous parfaitement alignés devant le bureau, mes soldats affichaient une expression respectueuse et brave après tout ce qu’ils avaient subis… et ce qu’ils subiraient dans les jours à venir.

Messieurs.

Amiral, la situation est critique. Nos chars sont en piteux état, et sans réparations, nous n’irons pas bien loin. Mais là n’est pas notre plus gros souci. Mes hommes peinent à faire confiance aux platins et…

Mes ordres n’ont-ils pas été assez clairs, sergent ? grognais-je, agacé. Le groupe de reconnaissance est-il revenu ?

Nous n’avons pas retrouvé la cible, Amiral. Par contre, le rapport fait état d’une escouade platine entièrement décimée. Ils sont morts peu après l’explosion, et d’après nos éclaireurs, des flammes violettes brulaient autour des cadavres.




Que Eenia soit barricadé, le village sera le fer de lance de l’armée coalisée en attendant les renforts. Ce sera tout, pour le moment.


Bien qu’aucun de mes officiers n’osa briser le silence, je sentais bien que maintes réserves n’avaient pas été exprimées. Et cela me convenait en l’état actuel des choses car pour d’évidentes raisons, je ne pouvais dévoiler des informations pour lesquelles je m’étais porté garant de leur secret.

Ma tête… Tant bien que mal, je tentais d’occulter la sensation d’implosion imminente qui menaçait ma boite crânienne et fixait d’un air vide la porte du bureau…

***

Enfin seul. Complètement avachi dans mon siège, je me délectais de cette poignée de minutes volées au monde au cours desquelles je me laissais aller, terrassé par la fatigue. Dans un soupir, mes yeux se fermaient, lentement. Et mon esprit sombra dans l’antichambre du néant.

Et maintenant, il ne me reste plus qu’a attendre…



Attendre quoi ?


Une voix de jeune femme, inopportune, traversa mon esprit et en un instant souffla tous mes espoirs de trouver –finalement- un moment de répit. Mes paupières, si lourdes soient-elles s’ouvrirent sur l’insolente qui me faisait fièrement face. Machinalement, mes yeux s’attardèrent sur la demoiselle, qui avec une dizaine de centimètres en moins et un air plus adolescent – comprendre ici, sans les formes outrageuses de la jeunesse – ressemblerait comme deux gouttes d’eau à …

Mess ?

Face à mon ahurissement le plus total, la jeune fille n’eut à peine la patience de me laisser me lever pour se jeter dans mes bras, comme la fille prodigue partie trop loin trop longtemps le ferait lorsqu’elle rentre à la maison. Ce touchant instant me réconforta, moi qui me sentais depuis mon arrivée à Eenia comme le plus seul des hommes. N’oubliant pas mes bonnes manières, je m’enquis de lui proposer un verre, qu’elle accepta. Le temps d’assurer le service, je lançais la conversation sur des banalités, avant que la vertanienne ne m’interrompe.

Nikki n’est pas morte, Kami. Dia est Nikki.

Ces mots, sur lesquels Mess venait d’insister lourdement eurent l’effet d’une bombe. Complètement pétrifié, je lâchais le verre plein, qui se brisa au sol, déversant son contenu à mes pieds. C’était comme si mon être se déchirait lentement, pour mieux me laisser apprécier une souffrance remise au goût du jour. La seconde qui suivit, je tombais lourdement au sol, victime d’une attaque causée par le trop plein d’émotions. Et ce fut le noir total.

***


Chambre d’Andrew Leister, Bâtiment gouvernemental d’Eenia, 22h30.

Il est vulnérable. Vas-y.


Dans le silence le plus total, Mess s’approcha d’un Amiral alors alité et branché en de multiples endroits. Son regard paraissait lointain, comme si la nécroman n’était plus vraiment elle-même. Comme si cette « maladie » affectant les mages noirs existait vraiment. Qu’importe, cette petite voix dans l’esprit de la demoiselle était belle et bien présente, elle, et en cet instant extrêmement puissante. Si puissance que la volonté de la jeune femme avait fondu comme neige au soleil pour mieux se laisser influencer. Chose à laquelle l’autre s’employait avec minutie.
Posant ses mains sur les draps blancs qui recouvraient partiellement l’homme, Mess fixait son ami comme elle regarderait un patient dans l’une de ses expériences de nécromancie. Prenant une grande inspiration, la deserticaine se glissa lentement dans le subconscient de sa victime.




Comme prise dans un rêve, la jeune femme évoluait depuis quelques minutes dans un désert sablonneux où le calme régnait en maître. A ce stade des opérations, tout était facile car peu importe la direction choisie, elle finirait par trouver ce qu’elle cherchait. Sans surprise donc, la demoiselle s’approchait d’un Kami en pleine méditation, attendant simplement le premier contact.


Mess. Pourquoi ne suis-je pas surpris ?


Cela s’avérait soudainement plus compliqué. D’habitude, même lorsqu’il s’agissait de le ramener au monde des vivants, l’Amiral n’avait pas cette attitude distante et ce ton glacial. Sans même poser un regard sur l’intruse, le volcanien s’était levé et commençait à s’éloigner lentement. Le désert aussi s'éloignait. Par un formidable tour de son esprit, l’homme venait de créer de toutes pièces un laboratoire de forme circulaire, semblable à ceux qu’il fréquentait à l’époque de la Combination. De nombreux tubes de verres d’une taille et d’un diamètre pouvant contenir un être humain étaient disposés çà et là, tous reliés à la même machine, trônant au centre de la pièce.


Mess, suis-je à nouveau mort ?

L’homme fit volte-face et perçait de son regard la frêle jeune femme. Sans s’en rendre compte, la nécroman recula et trébucha sur un lourd tube de métal qui gisait à même le sol pour s’écraser contre un tube de verre… à l’intérieur duquel se trouvait le corps de Kami, percé de multiples tuyaux. Le cri d’effroi qui résulta de cette effrayante rencontre résonnait dans l’immense laboratoire puis, après quelques secondes, finit par s’éteindre.


Un rêve, tout cela n’est qu’un rêve, songea Mess.

Détrompe-toi. Tout cela possède sa part de vérité. Mais revenons-en à ma question première. Suis-je mort ?


Je.. je ne pense pas, bafouilla la jeune femme.

Feignant l’étonnement, Kami renchérit :
Tu ne sais pas ? Je t’ai connue plus sûre de toi, jeune fille. Mais au fond…

L’Amiral se téléporta dans le dos de la demoiselle et saisit vigoureusement le poignet de celle-ci l’obligeant à se tourner vers lui, captive qu’elle était. Tout cela pour mieux fixer les oppressants iris azur du volcanien qui s’imprégnaient de magie. Incontestablement, l’air s’alourdissait.


… es tu réellement celle que j’attendais ?

Sous la pression spirituelle, le décor vola en morceaux, pour ne laisser qu’un disque de sable désormais balayé par une véritable tempête. La peur au ventre, la demoiselle suffoquait, mais finit néanmoins par lâcher :


Nikki est … vivante !

Hmm… Oui… Nikki…

Et l’espace d’une seconde, le regard de l’homme se perdit dans le néant, permettant à la prisonnière de fuir vers un espace plus sûr tel que … la chambre à Eenia où Andrew Leister gisait, inconscient. Encore sous le choc, la demoiselle recula de quelques pas, effrayée et larmoyante.


Mon dieu, qu’ai-je fait ?


Tu lui as simplement redonné espoir. Pour un homme comme Kami, il s’agit de quelque chose d’extrêmement dangereux.


Adossée contre la porte se tenait une spectatrice pour le moins malvenue. Si peu de gens, pouvaient tirer leur épingle de la situation actuelle, ils en étaient qui aspiraient à des choses qui, Leister en vie, ne pourraient jamais arriver.


Cette voix… C’est.. C’est toi qui… tu m’as …

Manipulée ? lâcha simplement l’arrivante.

Ce mot issu de la bouche de Trenia Heqat, une ennemie intime de Kami Raykovith, sonnait comme la pire des défaites. Accusant le coup, Mess était comme pétrifiée, incapable d’articuler la moindre sonorité.


Je suis peut être ridiculement faible, mais je te rappelle que je fus, avant ta venue, la plus grande nécroman. Pervertir un esprit aussi malléable que le tien est un jeu d’enfant, lorsque l’on sait s’y prendre.

Et maintenant que tu as sans le vouloir, lancé le feu dans une interminable chute, il ne me reste plus qu’à attendre le moment où il se détruira de lui-même entrainant avec lui dans l’abime l’impératrice qu’il apprécie tant.


***

Plus tard. Bâtiment gouvernemental d’Eenia.


Ma tête… Je revenais à moi, aveuglé par l’astre du jour, face contre terre, relié par une dizaine de câbles au moins à d’antiques machines encore fumantes aux écrans fissurés. Merde… Que s’était-il passé ? La magie aidant, je détruisais mes entraves et me levais. Entre deux meubles renversés, je retrouvais mon équipement éparpillé çà et là, et avançant à tâtons, je ne pouvais que constater l’incroyable. Eenia était en ruines, pulvérisée par les bombes ennemies. Un air aux relents putrides saupoudrait la scène, m’imposant de me retenir au montant de la porte pour ne pas vomir.

Il régnait un silence de mort dans le village, déserté par les survivants d’une bataille que je n’aurais jamais cru possible. Qu’était-il advenu de mes troupes ? Ethel et Mess avaient-elles survécues ?
Désormais, il ne restait plus que moi.
Amiral Andrew K. R. Leister, dit le Feu, à votre service.
Un homme éclairé a écrit :Sergent dieu n'aime pas être contredit ! :evil:
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Kossnei
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Re: Pantins, Impératrice et Amirale

Message par Kossnei »

« Frappez. »

Le village d'Eenia, havre de paix que les tensions récentes avaient envenimé, vola en éclats sous la puissance d'une salve venue d'ailleurs. Partout, le ciel pleurait d'innombrables larmes de feu, et l'on pouvait entendre chacun de ses lancinants sanglots s'éteindre dans un tonnerre assourdissant, avant qu'un autre ne suive, comme si le chagrin plasmique s'enhardissait au fil du temps, à mesure que les victimes platines et veesniennes augmentaient.
Sous ce déluge de flammes, cette pluie de missiles sanguinaires, les survivants voyaient se heurter l'urgence de la situation à leur désespérée tactique de repli. Chaque seconde qui passait entamait encore davantage un bilan humain déjà abominable.

A l'extrémité nord de la petite bourgade, une jeune femme donnait de sa vivacité à toute épreuve pour faire se mouvoir le peu de ses troupes sous le climat peu clément.


