Archéologisme
Publié : 20 juin 2014, 15:59
- Feu Samuel Adrien Thomas de l'Orangerie lègue à son épouse l'entièreté de son domaine ainsi que le contenu en crédit des comptes numéro [rédigé] et [rédigé] pour la somme totale de [rédigé].
- A son seul et unique enfant, Thomas Adrien Samuel de l'Orangerie, le contenu de son boudoir et la clé qui permet de l'ouvrir.
La maison semblait bien vide.
L'incessant remue ménage des parents qui se disputent, les cris, les questions, tout cela n'existait plus, il l'avait emporté dans sa tombe.
On pouvait difficilement parler de mon père comme d'un modèle parental.
Durant les 20 premières années de ma vie, c'est à dire toute ma vie, il n'a que très rarement été présent. J'ai compté dix sept fois ses absences le jour de mes anniversaires. Les autres? Je ne me souviens pas, j'étais trop petit. Ça ne comptait pas encore.
Ma mère, Lisa, avait assuré notre éducation du mieux qu'elle pouvait. Il envoyait de l'argent durant ses absences, sa paye tout entière, du moins je pense.
Les rares fois où il nous faisait grâce de sa présence, il disparaissait dans son office pour n'en ressortir qu'aux heures des repas, quand il ne les sautait pas.
Il était archéologue, l'ancien type, pas ce qui se fait aujourd'hui avec lasers et machines, drones manutentionnaires et surface scanning, biométrie des sous-sols et ancrage dimensionnel. Le type d'archéologie à la main, à l'ancienne, au pinceau fin, aux livres anciens, avec tout ce que l'imagerie de l'aventurier peut offrir. Un pack complet comprenant caves sombres aux murs gluants, créatures à l'apparence abjecte et campement dans les recoins les plus éloignés que la civilisation n'a pas encore recouvert du voile de son expansion.
Le voile, sa passion. Comme tant d'autres il en avait fait l'objet de sa vie et s'il avait du choisir entre ça et moi, je n'aurai pas parier beaucoup de crédit sur ma survie.
A vrai dire je n'en sais pas grand chose. Je ne regrette pas vraiment mon enfance et, pour être totalement honnête, mon père a toujours été juste avec sa famille.
Je dis "sa famille" et non "notre famille". Je me suis toujours senti distant de cet élément dans lequel ma mère s’épanouit comme une fleur au matin. Je tiens probablement ça de mon père.
Cette capacité de masquer les émotions, de ne jamais faire partie de rien, pas même de soi. Il ne m'a jamais dit "je t'aime", il était fier de moi, content de me voir, je n'ai pas de mauvais souvenir
du temps que l'on a passé ensemble. Cela dit j'ai probablement passé plus de temps avec une couche autour de mon pelvis qu'avec lui.
Je ne veux pas dire de mal de mon père, sa carrière c'était sa vie, pas vraiment sa carrière, son métier, ses recherches peut être. La différence est importante. Ses actions n'ont jamais été motivé par des enjeux politiques, économiques ou même militaires. C'était un homme droit, juste, un peu à côté du monde.
Il devait tout de même tenir à moi. Ce qu'il m'a légué à sa mort, c'est sa façon à lui de me dire "je t'aime". Son boudoir, c'était son refuge.
Le bruit de mes pas sur le parquet du premier étage sonnaient exactement comme ceux de mon père quand il rentrait aux heures les plus incongrues, bien après que la nuit fut tombée.
Ces pas, je les ai attendu longtemps, je les espérai même jusqu'à l'âge de onze ou douze ans. De moins en moins après ça. Je me souviens qu'après des nuits passées à lutter contre le sommeil, lorsque enfin ces craquements délicieux comme des branches sèches dans le foyer d'une cheminée se mettaient à crépiter dans le noir de mes attentes, je me levais doucement, entrebâillais la porte et de mes deux mains candides et m'y agrippais pour qu'elle ne grince pas. J'observais alors cet homme comme un souvenir, émerveillé par sa grandeur et sa force. Puis l'adolescence mit fin à tous ces espoirs. Ses venues n'avaient rien d'exceptionnel et malgré les cadeaux qu'il me ramenait de chacun de ses voyages et qu'il m'offrait lorsque, à son habitude, il me surprenait dans l’entrebâillement de la porte de ma chambre, s'il me réveillait, j'étais submergé par ce sentiment de rébellion si familier aux individus de mon espèce à cette période de la vie.
Son boudoir, son étude, son office (tous désignant la même pièce de la maison), je n'y étais entré qu'une seule fois, sans y être invité.
