Les recoins sombres de la galaxie, à l'abri des regards, épris des plus lugubres rumeurs, ils sont le terrain de jeu des morts, les puits insondables de l'assoiffé voile. Dans ces mondes éteints, les plus puissants démons vagabondent afin d'assouvir leur faim. On pourrait compter les survivants sur les doigts d'une main, on pourrait être un senseur exceptionnel que l'on ne localiserait leurs auras, si puissants furent-ils. Deux longues années maintenant que ce monde a offert son sombre destin au vorace voile, il n'en reste plus rien, excepté quelques âmes abandonnées dont l'interminable douleur effraie même les plus affamés prédateurs.
C'est l'une de ces âmes que le Prince Azhar était venu chercher. Ici, dans les mondes voilés, il n'était plus archimage, il n'était plus chef d'état, il n'était même plus homme ; il était un démon, l'un des trois Princes Démons, l'un des sommets du Delta Sibyllin de Fédéralis. Une longue toge faite d'ombre et de magie sombre le recouvrant de la tête aux pieds, il marchait, laissant une sinueuse et noire trace de mort sur la flore. Son visage rajeuni d'une trentaine d'années, il semblait revenu aux temps lointains du Nécrolia, aux temps lointains du triste lendemain d'une des plus périlleuses conquêtes du voile.
Il marchait, cherchant désespérément quelques restes de sentiers terreux, pour guider ses pas jusque le fin souffle que ses sens avaient pisté depuis un autre monde. Un souffle faible et triste, une future victime de ses doigts spiritistes.
- — Hum... Stanford, mère de Lilas, magicienne dont le saint sang s'est perdu dans les travers de l'évolution. Ce linceul, de tes yeux, j'ôte de mes mains blanches. Une fois la vue retrouvée, tu pleureras toutes les larmes de ton corps ; une fois ta voix retrouvée tu crieras jusqu'à la perdre ; une fois le goût retrouvé, tu vomiras jusque tes entrailles ; une fois l'ouïe retrouvée tu sombreras dans un silence éternel ; une fois le touché retrouvé, tu crouleras sous la douleur de tes entrailles, avalée par ma faim. Tu sombreras alors, vidée de l'essence de ton âme, dans la triste vie d'une de mes poupées.
Durant de longues lunes, je t'obligerai à pleurer, j'irai jusque les profondeurs de ton être pour réveiller chacune des myriades de souffrances que ta carapace scintillante camoufle. J'éveillerai en toi un sentiment à des parsecs de la haine, plus fort que l'indifférence, plus profond que l'amour, une soif intarissable de magie t'animera, car seule la magie saura guérir ton corps, ton âme et ton coeur des travers de la reviviscence.
Se tordant de douleur, dans l'harmonie tempétueuse des divers liquides qui s'échappaient de son corps avec violence et orgiaque, elle fleurait avec l'agonie. Une frontière que ses sens torturés auraient aimé franchir rapidement, mais tenue par les fils de son nouveau geôlier, elle se prêtait malgré elle à ses sadiques moeurs.
Dans un torrent de cri, des effluves de sang qui surgissaient de tous les trous, même certains juste créés pour l'occasion, ils disparurent. Deux voiles noirs les emportèrent... Dans le Voile.