« Médicorps ! Direction les quartiers gouvernementaux, immédiatement ! »

Ethel Trust menait une dizaine de médecins militaires du corps des éclaireurs platins vers le centre ville. Mais la route était semée de nombreuses embûches. La petite escouade était retardée par les explosions, les cadavres qui jonchaient les rues, et quelques civils, que la situation affolait, sans doute, et qui les attaquèrent en divers endroits de la ville. Ils perdirent un temps qui leur sembla infini, ainsi qu'une poignée d'hommes, dans leur excursion.

Lorsque, enfin, ils posèrent le pied sur la place principale d'Eenia, le bâtiment gouvernemental qui la surplombait reçut un missile de plein fouet, ce dernier propulsant au sol la véritable fourmilière qui parsemait le carrefour, et faisant éclater la structure en de nombreuses pièces, plus ou moins imposantes, qui vinrent frapper les constructions alentour, décuplant encore les victimes.

« NON !! », hurla l'Impératrice Platine après s'être remise de sa chute.

Elle se retourna, et ordonna...

« Au travail, il faut aller chercher l'Amiral Leister ! »

... avant de constater que tous avaient péri. Ethel réalisa alors qu'elle était entourée d'un halo émeraude, bouclier d'une puissante magie qui l'avait sauvée. Devant ce signe que ses réflexes lui envoyaient, la jeune femme eut un dernier regard pour le bâtiment en ruines où, à n'en pas douter, Kami avait péri, puis disparut dans l'ombre incandescente d'une ruelle en flammes.

« Pourvu que tes hommes t'aient sauvé... mon ami. »



Eenia brûla jusqu'au matin.

Lorsque l'aube perça de ses rayons puissants l'imposant nuage de fumée qui recouvrait la ville, tout était mort. Les rues étaient jonchées de cadavres calcinés, et la plupart des structures ne reposaient plus qu'en quatre murs difformes et orphelins de toit, entre lesquels on retrouvait parfois çà les traces d'une habitation, là les vestiges d'un escalier. La pluie de plasma, implacable oiseau de mort, avait transformé le havre paisible en cimetière silencieux dans lequel les renforts attendus n'avaient toujours pas posé le pied.

Dans ce chaos, il en était une qui gisait à même le sol, dans le peu d'herbe fraîche que le bourg agonisant s'était vu épargné par Desertica. Inconsciente, elle respirait avec difficulté une fraîcheur printanière embrumée par un air oxydé, avant de reprendre progressivement connaissance.

Celle que tout le monde avait oublié dans sa fuite ouvrit des yeux rougis par la fumée sur une Eenia en cendres.

Décontenancée, Mess se releva laborieusement. Un filet de sang coulait encore le long de son front livide, preuve d'une blessure grave qui peinait à se refermer, mais elle n'en avait cure. Elle semblait comme absorbée par un rêve. Elle resta de longues minutes debout, titubante, à observer le sol.

Levant enfin son regard vide sur les larges jardins en pente qui menaient au bâtiment gouvernemental de la ville, elle eut comme un éclair dans la pupille.
Alors tout lui revint...



---


« Je suis peut être ridiculement faible, mais je te rappelle que je fus, avant ta venue, la plus grande nécroman. Pervertir un esprit aussi malléable que le tien est un jeu d’enfant, lorsque l’on sait s’y prendre.
...
Et maintenant que tu as, sans le vouloir, lancé le feu dans une interminable chute, il ne me reste plus qu’à attendre le moment où il se détruira de lui-même entrainant avec lui dans l’abîme l’impératrice qu’il apprécie tant. »


Trenia Heqat observait son opposante avec un rictus fou. Mess, abattue, balbutia :

« Tu... c'est insensé... tu n'as plus de pouvoirs... Je t'ai vue mourir et t'ai destituée moi-même de tes pouvoirs d'Enjôleuse avant de te ramener dans le monde des vivants... »

Trenia éclata d'un rire cristallin. Cette dernière adressa un signe de la main à Mess, avant de tourner les talons.

« Je dois partir, à présent. Et tu ferais mieux d'en faire de même, petite. Dans un tel coma, Kami Raykovith ne peut pas être transporté. Oh, vue la magie qui l'habite, il s'en remettra vite, mais il sera trop tard. Car dans cinq minutes, une attaque aux missiles va foudroyer cette ville. Tu n'as plus qu'à mettre ton cher Amiral dans un lieu sûr et proche, si tu ne veux pas le voir... mourir. »

Mess délia les lèvres, mais Trenia avait passé la porte de la chambrée, et fuyait déjà vers la sortie.

Rapidement, les pensées de la Nécroman se mirent en branle. Trois minutes ? Il fallait agir, et vite. Mess courut à l'infirmerie, qui se situait fort heureusement à proximité de la chambre impériale, et transporta le lit d'hôpital qui s'y trouvait jusqu'à Kami, qu'elle prit soin d'allonger délicatement dessus, malgré l'imminence de l'attaque. Elle rassembla ses affaires, les déposa à son côté, puis déposa également sur la couche les divers appareils auxquels Andrew Leister avait été relié, avant de s'approcher de la prise secteur.


« Pitié, faites qu'il y ait une batterie, un machin de sécurité, n'importe quoi... »

Elle débrancha le système principal, qui se mit à clignoter. Le cœur de la jeune femme fit un bond dans sa poitrine. Tout fonctionnait encore !

Sans hésiter, Mess poussa alors l'Amiral jusqu'à la sortie de la chambre, et se dirigea vers l'ascenseur. Lorsque les portes de ce dernier s'ouvrirent, un grand fracas résonna à l'extérieur qui secoua le bâtiment entier.
Mess dut concéder à Trenia Heqat la ponctualité de ses suppositions. Le terrible présage avait commencé à s'abattre sur Eenia.

Mess pénétra dans la cage, puis pressa avec force le bouton du sous-sol. La descente commença, annoncée par un deuxième coup de tonnerre, au loin, puis apaisée par la petite musique diffusée dans la cabine close.


« Premier étage », annonça une voix informatisée monocorde, alors que les portes s'ouvraient sur un couloir vide.

« Oui, oui, VITE, MERDE ! » hurla Mess comme une hystérique, alors qu'une troisième explosion retentissait au loin, suivie par une poignée d'autres, à la cadence grandissante.

« Allez, ferme-moi ces putains de porte !! »

Comme obéissant à la jeune femme, l'appareil se referma puis reprit sa descente. La mélodie des canons l'avait désormais emportée sur celle diffusée dans la cage, alors que la pluie de missiles semblait avoir atteint son paroxysme. Un impact, bien plus proche que les précédents, fit vibrer le bâtiment. L'ascenseur se stoppa net et les lumières s'éteignirent alors que la voix informatisée annonça, dans un decrescendo terrifiant :

« Belvéédddèèèèrrrrr... »

Puis ce fut un silence qui s'installa dans la petite pièce capitonnée. Silence que venait ponctuer la symphonie du plasma qui était toujours à l’œuvre dans Eenia.

« Oh non... Non, non, non, non, non... non, non... pas ça ! », murmura Mess, affolée. Elle s'approcha de la sortie de l'ascenseur opposée à celle où elle était entrée un étage plus haut, et tenta d'écarter les portes les séparant du Belvédère. En vain. La jeune femme était à bout de forces.
Alors elle se laissa glisser, et se mit à sangloter. Une, deux, puis trois minutes s'écoulèrent, avant qu'une violente secousse ne propulse la jeune femme contre le lit de Kami. Heurtée à la tête, une douleur lancinante lui arrachant le crâne, Mess hurla à en perdre ses poumons.
Alors, contre toute attente, elle entendit des voix de l'autre côtés des portes closes :


« Sergent, ça venait de l'intérieur ! »

Quelques minutes suffirent à l'équipe de soldats pour libérer Mess de sa cage de fer. Lorsque, en sueur, elle s'en extirpa, les militaires s'étonnèrent de trouver, comme substituée à la peur, une détermination égalée dans les yeux de la jeune femme.
Le Sergent qui dirigeait la petite troupe s'enquit de la santé de l'Amiral Leister. Il ordonna qu'on le déposât dans un camion, en contrebas du belvédère. Mess se plaça entre Kami et ses hommes, opposant que le risque était trop grand.
L'homme leva sur elle un regard inquisiteur, puis trancha :


« Petite, j'ignore qui tu es, mais j'ai des ordres à suivre, et des hommes à protéger. Alors merci de ton aide, mais à présent, laisse-nous... »

L'homme ne termina pas sa phrase. Il fut aveuglé par un regard d'un bleu électrique, avant de reprendre, docilement mais fermement :

« Messieurs, nous partons sans plus attendre. »

Ses hommes, sonnés, se regardèrent avec surprise. L'un d'eux prit la parole :

« Sergent... Et l'Amiral ? »

Une fraction de seconde plus tard, son chef braquait sur lui une arme de poing prête à faire feu, derrière laquelle un regard vide lui ordonna, sèchement :

« J'ai dit... nous partons. »

Aussitôt, plusieurs membres de l'escouade dégainèrent leur arme, par allégeance envers le Conseiller Leister. Puis d'autres suivirent, décidés eux à respecter les ordres.
Les deux camps se séparèrent rapidement de quelques mètres, se jaugeant et criant des injonctions incompréhensibles.

Au milieu de cette rixe, Mess était hébétée. Comment la situation avait-elle pu à ce point dégénérer ? Sans réfléchir, elle choisit la fuite. S'esquivant dans l'ombre, elle dévala le Belvédère au rythme de nombreux coups de feu. Certaines balles lui frôlèrent les oreilles, d'autres semblaient adressées à des cibles plus lointaines.

« Mon dieu, mais qu'ai-je fait... ? Que suis-je devenue... ? Kami... Je suis tellement désolée... » s'excusa-t-elle.

La pluie de missile reprit de plus belle et lorsque Mess se retourna, le palais qu'elle avait quitté vola en éclats. Puis une autre explosion la fit décoller quelques pieds au-delà du sol, puis ce fut le noir total.



---


Par-delà les montagnes, passée la frontière, un chasseur négacien atterrissait sur la piste principale du centre de recherche NecPl, sur laquelle l'accueillit un détachement armé.
Dans son mégaphone, un traducteur hurla, dans toutes les langues locales, les quelques mots que lui soufflaient le chef du bataillon :

« Vous êtes sur une zone militaire, veuillez descendre de l'appareil et vous identifier au plus vite, ou nous ferons feu ! »

Le chasseur pivota en direction de la troupe, puis fit feu. Quelques balles fusèrent en réponse, mais rapidement il n'y eut plus personne pour lutter. Alors le pilote ouvrit le cockpit, se débarrassa de son casque, puis posa pied à terre. D'un pas lent mais assuré, il enjamba les cadavres, puis entama sa marche en direction du Centre de Recherche.