Pour le jeune homme de 9 ans que j'étais à l'époque, cette pièce était comme un temple interdit où seul l'initié était autorisé à entrer pour prier au panthéon sacré d'une religion inconnue.
Mon père, cette nuit là, ne m'avait pas réveillé en rentrant ou plutôt je n'avais tenu jusqu'à son arrivée mais un des nombreux mauvais rêves qui hantaient mes courtes nuits avaient su faire le travail à sa place.
Je ne peux pas dire si mon père était venu dans ma chambre ou si ma mère était passée pour vérifier que je sois bien endormi, la porte était ouverte et un mince faisceau de lumière s'était engouffré dans la brèche.
En bon enfant, la curiosité m'avait poussé à sortir de ma couette moelleuse et chaude pour affronter le froid de l'hiver. Le feu de la cheminée du salon peinait à maintenir une température agréable dans l'ensemble de la demeure et je me souviens encore des frissons qui parcouraient ma peau comme la marée, en vagues intenses au va et viens d'une tempête de large.
Après un succins regard sous le lit pour vérifier qu'aucune créature maléfique ne s'y cachait, j'aventurais mes pieds dans les pantoufles qui gisaient au coin de la pièce.
La porte du bureau était entrouverte, cela m'avait semblé curieux car mon père ne laissait jamais rien d'ouvert lorsqu'il n'était pas lui même dans la vicinité.
Je me souviens y être entré doucement, prenant bien soin de ne pas faire le moindre bruits, comme persuadé que des pièges avaient été tendu pour surprendre l'aventurier téméraire qui s'introduirait dans l'antre de ce donjon sacré.
Ce qui me surprit le plus lorsque pour la deuxième fois de ma vie j'entrais dans la salle qui fut autrefois l'objet de toutes mes convoitises, c'est que premièrement je ne ressentis rien de particulier et deuxièmement que la pièce n'avait absolument pas changé. Les même étagères remplies de livres, le bureau de bois sombre, les photos de ma mère et moi disséminées sur les murs qui n'étaient pas couvert d'affiches et inscriptions en tout genre, le foutoir gigantesque qui gisait comme le poids d'une vie sur le carrelage pourpre et sale qui servait de sol.
Sur le bureau, pourtant, un coffret de métal sans serrure attirait le regard.
On distinguait la fente qui indiquait le couvercle mais malgré mes meilleurs efforts, je ne pouvais pas l'ouvrir.
- A son seul et unique enfant, Thomas Adrien Samuel de l'Orangerie, le contenu de son boudoir et la clé qui permet de l'ouvrir.
La maison semblait bien vide.
L'incessant remue ménage des parents qui se disputent, les cris, les questions, tout cela n'existait plus, il l'avait emporté dans sa tombe.
On pouvait difficilement parler de mon père comme d'un modèle parental.
Durant les 20 premières années de ma vie, c'est à dire toute ma vie, il n'a que très rarement été présent. J'ai compté dix sept fois ses absences le jour de mes anniversaires. Les autres? Je ne me souviens pas, j'étais trop petit. Ça ne comptait pas encore.
Ma mère, Lisa, avait assuré notre éducation du mieux qu'elle pouvait. Il envoyait de l'argent durant ses absences, sa paye tout entière, du moins je pense.
Les rares fois où il nous faisait grâce de sa présence, il disparaissait dans son office pour n'en ressortir qu'aux heures des repas, quand il ne les sautait pas.
Il était archéologue, l'ancien type, pas ce qui se fait aujourd'hui avec lasers et machines, drones manutentionnaires et surface scanning, biométrie des sous-sols et ancrage dimensionnel. Le type d'archéologie à la main, à l'ancienne, au pinceau fin, aux livres anciens, avec tout ce que l'imagerie de l'aventurier peut offrir. Un pack complet comprenant caves sombres aux murs gluants, créatures à l'apparence abjecte et campement dans les recoins les plus éloignés que la civilisation n'a pas encore recouvert du voile de son expansion.
Le voile, sa passion. Comme tant d'autres il en avait fait l'objet de sa vie et s'il avait du choisir entre ça et moi, je n'aurai pas parier beaucoup de crédit sur ma survie.
A vrai dire je n'en sais pas grand chose. Je ne regrette pas vraiment mon enfance et, pour être totalement honnête, mon père a toujours été juste avec sa famille.
Je dis "sa famille" et non "notre famille". Je me suis toujours senti distant de cet élément dans lequel ma mère s’épanouit comme une fleur au matin. Je tiens probablement ça de mon père.
