Exutoire sous contrat

Les Chroniques de Lievanta

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Kalyso
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Inscription : 19 févr. 2008, 23:48

Exutoire sous contrat

Message par Kalyso »

La lumière, le bruit, la foule, leur solitude noyée dans la sueur, leur certitude de ne faire qu'un, leur assourdissant contentement, leur unique sourire. Comme je les hais, tous. Comme j'aimerais les voir disparaître. Comme j'aimerais qu'ils cessent de se réjouir de ces futilités mensongères, de se satisfaire de ces instants insensés, qu'ils voient, qu'ils acceptent que nous sommes la Dernière Génération avant la fin.Qu'ils se comportent comme si cela valait quelque chose. Je panique, alors je me cache derrière mes paupières, et j'inhale, et j'exhale. Et je laisse les minutes glisser sur ma peau. Qu'ils s'agitent, s'aveuglent, se succèdent, se rassurent. Ils ne me touchent pas. Je suis bien trop loin.

Ces vieilles habitudes, qui ne se perdront jamais. Il suffit de s'asseoir, de fermer les yeux, d'inspirer un coup, de tout oublier. Pas de beau paysage, pas d'apaisante mélodie, pas même d'animal totem, qui te souffle la réponse. Juste le vide. Ce vide à la fois vertigineux, et réconfortant, dans lequel je me love avec délectation, dans l'attente. L'heure tourne.

Il ne devrait plus tarder.

Je laisse un badaud m'effleurer le sein. Il m'invite d'un hochement de tête maladroit à le joindre dans cet ersatz de coït. Son odeur me monte vite à la tête – il est sûrement là depuis plusieurs heures. Il a sûrement approché autant de pétasses écervelées que bu de verres. Ses pupilles ne se fixent plus sur rien. Ses mains se promènent sans pudeur sur mes hanches. Il n'est qu'une de ces coquilles satisfaites de l'instant, qui n'ira jamais au delà, et qui ne mérite rien d'autre qu'une étable, un abreuvoir, et une sortie hebdomadaire pour s'ébattre. Je lui renvoie son vide dans un sourire, qui m'achète un cocktail tricolore.



Mes lèvres ont un goût salé. Je crois que j'ai vomi. La pièce tourne un peu, et ma cheville me lance. Où suis-je ? Ressaisis toi, ma vieille. Une horloge, au loin, sonne quatre heures. Je ne suis pas seule. Une respiration capiteuse me ramène à la soirée. Il est arrivé, comme prévu, dans la tenue annoncée, son arme à peine dissimulée au creux des reins, comme prévu. Son pas assuré l'a conduit vers moi. J'ai tressailli, je crois. Il semblait savoir. Puis il m'a happée. L'alcool, la drogue, les rues pavées sous mes talons, la lourde porte sous mon dos. Des marches, à cloche pied, ses longs doigts sous ma ceinture, tout son mépris dans mon ventre. J'essaye de me dégager et sens une chaîne à ma cheville.

« Qu'est ce que t'as fait, encore ? Tu t'ennuies, c'est ça ? T'as besoin de pimenter le truc ? »

Ma conscience qui ne me prend plus au sérieux. Tristou. Je déglutis, et le regrette aussitôt. Je m'étais promis de ne plus jamais me réveiller avec ce goût là contre le palais. D'une main, je défais mon chignon. Mes cheveux sont collés à mon front. Je me dégoutte encore plus. Son silence nous enveloppe un instant, et je me fige. Puis son souffle transperce l'obscurité. Ma pince claque entre mes doigts. Je crois que je me suis coupée. Qu'importe.

Ces bonnes habitudes, qui ne se perdront jamais. Je l'embrasse doucement, comme un chat qui lape, et je me serre contre lui, j'ignore pourquoi. Il fixe sur moi un œil douloureux, et j'ai la certitude qu'il sait, qu'il est venu de son plein gré s'enrouler entre mes bras meurtriers. Comme d'habitude, dans ces cas là, j'ai mal. Mais d'une façon nouvelle. Rien n'est calculé. Heureusement que les mécanismes sont bien huilés. Je n'ai pas besoin de réfléchir. Je tranche dans le vif. Sa chaleur se répand sur ma gorge nue. Son regard triste, même mort, refuse de me quitter. Alors je continue. Je l'assassine, et l'étale, dans les draps, sur les murs, le carrelage. Je frappe, je m'abandonne, je hurle en silence. C'est un peu de moi que je tue. Il savait, putain. Il savait, et il est venu quand même. Et moi, pour une poignée de crédits, j'en fais une boule de chair inerte.

Puis je sors. Je n'emporte rien que ma carcasse sanguinolente, et son regard pour tout habit. J'aimerais crier, j'aimerais courir, j'aimerais me jeter dans les murs. J'aimerais être une petite fille de nouveau, et qu'on me serre fort, et que tout ça soit un sombre cauchemar. Au lieu de ça, j'avance. Quelqu'un siffle dans la rue. Qu'on me trouve. Qu'on me viole. Qu'on me dépèce. Qu'on me laisse pour morte. Que j'aie à me battre, peut-être.

Rien de tout ça. Non, rien. Je retrouve ma route. Je rentre dans ma cage. Je me roule en boule, dans un coin. Je panse mes plaies, en attendant le prochain contrat. Nous sommes en guerre, n'est-ce pas ?



Brève de Galactica

«L'éventreur fait une quatrième victime, sur Galactica, cette fois-ci. Tzareuk Tzelan, du Ministère de la Défense de l'Epsilon. Aucune piste sérieuse pour l'instant. »
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