---

A l'intérieur, Shurak semblait avoir jeté l'éponge. Seul dans cette pièce obscure dont il avait inspecté tous les recoins, l'Empereur Platin devenait fou. Il avait étalé partout sur le sol les documents vierges qui se trouvaient auparavant sur son bureau, et tentait d'en découvrir le secret. Devar se retrouvait dans ce genre d'expositions qu'il avait toujours haïes, face à une toile blanche, à essayer de comprendre ce qu'avait bien voulu dire cet artiste à travers les fresques aussi abyssales qu'inexistantes qui parsemaient l'abîme de la feuille blanche.

Suant à grosses gouttes, l'Empereur parcourait les papiers avec une intense frénésie. Son cerveau lui dessinait des codes dont il peinait à déceler le sens. Çà, une spirale, là, un triangle inscrit dans un cercle ; partout cet amas de symboles incompréhensibles semblables à des runes.
S'escrimant au milieu de cette véritable forêt, Shurak commença à voir un sens dans le vierge, à sublimer l'invisible. Il comprit que, davantage qu'un plan, c'était une véritable découverte qui s'était vue un jour coucher sur ce papier, que l'auteur semblait plus que jamais déterminé à maîtriser.
Une histoire s'étendait devant les yeux de Devar, alors qu'il saisissait, de son intelligence inouïe, le sens de ces suites de chiffres, de lettres et d'idéogrammes.
Cette féerie incroyable contait les aventures d'une personne qui savait tout de la mort et de la vie, qui en avait à diverses reprises franchies les frontières, et qui s'en amusait dorénavant quotidiennement. Non, plus que de s'en amuser : elle en jouissait. Car à chaque passage de l'autre côté, c'était davantage de puissance qu'elle acquérait, plus de pouvoir qu'on distillait dans ses sens.
On sentait dans cet ouvrage un travail acharné, voire une passion. Mais ce qui frappa Shurak, c'était la récence de ces écrits imaginaires. L’œuvre avait été si rapide à écrire, parfois maladroitement d'ailleurs, que ça n'avait pu l'être par une personne sensée. Seule quelqu'un qui ne voyait en ces recherches que la délivrance, l'issue tant attendue, telle la panacée à l'errance, oui, seule un détraqué aurait pu aller si loin en si peu de temps.

Un détraqué, ou...

Un frémissement dans le dos de l'Empereur. Instantanément, il se retourne, et la toise sans surprise...

… Trenia Heqat.


« Toi... », cracha Shurak.

Elle eut un petit rictus. Toujours le même accueil, qu'importe l'interlocuteur. Elle s'en amusa une nouvelle fois, avant de durcir son regard.

« Bonjour, Empereur... On ne t'a jamais appris de ne pas fouiner dans les affaires des autres ? »

Elle éclata de rire.

« Non, bien sûr. Suis-je bête, tu n'es qu'un vulgaire espion qui n'a peur de rien. Pas même du grand astre, qui pourrait bien te brûler les ailes. N'est-ce pas ? »

Le visage de son interlocuteur s'anima d'un sourire calme. Lentement, Devar libéra son arme du holster qui était fixé à sa ceinture, puis le pointa vers l'Enjôleuse.

« Ferme-la. J'en ai assez de jouer avec toi, Heqat. De courir partout pour nettoyer tes conneries, tel un veuf qui apprend à élever ses gosses. De t'entendre débiter les mêmes condescendantes conneries, tel un abruti à qui l'on apprend à appuyer sur des boutons. De te voir, enfin, me regarder d'aussi haut, alors qu'il y a encore peu tu n'étais plus qu'une ombre, et que c'est moi, tel un putain de religieux, t'ai aidé à redevenir quelqu'un.
Alors, oui, fini de jouer. Je sais tout de tes plans, et ostensiblement je n'en fais pas partie. Soit. Mais il te reste deux choix, à présent. Respecter notre accord.... Ou bien repeindre le sol de ton placard à balais. »


Elle se raidit. Elle avait bien fait de prévoir tout écart de ce fou furieux...

« Hmm. Tu m'as l'air bien informé... Je vois. Alors dis-moi encore, pour voir :comment comptes-tu sortir d'ici ? »

Elle étendit les bras tout en effectuant un tour sur elle-même.

« Vois plutôt, il n'y a pas de porte de sortie, rien du tout. Ceux qui posent le pied ici sont destinés à y rester... d'une manière ou d'une autre. Voilà pourquoi personne n'a jamais su que je me cachais au plus proche de l'ennemi. Car ils ont tous... disparu. »

Des larmes de rage coulèrent le long des joues de Devar Shurak. Douce métaphore du sang qui perlait du coup de poignard qu'il avait reçu des lèvres de l'Enjôleuse... Oui, il avait été tant absorbé par ces recueils vides qu'il en avait oublié la raison principale qui l'avait poussé à les décrypter : il était prisonnier. Et sans pouvoirs magiques, aucune chance d'évasion n'était à prévoir.
Pourtant, il ne baissa pas son arme. Il savait que le faire reviendrait à signer son arrêt de mort.


« Heqat... Fais-moi sortir d'ici ou, je le répète, je te tue. Je n'hésiterai pas. »

Amusée, elle rit encore. De cet insupportable rire qui hantait les nuits de toutes ses victimes, après qu'elles fussent envoûtées, puis rongées par les sombres desseins de l'Enjôleuse.

« T'aurais pas dû. »

Un coup de feu retentit, et Trenia Heqat perdit son sourire. Abasourdie, elle vit des lambeaux de son oreille atterrir à côté de son pied droit. Il fallut un temps pour que l'information perce. La douleur prit les devants, et l'Enjôleuse se mit à hurler de douleur tandis que Shurak l'agrippait violemment par les cheveux.

« Dépêche-toi, maintenant, ou je te jure que la prochaine sera la bonne. »

Tremblant devant tant de détermination, Trenia Heqat choisit d'abandonner l'arrogance au profit de la raison.

« Très bien. Tu veux partir d'ici ? Nous partons. Tu veux ma part de l'accord ? Tu l'as. Accroche-toi, tu vas mourir pour la seconde fois, Empereur. »

Le décor se mit à basculer, et les deux protagonistes disparurent dans le néant.

Lorsque Shurak rouvrit les yeux, il se trouvait devant un temple abandonné, en pleine nature.


« On est de l'autre côté ? », questionna-t-il.

Trenia acquiesça. Elle lui indiqua l'entrée de l'édifice d'un mouvement de tête, et articula :

« C'est ici. Ton antidote. Ici que tous les Châtiments prennent fin. Ici que les démons troquent l'amour pour la haine. »

« Parfait. », annonça Shurak, qui se perdit en contemplations.

Trenia se défit de l'étreinte de son opposant. Elle savait les sens moins aiguisés, au cœur du Voile. Alors elle profita de l'inattention pour se détourner, et lorsqu'elle fut assez loin, elle lança à un Shurak abandonné à ses songes :

« C'est également ici que nous nous quittons, Empereur. Adieu. »

La réplique agit comme un électrochoc. Devar se retourna, se préparant à faire feu. Mais il était trop tard. Trenia Heqat avait disparu.

« Merde... J'ai été négligent... »

Shurak leva les yeux au ciel. Il ignorait s'il était une divinité dans ce monde-ci, mais pour la première fois, il se surprit à prier... Prier que l'Impératrice savait ce qu'elle faisait.

---

Loin, dans une autre dimension, le TrustCom de l'Impératrice retentissait. Ethel posa les yeux sur l'écran digital.

« NecPl, en face de la 319 est un mur. Passe-le. Tu trouveras les informations. Heqat utilise la Nécromancie pour récupérer ses pouvoirs. J'ai cru comprendre qu'elle pouvait enjôler des patients sous opération. Tiens-toi éloignée de ça... s'il n'est pas trop tard.
J'enclenche dès à présent un script de pensées instantané pour te résumer la situation.
D. »
« Altea seit Ethel. Ton nom ne sera jamais oublié... » - Kami Raykovith
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Sergent Kami
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Re: Pantins, Impératrice et Amirale

Message par Sergent Kami »

Quelques milliers de kilomètres dans le ciel

Depuis quelques heures, il régnait dans l’immense forteresse stellaire une effervescence peu commune. Les esprits forts s’échauffaient tandis que les plus faibles s’exilaient dans des pièces isolées pour mieux fondre en larmes. Car sous leurs uniformes ocre, de nombreux cœurs saignaient, sévèrement blessés par une pluie de feu qui annihila une cité jusqu’alors à l’écart de tout. Et lorsque les larmes eurent terminé leurs périples, il ne restait derrière ces regards vitreux qu’une flammèche brulant une enveloppe vide, qu’un unique sentiment de vengeance à assouvir devenant une priorité.

Le Commandant Bohm lui-même n’en revenait pas. Il fallait une audace sans pareil pour oser presser le bouton rouge, sachant que la cité n’apportait aucun avantage stratégique autre que la destruction qu’une compagnie blindée déjà très mal en point.


Annulez l’envoi des renforts.

Mais ? Et l’Amiral ?

Soldat, croyez-vous réellement qu’après ce cataclysme, il y ait encore quelque chose à sauver ?


Appuyant ses derniers mots, Ulrich Bohm se leva, les yeux étincelants comme jamais auparavant. Car aujourd’hui, personne ne s’opposerait à ses consignes. Anticipant l’indicible plaisir que ce moment lui procurerait, l’homme laissa échapper un sourire en coin en baissant la tête.

Que les batteries d’artilleries se préparent, je leur ai trouvé une cible parfaitement adaptée à notre situation.

Au même moment


Eparpillées sur plusieurs hectares en divers endroits du désert veesnien, des milliers de canons automoteurs attendaient l’ordre de tir. Les servants, au fait du tournant pris par la guerre quelques heures plus tôt trépignaient d’impatience, prêts à en découdre avec l’ennemi, peu importe qui il était. Alors quand le capitaine en charge de l’artillerie leur ordonna de décharger les canons, un début de mutinerie se répandit dans cette horde de chairs meurtries.
L’officier, peinant à reprendre le contrôle, dégaina son arme de poing et tira plusieurs coups en l’air, pour avoir à nouveau l’attention de la foule.

Il me semble que nous nous soyons mal compris, soldats. Que l’on me charge les munitions à fragmentation. Ils s’attendaient à une pluie de bombes ? Nous leurs offrirons un bain de sang.

