A coeur vaillant...

Tout le role-play qui ne rentre dans aucune autre catégorie

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Kalyso
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A coeur vaillant...

Message par Kalyso »

Ses longs cheveux tressés à la hâte, paumes et joues couvertes de fines égratignures, elle s'extirpa dans un grognement de sous les branches mouillées, et continua son escalade. La pierre glissante et l'obscurité encore trop épaisse ne l'autorisaient pas à aller trop vite. Elle estompait les pensées que le temps ralenti laissait approcher en parlant seule, pestant contre sa forme physique amoindrie, riant de blagues potaches qu'elle aurait faites à un acolyte, fredonnant, finissant par sévèrement s'intimer le silence, pour sempiternellement reprendre son soliloque quelques instants plus tard.

Les vies vécues, son âge, les départs, le désœuvrement, l'Autre, l'avaient éloignée de tout. Voilà longtemps qu'elle ne s'étaient rendue au Siège de la Corporation. Les photos qui en ornaient les murs, les noms écrits sur le registre des salles ouvertes, lui étaient majoritairement inconnus. Quand elle survolait les journaux, écoutait les brèves à la radio, regardait les caricatures, les satires, elle souriait de savoir ce monde toujours en vie, sans plus en connaître les rouages.

L'ancienne Grande Conseillère avait investi une partie de sa fortune dans une gigantesque bâtisse, un ancien palais, aurait-on dit. Elle avait employé les hommes du village voisin à sa reconstruction, et son entretien. Les enfants étaient arrivés petit à petit. Nul ne savait vraiment d'où ils venaient. Ils apparaissaient, un par un, souvent faibles, presque « vides », et se gorgeaient d'une vie dont la bâtisse semblait également se repaître. Très vite, les couloirs résonnèrent de bruits de courses et de rires. On y ouvrit une école, où s'inscrivirent également les enfants du village, une bibliothèque, et une auberge. Une vie parfaitement anachronique, et parfaitement heureuse, loin de l'incessant vrombissement des cinq, s'était installée au milieu de nulle part.

Il lui arrivait de revoir d'ancien compagnons d'armes, de route, d'aventure ; de partager un repas, des souvenirs, des opinions. Sûrement pas de projet. Beaucoup, comme elle, contemplaient de loin, un sourire en coin. Certains, rares, se battaient encore. D'autres n'étaient plus qu'un nom effleurant ses pensées lorsqu'il lui arrivait d'arpenter les archives de la Corporation, ou sa propre mémoire. Rien n'était nié, rien n'était enterré, tout était simplement rangé. Accessible, mais intouché. Et c'était bon. Elle était en paix.

Elle fournit un dernier effort pour se hisser, haletante, au sommet. Riant de son piteux état, elle s'assit en tailleur, et attrapa une gourde dans son sac à dos. Elle était arrivée à l'heure voulue pour capturer, une main en visière, l'aube Vertanienne. Le soleil sortait paresseusement de derrière la cime des arbres, au loin. Derrière elle, Desertica et Aquablue flamboyaient encore dans le ciel nocturne. Elle sourit.

--

Des années plus tôt, dans un lointain ailleurs...


Des banderoles chatoyantes souhaitaient la bienvenue aux voyageurs venus des quatre coins de la Galaxie de Luk, en les trois langues officielles du Consortium A.L.E.. Elles flottaient le long des routes séparant l'Astrodrome des quatre villes côtières d'Ikra, couvertes d'un flux continu de véhicules multicolores.

L'unique île de la planète bleue accueillait trois fois par siècle ces réunions pacifiques, où traditions et dialectes se fondaient en un interminable et bruyant océan de rires. Trois fois par siècle, l'étendue de terre était noyée, débordait même sur les flots, vomissant pontons, barques, nageurs. Des grattes-ciel construits pour l'occasion à la plus petite cabane de pêcheur, en passant par les villes cédées par les fantômes pour ces quelques jours, chaque espace était occupé. Les guides polyglottes s'improvisaient négociants, infirmiers, hommes de foi, glissant d'un culte à l'autre au gré de leurs rencontres. Chacun y trouvait son compte dans l'attente patiente du moment où, enfin, la Nature offrirait à ses enfants son cadeau le plus précieux.


-

Elle poussait des cris muets, et tournait sur-elle même, se tordant les mains, se mordant la lèvre, se cognant la tête contre les murs de la pièce. C'était si douloureux, si douloureux. Cette attente, cette faim, cette peur. Des années, des siècles, que cette colère la rongeait, menaçait de faire craquer les coutures de sa peau, de sa tête, trop étroites pour cette force insatiable, terrifiante, grandissante ! Un ultime cri, un craquement, une chute, des pleurs, les tremblements, les larmes, la sueur, la peur, la faim. LA FAIM !

-

Il s'était perdu quelques instants dans la contemplation de la voute étoilée, et avait laissé échappé la petite main chaude. Les néons et holo-messages avaient été éteints quelques heures plus tôt, invitant la calme procession à rejoindre la plage blanche. Aucune lumière ne dansait plus sur les visages anxieusement tournés vers le ciel, que celle, pâle, renvoyée par les astres. Et, malgré la compacte et effrayante marée humaine qui finissait de se déverser sur les confins terrestres de la petite planète, aucun bruit ne parvenait à couvrir l'apaisant ressac. Celui-ci rythmait l'avancée de la foule, hypnotisant. Parfois, une explosion de joie, un sanglot, un rire, une chute, venaient troubler la marche, avant d'être happé par le murmure des pas sur le sable, et le bris de l'écume gourmande. Elle rit, ramenant une joie un peu niaise sur son visage, et ses bras autour de son cou. Elle l'avait retrouvé avant qu'il ne parte à sa recherche. Leur marche s'arrêtait là. L'eau, dans laquelle ils étaient plongés jusqu'à la taille, était d'une douceur de lait. Elle vint se blottir contre lui, et ils s'unirent dans un baiser salé, dans un gloussement complice.
Ils faisaient l'amour au moment où les lumières s'étaient éteintes.

-

Enfin, l'heure arriva. Le cri se résolut à quitter le corps, et laisser dans ses poumons la place pour une gorgée d'air qu'elle avalât goulument. Il résonna un instant contre les parois de sa capsule, puis sembla les franchir, et résonner dans le lointain. Elle cria, et respira, et cria encore, les mains collées contre sa tête. Elle hurla sa colère, sa douleur, sa peur, sa faim, elle les vomit sur ce monde malade, le condamnant pour ses péchés, à la rejoindre pour un apaisant instant dans sa solitude.

-

C'était comme les anciens l'avaient promis. Une explosion, une félicité, un orgasme. Tous leurs sens furent caressés par les gouttelettes argentées. Ils riaient, tapaient des mains, dansaient, la tête tournée vers la nuit, la bouche ouverte. La promesse, l'Avenir. Une fois encore, la Nature avait tenu parole. Ils étaient de ceux qui s'étaient le plus avancé dans l'eau. Ensemble, ils s'allongèrent, et se laissèrent dériver, main dans la main. La pluie ne cessait de tomber, douce-amère, sur leurs visages offerts. Assez loin des côtes, ils se redressèrent dans l'eau, et rirent de voir leurs pairs partager leur bonheur, regarder vers l'avant. Les astres déversaient des trombes d'eau et de lumière, les airs portaient des hymnes de joie, des feux furent allumés, et s'élevèrent, colorés, dans le ciel. Ils s'aimèrent encore, sans pudeur, sans cesser de rire, observant le visage de l'autre passer d'une teinte à l'autre.

Et la réalité les frappa, brutalement.

