De l'autre côté.

Les Chroniques de Lievanta

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Kemeth
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De l'autre côté.

Message par Kemeth »

La symphonie semblait sur le point de trouver enfin sa dernière note, sans avoir besoin de son créateur, sans avoir besoin d'une aide quelconque. Les craquements annonçaient la couleur, les tremblements ne faisaient que les confirmer. Et jamais plus, si par miracle certains s’en sortaient, jamais plus ils ne pourraient oublier cette image, l'image fixe d'un monde qui était notre et qui s'apprêtait à ne plus l'être.

Il tombait, tombait avec fracas, lui qui nous avait vu naître, nous le voyions mourir.

Les hurlements martelaient chaque oreille, proches et lointains à la fois, ils avaient le terrible pouvoir de prendre aux tripes, d’imposer une seule et unique domination, celle d’une effroyable peur. Une multitude d’échos assourdissants s’entremêlaient de terreur et de détresse, la panique avait pris possession de tous par le biais du chaos, nous insufflant en parallèle une conscience totale de nos vies, de nos sens, mais pas de ce que nous perdions.

Effondrement d’un monde, sans même laisser le temps à l’agonie de jouer de son art. La déchéance théâtrale n’avait plus de rôle disponible, tous pris par une dévastation sans précédent, sans nom. Tant de sentiments à la fois que l’on pouvait à peine remarquer que dans l’air, volait une oppression écrasante, tandis qu’une pierre atterrissait sur le crâne d’une enfant.

Il tombait...
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Kalyso
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Re: De l'autre côté.

Message par Kalyso »

Extinction – H-22.

Elle passe une main sur la jupe de son tailleur pour qu’il soit impeccable et soupire en se laissant tomber sur un banc. Cela fait vingt minutes que la réunion est terminée, mais elle tremble encore. Ses doigts sont crispés autour de la poignée de la mallette qu’elle a prise au Palais de Justice, avant de le quitter, le visage blême, les lèvres serrées. Il y a vingt minutes ils ont trinqué. A la réussite du projet. A l’amélioration de Lievanta. Qu’elle soit encore plus grande, et plus belle, et plus glorieuse, et que sa légende outrepasse son infranchissable muraille. Et qu’elle marque les mémoires comme la cité qui réussit.

Sartiann a vingt six ans, deux mois, six jours et quelques heures. Elle a oublié sa montre. Ce genre de calculs inutiles, elle adore. Ils la calment. Ses doigts courent sur l’attaché case argenté. Elle regarde son reflet dans l’eau d’une fontaine. Vingt six ans, deux mois, six jours et sept heures et demi tout juste. L’horloge du Palais se reflète près de son visage.

Sa jeunesse n’a pas encore été mangée par le sérieux qui assombrit ses traits. Elle est fine.
52 Kg 7oo pour 1m69. Son tailleur épouse parfaitement son corps, n’allant pas jusqu’à l’impudeur, mais embrassant harmonieusement ses formes. Il est d’un gris qui se fond dans le liquide de la fontaine pour ne pas se démarquer suffisamment du ciel. Ses grands yeux verts brillent de l’éclat émeraude des démons nés. Son père vient de l’autre côté. Sa mère est de sang pur. La force du centre l’a emportée lors du métissage.

Elle glisse une main hésitante dans ses cheveux pourpres retenus en un strict chignon avant d’en caresser la valise toujours posée sur ses genoux. Et un sourire hésitant se dessine sur son fragile visage. Elle est entrée dans le jeu.

Sartiann est née il y a vingt six ans, deux mois, six jours, sept heures et trente quatre minutes à l’hôpital de Lievanta. Lievanta 13. Sur la treizième Desertica. Son père était arrivé quelques années avant. Il venait de l’autre côté. Hélas, ses souvenirs s’étaient estompés et étaient retenus prisonniers quelque part, au centre. Sa mère avait grandi ici, dans les jardins du couvent.

L’histoire de la famille voulait qu’elle tombât amoureuse des songes dont elle était la gardienne. Ceux du père de Sartiann. Et qu’alors que celui-ci se laissait dépérir, effrayé qu’il était de perdre l’essence de son âme, elle s’était présentée à lui, et offerte pour son salut. Elle était morte neuf mois plus tard, se pliant comme toute sa vie durant aux lois qui régissaient son monde. Cédant sa chasteté pour sauver un homme elle perdait tout pour lui. Son seul droit était d’enfermer sa force dans un chaînon qui les unirait symboliquement.