C’est avec une ferveur sans précédente que des milliers d’obus furent déchargés pour être remplacés par d’autres ô combien plus mortels. Et l’opération terminée, les hommes demandèrent à l’unisson une cible sur laquelle déverser leur haine et leur tristesse.

Le capitaine, alors satisfait se tourna vers l’hologramme du commandant Bohm, qui ne ressemblait plus à un homme sain d’esprit. Peinant à contenir sa joie, il lança simplement :


Ciblez Hevin Tyens. Je veux que la capitale que ces salauds chérissent tant soit réduite en cendres.

***

En proie à une violente migraine, je maintenais mes mains plaquées contre mon visage tout en titubant vers la place centrale. A chaque pas, mon cerveau me renvoyait de courts fragments de ce qu’il avait pu percevoir pendant l’attaque foudroyante. Tantôt j’entendais une bombe exploser, faisant vibrer dans mon imaginaire un sol parfaitement stable. Tantôt c’était des cris de douleurs qui perçaient mes tympans. Ou encore un flash aveuglant qui finissait de me désorienter.

(Voix étranglée)
A l’aide…

Un cri… Je m’effondrais sur la place du village en tremblant.
Une bombe. Je me trainais lamentablement vers ce qui me semblait être une arme et m’y agrippais de touts mes forces, en hurlant pour que le vacarme cesse.
Et puis mon esprit encore fatigué s’arrêta net, me laissant chuter dans l’insondable néant…


Réveille-toi, imbécile.

Sous un soleil de plomb qu’aucun nuage ne venait adoucir, je reprenais conscience, étalé de tout mon long sur le sol sablonneux de la cité veesnienne. Pris d’une quinte de toux, je recrachais le sable qui avait pénétré et asséché ma cavité buccale. Mon réveil ici ne signifiait qu’une chose. Ces renforts que j’attendais ne m’étaient jamais parvenus…

Faible que j’étais, je me résignais à utiliser le fusil que j’avais serré si fort durant mes hallucinations pour me relever et balayer la zone d’un regard du haut de mon mètre quatre-vingt-cinq.

Outre la compagnie de blindés calcinée, ce qui me frappa particulièrement fut l’absence de restes humains. Soit une partie des troupes avait réussit à fuir vers les montagnes pendant l’attaque. Soit… Je ne préférais pas considérer la seconde option. Me raccrochant à l’idée que quelque part dans ces montagnes un visage amical m’attendait, mon regard se perdit au loin.

D’un geste, je réajustais ma ceinture, vérifiant au passage la présence de mon équipement, et rabattais sur mon visage la capuche de ma cape de voyage. Je me saisissais ensuite du fusil et disparaissais dans les montagnes d’un pas lent, non sans jeter un regard derrière moi. Mais de toutes manières, il n’y avait plus rien à voir. Eenia était mort.

***

Cela faisait trois heures que j’évoluais dans les montagnes platine, en une pâle imitation du pas furtif et silencieux de l’éclaireur. A chaque mouvement, j’oscillais dans un état incertain, entre vie et mort, tel un équilibriste. Laissé pour mort, je n’avais pas d’autres choix.

Alors j’avançais, sans repenser à mon état pathétique ni à la faim qui me prenais au ventre. Entre deux moments où mes boyaux agonisants renvoyaient les quelques rations avariées que j’avais ingéré, faute de mieux, je m’accrochais désespérément à cette idée chimérique qu’au loin se trouvait une verte prairie et de l’eau fraiche, ou à défaut d’un paradis perdu, des gens pour tromper ma solitude ou... ma faim. Non. Je chassais très vite cette idée de ma tête pour continuer mon épopée, attendant patiemment le miracle.

Mais au fil du temps, ces pensées que j’avais en horreur prirent le dessus sur ma raison. Et ce pauvre soldat, assis en contrebas allait en faire les frais... Regagnant soudainement ma vigueur, il ne me fallut qu’un temps pour me téléporter dans son dos et lui trancher la carotide d’un coup précis de dague. Ma victime s’écroula dans son sang, silencieuse et apaisée.
Aussi empressé qu’un gamin voulant ouvrir son cadeau de Noël, je déchirais son uniforme et saisis fermement son bras gauche. Son sang macula mon visage au moment où ma mâchoire se referma puissamment sur son biceps. Ma raison refit surface, un peu plus tard. Je me faisais horreur mais toute considération faîte, cela n’avait aucune importance car j’étais vivant et rassasié. Mais toujours perdu en terre hostile.

Profitant de l’endroit pour faire une pause, je fus surpris par le bruit assourdissant d’un chasseur à basse altitude. Mon premier reflexe fut de me cacher. Puis constatant que l’appareil se posait non-loin, je me lançais au pas de course à la recherche de cette inespérée coïncidence. Mon étonnement fut total lorsqu’au détour d’un pan de montagne, je me retrouvais face à un complexe dont l’existence ne m’avait pas été révélée par les vols de reconnaissance.

Trenia…

Cette aura que je reconnaitrais parmi cent autres, aussi infime soit-elle, venait de trahir celle qui n’aurait jamais dû se trouver ici...

Une heure plus tard



Traquer une aura dans un complexe déserté était un jeu d’enfant. Alors amusé, je caressais du bout des doigts un mur d’acier froid et brillant pour mieux ressentir la pulsation surnaturelle qui s’y propageait. Il s’agissait surtout de trouver l’endroit exact où le rat tentant de fuir sa misérable condition de femme « normale » se terrait.

Doucement, je plaquais la paume de ma main à l’endroit adéquat. Avec une délicatesse sans égal, j’insufflais à ce mur d’acier ma touche de magie, qui le fit imploser. Trénia se tourna vers le trou béant que je venais de créer, surprise. Sans un mot, j’entrais dans son repère et d’une rune, l’isolais du reste du monde. La fuite n’était plus permise.

Je balayais du regard la pièce exigüe, m’attardant sur les papiers éparpillés, couverts de runes avant de revenir sur une Trénia mutilée mais sûre d’elle.


Pourquoi ne suis-je plus étonné ?
Lançais-je dans un soupir. Peut-être ai-je fait une regrettable erreur, il y a quelques saisons. Peut-être aurais-je dû te tuer lors de notre affrontement à la Corporation.

Puis mon regard se perdit dans l’incandescente beauté d’une bougie, le temps d’un songe.

Mais finalement tu tombes bien. J’ai une tâche à te confier. Aide-moi à rendre à Nikki sa forme humaine.

La nécroman, dans un premier temps ahurie, éclata d’un rire cristallin. Puis s’empressa d’ajouter en haussant un sourcil :

Tu crois vraiment que je vais obtempérer ? Je ne suis pas ta marionnette, Kami.

Effectivement.

Je marquais une pause. Nous nous fixâmes un instant qui parût une éternité et, lorsque j’aperçus le reflet azur de mon iris dans le regard de la jeune femme, son sourire s’effaça. La demoiselle ne connaissait que trop bien le funeste épilogue de cette scène, si pour la deuxième fois en ces lieux et places, elle ne se soumettait pas à la volonté éminemment supérieure d’un guerrier déterminé. Alors, maudissant de toutes ses forces ces ennemis héréditaires qui n’avaient de cesse de lui rappeler ses échecs, la nécroman baissa les yeux et cracha froidement :


Puisque je n’ai pas le choix, je t’assisterai. Mais... Es-tu prêt à affronter la mort ?


Tu ne me piègeras pas Trenia. Nous voyagerons dans le voile à ma manière.

***

Allez, avance.


Mêlant le geste à la parole, je poussais la jeune femme vers l’avant pour l’inciter à marcher devant moi. La nécroman s’exécuta, non sans protester. Peu à peu, nous nous écartions du sentier tracé pour s’enfoncer dans la brume épaisse...


Où va-t-on ?


Il y a un temple de l’autre coté. Mais, il faudrait traverser pour…

On verra cela en temps voulu
, tranchais-je. Mène-moi au temple.

Oui, chef, murmura la demoiselle pour elle-même.

Soudainement, la température chuta. Trenia se tourna vers moi, les yeux écarquillés. D’un pas lent, j’approchais et constatais la présence d’une troisième personne qui à en juger par sa longue robe d’un blanc immaculé, devait être une femme venant de l’autre coté du voile.

Une voix douce et enivrante résonna dans mon esprit. Sans vraiment savoir pourquoi, j’étais comme attiré vers le démon, et un pas plus tard, je me trouvais à ses côtés. Je m’aperçus alors que Trenia en avait profité pour disparaître...

Kami ? C’est bien toi ?




La femme se tourna pour plonger ses yeux bleu-gris dans les miens, ce qui fit remonter dans mon esprit une quantité de souvenirs d’un temps que je croyais effacé de ma mémoire. Des rêves emprunts de bonheur, des promesses d’un monde meilleur et sans contraintes. Un mariage, puis une naissance. Et de nombreux sacrifices pour préserver ce semblant de félicité qui constituait mon équilibre psychologique. Complètement tétanisé par des sentiments contradictoires, je déshabillais du regard l’elfe qui me barrait la route. Cette peau d’albâtre et ces longs cheveux châtains, cette grâce naturelle qui transparaissait… Tout me rappelait un être pour qui j’aurais tout donné... plus de deux ans auparavant. Dans un murmure, mêlant l’étonnement au manque d’assurance, je risquais un « May ».


Le sourire du démon s’élargissait en une expression de soulagement évidente. La défunte s’approcha et m’étreignit avec une tendresse sans égal. Ce fut à ce moment précis que je remarquais la présence de runes démoniaques tatouées à même la peau.

Qu’est-il arrivé à ton bras ?

Le sourire de l’elfe disparut, laissant la tristesse s’installer sur ce doux visage.


C’est pour me rappeler.

Te rappeler de quoi ?

May me retourna un regard grave. Elle semblait chercher ses mots, puis après un temps d’attente finit par lâcher :

Quand on arrive ici, on perd progressivement la mémoire. On oublie ce que l’on était pour prendre place dans ce monde. Je l’ai très vite remarqué sur notre fille. Alors je me suis fait tatouer mon souvenir le plus cher. Ton nom et le mien.

Qu’est-il advenu de notre fille, Lisa ?

… Je ne sais pas, finit-elle par avouer en baissant les yeux.

Dans un élan de tendresse, je me surpris à lui caresser le visage ce qui lui arracha un sourire. Subjugué par la démoniaque beauté de ma défunte promise, je commençais à sentir mon esprit et mon cœur dériver sur une pente dangereuse. Aussi, préférais-je me concentrer sur ma présence dans le voile. Ne doutant pas de la bonne volonté de ma nouvelle alliée, je lui expliquais tout, de l’attaque de la Corporation à l’arrivée dans mon monde de Dia, en omettant toutefois les sentiments qui me liaient désormais à Nikki.
En écoutant attentivement l’histoire, May réfléchissait, puis finit par m’avouer qu’il existait un temple abandonné, non loin d’ici, où reposait un étrange artéfact. Sans un mot, je la suivais dans les oppressantes ténèbres. Incontestablement, la température chutait.