Un coup de rame sépara leur étreinte, un autre envoya Beltokjën loin, dans les profondeurs marines, subitement rougeoyantes. Les barques quittaient le rivage, des cris de détresse avaient remplacé les chants glorieux, les feux redescendaient sur la terre, les astres même s'écroulaient sur l'incontrôlable foule. La foule, qui se jetait dans les terres, terrible et compacte, hurlant de terreur, glissant sur les corps, restes humides d'un bonheur fugace. Des embarcations surchargées se retournaient, des jetées s'effondraient.

La mort les bordait doucement de son imperméable voile. Il ferma les yeux.

-

Ses paupières s'ouvrirent doucement. Elle avait dû perdre connaissance. Ses iris étaient noyés sous des nervures sanguines, son cœur avait retrouvé un rythme normal. Claudiquant vers le hublot, elle observa un nuage de vaisseaux désordonnés fuir le caillou flamboyant qu'était devenue Ikra. L'explosion survenue dans le heurt de deux croiseurs la fit sursauter. Une main sur le ventre, reprenant son souffle, elle se détourna et boitilla jusqu'à un panneau lumineux. Un grésillement, une voix, des coordonnées, son faible sourire.





Les éclats des voix de la maitresse de maison et son étrange visiteur parvenaient aux oreilles de Soumerky sans qu'elle ne distinguât le sujet de la conversation pour autant. Elle avait décidé de profiter de l'entretien pour venir déposer les affaires trempées de sa tutrice dans la pièce attenante au bureau de cette dernière. Après tout, sa tutrice aurait peut-être besoin d'avoir accès à son sac, ou sa veste trempée. Sol et sa queue battante sur les talons, elle arpentait donc la petite pièce en quête de l'endroit idéal où poser les affaires.

Il arrivait souvent à Kalyso de partir pour plusieurs jours, aussi, personne ne s'était étonné de ne pas la voir à la table du petit déjeuner, quatre jours plus tôt. Elle partait souvent, restant vague quant à ses destinations et objectifs, et revenait parfois morose pour s'enfermer dans la bibliothèque, ou au contraire, rayonnante et enjouée. Durant ses absences, les petits se précipitaient à la fenêtre au moindre bruit de moteur, impatients de retrouver les mains chéries, et les poches pleines de cadeaux.

Le moteur qui avait réveillé la maisonnée ce matin-là appartenait à un chasseur, qui vint se poser dans une clairière. Un homme en était sorti, haut, droit. Il portait les cheveux longs, et une drôle de cape bleue. Une cicatrice lui barrait le bas du visage, et il tenait entre les mains un lourd volume d'apparence ancienne.
C'est Alyia, la gouvernante, qui l'avait accueillit, lui expliquant qu'elle ne saurait quand rentrerait la maîtresse.

Il attendrait, tant pis.

Kalyso était rentrée quelques heures plus tard, encore humide de l'averse essuyée la nuit passée, mais radieuse. Elle avait adressé un signe à la fenêtre de la classe de M. Kint, et gratté Sol derrière les oreilles, avant de prêter enfin attention à l'inconnu lisant à la table de la cuisine. Ils s'étaient étudiés en silence quelques instants, et elle l'avait invité à la suivre dans son bureau, pour quelques heures de mystérieux pourparlers.

N'y tenant plus, et s'approchant sur la pointe des pieds de la porte, Soumerky entendit une partie de la réponse de Kalyso par la porte entrouverte.

Je sais que vous ne mentez pas, et j'entends ce que vous dîtes. Je ne peux cependant vous appuyer. Nous sommes loin de sa trajectoire, croyez moi, et présentons un intérêt tout relatif à ses yeux. Aller la provoquer, attiser sa colère, serait une folie. Nous n'avons plus les moyens de nous battre contre ce type de menace. Vous trouverez, j'en suis certaine, un asile tout à fait confortable sur les cinq. Je peux même vous proposer un toit ici. Votre équipage trouvera sûrement de quoi faire, cet univers est vaste. Mais je ne tenterai pas le Diable, aussi avide et justifié soit votre désir de vengeance. J'ai maintenant trop à y perdre.

Le bruit d'un poing sur la table, des yeux gris emprunts d'une peur inconnue, suppliante, plongés dans ceux de Soumerky, la porte qui claque. Les pas de l'homme, sa voix qui reprend. Il fut question d'une armée, de subventions, de Grand Conseil, de relations,... La voix, tour à tour hurlement menaçant, lame brisée, humble murmure cajoleur, se heurta au même ton catégorique, inflexible. Jusqu'au bruit de pages qu'on tourne, de l'évocation d'une traversée, d'un trouble naissant... Ces mêmes yeux gris, apeurés, puis une force invisible, qui repoussa l'enfant loin de cette pièce, loin de ces murs, avec une irrépressible envie de rejoindre les autres au soleil, et de ne surtout pas s'intéresser au monde des adultes, avant très très longtemps.
Endy
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Re: A coeur vaillant...

Message par Endy »

Le son s'éteint dans l'espace. Calme, sourd, avec pour seule lumière un astre mourant. Un dernier soupçon d'espoir dans cet océan placide qui périt lentement.

A son dernier instant, un soubresaut. Comme la caresse d'un souvenir de printemps, le vrombissement mécanique d'un chasseur perce la fabrique même du temps et de l'espace. Le soleil s'est éteint, il ne reste plus rien de ce qui fut le Tout.

Un nouveau monde, au bout du tunnel.

L'horloger

Dans la carcasse vibrante du chasseur, des hommes s'affairent. Ils sont assis devant des écrans disséquant l'univers pour en palper l'essence. Sur un siège proéminent, une silhouette d'homme à la stature imposante. Tout est écrit sur son visage, tout peut s'y lire et pourtant sa colère n'a jamais connu de pair.

Sa voix retenti et ordres sont donnés. Comme s'il s'agissait de prières, l'équipage s’exécute.

Les analyses sont formelles, l'univers est habité. Une intelligence profonde, partagée, inonde le cockpit d'un souffle muet mais heureux. Seul celui qui semble être le commandant de bord n'a pas changé d'expression, sa respiration reste lourde et chargée de larmes qui ne coulent pas. Son cœur s'est tari et sa misère est asphyxiante, il n'a pourtant d'autre choix que de poursuivre sa quête. Il a juré, promit sa vengeance.

Mais sa folie n'est pas dupe, son âme peut s'être fanées mais son esprit est lucide. Il aura besoin d'aide.

La Quête

Comme une vitre se brise, le voile se découvre. L'oiseau de métal éclos, ses contours s’établissent. A peine est il né qu'il sait déjà voler et dans un éblouissement pale, il s'étend. Bientôt la lumière l'abandonne, memorabilia d'un temps qui n'est plus.

Les mains sont agitées sur les claviers opalescents, au frôlement d'un doigt un visage s'affiche sur l'écran principal. C'est une femme. C'est une destination: Planète Vertana, Kalyso. Une longue liste s'imprime détaillant son histoire.

Le regard de l'homme glisse sur l'affichage et, d'un hochement de tête, confirme l'ordre.
Dans ses entrailles il ressent toute la haine barbare, la violence, l'animosité dont il sera capable. Lui que le destin a choisi pour servir son funeste dessein peut enfin jouir d'un moment enflammé. Au creux de ses plus sombres cauchemars se blottis tendrement une haine sans nom et son regard se perd de nouveau comme absorbé par l'abysse d'une crevasse vers l'enfer au fond de laquelle Il se perd tout le temps, meurtri, comme un animal blessé qui gît sur son flanc. Il y assemble ses forces et passe en revu tout ce qu'il sait, tout ce qu'il a vu, revivant sans cesse le sang, la destruction, le déchirement, l'être aimé qui disparaît dans un brasier ardent. Il sait ce qu'il faudra dire, il a déjà tout prévu. Tout se passera comme prévu.
Endy
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Re: A coeur vaillant...