Elle s’était éteinte.
Il était parti.
L’enfant avait été confiée au couvent.
Et aujourd’hui, elle était entrée dans le jeu.

Les fleurs semblaient ne jamais se flétrir à Lievanta. Le doux printemps qui de sa bise joueuse séchait les joues des enfants si elles se trempaient de larmes n’offrait son trône à l’hiver qu’un mois rigoureux, deux fois par an, qui repartait aussi brusquement qu’il s’était installé.

Ce mois là, la ville dormait. Sans trêve aucune pour ses songes, dont elle confiait les secrets aux fileuses, âmes veillant en silence, de concert avec les gardiens, perdant la vue à contempler l’immaculée blancheur de la neige assassine, se brûlant les doigts à saisir, trier et tisser en une infinie toile les rêves de tout un peuple.

Puis la ville s’éveillait de nouveau, pour ne fermer les yeux que quatre mois plus tard. N’ayant conscience du temps passé que par la longue procession des fileuses partant portant sur leurs épaules des parchemins lourds d’écriture que les hommes avaient vus vierges. Et du poids allégé de leurs âmes, de l’ignorance de leurs secrets soigneusement consignés la morte saison durant, ils reprenaient une vie sans peine dont ils ne pouvaient rien cacher.

Sartiann ne dormait pas l’hiver. Elle travaillait en coulisse. Elle n’avait droit au sommeil. Elevée dans le couvent parmi les sages tisseuses, elle connaissait Lievanta sous toutes ses formes. Et de son enfance était resté cet anathème qui ne la laissait accéder au repos. Alors elle errait, accomplissant son œuvre, hybride. Aidant les tisseuses, regardant les gardiens du sommeil, dansant sous la neige complice sans craindre sa morsure.

Dans 22 heures, elle connaîtrait son cinquante second hiver.
Dans 22 heures, elle retrouverait sa solitude aimée.
Kemeth
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Re: De l'autre côté.

Message par Kemeth »

Extinction H-20. Min-25.

Rue pleine de monde. Heure de pointe pour les piétons, les allées remplies à ras bord.
Les couleurs diverses des vêtements défilent si vite qu’elles semblent floues, partant dans tous les sens en traînées de rouge, de bleu et autres...

Les cireurs de chaussures se font de l’or en barre à cette heure-ci. Nombreux sont ceux qui s’arrêtent pour s’offrir un petit nettoyage avant de reprendre leur voie à sens unique, ce chemin qu’ils parcourent et ne quittent autrement que pour les boutiques alentours.

L’un d’entre eux se met de côté et s’affaire à trouver la moindre petite trace de saleté sur l’une de ses chaussures afin d’avoir l’excuse permettant ce petit plaisir. Mais rien à faire, propres sans aucun doute, et pas question de les salir exprès...

Alors, en rogne, il s’engage dans le couloir qui le mène inexorablement au même endroit que tous les jours. Prenant tout de même le temps de jurer, de pousser des petits grognements d’insatisfaction, il cherche avec concentration ce qui pourrait ne pas aller, encore.

- Foutus cheveux. Toujours trop longs... Je ne vois rien les trois quarts du temps. Chaque fois je suis à deux doigts de bousculer quelqu... *Paf* Eeeh ? vous ? Vous pourriez pas faire attention non ?

Jem éprouve tout d’un coup une sensation de soulagement. Il est du genre à facilement se plaindre, mais au delà de ce qui paraît, tout lui va à peu près. Sauf qu’il a souvent l’irrésistible besoin de sentir que tout n’est pas parfait, de se rassurer, allant jusqu’à critiquer la tartine à peine trop grillée pour mieux se porter ensuite.

Pour beaucoup, Jem est antipathique. Et ce n’est pas les commerçants du coin qui voudraient le défendre sur ce point. Il a la sale habitude de se moquer des autres et le reste du temps, il le passe à brailler envers et contre tout, envers et contre rien.

C’est pour quoi, sa seule amie est Jimbo, sa truite de compagnie. Quand il a le temps, il lui attache sa laisse autour de ce qu’il pense être un cou, un espèce de creux où il lui manque des écailles (sûrement à cause de la laisse d’ailleurs). Il lui accroche ensuite son dispositif de bouclier d’eau afin qu’elle puisse voleter à quelques mètres du sol et aussi ne pas mourir, puis il va la promener dans le parc à côté de chez lui. Il est à chaque fois sûr qu’elle lui en est reconnaissante, il voit ça à sa bouche formant un « Merci » net et incontestable à ses yeux.