Cette capacité de masquer les émotions, de ne jamais faire partie de rien, pas même de soi. Il ne m'a jamais dit "je t'aime", il était fier de moi, content de me voir, je n'ai pas de mauvais souvenir
du temps que l'on a passé ensemble. Cela dit j'ai probablement passé plus de temps avec une couche autour de mon pelvis qu'avec lui.
Je ne veux pas dire de mal de mon père, sa carrière c'était sa vie, pas vraiment sa carrière, son métier, ses recherches peut être. La différence est importante. Ses actions n'ont jamais été motivé par des enjeux politiques, économiques ou même militaires. C'était un homme droit, juste, un peu à côté du monde.
Il devait tout de même tenir à moi. Ce qu'il m'a légué à sa mort, c'est sa façon à lui de me dire "je t'aime". Son boudoir, c'était son refuge.
Le bruit de mes pas sur le parquet du premier étage sonnaient exactement comme ceux de mon père quand il rentrait aux heures les plus incongrues, bien après que la nuit fut tombée.
Ces pas, je les ai attendu longtemps, je les espérai même jusqu'à l'âge de onze ou douze ans. De moins en moins après ça. Je me souviens qu'après des nuits passées à lutter contre le sommeil, lorsque enfin ces craquements délicieux comme des branches sèches dans le foyer d'une cheminée se mettaient à crépiter dans le noir de mes attentes, je me levais doucement, entrebâillais la porte et de mes deux mains candides et m'y agrippais pour qu'elle ne grince pas. J'observais alors cet homme comme un souvenir, émerveillé par sa grandeur et sa force. Puis l'adolescence mit fin à tous ces espoirs. Ses venues n'avaient rien d'exceptionnel et malgré les cadeaux qu'il me ramenait de chacun de ses voyages et qu'il m'offrait lorsque, à son habitude, il me surprenait dans l’entrebâillement de la porte de ma chambre, s'il me réveillait, j'étais submergé par ce sentiment de rébellion si familier aux individus de mon espèce à cette période de la vie.
Son boudoir, son étude, son office (tous désignant la même pièce de la maison), je n'y étais entré qu'une seule fois, sans y être invité.
Pour le jeune homme de 9 ans que j'étais à l'époque, cette pièce était comme un temple interdit où seul l'initié était autorisé à entrer pour prier au panthéon sacré d'une religion inconnue.
Mon père, cette nuit là, ne m'avait pas réveillé en rentrant ou plutôt je n'avais tenu jusqu'à son arrivée mais un des nombreux mauvais rêves qui hantaient mes courtes nuits avaient su faire le travail à sa place.
Je ne peux pas dire si mon père était venu dans ma chambre ou si ma mère était passée pour vérifier que je sois bien endormi, la porte était ouverte et un mince faisceau de lumière s'était engouffré dans la brèche.
En bon enfant, la curiosité m'avait poussé à sortir de ma couette moelleuse et chaude pour affronter le froid de l'hiver. Le feu de la cheminée du salon peinait à maintenir une température agréable dans l'ensemble de la demeure et je me souviens encore des frissons qui parcouraient ma peau comme la marée, en vagues intenses au va et viens d'une tempête de large.
Après un succins regard sous le lit pour vérifier qu'aucune créature maléfique ne s'y cachait, j'aventurais mes pieds dans les pantoufles qui gisaient au coin de la pièce.
La porte du bureau était entrouverte, cela m'avait semblé curieux car mon père ne laissait jamais rien d'ouvert lorsqu'il n'était pas lui même dans la vicinité.
Je me souviens y être entré doucement, prenant bien soin de ne pas faire le moindre bruits, comme persuadé que des pièges avaient été tendu pour surprendre l'aventurier téméraire qui s'introduirait dans l'antre de ce donjon sacré.
Ce qui me surprit le plus lorsque pour la deuxième fois de ma vie j'entrais dans la salle qui fut autrefois l'objet de toutes mes convoitises, c'est que premièrement je ne ressentis rien de particulier et deuxièmement que la pièce n'avait absolument pas changé. Les même étagères remplies de livres, le bureau de bois sombre, les photos de ma mère et moi disséminées sur les murs qui n'étaient pas couvert d'affiches et inscriptions en tout genre, le foutoir gigantesque qui gisait comme le poids d'une vie sur le carrelage pourpre et sale qui servait de sol.
Sur le bureau, pourtant, un coffret de métal sans serrure attirait le regard.
On distinguait la fente qui indiquait le couvercle mais malgré mes meilleurs efforts, je ne pouvais pas l'ouvrir.