Message par Endy »

Je sais que vous ne mentez pas, et j'entends ce que vous dîtes. Je ne peux cependant vous appuyer. Nous sommes loin de sa trajectoire, croyez moi, et présentons un intérêt tout relatif à ses yeux. Aller la provoquer, attiser sa colère, serait une folie. Nous n'avons plus les moyens de nous battre contre ce type de menace. Vous trouverez, j'en suis certaine, un asile tout à fait confortable sur les cinq. Je peux même vous proposer un toit ici. Votre équipage trouvera sûrement de quoi faire, cet univers est vaste. Mais je ne tenterai pas le Diable, aussi avide et justifié soit votre désir de vengeance. J'ai maintenant trop à y perdre.

L'instant était lourd, la tension palpable. C'était un de ces moments qui s'imprègnent dans les murs, dans les pierres, un de ces moments qui appartient à l'histoire mais ne le sait pas encore. Ce moment qui s'oublie lentement sans jamais disparaître entièrement.

Il avait atterri tout proche de la demeure imposante où séjournait l'ancienne conseillère Kalyso. Il émanait de sa personne tant de détermination et d'amplitude que la sécurité s'était abstenu d'intervenir quand cet inconnu au vaisseau d'un design étrange avait pénétré l'enceinte du manoir. Après tant d'années, Kalyso n'avait eu aucun mal à reconnaître l'importance de la requête qui lui était présentée.

Quelques heures de discussion plus tard, les portes du bureau s'ouvrirent devant les pas empressés du mystérieux inconnu. Peu de temps plus tard, le vacarme assourdissant des moteurs se faisait de plus en plus sourd dans le lointain des cieux Vertanien, bientôt les yeux qui s'était attardés sur la trajectoire de l'étrange vaisseau ne discernèrent plus qu'un point sifflotant le long de la barrière que crée la nuit et le jour au couché du soleil.

La vie reprenait son cours pour les habitants de l'endroit, imperméables à la tragédie qui déroulait son acte sur la scène universelle. Kalyso avait refermé les portes luxueusement sculptées de son office et n'en était toujours pas sortie bien après le lever du soleil.

----

Cela faisait des années maintenant qu'Endymion n'avait pas remit les pieds au siège de la corporation. Des années qu'il avait raccroché son manteau de Grand Conseiller. Quelques jours plutôt pourtant, l'appel d'une vieille amie perdue de vue avait su faire souffler de nouveau en lui la brise rafraîchissante que seul le souvenir des tendres années pouvait animer. Une certaine nostalgie l'avait gagné: le brouhaha galacticain, l'agitation du centre, la Corporation Galactique, cette intense furie qui déchaîne les cœurs au moment de se déclarer la guerre, qui vous fait oublier le prix humain de la décision qui s'apprête à tomber.

Il avait fait préparer un transport, rattaché sa vieille cape autrefois luxurieuse désormais poussiéreuse et son esprit parcourait impatiemment tous les visages qu'il reconnaîtrait au moment de son arrivée.

Le transport décolla avec peine et, comme un jeune officier au commande de son premier vaisseau, Endymion intima l'ordre qui allait bouleverser sa vie de nouveau.

"Capitaine, direction Galactica, déposez moi à la corporation je vous prie."
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Kalyso
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Re: A coeur vaillant...

Message par Kalyso »

La densité de population était telle en ce quartier de la capitale d'Orilla que l'exode massif des habitants des Cinq semblait n'être qu'une fable. L'état, une des plaques urbaines les plus importantes de Galactica, se distinguait par le confort et la modernité de ses infrastructures. Outre sa puissance militaire, c'est sa proximité avec le Siège de la Corporation Galactique qui permettait à ses dirigeants d'en maintenir la richesse à un niveau enviable. Sa population était par ailleurs majoritairement...éphémère – chefs d'états intervenant au Sénat, touristes, accros au shopping, aspirant businessmen en tous genres (et souvent de passage!). Le perpétuel mouvement qui caractérisait l'état – ironiquement opposé au flegme quasi provocateur de son chef – en faisait une de ces interminables métropoles qui ne connaissent le sommeil.

Et comme tout état-monde aux promesses scintillantes, l'Orilla n'abritait pas qu'une hystérique et infatigable jeunesse. Les papillons de nuit, abreuvés de lumineux espoirs, les ailes brûlées, en étaient les résidents immobiles. Ils ne s'envoleraient plus – à quoi bon ? S'ils n'avaient trouvé de jardin luxuriant sur la Terre Promise même, pourquoi s'obstiner ? A l'inverse des descendants du peuple fondateur - joyeux alcooliques, nonchalants à l'image de leur dirigeant, bons vivants perpétuellement vautrés dans une souriante inconscience et ne chérissant l'effort que lorsqu'en découlait une capiteuse récompense – ils vivotaient. Certains, butinaient un insipide quotidien, apaisés par l'idée que leurs placards abritaient les mêmes trésors que leurs écrans. D'autres se lovaient, plus ou moins grassement dans les bas fonds, recréant une société moins rutilante, mais plus étendue que celle d'en haut, dont ils se voulait le reflet ténébreux.

Et c'est précisément cette obscure frénésie, un peu sale, trop bruyante, dont tout corps étranger était systématiquement recraché après une douloureuse mastication que traversait la jeune femme. Le pas certain, mains dans les poches, capuche rabattue laissant uniquement s'échapper quelques mèches ondulées et un regard gris, une bosse sans équivoque contre le flanc, Kalyso se fondait dans les ruelles comme une chatte de gouttière. Elle hésita à quelques croisements, revint sur ses pas à deux reprises, puis, s'autorisant un sourire satisfait, finit par s'engouffrer dans un passage du temps où les tavernes de pierre faisaient également office de cantine, dortoirs, résidences secondaires, lieux de débat, de réflexion, et de travail.

La désagréable appréhension d'une embuscade tendue par son invité surprise, trop honnête, trop engagé, lui donnait mal au ventre. Elle n'était plus seule, à courir sur une corde raide. Sa chute en entraînerait d'autres, qui ne le méritait pas, et surtout ne s'en remettrait aucunement. Elle n'avait plus le droit de se comporter en enfant irresponsable. Mais... chassez le naturel.... Soupirant doucement, elle ralentit le pas. Troisième à droite, après Le Compagnon... Elle plongea sous une pile de vieux tapis, et, toussant, souleva la grille qu'ils dissimulaient.

Orilla, hein, où même les oise*ux ont des nids mécaniques....

Prenant grand soin de dissimuler l'entrée de fortune, elle se glissa dans le ventre de la bête.

S'arrêtant pour scruter à la lumière de son holo transmetteur les faux-graffitis-vrais-plans, essayant de se convaincre qu'elle ne confondait pas les symboles indiquant les pièges avec ceux renseignant les sources d'e*u potable, elle s'enfonça loin dans les profondeurs rugissantes de la ville. Quelle heure pouvait-il être ? Les égouts semblaient digérer un milliard de repas... Elle souriait bêtement à cette pensée enfantine, quand un bruit inhabituel – même pour l'endroit – retint son attention. Elle n'était pas seule. Donc près du but. Les guetteurs l'avaient sûrement repérée au moment où elle avait posé le pied dans la ruelle du Compagnon. Peut-être même suivaient-ils sont avancée depuis son plongeon dans le miroir. Dans tous les cas, ils avaient été informés de sa venue, tenta t-elle de se rassurer en jouant avec la crosse de son arme.