Jem est grand et maigre. Il affiche, sur un menton osseux, une barbe nette, taillée au millimètre près. La peau blafarde et les traits du visage tirés en plusieurs plies de grimace constante, ses yeux marrons grands ouverts sur le monde ne le font voir que des raisons de bien-être, ce qui ne l’empêche pas d’en ignorer certaines volontairement.

Il va sur ses vingt huit ans. Il est né et vit toujours à Lievanta 13, planète Desertica. Toute sa vie, il a eu ce qu’il désirait, grâce à l’aisance que ses parents ont toujours pu lui fournir, de par les crédits, les cadeaux qu’il voulait, et dernièrement, le poste qu’il occupe. Fils unique, ses caprices ont pris de l’importance à force d’être pourri et gâté.

Aujourd’hui, même si sa vie lui convient et que la belle, la grande Lievanta le comble de par tout ce qu’elle a à offrir, il lui faut être mécontent.

Patience... Jem.
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Kalyso
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Re: De l'autre côté.

Message par Kalyso »

Extinction – H-2o.

Les rues se vident peu à peu. Chacun rentre chez soi, se préparant pour la grande nuit. Les couleurs disparaissent progressivement du paysage, les quelques visiteurs quittent la ville en un flot régulier. Plus de cris, plus de rires, juste un silence sacré que parfois trouble un éclat de voix.

Sartiann aime ces dernières heures de vie où les portes claquent, où les lumières s’allument une dernière fois derrière les fenêtres. Les enfants regardent les veilleurs prendre place près des grandes portes, sur les grandes places. Les tisseuses se postent aux fenêtres du couvent d’où elles suivent la scène avant de se mettre au travail.

La jeune femme quant à elle attend. Son rôle dans tout ça, c’est de guider ceux qui lorsque le frimas dépose son dur baiser sur la cité, se perdent dans les méandres du voile. Elle leur explique, les soigne, et les guide vers la porte est, d’où elle les regarde s’envoler, jeux de lumières dans l’obscurité désertique.

Toute sa vie, elle l’a passée à Lievanta, la grande métropole dont les habitants et les ressources se suffisent. Mais son travail et sa curiosité veulent qu’elle connaisse tout ce à quoi elle a accès. Les coutumes des dix huit, elle les sait sur le bout des doigts. Chaque fois qu’un messager est apparu près des murs de la ville, elle s’est empressée d’aller à sa rencontre pour déceler dans ses yeux un bout de pays qu’il aurait vu.

Lievanta… Quelques secondes, ses pensées s’accrochent à la cité. Elle est, avec les cinq reines, l’unique constante dans les dix neuf univers. On dit qu’elle fut bâtie avant la grande séparation. C’est peut être pour cela. Et à chaque fois, c’est la même chose. Elle se ferme sur elle-même, refusant accords et marchandages. Il faut comprendre qu’elle est un oasis au milieu du désert, et qu’hormis le grand portail près de la sortie Est, rien ne la lie au reste des mondes. Et cela lui convient.

Lievanta 13, la sienne, est un état aux millions d’habitants qui ne connaissent réellement la tristesse. L’ancestrale magie qui régit le treizième univers en a fait un pays où nul ne peut rien cacher : tout est écrit dans ses rêves. On ne s’interroge pas réellement sur le sommeil qui ferme les paupières des hommes. Soit il artificiel ou dans la nature des êtres qui habitent le cœur de Desertica, ils ne les handicape guère. Ils s’y plient et s’y ressourcent, et y déversent leurs âmes.

Et cette confession est lue, la longue nuit durant par les tisseuses. Elles démêlent consciencieusement les fils des histoires les plus complexes, avant d’en tisser une toile si belle, qu’on dit que nul ne peut la regarder sans s’effondrer, abandonné par la vie.
Lorsqu’elles ont terminé leur ouvrage, elles s’allient aux veilleurs, gardiens du sommeil, pour descendre les toiles dans les profondeurs de la reine de sable, où ils vivent loin du regard des démons éveillés.