Quel froid… lâchais-je finalement à quelques pas de la bâtisse, en grelottant.

May semblait ne pas avoir entendu ma remarque, et poursuivait son chemin. Je m’empressais de la suivre, pénétrant dans le temple. A l’intérieur, sur un petit autel flottait une sphère, de laquelle émanait une aura que je reconnus immédiatement. Ignorant le froid polaire qui régnait dans l’édifice, je courrais vers l’artefact et arrivé à quelques centimètres de ce dernier, May m’interpella sur un ton glacial.


Tu l’aimes n’est-ce pas ? C’est pour cela que tu te démènes pour la sauver, alors que tu pourrais simplement la renvoyer ici… Je suis désolé mon amour, mais cela fait tant de temps que je t’attends. Je ne peux pas te laisser repartir là bas.

May ? Ce froid, c’était donc toi !


Le démon me retourna un regard désolé puis lâcha doucement.

Je ferai en sorte que tu ne souffres pas. Très bientôt, nous serons à nouveau réunis.


Soudain, je me retrouvais pris dans un véritable blizzard et rapidement mes membres s’engourdissaient. Rassemblant toutes mes forces, je tendis désespérément le bras et finit par effleurer la sphère. Immédiatement, une énorme douleur me scia le bras, alors que la magie de Nikki gravait d’innombrables runes qui partaient de la paume de ma main pour remonter jusqu’à l’épaule. Sous l’emprise simultanée des deux magies, je finis par tomber sur le sol glacé à demi conscient, utilisant mes dernières forces pour lutter contre un froid toujours plus mordant. Puis à bout de souffle et complètement anesthésié par la température polaire, mon organisme lâcha.


C’est cela mon amour, laisse toi aller et rejoins-moi de l’autre coté.

Il est à moi, salope !

Sans comprendre ce qu’il se passait, j’entendais au loin une Nikki hystérique se battre contre la magie démoniaque d’une May décidée à me garder auprès d’elle. Lentement, sous l’effet du pouvoir de la Flamme, je sentais mon corps se réchauffer. Quasi-instantanément, mon cœur alors à l’arrêt repartit timidement, puis à un rythme plus assuré.

Pardon, Kami… Je ne voulais que t’aimer.

Je reprenais conscience dans la pièce du complexe où Trenia s’était cachée. Je me sentais en pleine forme, comme après une longue nuit d’un sommeil réparateur. Comme si tout ce qui s’était passé n’était un rêve… Pour m’en assurer, je regardais ma main droite de laquelle partait des runes couleur azur qui semblaient remonter le long de mon bras.

Un cri de joie retentit au loin. Sans un mot, je me relevais, vérifiais la présence de mon équipement et disparut.

Attends-moi Nikki, j’arrive.
Amiral Andrew K. R. Leister, dit le Feu, à votre service.
Un homme éclairé a écrit :Sergent dieu n'aime pas être contredit ! :evil:
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Kossnei
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Re: Pantins, Impératrice et Amirale

Message par Kossnei »

Tous... morts.

Le ciel pleurait une pluie peu commune sur Desertica. Déversant toute sa peine, toute la douleur qu'elle avait ressenti à chaque impact plasmique sur son sol, la planète semblait punir les hommes de leur infâme cruauté, et l'orage sonnait comme un rappel à l'ordre. Ainsi, l'astre éteint, la nuit sanglotait en un silence ponctué par des coups de tonnerre semblables à une rage incomprise, comme un cri de désespoir que nul n'entendrait, mais qui tous fascinerait.

Toutefois, il en était une qui, touchée par les récents événements, accompagnait le monde dans sa triste abdication.
Mais ce sang qui dégoulinait de ses orbites semblait présager une haine encore plus incroyable, qui peut-être parachèverait l'anéantissement, amenant une dernière pierre à un édifice en ruine.
Et sa robe sombre, flirtant avec les pâles rayons que le soleil déserticain peinait à faire émerger de son enveloppe fade, communiquait en toutes les villes qu'elle parcourait d'un pas divin, ou plutôt empreint d'une immense magie, une image de mort.

Car peu étaient les platins qui avaient vu Ethel abandonner le vert émeraude qu'on lui connaissait au profit d'un noir de jais qui, aux yeux de tous, transmettait ostensiblement une connotation funéraire. Mais de qui allait-on célébrer, dans le rire ou les larmes, le soulagement ou le désespoir, l'inévitable mort ? Car aussi vrai qu'il en fallût une, qui de la grande Impératrice ou de l'impitoyable Démon en sortirait dans une boîte en bois ?


« Sokkia, tu m'entends ? »

« Cinq sur cinq, Excellence. »

« Où est-elle ? »

« Mademoiselle Trust, êtes-vous sûre de... ? »

« Où ? »

« ... Elle est à une réunion de formation des Scientifiques et Mages de l'Incursion en Rituel Khaos. »

« Localisation ? »

« La Capitale, Excellence. Hevin Tyens. »

« Merci. »

« Mademoiselle Trust... »

« Oui ? »

« Je ne vous oublierai jamais. »


Ethel raccrocha le combiné de son TrustCom. Elle le jeta à terre, et le détruisit d'un regard.

« Salope. »

Il y avait quelque chose de changé dans le regard de l'Impératrice. Elle semblait plus sensuelle, au sens propre du terme. En éclosion, comme si elle s'éveillait d'un long rêve, sa peau s'était dorée, et ses yeux d'un vert émouvant semblaient exprimer davantage de sentiments qu'à l'accoutumée. Mais ses sourcils traduisaient une infinie tristesse, et si le ciel pleurait tant, c'était aussi car c'était sa terre, sa mer, son âme, sa propre conception, l'égérie de son destin, l'icône de ses desseins ; bref : le rêve de sa vie que cet Empire Platin qui plus que de nom avait changé de nature. Et il existait un lien outrepassant la magie qui l'unissait à ce pays. Avant d'être Ethel Trust, l'Impératrice, la jeune femme n'était qu'une môme perdue en de minables responsabilités administratives en Helgan, loin sur Vertana, à qui un jour Kossnei, premier et dernier Conseiller de l'Empereur Platin lui-même sourit. Et au-delà de ce sourire, c'était un véritable présent et qui sommeillait. Ethel Trust ne le réalisa que bien plus tard, mais cet homme d'une puissance brisée avait alors, dans un vague sentiment d'espoir, trouvé des qualités insoupçonnées en elle, et l'avait quelques jours plus tard apposée dans son testament, et quelques mois supplémentaires lui avaient permis d'accéder au pouvoir sur l'Empire Platin, où elle fut nommée Impératrice par ce même, et défunt, Kossnei.

Ce lien, c'est l'amour. L'amour d'un père pour sa fille, l'amour d'un homme d'état pour sa patrie. Et ce sentiment ignoble qui envahissait Ethel, qu'était la honte, le dégoût de ne pouvoir sauver ce qu'on lui avait aveuglément confié, ce sentiment commençait à la tourmenter de tous les maux. Et alors elle comprenait que, plus qu'un présent, c'était une responsabilité que de reprendre ce que Dia Negacié lui avait volé, et d'ainsi réaliser ce que Kossnei lui-même n'avait pu oser : reprendre son cher état à Nikki Katarilis.

Alors elle se remit en marche, à une vitesse toujours plus phénoménale. Bientôt, elle dépassa sa dernière frontière, et posa le pied dans la capitale.


« Tu vas payer, Dia Negacié. »

La terre trembla, et à quelques kilomètres de là, le Démon s'éveilla.
Relevant son visage blanchâtre que deux yeux noirs animaient, la Princesse Démoniaque sourit.


« Enfin... » pensa-t-elle, un rictus déformant son malingre faciès.

Et sous le regard surpris des scientifiques de sa nouvelle arche, Negacié s'effaça, et disparut.

Lorsqu'elle se matérialisa devant Ethel Trust, celle-ci n'afficha aucune surprise. Son adversaire semblait calme et plus démoniaque que jamais, et la surplombait largement, à quelques pieds d'elles, du haut de son mètre quatre-vingt-quinze, mais elle n'impressionnait pas l'Impératrice, qui n'avait plus peur. Elle se savait mue par une puissance incroyable, et une volonté sans failles. Et si aujourd'hui elle devait tomber, ce serait avec la tête de Dia Negacié entre les bras.

Les deux opposantes se jaugèrent durant un long et silencieux moment dans cette avenue dégagée qu'une lumière à présent plus prononcée venait frapper de sa majestueuse clarté. Reconnaissant leur Impératrice malgré son singulier apparat, certains habitants se rassemblèrent à leurs fenêtres, perrons et devantures.

Puis le silence fut brisé, par les lèvres sèches de la jeune Ethel Trust.


« Princesse... »

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase que Dia fit rayonner sa fulminante aura de ces flammes violacées qu'on ne lui connaissait désormais que trop. Cette même puissance qui résonna à des kilomètres à la ronde lorsque, quelques jours auparavant, elle affrontait l'Amiral Leister dans les montagnes. Cette même inimaginable puissance qui fit fuir de nombreuses personnes dans l'assistance improvisée qui observait toujours d'un œil inquiet la tournure des choses.

Animant ce visage fou d'un sourire habilement dissimulé sous sa toge, Dia Negacié éclata d'un grand rire.


« Meurs. »

Le décor vola en éclats, et ce fut une véritable tempête qui s'installa, un ouragan de sable enflammé par la réaction magico-physique qui enfreignait toutes les lois de la nature, orage poussiéreux qui brûlait et refondait toute chose en un feu follet pourpre qui venait ensuite se mêler à la cohue, incinérant êtres vivants comme minéraux, habitations comme habitants.
Alors que la valse incessante de la terre en mouvement continuait de meurtrir impunément ce beau monde, Ethel ne cilla pas. Comme un pic face à la mer qui se déchaîne et agresse son rocailleux épiderme, la belle restait de marbre, et n'avait pas une seule pensée pour ses hommes qu'elle voyait ramper, celui-ci de son seul bras valide, celle-là dans une marée de particules incandescentes.

Non, d'ailleurs, au fur et à mesure que l'ouragan magique diminuait chaque chose, jusqu'à n'en plus laisser que les atomes et un sol qui ne ressemblait plus guère à l'avenue qui abritait une dense vie quelques minutes plus tôt ; alors oui, tandis que Dia se soulageait de sa rage et d'un peu de sa mana, il en était une qui faisait grandir en elle cette force, parfois surestimée, souvent insoupçonnée, et qui bientôt fut si grande que la Princesse Démoniaque elle-même fut forcée d'arrêter le déchaînement de sa magie.
Posant un regard déformé par la surprise sur son ennemie, Dia Negacié resta tétanisée.