Cela ne vous sera d'aucune utilité, Grande Conseillère. Nous vous attendions...

La voix était froide, coupante. Elle avait quelque chose de reptilien. La jeune femme ne put cependant réprimer un sourire en entendant l'évocation de son ancien titre, et l'effort mis dans une intonation avenante.

Voilà des siècles que personne ne m'a appelée ainsi. Je ne suis même pas sûre qu'à l'époque, qui que ce soit se fut aperçu que j'en aie été ! Mais au nom des bons souvenirs, hein !


Le léger tremblement de sa voix ne parût pas l'avoir trahie. Son invisible interlocuteur se contenta de renifler, avant de s'enfoncer plus loin dans l'obscurité.

Bon... J'imagine que c'est une invitation à vous suivre ?


Pas de réponse. Elle le suivit dans un dédale de tunnels d'une autre époque. Il lui était impossible d'évaluer la distance, ou de tenter de se remémorer le chemin emprunté. Son guide devait la faire tourner en rond, essayer de la perdre ? Espérant qu'il s'agisse d'une mesure de sécurité et non d'un piège, elle s'amusa à imaginer le nombre d'état qui s'étaient succedés sur ces terres. Les fondations de combien de peuples pouvaient-ils bien avoir traversées ? Il était impossible que les joyeux drilles, aussi agréables que contre-productifs, aient réussi si non par accident à coloniser ces terres, s-y installer, s'y développer, et s'y maintenir en vie.. Cela dit, l'espace occupé par l'Orilla n'avait de cesse de s'étendre. Et c'est bien les ivrognes qui étaient en charge. Elle pensait qu'il lui faudrait enquêter sur le sujet (si on la laissait remonter à la surface...), quand son guide s'arrêta.

Nous y sommes ?

Pour toute réponse, le clapotis lointain des e*ux usées.

Et mer...

La vitesse à laquelle le canon s'était glissé entre ses omoplates ne lui avait laissé le temps de se défendre. Elle leva les bras, murmurant d'une voix du calme de laquelle elle doutait légèrement.

Etait-il nécessaire de m'emmener si loin pour me refroidir ?

Qui parle de vous refroidir ? Ce n'est qu'une mesure de sécurité. Soyez gentille, Dame Kalyso, et donnez-moi – doucement ! - votre arme.


L'accent de l'homme qui venait de parler, rugueux, grave, froid, la fit tressaillir. Elle ne l'avait entendu depuis des lustres. Etrangement rassurée, elle s'exécuta.

Je n'ai rien d'autre, vous pouvez fouiller...

Une main, puis une autre, vinrent se poser sur ses épaules, palpèrent ses bras, son abdomen, ses jambes, ses bottes, avant d'être ravalées par les ténèbres. Un hochement de tête, peut-être, ou un bras levé, et un hurlement trancha le silence. Il s'avéra être le grincement d'une lourde plaque, dont l'ouverture libéra une lumière, aussi coupante que le bruit, et qui éblouit la jeune femme. Comment pouvait-elle être aussi aveuglante ? Tu deviens vraiment de moins en moins attentive, ou de plus en plus idiote. Voilà belle lurette que vous n'êtes plus sous terre. Des fondations souterraines... Ben voyons...

Enfin, une main sur les yeux, elle put distinguer quelques formes, dont les contours se précisèrent bien vite. Ce qu'elle regretta presque aussitôt. La boule au fond de sa gorge en profita pour exploser en un sanglot, unique, sec, après lequel elle parvint à se ressaisir.

Ce n'était pas un piège. Il n'avait pas exagéré non plus. Lentement, elle inspira.
Endy
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Re: A coeur vaillant...

Message par Endy »

D'une voix froide et dénuée d'expression, le système automatique avait annoncé la descente atmosphérique. Le vaisseau tremblait à peine sous les chocs et la pression que l'atmosphère galacticaine, pourtant lourde de tous les gaz que vomissaient les multiples usines qui s'étendaient à la surface de la planète, exerçait déjà.

Il était assis là, perdu dans ses souvenirs, lui même n'étant plus que le pale reflet de ce qu'il était alors. Il se souvenait de ce décors unique, la désolation grandiose de la Corporation, ses bâtiments d'acier et de béton, enrobés de marbreries et autres atours comme un femme se pare de bijoux, le jardin où il avait passé des heures à lire et relire les plus vieux grimoires restés intacts depuis des millénaires et la tour du Grand Conseil où il avait jadis exercé son autorité.

-C'est une vieille dame à qui je rend visite aujourd'hui

Il s'était surpris lui même lorsque le son de sa voix rebondi sur la paroi épaisse d'acier du transport qu'il avait affrété. Reprenant ses esprits, il se souvent que le système était programmé pour faire la dernière annonce 1 minute avant l'arrivée, juste le temps de se rendre présentable.

- 200km avant destination, activation du tampon gravitationnel imminent, veuillez rester assis. En cas de malaise, vous trouverez sous vos sièges une poche destinée à cet effet.

Ce transport était tout ce qu'il restait de son glorieux empire. Seuls quelques officiers lui sont restés loyaux et avec eux le pilote, un jeune homme encore qu'il appréciait comme l'enfant qu'il n'avait pas su avoir. De l'argent, il n'en avait presque plus. Ces dernières années avaient puisé dans les derniers crédits qu'il possédait mais le peu qu'il possède encore lui suffit.

Le bruit des moteurs s'estompa peu à peu et les portes s'ouvrirent. Il était presque impossible de distinguer de l'intérieur d'un vaisseau s'il se meut ou non ce qui cause parfois d'étranges comportements chez les moins aguerris. Parfois la panique devant l'ouverture des portes, parfois des malaises comme annoncé auparavant.

Le soleil artificiel jetait sa lumière aux pupilles d'Endymion. Aveuglé par celle ci, le jeune homme ne pouvait distinguer l'extérieur. Ses yeux s'habituaient peu à peu mais le monde alentour était encore dissimulé comme sous un voile de soie fine.

Pour Endymion, comme pour beaucoup d'autres, la Corporation était le centre imaginaire de l'Univers. Une bulle de sécurité, de stabilité, comme la matrice pour le foetus, qui n'avait ni la possibilité physique ou métaphysique ni même le droit de changer sa forme ou son concept.

La première chose qu'il ressenti fut le vent, un vent étrange et mélodieux, lui rappelant Vertana puis l'odeur des feuilles vivantes et joueuses dans la brise puis vint le son des mammifères ailés qui peuplent les forêts de la grande Verte.

Sa pupille se rétrécissait désormais et les premiers contours apparaissaient comme un rêve s'estompe. La vue enfin retrouvé, c'est son souffle qui se coupa d'un trait.

Là où s'étendait autrefois le palais de la Corporation, tout vêtu de son costume de dorures comme un enfant d'église, un arbre gigantesque prélassait ses feuilles comme on dore au soleil.

- Merde...

A peine les deux pieds au sol que le transport et son équipage s'envolaient déjà vers un hangar lointain soutenus par une main de métal luisant qu'on eut dit sortie des chaînes de production Solarienne d'Aquablue.

Le sang frappait ses tempes dans un boucan frénétique, les badauds assistaient au spectacle qu'il offrait et sans aucune forme de pitié l'abandonnèrent aussitôt que son premier genou toucha terre. Le deuxième suivit peu après. Le visage enfouit dans les mains, il ne comprenait pas.

La corporation, siège des déclarations de paix et de guerres, n'avait que rarement été la cible d'attaque d'une envergure suffisante pour transformer le lieu de telle sorte. Le siège du pouvoir avait maintes fois était pris et reconquit plus tard mais détruit? Jamais.