Jamais nul n’a pu voir leur visage. Lorsqu’ils sortent, hors de la période de rêve, ils portent une épaisse cagoule qui dissimule leurs traits. La légende veut qu’ils ne la retirent jamais. Certains leur prêtent une apparence monstrueuse. D’autres les voient échappés d’une vie qu’ils ne veulent retrouver. Mais chacun les respecte et craint le mystère qui les entoure.

Sartiann, une des rares créatures étonnantes ne succombant au sommeil général sans se voir attribuer le rôle de tisseuse ou de gardien, connaît ses êtres pour leur avoir parlé. Ils taisent leurs origines, mais exposent volontiers leur savoir. Leur voix est un murmure quasiment imperceptible, se mêlant au vent qui soulève le sable, loin, hors des murs de la ville.
Eux ne dorment jamais. Anathème ou bénédiction ? Ils évitent le sujet. Ils veillent sur le bienheureux sommeil des Lievites.

Le parc est vide maintenant. Tous sont chez eux. Les ombres des gardiens se profilent dans les rues. Un premier flocon s’écrase sur le nez de la jeune femme. Un veilleur lui adresse un signe de la main, elle lui rend un sourire. Chacun à son post regarde le froid qui grignote la ville. Et il s’étend, soufflant les lumières, recouvrant les toits d’un blanc manteau. Déjà les abords de Lievanta brillent du givre qui s’est installé. Et Sartiann sait que tous attendent dans leur lit que Morphée s’empare d’eux.

Elle frissonne et s’apprête à aller s’abriter à la bibliothèque, retrouver les autres « hybrides » qui non plus ne dorment pas. Un dernier regard au ciel qui blanchit, un signe de tête à un autre veilleur. Et tout à coup ses yeux se posent sur un jeune homme qu’elle n’a jamais vu. Il déambule dans une allée, tenant un poisson volant en laisse.

Monsieur, vous feriez bien de rentrer. L’hiver arrive. Si vous vous endormez ici, on ne pourra rien pour vous.

Elle lui sourit et poursuit sa route. La porte du jardin claque derrière elle, et ses pas résonnent dans le silence glacé de la nuit qui vient.
Kemeth
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Re: De l'autre côté.

Message par Kemeth »

Extinction H-20.

Tout en promenant sa fidèle Jimbo dans le parc, les yeux de Jem se fixent sur l’amas d’étoiles qui l’absorbe davantage à chaque tombée de nuit. Une merveille de petits points bleutés dont l’éclat dans son ensemble a toujours fait chavirer les cœurs, même des plus insensibles. Dans le passé, de grands personnages réputés de glace y ont laissé leur raison, à force de les contempler sans cesse et de ne plus pouvoir les quitter du regard.

Treizième Lievanta, Treizième reine. Respectée comme si elle était la deuxième mère de tous ses habitants, souvent citée en tant que symbole vivant de grandeur et de générosité, elle inspire à chacun des sentiments profonds.

Jem, touchant parfois du doigt sa propre reconnaissance enfouie envers la plus belle des souveraines, n’arrive plus alors à trouver de quoi se plaindre. Dans ces moments là, se propage en lui une impression de joie, accompagnée d’un étrange malaise. Plus aucun semblant de soucis ne peut venir titiller son esprit tordu, mais il sait qu’il va être temps de retourner chez lui, dans sa grande demeure froide et vide, reflétant sa personnalité ainsi que son acharnement à rejeter autrui. Il sait qu’il va devoir retrouver ses draps, dans l’intention de s’endormir... Et là, ses rêves rejoindront l’immense vague magique vers laquelle chaque songe se rend sans résistance pour y être accueilli et presque se confondre les uns aux autres, sans jamais se confronter. Il lui est arrivé de la percevoir, se demandant pourquoi cela se passe ainsi, mais peut-être n’était-ce pas réel.

Ce qui le préoccupe quand il y repense, c’est que son détestable caractère pourrait être perçu par les hautes sphères et qui sait, Lievanta elle même. L’idée de la décevoir lui est douloureuse, car bien qu’il soit antipathique comme une porte de prison coincée, il l’aime pratiquement autant que les autres, sans vraiment se l’avouer.

Le froid, entraîné dans une brise, le fait frissonner. Jem réajuste son écharpe traînante et se tasse un peu sur lui même. Le ciel commence à se couvrir et la blancheur devient la teinte universelle. Elle filtre les couleurs pour tout rassembler sous une même bannière, dans une beauté peu à peu intimidante, impressionnante, faisant passer Lievanta pour une Ville gelée aux lumières éternelles.