La pente qu'empruntait la courbe de puissance de l'Impératrice ne cessait de croître exponentiellement, sa longue et élégante robe noire virevoltant à ses pieds. Ethel Trust, impassible, ne réalisait même pas qu'elle avait dépassé l'abominable puissance du monstre qui lui faisait face. Elle ferma ses grands yeux verts, et soupira...


« Vis. »

Alors une intense lumière noire s'échappa de son coeur, et alla frapper la poitrine vide de Negacié, qui fut trop étonnée pour esquiver, sinon riposter. Elle tomba à genoux, et eut l'impression que son crâne se déchirait en d'indénombrables et infinitésimales particules. Ses yeux se retournèrent dans leurs orbites, et ce fut une pluie de souvenirs qui l'assaillit.

Elle revit la vie de cette jeune femme, Amirale de renom, jadis dirigeante, à la chevelure blonde et à l’œil vif, au caractère aigre doux, qui aimait à châtier et à s'envoyer en l'air avec des amants dont elle brisait le cœur, puis pour qui le destin réserva un tout autre sort. Elle se retrouva plongée dans les pires tourments, la voyant tantôt gâtée par un ego rassasiée, tantôt perturbée, et rongée par une solitude incroyable.
Elle vécut une vie en dix secondes, et son rythme cardiaque s'accéléra tant que ses membres se raidirent, et qu'elle s'écroula.

Ethel Trust avança alors vers elle, d'un pas décidé mais lent, pour lui porter le coup de grâce. Mais le corps froid retrouva soudain toute sa chaleur, le sang démoniaque afflua comme jamais, et vint irriguer un cerveau à moitié détruit par un coma proche de la mort... et Dia Negacié reprit vie. Elle se releva lentement, secoua la tête sur le côté et ouvrit des yeux rouges vifs, qu'une pupille noire venait rendre plus effrayants encore.
Ethel Trust n'était qu'à deux mètres de ce corps sans âme qui se redressa doucement sous le soleil impitoyable de Desertica, et elle tremblait enfin, car elle sentit naître du néant une puissance abominable, bien plus grande que celle qu'elle avait estimé jusqu'à présent habiter Dia Negacié. Le souvenir, telle une bactérie, avait d'abord contaminé la Princesse, puis l'avait rendue plus résistante... et plus forte.


« Nom de... », murmura l'Impératrice, que la peur avait envahie.

La jeune femme était tétanisée devant ce monstre de magie et d'os qui se tenait devant elle, en l'observant de ce regard imprévisible. Semblable à un animal sauvage, Dia pouvait agir sans moindre raison, ce qui rendit la tâche difficile pour Ethel, qui tâchait de déceler la plus infime de ses intentions.

Lorsque le Démon se mit en mouvement, l'Impératrice esquissa un mouvement défensif, prête à parer. Mais celui-ci se contenta de se baisser, passer ses longs doigts malingres dans le sable fin et éclater d'un rire sans vie qui fit frémir son opposante.
Reculant imperceptiblement, Ethel envisagea la fuite, posant son regard sur les environs. Mais il ne résidait pas le moindre abri dans cet environnement dévasté et rongé par les flammes violettes qui réduisaient tout à néant sur leur passage.

C'est le moment que choisit Dia pour passer à l'attaque. Elle frappa l'Impératrice au visage, par trois fois, sans que celle-ci, trop concentrée sur son repli, n'ait eu le temps de la voir apparaître devant elle.
Alors elle fut projetée à deux pouces du sol, et s'écrasa dans le sable, son bras s'égratignant sur le sol magiquement atteint.
Se relevant immédiatement, le front en sang mais aux aguets, Ethel Trust trouva son adversaire non loin d'elle, sur sa gauche. Elle riposta instantanément, se ruant sur elle à une vitesse phénoménale, et tentant de la ligoter par des liens invisibles. Mais son opposante, plus rapide, esquiva l'attaque et lui envoya un petit astre violet, qu'Ethel évita de justesse en posant rapidement le pied à terre et en réalisant un saut de côté. Elle s'épongea le front du revers de la main, mais sentit une aura dans son dos. La boule de flammes n'avait pas disparue, et l'Impératrice Platine dut se jeter au sol pour ne pas être frappée par le sort démoniaque. Surprise par une inertie magique inattendue, Dia vit sa propre attaque se diriger droit sur elle, et cette dernière brûla une partie de sa toge, révélant une épaule tatouée d'un sombre et curieux symbole.

Le démon délia enfin les lèvres, pour pousser une sorte de hurlement sifflant et strident :


« Tchh ! »

Alors, au même moment, un immense monument fit son apparition dans le dos d'Ethel Trust, qui sentit la chaleur du soleil s'évanouir sur sa nuque, et se retourna vivement. Un énorme golem d'une cinquantaine de mètres, semblable à un gorille mais d'apparence démoniaque, la menaçait de ses deux poings aussi grands qu'une maison.
Décidément, Dia Negacié avait le goût pour les proportions peu communes...

Ethel se prépara à esquiver, mais le monstre de pierre ne l'attaqua pas. Le regard de la jeune femme, tétanisée, allait de Dia à sa créature, tentant de saisir le moment où l'un des deux l'attaquerait.

La Princesse, dont l'apparat, éblouissant sous la lumière intense du soleil, aveuglait Ethel, laissait volontairement une pression insoutenable s'installer, patientant un minute qui sembla durer des heures à l'Impératrice, avant que cette dernière, essayant vainement de reprendre son calme, ne murmurât une incantation qui, soudainement, transforma ses ongles fins en griffes acérées.
Espérant ainsi économiser de la magie face à cette source intarissable qu'était le Démon, Ethel privilégiait donc la défense physique à la décharge de sorts qui ne saurait que la fatiguer. Peut-être le temps était-il, après tout, son meilleur allié.

Alors l'Impératrice se ressaisit, s'écarta rapidement de l'édifice silencieux et bien trop calme à son goût, et se positionna non loin de Dia, l'incitant à l'attaquer par une posture résolument défensive. Sûre d'elle, et sans doute bien trop téméraire, Dia fit apparaître dans sa paume une dague lumineuse, et se téléporta une nouvelle fois sur son adversaire.
Ethel décela une courte onde magique sur sa droite, et tendit instinctivement le bras. Sentant le bout d'une de ses griffes heurter un corps, elle augmenta très rapidement leur taille et induisit une puissante mais ponctuelle force magique à leur extrémité. Elle entendit son adversaire hurler, et envoya un violent coup de pied en sa direction, par réflexe. La voyant enfin apparaître devant elle, quelques lamelles de peau en moins sur le visage et en pleine chute, l'Impératrice Platine profita de l'occasion et entreprit d'invoquer une centaine de racines qui se refermèrent sur Dia lorsque celle-ci heurta le sol. Surpris, le Démon tenta de se dégager, mais Ethel avait l'initiative. Elle plongea sur son adversaire, et voulut lui enfoncer son poing dans l'abdomen. Mais elle fut stoppée dans son mouvement et esquiva de peu ce qu'elle pensait être une attaque, achevant son saut avec grâce quelques mètres plus loin.
Inquiète, elle releva les yeux et trouva le Golem, à quelques pieds de Dia Negacié. Il avait bougé, mais n'avait pas attaqué Ethel... Etait-il une menace ? L'Impératrice ne pouvait se résoudre à écarter cette possibilité, tant la bête l'inquiétait. Toutefois, aucune vibration magique n'émanait de ce corps froid et rocheux...

Ne sachant quoi penser, et rageant contre l'occasion manquée, Trust ne put qu'observer son adversaire s'extirper de sa prison boisée, et reprendre le combat. Cette dernière arborait un petit sourire qui avait un goût de désespoir pour Ethel, qui commençait à baisser les bras.
Néanmoins, elle se reprit rapidement et, toujours attentive à la statue invoquée par son opposante, se remit en garde. Ce fut la Princesse qui prit l'initiative. Elle poussa un grand soupir, et le ciel s'assombrit soudainement.
Le lieu du combat était dorénavant entouré par d'innombrables petits trous noirs. L'Impératrice observa la situation d'un œil inquiet, évitant d'imaginer ce qui pourrait arriver si Dia la précipitait dans cette prison de néant. Prenant son courage à deux mains, elle se concentra pour aller puiser au plus profond de ses ressources.

Inspire. Expire. Inspire. Expire. Inspire. Expire.

Dia s'approchait d'un pas lent...

Inspire. Expire. Inspire. Expire.

Elle se figea...

Inspire. Expire.

Leva le bras...


« Disparais. »

Une rune apparut sous les pieds du démon, qui se déroba rapidement, aspiré par la puissance incroyable. Il tenta de résister, mais ce furent d'abord ses jambes, puis son bassin, sa poitrine, et enfin, portant ce visage qu'elle avait noir de haine, sa tête.

Elle reparut en face d'Ethel, lui tournant le dos, et une douleur lancinante lui déchira l'abdomen. Le golem apparut dans le dos de l'Impératrice qui décida de jouer le tout pour le tout, et de frapper mortellement son adversaire dans le poumon gauche. Le monstre n'eut pas le temps de s'interposer, et le hurlement de Dia fut perdu dans un afflux de sang qui l'étouffa. Elle tomba sur les rotules, et tacheta le sable de ses globules violets.

Ethel brandit l'une de ses mains griffues, et tenta de frapper à nouveau son adversaire. Mais celle-ci riposta en lui enracinant les pieds dans le sol. L'Impératrice manqua de tomber à la renverse, mais fut retenue par la force de ses tibias. Immobilisée qu'elle était, elle ne put qu'observer la Princesse s'échapper en rampant et repoussant avec aisance, d'un revers de bras, les divers sorts offensifs que Trust lui envoyait. Le golem, immobile, se tenait toujours dans le dos de cette dernière, qui suait à grosses gouttes et peinait à respirer tant son dernier sort lui avait coûté en magie. Dia était bien trop résistante, et invoquer une magie plus forte que la sienne avait fait se vider la mana de la jeune femme.

Luttant, en vain, pour se libérer, la meneuse des platins sentait son heure arriver, alors que les plaies de Dia Negacié se refermaient progressivement sous ses yeux...


---

« ... Je dois me dépêcher. »

Kami Raykovith s'approchait de Hevin Tyens, et forçait sa marche. Inquiet, il avait senti l'aura qu'il devinait être celle d'Ethel faiblir subitement.