Les questions affluaient et personne ne semblait vouloir y répondre. Il s’avança péniblement vers ce qui ressemblait à la réception. Il y trouva un vieil ouvrage sur lequel, inscrit en lettre d'or, on pouvait lire "DON'T PANIC". Au dessus du petit comptoir sur lequel ce dernier était posé, libre à consulter pour tous, un petit projecteur holographique qui affichait en ellipse les cinq planètes du système galacticain.
D'un doigt aventureux il effleura la plus sombre des Cinqs et une liste de nom s'afficha instantanément. Il parcouru la liste par ordre alphabétique.

Il lui fallait des réponses, il avait vécu en autarcie, coupé du monde extérieur, de la politique, à l’abri des bombes et des tourments politiques. Lui qui autrefois avait prit des décisions au nom de l'Univers ne savait plus faire face au changement que son ermitage prolongé avait rendu massif et brutal.

- L'Orilla...

La décision était prise, il n'y avait plus de doute dans son esprit. Il était temps de rendre visite à son ancien collègue et ami, Lord Yu.
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Kalyso
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Re: A coeur vaillant...

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Les flots, calmes après la tempête, roulaient sous la caresse du soleil, promenant à des lieues ses rayons, se laissant traverser jusqu'à des profondeurs rarement sondées par les iris écarlates. Les oiseaux, profitant du répit offert par les éléments, cherchaient, curieux, ce que les abysses avaient à leur dissimuler si jalousement. Sous l'éclatante surface, brisée ça et là par les rencontres un peu trop allègres des vaguelettes, pierres scintillantes, forêts de coraux, bancs d'écailles, tous plus heureux les uns que les autres de renvoyer enfin au jour un peu de sa lumière.

Une attention particulière aurait sûrement été retenue par le minuscule éclat s'éloignant à une vitesse folle des tâches de lumière. Ne se lassant jamais de ces parties de cache-cache avec Dame Nature, non content de provoquer ses habituelles prédateurs marins, le petit triton profitait de l'éclaircie pour narguer également les ombres flottant là haut, dans le ciel. Sans effort, il se glissa dans un trou minuscule, ne laissant à son public que le souvenir incertain d'un mouvement doré entre les pierres. Quelques instants, et le voilà qui reparût derrière la barrière de corail. Un rapide mouvement de la queue, et il replongea dans un nuage de sable bleuté.

A quoi occuperait-il sa journée ? Jouerait-il à chevaucher les vagues ? Ou se réchaufferait-il sur une pierre, plus près de la surface, paressant, les yeux fermés ? Une ombre inquiétante le décida finalement à rejoindre les Sirènes. Leurs chevelures soyeuses, leurs doigts couverts de mousse, les bulles éclatant en même temps que leurs rires, étaient son terrain de jeux préféré. Il serait choyé, nourri. Peut-être l'emmèneraient-elles près de la chaleur, à l'abri de leurs nageoires colorées ? Un nouveau coup de queue, et il fila entre les herbes marines, accordant à peine un regard aux mollusques outrés dont il troublait le sommeil. Ivre de la perspective de se lover amoureusement au creux d'une nuque délicate, savourant d'avance le joyeux babil de ses éternelles enfants, courant comme jamais, il ne s'aperçut de la disparition de ses chères pierres que lorsque sa route rencontra celle d'une nouvelle ombre. Plus dense, plus menaçante, plus froide que les autres. Il réalisa qu'il n'avait nulle part où s'abriter. Le sable même, dernier recours, avait une consistance cendreuse. Tout relief, toute couleur s'étaient estompés. Il ne restait que lui, l'eau morte, la cendre, et l'ombre. Tremblant de tout son petit corps, acculé à l'immensité, il chercha en l'immobilité une ultime alliée.

L'ombre ne bougeait guère plus, et il finit par ouvrir un œil, qui rencontra un regard aussi glacé que les eaux dont, d'instinct, il le savait maintenant, il n'échapperait guère.

Elle ressemblait à une toute jeune sirène, sur laquelle ne se serait encore fixé aucun crustacé. Ses cheveux, chose étrange, étaient courts, et flottaient autour d'une tête ahurie. Ses yeux grand ouverts semblaient perdus dans l'infini grisâtre. Aucun sourire n'illuminait son visage lisse. Sa poitrine découverte aurait pu éclore le matin même. Pas de branchies, pas de nageoires, juste ce qui ressemblait à une seconde et plus longue paire de bras naissant sous sa taille. Comme un de ces marins dont il avait savouré la perte, il fut ensorcelé. Les irrésistibles chants de ses amies, leur joie féroce, n'étaient rien de comparable. Il était comme happé par cette douce mélancolie surprise au repos. Plongé dans la même obscurité qu'elle. Partageant ses peines, ses peurs. Pour la première fois, il ne vola pas à travers les flots. Doucement, il rampa jusqu'au cœur de l'ombre, et se lova là. A sa grande joie, le mouvement sembla éveiller la belle. Elle eut un petit sourire triste, et, se pliant sans créer de remous, lui tendit une main gelée. Il l'escalada, doucement, penchant la tête, clignant des yeux, se serrant de toutes ses forces contre cette chaire inconnue, comme s'il voulait s'y enfoncer, en faire physiquement partie.

Elle le porta contre son cœur, et le serra à son tour contre elle, comme une enfant un jouet. Puis, doucement, la main glissa jusqu'au ventre. Aucun souffle ne soulevait le sein rencontré. Le petit triton observa sa peau étrange se couvrir progressivement de fines nervures, invisibles routes parcourues par une énergie nouvelle, qui ne semblait pas sienne, et qui pourtant, c'était certain, l'habitait. Délicatement, elle l'appuya contre son nombril, où il lui sembla déceler une source de chaleur. Il se frotta contre l'abdomen, cherchant à se repaître lui aussi de cette appétissant bouillonnement.

Puis elle cria. Une seconde, ou le temps d'une une vie. Il ne sut qu'une chose – les couleurs, la lumières, les pierres précieuses, ses prédateurs, ses jeux - tout à cet inestimable instant perdit son innocence. Il rêva de sentir les ongles dorés du soleil lui gratter le cou, d'aller chercher une perle rare pour une coquette amie, de dormir sous le reflet des étoiles, d'être léger, encore. Mais il sut que c'était terminé. Que le poids qui s'était abattu sur son univers tout entier, porté par ce cri désespéré, pèserait trop lourd. Que tout ce qu'il avait aimé ici-bas aurait un arrière-goût de cendre avant qu'elle ait repris son souffle.

-

Kalyso retint ses larmes, respirant lourdement. Les corps décharnés, les âmes mutilées, les coquilles vides qui lui faisaient face, étaient une vision insoutenable. Un tonitruant passé avait surgit de sa tombe, avec les promesses qu'il lui avait faites. Ce qu'elle avait fui, et ne souhaitait à personne.

Ce qui arrivait sur eux à la vitesse d'un lézard effrayé.
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Kalyso
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Re: A coeur vaillant...

Message par Kalyso »

J'aimerais qu'on s'arrête. Qu'on prenne le temps. Qu'on efface, qu'on ne recommence pas. J'aimerais faire disparaître ces manies imbéciles. J'aimerais chasser une fois pour toutes ces images brutales, qui se succèdent en continu, ces souvenirs nauséabonds qui m'enlisent dans le présent. J'aimerais pouvoir dormir d'une traite, d'un bout à l'autre de la nuit, grignoter la matinée, peut-être. J'aimerais être préoccupée par le léger, le futile. J'aimerais que ça ne tourne plus, ou que ça tourne rond, je ne sais pas trop.