Un bruit de pas et une voix douce, derrière Jem, le font sortir de son état léthargique.

- Monsieur, vous feriez bien de rentrer. L’hiver arrive. Si vous vous endormez ici, on ne pourra rien pour vous.

Prononce une jeune femme souriante avant de reprendre son chemin. Elle a un sourire communicatif, pense Jem, car il lui a également donné l’envie de montrer ses dents autrement qu’en les faisant grincer ou en les serrant dans une imitation de crispation.

Jem entreprend donc de rentrer. L’harmonie qui règne lui convient, apaise sa fausse méchanceté, régule ses sarcasmes. Les feux des allées s’allument tandis que ceux des maisons s’éteignent. Seul le vent coupe le calme environnant et si l’eau protégeant sa Truite bien aimée n’était pas en train de devenir glace, Jem n’accélérerait pas l’allure en évitant les regards bienveillants et les signes polis des veilleurs.

Quoi que, si, il les éviterait également.
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Kalyso
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Re: De l'autre côté.

Message par Kalyso »

Ectinction - H-2o

Triste crépuscule qu'aucun regard n'embrasse, départ d'un jour que nul ne salue. La neige happe Lievanta sur son passage, en effaçant les contours. Elle embrase les murs de ses flammes immaculées, ne laissant à la nature que le choix de se figer dans un tableau de son choix. Et en quelques secondes, la ville s'endort.

En son coeur, dans le parc, deux individus viennent de se croiser et se séparent. Elle est jeune, les cheveux sanguins, le regard brillant. Il n'est guère plus vieux qu'elle. Plus grand, plus sec, il laisse son regard brun perdu dans les mèches folles qui traînent derrière la jeune femme. Puis il se détourne et murmure quelque chose, comme à lui même.

Au couvent, un rideau est tiré. A son pied, un veilleur monte déjà la garde.
Et c'est reparti, pour une nuit. La dernière de toutes. Car dans vingt heures, elle s'éteindra, la grande Lievanta. C'est la treizième qui ouvrira le bal. Puis une à une, elle seront soufflées comme les flammes fragiles de bougies. Et si le plan marche, alors le voile frémira peut être. Mais cela est une autre histoire, qui appartiendra à une autre génération.

Elle pense tout cela, elle qui est assise, perchée sur un toit, les bras autour d'un genoux. Elle pense à tout cela tandis que ses yeux vagabondent, suivant la progression de l'hiver, suivant la route des enfants, suivant le chemin du soleil.

Comme vous les condamnez vite, dame Kalyso.

Elle sent une pression dans son dos, qui réchauffe contre elle l'air qui se glace. Et se dessine dans le vide un corps androgyne qui s'appuie sur le sien. Sans étonnement, elle soupire et attend que le spectacle soit terminé pour poser sa main sur celle qui vient de se matérialiser près de la sienne.

On dirait que votre voyage vous a plu. Quoi de beau, de l'autre côté ?

Un ennui mortel sans notre chère sauvageonne. C'est tellement dommage qu'Il ne la laisse plus nous accompagner.

Il attend que je murisse. Peut être a t-il raison. Prêt ?

Mais nous sommes toujours prêt. Ils seront vos instruments ?

Deux insomniaques en quête de rêve, quoi de mieux, cher Chapelier...


Et leurs doigts se croisent, et leurs corps s'enlacent. La lumière qui les entoure semble irréelle. Un adieu du pâle soleil dans la neige endormie.
Dans vingt heures à peine la mort déposera son châle sur Lievanta, la première des dix huit à trouver enfin le sommeil. Vingt heures pour récolter l'essence des songes, pour libérer les secrets, pour se saisir de la parcelle du coeur abandonnée en ce lieu. Vingt heures enfin pour baiser le front des enfants endormis, et rendre vie à ces prisonniers de tant de siècles.

Au pied de l'église une tisseuse aux yeux gris tient embrassé un gardien. Ils se jettent un dernier regard avant que leurs doigts ne glissent les uns sur les autres, et que de leur étreinte ne restent que leurs pas dans la neige. Ils ont une mission, ces deux là, qui se mêle déjà à ce que les deux inconnus du parc vont vivre.
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