« Comment as-tu pu tomber aussi rapidement, mon amie ? » se désespéra-t-il.

Au loin, le sable en mouvement prenait peu à peu une teinte violacée.

---

Rythme cardiaque accéléré, sueur grandissante. Ethel Trust, toujours immobilisée dans sa longue robe d'ébène, observait alternativement le Golem de Negacié et Dia elle-même. Prenant une grande inspiration, elle déclara :

« Sais-tu ce que tu es en train de faire, démon ? Tu ne sais que détruire, mais sais-tu ce que tu fus ? »

Sacrifiant sa propre condition physique au profit d'une dernière dose de mana, Ethel faisait mourir ses organes les plus inutiles pour en dégager de l'énergie qu'elle fusionnait avec des cellules magiques se situant au plus profond de son cerveau. Son visage se déformait de douleur et devenait toujours plus livide à chaque étape de l'opération, mais une puissance croissait terriblement vite en elle, exploitant au maximum la puissance de la Combination, alliant le plasma à la mana, la survie à la mort, alors que ce regard d'un pourpre démoniaque la dévisageait avec une rage et une curiosité partagées. Mais la première l'emporta finalement sur la seconde, car le Démon rétorqua :

« Vae Victis, humaine. N'adresse pas la parole à celle qui va te tuer sans qu'elle ne t'en ait donné l'ordre. »

Ethel sourit malgré la douleur qu'elle éprouvait. Peut-être restait-il un point faible à ce monstre, après tout ? Elle reprit, et prononça ce qui serait sans doute ses derniers mots :

« Nikki Katarilis, Karlina Meryne, Procréateurs de Combination, Projet O.B.E, Trenia Heqat... Kami Raykovith. »

A peine l'Impératrice eut-elle achevé d'appuyer ses dernières syllabes que Dia sentit le peu de cœur qui lui restait exploser en son être. Ses pupilles se rétractèrent, et elle tomba à terre, prise de violentes convulsions. Le ciel était à ses yeux vert, puis pourpre, puis violet, puis noir. Le sombre l'emporta finalement, et elle resta à terre, inerte, sinon pour les quelques mouvements de ses membres que l'inertie de sa crise de nerfs induisait.
Alors Ethel passa à l'attaque. Emanant de tout son corps, de son âme génitrice et Combinatoire, une infime sphère d'énergie couleur émeraude, comme un clin d’œil, alla frapper Dia Negacié. Toujours inconscient, le démon fut projeté dans les airs, et fut frappé de mille éclairs.
Ses cris inaudibles se perdirent dans la furie vengeresse qui acheva d'épuiser les forces de l'Impératrice. Toujours forcée de se maintenir en équilibre sur ses jambes immobilisées, cette dernière posa une main au sol, comme pour retrouver un Empire qu'elle croyait perdu.

Mais aussi vrai qu'un miracle n'arrive jamais par hasard, Ethel Trust se rendit rapidement compte que son ultime attaque avait échoué.
Dia Negacié, défigurée par l'attaque qui avait arraché la quasi-totalité de sa toge, se releva en tremblant de tout son corps. Son visage n'affichait plus aucune expression d'orgueil. Non, elle ne respirait plus qu'une haine indicible, d'autant plus que son cœur blessé avait retrouvé sa génitrice.


« Nikki Katarilis... »

Ethel afficha une expression de surprise. Avait-elle réussi à corrompre la corruption incarnée ? La Princesse observa son corps malingre et remarqua ce tatouage qu'elle avait sur l'épaule. La face crispée, elle voulut se l'arracher, et hurlant, fonça vers Ethel Trust à une vitesse si phénoménale qu'elle projeta du sable à des mètres à a ronde :

« JE NE SUIS PAS KATARILIS !! »

L'Impératrice eut le souffle coupé lorsque son opposante la frappa violemment à l’œsophage qu'elle avait affaibli. Elle ne sentit qu'à peine ses tibias se briser sous la violence du choc, et le sable moelleux la plongea dans une félicité paradoxale lorsqu'elle le heurta dans sa chute. Dia atterrit sur son abdomen, lui empoigna fermement le cou, et Ethel vomit une gerbe de sang. Ses yeux déjà se perdaient au loin tandis que son bras cherchait à tâtons le Démon.
Le regard trouble, le Spectre Platin approcha une main désespérée, qui effleura une première et dernière fois ce visage froid ; puis d'agripper ce bras implacable qui absorbait toute vie, et d'à essayer de le raisonner, s'en voir amputer...

Ethel voulut hurler, mais ses cordes vocales ne répondaient plus. Dia brandit avec triomphe la main arrachée à l'Impératrice, au bout de laquelle rayonnaient encore ces griffes mortelles, et elle la frappa, encore, et encore, et encore, sous les cris étouffées et l'hémorragie qui émanait de cette gorge transpercée de toutes parts.
La meneuse des platins, icône charismatique et pourtant déchue du monde d'hier, allait succomber rapidement à une violence qu'elle ne pouvait comprendre.

Avant de fermer les yeux pour l'éternité, elle les posa, dans le dos du Démon, sur un homme dont elle avait tant espéré, mais qui n'arrivait que trop tard... Néanmoins, elle eut un sourire triste lorsque, dans le corridor de la mort, elle comprit que, peut-être, la venue de cet infatigable messie signifiait l'espoir. Alors elle lui envoya le premier et dernier clin d’œil qu'elle lui eût jamais adressé, et Kami Raykovith, brûlant de rage, réveilla en lui une haine sans précédent.


Surpris, le Démon se dégagea du cadavre de l'Impératrice, et eut un rictus malsain en apercevant le Kaméen. Dia envoya un coup de pied dans Ethel, qui disparut dans un des trous noirs qui entouraient le lieu du massacre.

Alors elle éclata d'un rire insoutenable, qui résonna dans l'Empire comme le glas d'une éternelle défaite...
« Altea seit Ethel. Ton nom ne sera jamais oublié... » - Kami Raykovith
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Sergent Kami
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Re: Pantins, Impératrice et Amirale

Message par Sergent Kami »

Pas un mot n’avait de sens assez fort pour décrire le maelström de sentiments qui, derrière ce masque implacable et froid, martyrisait mon cœur. Indubitablement, le timing était incorrect, et cet infime retard dans la symphonie de la vie entraina la fin brutale d’un astre qui rayonnait dans les cinq. Malgré les nombreuses dissensions apparentes entre nos visions respectives, les années passant, de puissants liens avaient fini par unir nos destins transformant une rivalité apparente en la plus loyale des amitiés. Et pourtant, aujourd’hui, je n’avais su la protéger…

Tel un courant d’air, je traversais sous une forme éthérée le démon incarné et dans son dos, m’agenouillais là où Ethel avait disparut. Une main sur le cœur, je laissais couler une larme solitaire à sa mémoire tout en absorbant ce qu’il restait de sa magie bienfaitrice. La fresque azur qui ornait mon bras droit fut complétée par quelques douloureux glyphes supplémentaires.


Altea seit Ethel. Ton nom ne sera jamais oublié…


Et d’un coup de lame bien placé, le démon que j’avais pris le plus grand soin d’ignorer sépara ma tête et mon corps. Mais pas une goutte de sang ne tâcha le sable violacé, tandis qu’en deux endroits, ma dépouille roulait sur le sol de la capitale. Surprise par la facilité avec laquelle elle venait de clore son affrontement, Dia laissa échapper un rictus malsain, puis un de ces rires pétrifiants dont la princesse avait le secret. Car en cet instant, le démon se savait vainqueur, alors que ses plus fervents opposants venaient de rendre l’âme…

Alors, cela fait quoi de toucher au bonheur, puis de se le voir retiré ?

J’ai pitié de toi, idiote.

Sous les yeux d’une Dia prise au dépourvu, ma dépouille partit en fumée, qui se rassemblait autour d’un pan de mur que le combat précédant avait ramené au sol. Et lentement mais surement, je réapparaissais en un seul morceau, assis sur la roche dans une posture volontairement désinvolte.

Allons Dia, croire que l’on peut se débarrasser de moi aussi facilement serait m’insulter…


Je me relevais, agrémentant mon joli minois d’un sourire moqueur. Pour parfaire le piège, je lançais sur un ton assuré :
Allez gamine, viens prendre ta fessée.

La princesse blessée dans sa fierté ne put contenir sa colère et me chargea à une vitesse incroyable. Dans un nuage de poussière, je disparus, narguant à nouveau la mort. Du moins, je le pensais ; car au moment où je repris une forme physique, le sol prit une teinte écarlate. Rendu totalement indolore par la magie, la fine entaille sous mes côtes libérait un léger filet de vie. Mes reflexes, aussi aiguisés soient-ils ne me seraient d’aucune utilité face à la surnaturelle célérité de Dia.

Ce premier échange donnait toute la mesure d’un affrontement pour le bien d’une humanité qui ne connaitrait rien de la criante vérité…

Les deux protagonistes se firent à nouveau face, droits et fiers, et une fraction de seconde plus tard, l’impétueuse aura du kaméen, véritable déferlement gazeux aux airs de tempête fit face à la chaotique et non moins impressionnante aura d’une Négacié laissant éclater une haine frôlant la déraison.
De sa main décharnée la dame invoquait toute la colère du monde, qui se matérialisa en d’immenses colonnes de feu démoniaque. Il ne fallut qu’un instant, pour saturer l’air en magie, créant une immonde cacophonie, là où habituellement mon sixième sens me permettait de ressentir les flux d’énergie. Dia semblait avoir parfaitement appris sa leçon, car profitant de mon handicap, la princesse fit s’écrouler l’édifice incandescent en une pluie dévastatrice. Je pris alors conscience que mon opposante se jouait de moi dans une situation où j’étais la souris… Et quand, la pluie embrasée cessa, mon regard aiguisé ne vit qu’un trait de magie filer dans ma direction avant que je ne ferme les yeux en me préparant à une douleur… qui ne vint jamais. La bulle de lumière apaisante et protectrice qui m’entourait s’évanouit doucement.


Trust ! Depuis quand maitrises-tu sa magie ?



REPONDS !