Les doigts de Kalyso coururent le long des lignes tracées à la hâte, à peine gravées sur le petit calepin, voilées par cette pudeur honteuse, caractéristique des égarés. Son sourire triste ne l'avait quittée depuis qu'elle avait passé la porte de la maison d'Anaïne. Elle baissa les yeux sur le dossier fournie par son amie, et en feuilleta distraitement les pages qu'elle connaissait sur le bout des doigts.

Elle était arrivée la veille au soir, accompagnée de trois silhouettes. Anaïne, sans aucune question, les avait laissés entrer, puis s'était enfermée avec les misérables créatures dans la salle d'opération, seule, cette fois-ci. Elle n'en était sortie que tard, pour trouver Kalyso assoupie dans un fauteuil, un tas de dossiers entre les bras. D'un souffle, elle avait apaisé le sommeil troublé de cette dernière, la couvrant d'une file toile perlée. Elle s'était étiré, faisant craquer avec délectation ses articulations endolories, puis dévêtue, libérant ses ailes d'os et de cartilages. Un duvet doré avait couvert son corps osseux de reflets chatoyants. Elle avait soupiré d'aise et s'était enfin installée dans le fauteuil le plus proche. Un regard vers la cheminée, et un feu s'était mis à y ronronner.

Kaly, dans quoi t'es-tu encore fourrée ?

Les perles glissant le long de la toile d'Anaïne avaient grossi, couvrant le corps de la jeune femme d'une rosée blanchâtre, peinant à se fondre en la sphère argentée qui naissait d'un sommeil serein.

Pourquoi te fermes-tu à moi ? Je n'ai plus l'énergie de mes jeunes années, si tu ne m'accordes pas ta confiance, je ne pourrais plus aller la chercher...

Doucement, elle avait tendu la main vers la toile, pour y recueillir quelques gouttelettes nacrées. Son œil s'était reflété quelques instants dans sa paume avant qu'elle ne sombre dans une contemplation inquiète des démons de son amie.

Anaïne était une arpenteuse, descendante des tisseuses de Lievanta. Elle parcourait l'inconscient de qui voulait bien y croire, en nettoyant les replis ombrageux. Elle avait connu Kalyso dix ans plus tôt, lorsque celle-ci, fraîchement débarquée d'un univers lointain, s'était présentée à sa porte, une appétence vorace pour les voyages entre les songes. Elles s'étaient apporté un soutien mutuel. Anaïne venait de perdre fils et époux dans une de ces guerres interminables qui rythmaient leurs vies. Elle s'était réfugiée dans une zone neutre de Désertica, offrant ses services aux nécessiteux, noyant sa solitude et sa douleur dans leurs phantasmes. Kalyso qui avait également perdu un monde et rêvait alors la construction de son Assianta, l'avait pourvue en longues discussions et agréable compagnie, avant de reprendre son vol, aussi affamée qu'au début. Et le temps avait joué son rôle. Les pensées de sa protégée parvenaient parfois, la nuit, à la femme, tantôt éclatantes, tantôt obscurcies. Kaly était en vie, et ne l'oubliait pas.

Elle était revenue, un jour, d'une ultime bataille, brisée. Une part d'elle était morte, une autre était perdue dans les limbes de mondes inconnus. Le visage marqué de traînées sanglantes, la jeune fille s'était effondrée entre les ailes de sa bienfaitrice. C'est sûrement à ce moment là que leur lien avait été le plus fort. L'esprit de l'enfant était trop minutieusement cloisonné pour être nettoyé complètement. Il tenait trop à l'obscurité dont il tirait sa force pour s'en laisser défaire. Nuit après nuit, Anaïne avait tissé sa toile, capturant, analysant, époussetant, relâchant les pensées de Kalyso, recevant en retour un amour aussi puissant que muet.

Lorsqu'elle s'en était allée pour la seconde fois, ses yeux avaient retrouvé leur éclat. N'était resté que ce petit sourire triste. Leur relation était définie. Kalyso avait couru les mondes, disparaissant parfois des siècles durant, sans jamais toutefois oublier sa plus vieille amie. Elle lui rapportait recettes et ingrédients, anecdotes et compagnie. Depuis qu'elle avait retiré sa vieille cape et s'était départie de son amour des errances pour s'installer sur Vertana, Anaïne et elle se retrouvaient régulièrement, non plus par besoin de se panser l'une l'autre, mais dans une amitié simple et franche.

Kalyso lui avait amené plusieurs fois des enfants, dans des circonstances semblables à son arrivée de la veille, hagards, blêmes, gelés. Elle-même était parfois en piteux état, mais refusait toute attention avant qu'ils n'aillent mieux. Ses yeux ne s'éclaircissaient qu'avec leur premier sourire.

Cette fois-ci, pourtant, c'était différent. Ils n'étaient ni des enfants, ni de leur monde. Pas même de l'autre côté de ce satané voile dont les replis appartiennent quand même à notre univers. Non, ils venaient d'ailleurs. Leur apparence physique inhabituelle n'était rien comparé à l'état de leurs âmes. Ils étaient vides. Comme si toute volonté, toute substance vitale, avait été broyées en eux. Les deux femmes avait échangé un regard entendu. Il se dégageait de ces coquilles un déjà-vu troublant : celui du seul échec d'Anaïne.

Celle-ci entra avec deux tasses de thé fumant dans la pièce où Kalyso l'attendait, récitant pour la centième fois la petite prière de vie.

Qu'en penses-tu ?

Je ne sais pas. Ils ne sont pas morts. Ils ne sont pas vifs non plus. Je ne suis pas certaine qu'on puisse les ramener. Il y en a beaucoup d'autres ?

J'en ai vu un groupe d'une trentaine, sur Galactica. Des ressortissants de mondes ignorés. Je ne pense pas qu'ils soient les seuls. J'aimerais revoir ce type, maintenant. En parler avec lui. J'imagine qu'il ne va pas tarder à se rappeler à mon bon souvenir, maintenant que j'ai vu de mes yeux ce qu'il s'est escrimé à m'expliquer.


Elle prit sa tête entre ses mains.

Merde, Ana, je fais quoi là ?

Ce n'est plus ton rôle, ma belle. Tu as les petits, tu as la maison.

Et je laisse le reste flétrir ? Elle revient vers nous. Beaucoup plus forte, beaucoup plus désespérée. Qu'est ce qui se passe si elle décide de nous gober tous ?

Déjà, nous sommes bien plus opulents, plus forts, et plus nombreux que ce qu'elle a pour habitude d'écraser...

Pour combien de temps ? Tu devrais survoler Galactica de nuit. C'est à peine si les états encore habités dispensent de la lumière. Et quand bien même, on la laisse librement bouffer tout ce qui est plus faible qu'elle et qui croise sa route, avant de la laisser se bouffer elle-même ?

Rien ne nous confirme qu'il s'agisse d'elle, en premier lieu. Aussi rongée fut-elle, elle n'a jamais eu de sombres desseins. Tu ne te rappelles pas ? Elle choisissait si soigneusement ses mots … Elle craignaient qu'ils ne blessent...

J'espère que tu as raison... Putain. J'espère que tu as raison. J'espère qu'elle est en vie, quelque part. Qu'elle avance. Qu'elle nous a pardonnées. Et si quelqu'un l'avait trouvée ? Avait compris ? Avait sû la toucher, et réussit à user de son pouvoir ?

C'était au dessus de nos forces. Il faut savoir s'y résoudre. Ne sombre pas dans la culpabilité. Tu n'aurais rien pu faire.

Je peux faire quelque chose maintenant.


Ce disant, la jeune femme reposa sa tasse de thé, qui fut avalée par le tapis dans un « plop » discret, et se leva vivement.

Je peux te les laisser ? Je reviendrai les chercher une fois qu'ils iront mieux, et les installerai à la maison.

Oui, oui, pas de soucis. Tu peux même en amener d'autres. Les cliniques modernes ont raison de mon chamanisme, je n'ai plus autant de clients, j'ai du temps et de la place. Et au moins, je suis certaine de ne pas te voir disparaître de nouveau.

Ne dis pas de bêtise.


Kalyso embrassa son amie restée assise sur le front.

Je reviens bientôt.

Où vas-tu ?

Je retourne en Orilla. Je dois leur parler avant qu'ils n'accomplissent l'irréfléchi. Et c'est à leur côté que j'ai le plus de chances de croiser le corsaire. Et puis, j'ai cru apercevoir un blason connu en quittant le Hangar. Si c'est bien celui auquel je pense, et que son propriétaire est dans les parages, c'est chez un certain Lord que je le trouverais. Ce qui tombe bien, je comptais lui rendre une petite visite également.


Un sourire, d'excitation cette fois-ci, illumina le visage de la jeune femme. Elle adressa un dernier signe à Anaïne, attrapa sa cape, et sortit d'un pas rapide.

Sois prudente, ma Kaly.

Ces dernières paroles furent noyées dans le bruit de propulsion du vaisseau. Anaïne regarda s'éteindre le reflet des flammes dans le sables du désert, et soupira.

Tes rêves deviennent denses de nouveaux. Impossibles à épurer. Sois prudente, reste moi, je t'en prie.
Endy
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Re: A coeur vaillant...

Message par Endy »

L'Orilla, qu'Endymion foulait du pied pour la première fois en de nombreuses années, s'étalait à perte de vue. Cité-état figurant parmi les plus grandes de Galactica, la ville était comme un corps dont les artères, bouchées par la circulation, alimentent les différents organes. Il y a la zone industrielle, gigantesque et fumante, d'où sont créés la plupart des crédits nécessaires au richissime Lord Yu pour alimenter son centre d'espionnage réputé dans la galaxie entière, il y a aussi la partie militaire qui, quoi que poussiéreuse et peu attendu par ce dernier, ne manquait pas de luire tout du moins sur papier, enfin le quartier civil où réside l'ensemble ou presque de la population.

Les ruelles, parfois étroites, qui courent comme des veines le long de ce corps figuratif, sont autant de lieux de rencontre où l'on peut jouer clandestinement son argent autour de quelques cartes posées sur une table aussi solide que les joueurs à son flanc sont honnêtes.

Endymion, à peine arrivé sur l'Orilla, s'empressa de rejoindre le cœur de la ville et ces milliers de rues toutes plus antiques les unes que que les autres, chacune d'entre elles éveillant en lui la douce mélancolie dans laquelle il aime tant se lover et qui, malgré un refus catégorique de laisser son coté sensible et enfantins s'exprimer en public, ne manquait pas de le faire perdre dans d'intenses rêveries, souvenirs encore frais de son passé glorieux.

La longue absence d'Endymion le conduisit dans une de ces ruelles sombres qui sentent mauvais et où il semble presque naturel de s'y faire assassiner. Perdu pour perdu, il s’enfonça toujours plus d'avant dans la pénombre qui jonchait le sol jusqu'à passer un coude qui bloquait la vision de l'autre bout de la rue et forçait les rayons du soleil à battre en retraite. Une silhouette se cambrait devant un tas d'antiquités qui semblaient s’être trouvées là par hasard.. Encapuchonnée d'abord, il était impossible de distinguer le sexe de la personne qui ne paraissait pas encore avoir repérée Endymion. Sous la longue cape, un pistolet, tout du moins ce qui semblait être un pistolet.

Au bout de quelques instants, un rayon de lumière, provenant de l'endroit où une grille se trouvait avant que le mystérieux inconnu ne l'arrache, jetait son dévolu sur les bords mystérieux de la capuche trop grande d'où seul quelques mèches de cheveux pouvaient s'échapper. Ce dernier jeta un regard suspect de l'autre coté de la ruelle puis enfin du coté où Endymion se trouvait quelques secondes auparavant. Les solides réflexes de ce dernier lui permirent juste à temps de se rabattre derrière le mur de la ruelle en coude. Ses yeux étaient rivés sur ce visage aux traits si reconnaissable.

- Kalyso?

Endymion n'avait aucun doute, il s'agissait bien d'elle, celle là même qui s'était rappelée à ses bons souvenirs quelques jours auparavant. Il n'avait pas dit un mot et quelque chose le poussait à ne pas révéler sa position, hanté par ce sentiment que quelque chose de terrible était au point d'éclore sous ses yeux.

Kalyso disparu soudainement au sein du bâtiment que la grille protégeait. Le temps qu'Endymion arrive sur les lieux, un amas de tapis recouvrait l'endroit et si ce n'était pour l'empressement avec laquelle Kalyso avait refermé le passage, on aurait pu passer devant sans jamais se douter de rien mais il avait vu de ses propres yeux l'étrange manège de l'ancienne conseillère. Il nettoya à son tour l'entrée du sous terrain et fonçait déjà à la poursuite de Kalyso sans toute foi presser ses pas afin d'éviter qu'on n'entende l'écho qui aurait à coup sur rebondit sur les parois épaisses et humides de la cave. Un peu de lumière, que quelques bouches grillagées fournissaient, léchait son visage. Il posa la main sur son arme, ses nerfs étaient tendus à l'extrême.

Des voix se faisaient entendre dans un gargarisme abyssal qui ressemblait plus au souffle d'un dragon enroué qu'à la mélodie du chant humain. Au détour d'un couloir supplémentaire, dans la pénombre, deux hommes tenaient la conseillère au canon. Endymion n'intervint pas, un troisième homme était présent et il était conscient des capacités de Kalyso. Si elle n'avait pas jugé nécessaire de se servir de son arme, elle avait sûrement ses raisons. Il dégaina complètement son laser au cas où la situation tournait court.

Un clic métallique claqua à ses oreilles et un quatrième homme approcha de celui qui semblait être leur chef. Il lui murmura quelque chose d'inaudible et ce dernier écourta la conversation qu'il tenait avec Kalyso. Ils s'avancèrent dans les méandres du dédales et disparurent bientôt de la vue d'Endymion.

Une étrange froideur envahissait son corps.

- Pose ton arme, doucement.

- Qui êtes vous? Que lui voulez vous?

- Pose ton arme et aucun mal ne te sera fait.

- Qui me dit que vous ne tirerez pas aussitôt ?

- Une seule pression du doigt et le coup part.

Il fallait bien reconnaître qu'il avait agi de manière inconsidérée. Comment ne s'était il pas douté qu'un tel endroit serait surveillé. Il était aussi évident que son agresseur ne mentait pas. S'ils avaient voulu, ils n'auraient eu aucun mal à le tuer dès qu'il était entré tant il avait été distrait par l'incroyable rencontre.

Il déposa son arme et un deuxième homme, jusqu'à présent tapis dans l'ombre, vint s'en saisir.

- Maintenant lève toi, ne te retourne pas et avance.

Il s’exécuta sans mot dire. En homme habituellement prudent, il gardait toujours sur lui une arme de secours, un ancien pistolet à un coup capable de mettre à genou n'importe qui, une arme non létale qui lui avait déjà servi dans bien d'autres situations et qu'il avait nommé Vengeance. Dissimulée dans sa manche, un mécanisme discret en permettait l'extraction rapide. Il avait déjà un plan préparé au cas où les deux hommes essayaient de le refroidir, il n'était cependant pas certain de leur intention et ne jugeait pas nécessaire d'en arriver là tout de suite.