Inconsciemment, je remerciais mon amie, sans qui ma survie aurait été compromise. Dire que tout cela était prévu et mûrement réfléchi aurait été mentir. Cinq minutes auparavant, je ne connaissais pas cet effet secondaire de l’absorption magique, car mes victimes n’avaient jusqu’alors eu aucune puissance particulière. Alors, me laissant aller au hasard de mes batailles, j’expérimentais en poussant les limites du connu, mettant ma vie en guise de gage au cas où le résultat ne serait pas celui espéré. La manœuvre prenant ici des airs de suicide venait contre toute attente de me donner une précieuse idée…

Visiblement vexée de n’avoir su me blesser plus profondément, Dia lança un second trait que j’amortis à l’aide d’une rune de protection. Au contact de la magie démoniaque, le bouclier se brisa en de multiple morceaux acérés qui sous l’impulsion de ma propre aura, tourbillonnèrent avant d’entailler la peau du démon. Touché également, je me laissais tomber au sol arborant une expression de douleur convaincante. La dame se planta devant moi. Nos regards se croisèrent, et alors que je feignais d’implorer la clémence, j’aperçus une lueur dans celui de la princesse.


Fais tes adieux.

Absorption.

Le lien magique qui venait de nous unir arracha à Dia une expression de souffrance, tandis que tout mon être s’embrasait dans la douleur sous chaque once de magie que je volais au démon. Pétrifié par le mal qui gravait à même ma peau de nouvelles runes issues d’un autre monde, je sentais mon esprit s’éloigner peu à peu du champ de bataille en rythme avec des cris de souffrance devenant plaisir d’une princesse saisissant l’occasion d’en finir.

Tu la sens n’est ce pas ? Cette magie qui se répand tel un poison… Peu importe l’issue du combat, toi comme moi savons que tu es mort, Andrew. Prépares-toi à plonger dans les ténèbres…

Et elle rit à nouveau, injectant toujours plus d’énergie dans le canal magique. Ne pouvant supporter de tels flux, le lien implosa, nous renvoyant chacun dans un coin du champ de bataille.

Emportée par sa haine, elle n’avait pas remarqué ces infimes pulsations qui parcouraient le sol. Il ne lui serait jamais venu à l’idée que pendant tout ce temps où je maculais le sable chaud de mon sang, j’invoquais des centaines de runes, que je camouflais immédiatement… Et que plus que ma victoire, mon unique souhait à cet instant était sa chute.

Nous nous relevâmes de concert, et cette fois, Dia ne fut pas la seule à charger son opposant. Au moment précis, où la paume de ma main droite toucha le buste du démon, à l’endroit de son cœur, j’injectais en elle l’humanité de Nikki que j’avais emmagasiné dans le voile… avant de m’effondrer deux mètres plus loin, un poignard planté sous le sternum. Et esquissant un ultime effort pour me tourner vers la princesse, je refermais le piège.


ENFOIRE ! QUE M’AS-TU FAIS ?


Commençant à sentir le manque de sang, je pâlissais malgré moi, ajoutant une touchante note tragique au sourire que je retournais à mon opposante.

Et maintenant que tu es en passe de disparaître, je vais montrer ce qu’est la souffrance.

Sans lui laisser le temps de répliquer, des étincelles émanèrent du sol puis de solides liens magiques semblables à des cordages apparurent aux mains et aux pieds du démon, reliant chacun de ses membres sur une prise au sol indépendante des autres. La princesse chuta, et fut maintenue le dos plaqué contre le sable brûlant. Alors les prises s’éloignèrent lentement dans un simulacre d’écartèlement, avant qu’en une toile digne de la bible, des centaines de runes s’illuminent et que la dame soit frappée d’autant d’éclairs.

Elle hurlait à la mort, alors que sous l’effet de la combination de l’Impératrice, Nikki perdait sa force démoniaque et retrouvait lentement le physique que je lui connaissais auparavant.

Lorsqu’enfin, le silence retomba tel un linceul, le champ de bataille avait troqué sa place pour les rues dévastées de la capitale platine. Une femme gracieuse d’un âge compris entre vingt-cinq et trente années galacticaines, le mètre soixante-quinze, se tenait à quelques mètres de moi et agitait ses fins cheveux d’or au rythme de son regard absent oscillant entre une sphère contenant toute la puissance qu’elle venait de perdre et mon corps à l’agonie…


(Voix faible) Détruis la sphère, Nikki…

***


A bout de souffle, mes yeux se fermaient d’eux-mêmes, alors que des voix résonnaient dans ma tête :

Peuple platin, ici le Commandant Ulrich Bohm à la tête des troupes du Veesna.

La capitale est cernée. Nous vous laissons deux heures pour envoyer un émissaire en vue d’une capitulation totale de l’armée platine. Si passé ce délai, nos exigences ne sont pas satisfaites, Hevin Tyens sera votre tombe.


Quasi-simultanément, je sentais un objet pointu me piquer au niveau du cou, tandis que l’on me maintenait fermement.


Et maintenant, si tu tiens à ton ami, tu vas absorber cette sphère de magie.


(Murmures)
Non… Nikki, je.. je…
Amiral Andrew K. R. Leister, dit le Feu, à votre service.
Un homme éclairé a écrit :Sergent dieu n'aime pas être contredit ! :evil:
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Kossnei
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Re: Pantins, Impératrice et Amirale

Message par Kossnei »

Il plut.

L'âme effacée, le regard vitreux, le corps rigide, Nikki Katarilis se lavait de Dia Negacié. Les larmes, telles de romantiques gondoles, fendaient les flots de ses pores, et se frayaient un chemin jusqu'à l'orée de son visage, le menton tremblotant qui le soutenait. Oui, Nikki Katarilis pleura, et il plut. Les cieux, dévastés par tant de violence démoniaque, se débarrassaient d'un échec du Voile, des excès inconsidérés d'un rebut d'ailleurs, qui s'il avait su s'échapper de sa prison de sable eût pu semer une colère sans égards pour nul d'entre les hommes, et invité nombre de ses collègues d'outre-monde à la tablée qu'on aurait diligemment dressé à la Néo-Corporation.
D'aucun prévoirait alors l'Apocalypse serait vu comme un dégénéré. Mais si quiconque ose aujourd'hui s'enticher d'un négationnisme fortuit se voit en l'Empire trancher la tête.

Alors la catastrophe exista, survint, arrive.

Et lorsque la dernière des gondoles eût jeté l'ancre à la commissure des lèvres de la jeune femme, les nuages s'évanouirent, et la clémence s'empara de Desertica.


« J'ai pas le temps de jouer », lança Nikki aux six Erynies qui lui faisaient face. Les pions de Negacié frémirent, se regardèrent, puis se dispatchèrent, de manière à former un cercle autour de la jeune femme, la première d'entre elles, Mires, Erynie de la mort, maintenant toujours un Kami impuissant et agonisant sous son joug.

« Allons, tu n'as plus aucun pouvoir... Regarde ton ami, il est prêt à mourir, que vas-tu faire ? Tu peux choisir de détruire la sphère, et de le voir mourir, ou alors de le perdre, et de t'en emparer. Ne veux-tu pas redevenir la grande Katarilis qui faisait frémir jusqu'aux Grands Conseillers, Princesse ? »

Nikki eut un œil mauvais pour Taika, l'Erynie de la Vie, puis sourit.

« Ferme-la. »

Le Voile s'ouvrit au-dessus de la tête de l'Amirale, puis vint frapper le corps inerte de Kami Raykovith.

« Prête-moi notre force », souffla-t-elle.

Un rayon émana du corps du Kaméen qui fit lâcher prise à Mires, et toucha de plein fouet la sphère de pouvoir. La fission fut violente, et une décharge magique d'une intensité rare déchaîna les éléments. Au milieu de cette tempête, Nikki tendit le bras et attrapa la demi-sphère, qui vint se loger dans sa paume. Aussitôt, une aura incroyable l'entoura, et elle jouit d'un frisson immense.
Levant la tête vers la brèche dans le Voile qui se refermait par la force de mille démons que renfermait l'autre moitié de la sphère, l'Amirale eut un rictus empli de détermination. Son regard reprit vie, et au plus profond de son cœur, cette Flamme qui s'était éteinte lorsque le Feu avait été soufflé se raviva de plus belle.

Alors elle baissa les yeux sur les Erynies qui se relevaient douloureusement, et déclara d'une voix ferme :


« Ah, vous l'aimez, cette Negacié, n'est-ce pas ? Et bien allez. Allez explorer sa vie, bande de lèche-bottes. »

Elle leva son bras libre, et les six sbires de la Princesse furent soulevées par une force et une volonté impétueuses. Alors Nikki ferma le poing, et banda ses muscles d'un coup sec. Les Erynies furent projetées dans les airs, et traversèrent l'embrasure de la porte du Voile, qui se referma derrière leur passage.

Soulagée d'un poids qui lui paraissait immensément oppressant, l'Amirale se déroba, et courut vers la dépouille de son ami.


« Kami... C'est pas vrai, dans quel pétrin je nous ai encore fourrés... »

Observant les quelques blessures de l'homme, elle comprit que c'était la magie qui l'avait usé, et non la puissance du démon qu'il venait de vaincre. Elle passa une main habile à deux pouces de son corps, percevant chaque vibration qui en émanait. Fermant les yeux pour se concentrer, la jeune femme n'eut pas de mal à repérer les sévices qu'avaient laissé la Combination, ainsi que ces jours de lutte psychologique qui avaient altéré l'esprit du Kaméen.

Prenant une grande goulée d'air, la jeune femme murmura d'un air grave :


« Ok... c'est parti. »

Une lumière rougeoya qui chassa les vieux souvenirs de cet abominable pourpre qui avait fait tant de victimes, et ce fut bientôt le couple qui en fut bercé, choyés qu'ils étaient par la chatoyante bougie humaine. Y mettant toute la force de son âme, toute la passion des sentiments qu'elle éprouvait pour Kami, ainsi que la puissance magique qu'elle venait tout juste d'appréhender, la jeune femme se vida de toutes ses ressources, et le corps de l'Amiral devint bientôt plus rosé, et la vie lui revint.

Imprécise dans ses mouvements, affaiblie par les morbides perspectives qui assaillaient son esprit, Nikki tremblota, s'avachit puis s'effondra sur le visage du Kaméen alors qu'il rouvrait des yeux rougis par la douleur et l'épuisement. Les lèvres depuis si longtemps séparées se lièrent à nouveau, et un festival de lumières flotta au-dessus des amants, alors qu'Ulrich Bohm, quelque part au-dessus d'eux, jouissait d'une félicité sans égale, et que le ciel s'embrasait d'une colère dont ils n'avaient cure.

Les missiles Veesniens planèrent un temps qui leur sembla durer une éternité au-dessus de leurs têtes...


Une cape flotte au vent, loin là-bas sur la colline, et une paire d'yeux d'un bleu électrique les observe avec un intérêt prononcé, avant qu'une phrase, perdue dans le sifflement des obus, s'envole :


... ce n'est pas fini.
« Altea seit Ethel. Ton nom ne sera jamais oublié... » - Kami Raykovith
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