Il était conduit à travers quelques salles, la cave semblait s'étendre sans fin sous la croûte terrestre. Il n'avait pourtant pas parcouru 50 mètres lorsqu'il fut poussé à travers une porte. Dans la salle, une grande table et quelques chaises laissaient présager d'un groupe comptant au moins 15 membres, peut être plus. On le fit s’asseoir.

Le temps passait lentement dans la chaleur moite de sa geôle lugubre. Après ce qu'il pensait être environ une heure, la porte s'ouvrit et le visage écorché de l'homme qui semblait être le chef en émergea.
Celui ci ne semblait pas décider à s’asseoir, il jaugeait attentivement Endymion du regard et faisait les cent pas. Endymion, lui, restait de marbre devant cet élégant quoi qu'imposant personnage. Ses nerfs s'étaient calmés et ne sentait aucune mauvaise intention de la part du grand homme. On ne l'avait pas restreint et aucun garde dans la salle suggérait qu'on ne le voyait pas comme une menace non plus.

Endymion fut le premier à briser le silence.

- Il ne me semble pas que nous ayons été présenté... Endymion. J'aurai été ravi de vous dire que je suis enchanté de vous connaître mais ce n'est pour l'instant pas le cas. Je me réserve toute foi le droit de réviser mon jugement.

- Tout cela n'a pas d'importance, je ne sais pas moi même qui je suis et n'ai aucune envie de le savoir. Et je sais déjà qui vous êtes, vous étiez sur nos listes. Endymion, ancien Grand Conseiller. Vous avez accompli de grande chose en votre temps puis avez décidé de partir, de fuir votre futur. Vous avez été couard et laissez votre peuple mourir, pis, vous lui avez dérobé sa grandeur et l'avez rendu faible. Il y a quelques années, je vous aurai considéré mais vous n'êtes rien pour moi dans cet état, qu'un de plus qui va mourir dans l'ignorance, qui baissera les bras devant sa propre impéritie. Vous n'êtes pas différent de ceux qui étaient au pouvoir lors de sa venue. Vous aussi vous ne ferez rien pour s'opposer à elle. Votre amie a vu, votre vie est entre ses mains. Je ne vous apprécie pas, à mes yeux vous n'existez déjà plus, elle est votre dernière chance.

La vérité est parfois cruelle. L'incroyable discours avait touché en plein mille. Tous les reproches qu'Endymion s'était fait durant ses années d'exil, il les avait regroupé en une simple phrase et une boule s’enfonçait doucement le long de sa gorge l’empêchant presque de respirer.

Pendant ce qui semblait une éternité, un silence de plomb s'était abattu. L'homme se retourna dans un mouvement militaire, précis et juste, il saisit la poignée de la porte et l'actionna. Il disparu dans la pénombre.

Endymion restait assis là, pendant plusieurs minutes il contempla le plafond, comptant les craquelures comme celles que l'homme avait ouvert tout autour de son cœur.
Endy
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Re: A coeur vaillant...

Message par Endy »

"Au bout du chemin, il n'y a que d'autres chemins.
Tout brille, tout s'estompe. Le voyage.

Tout est lumière, tout est vibrance
Jusqu'à la saturation des sens.
Dans le miroir, les autres,
La haine des autres, de la foule.

Tapis de cadavres, si frais, si frêles
Qu'ils bougent encore, emplies des spasmes électriques
Qu'un cerveau privé d’âme fait trembler en silence.

La ville, la nuit.
Paradis artificiel.

Sur le chemin nous errons
Et l'autre se penche
Sur nos vies, amusé.
Le temps d'une vie, le temps d'un rire,
Des enfants aux sourires,
Sous les rires,
Sans les rides,
Se jouent de nos regards.
C'est un jeu sans suspens, sans vainqueur.

Chaque visage est une vie, comme un trait dans le temps
Qui marque pour toujours, de son œil éperdu,
L'espace
Et les jours qui passent
Et marqué à son tour
Par l'espace et les jours qui passent,
Il vit pour toujours dans l'espace et les jours
Qui passent.

Comme une intense brûlure de l'âme."

D'un bruit sourd, le livre se ferme et deux mains l'emprisonnent au fond d'une sacoche trop étroite.
Sur un banc de bois sculpté, le visage perdu dans la douleur des damnés, Endymion rouvre ses yeux.
A peine à t-il le temps d'apercevoir une silhouette d'ombre disparaître dans une ruelle adjacente que sa tête explose d'une céphalée aiguë.
Sa mémoire est vague, il reconnaît cette sensation. Il ressent l'étrange gargarisme des énergies dans son corps. Il a subit une intervention magique.

Endymion se redresse, ses cheveux en bataille.
Première chose, vérifier son arme. Il tâtonne le ceinturon auquel il l'attache et bientôt ses doigts heurtent la crosse métallique.
Deuxième chose, vérifier sa localisation. Ses jambes fourmillent mais il fait l'effort de se lever. D'un doigt, il masse ses tempes pour estomper la douleur.

- Ça va passer...

Sa vision s'éclaircit. Il fait nuit mais la pâleur de l'éclairage lui est familière. Il est toujours en Orilla.

La douleur s'intensifie à nouveau et il tombe à genou. Un pavé humide de la fraîcheur nocturne recouvre le sol. Ses mains s'y posent et glissent.
Un voile noir se dépose sur le monde. Il perd connaissance.

Le soleil bientôt se lève et perce d'une lumière blafarde le smog galacticain. C'est un jour clair aux standards de cette planète et un rayon se glisse entre les paupières d'Endymion.

Quelques clignements plus tard, sa pupille ajustée, il reprend connaissance.
La mémoire lui revient et les maux de tête se sont estompés.
Il distingue plus clairement le jardin alentour. Personne ne dérange le silence qui y règne. Il est encore tôt.
S'appuyant ses mains, il se redresse. Après quelques pas pour réveiller ses membres, il s'assoit sur le banc.

Tout ce qu'il entend, ce sont les paroles de l'homme, comme un poignard qu'on remuerait au fond d'une plaie. Il saigne de l'âme.
Dans ses mains il prend sa tête. La souffrance physique a disparu pour laisser place au désastre dans son cœur.
La douleur d'un damné.

Ces paroles...si crues, si vivantes, elles revenaient sans cesse comme un enregistrement corrompu.
Et pourtant, jamais la vie ne lui a paru si réelle. Jamais n'a il été prouvé à son existence d'une telle manière.

La tempête de pensée qui agite son esprit se calme doucement.

- Il a raison. J'ai commis des erreurs, j'ai fui mon futur, mon destin. J'ai eu peur qu'il soit déjà écrit et j'ai couru. J'ai abandonné mes responsabilités, les personnes qui comptaient sur moi. J'ai craché sur les tombes de ceux qui sont morts en l'honneur de mon nom. J'ai toujours essayé de me trouver des excuses et des raisons, la vérité c'est que j'ai eu peur. Il est temps de l'admettre et d'arrêter de ce cacher. Courage, Endy. Courage.

Un clignotement bleuté arrêta son regard.

Autour du poignet, un holotransmetteur dont le design lui été inconnu.
Un bouton bien en évidence vers l'intérieur de l'objet était la source du clignotement. Il y posa son doigt.

Dans un craquèlement électronique, l'appareil se mit en marche:

-- Dans le miroir, un némésis. Savoir le reconnaître c'est déjà lui résister. Il est temps de nous joindre. --
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