Page 1 sur 1

Larmes

Publié : 17 sept. 2020, 01:38
par Léh Mahav
Comme une pomme tombe de l'arbre, comme l'amande qui sèche dans sa coque et puis glisse dans l'air jusqu'au sol, une cape fragile et fine flâne au vent.

Sous les tissus, des épaules frêles puis quelques muscles disparates, des tendons, quelques nerfs et de minuscules vaisseaux sanguins. L'anatomie de ces corps comme l'anatomie de l'univers.

Il est si difficile de faire la différence entre ceux qui survivront et les autres.

Ceux qui désespéramment s'accrocheront à l'encadrement de l’allégorique porte sans toute fois pouvoir vraiment s'y retenir lorsque la mort viendra les chercher.

Ceux qui s'éteindront comme une étoile se meurt, dans un flash héroïque, une débauche d'énergie sans retenue, dans l'hubris la plus complète, la plus uniforme, cohérente et pourtant chaotique, tout aussi charismatique qu'elle est inutile.

Enfin ceux qui ne diront rien, qui fermeront les yeux dans un dernier soupir, las d'une vie déjà trop longue. Qu'importe le temps, c'est les expériences qui abîment vous diraient-ils.

Ou bien c'est le courage qui leur manquera. Ils auront vénéré le sang dans leurs veines, rivières et fleuves et torrents, pourtant dans ce dernier moment où ils pourraient enfin en admirer l'écarlate éclat, ils n'oseront pas le regarder, ils n'auront de cesse, dans ce court instant, que de ne plus le voir, de le cacher de nouveau dans leur entrailles comme s'il ne devait pas exister et pourtant il existera tout comme il existait avant, en cette fraction de mémoire qui elle aussi disparaîtra aussi rapidement qu'elle naquit.

C'est le destin des Hommes que de mourir sitôt qu'ils naissent, seulement ils ne s'en rendent pas compte ou ils font semblant de ne pas le comprendre.

Toujours au dessus d'eux, des formes de vie légèrement moins fragiles, aux systèmes plus stables, les regardent paître comme des bergers surplombant leur troupeau, attentifs, bienveillants, infiniment aimants, amants platoniques de l'humanité pour un temps.

Depuis ce monde d'humain, on ne distingue de ces êtres que des ombres et lorsqu'ils font trembler leurs organes vocaux on n'en distingue qu'un écho et si l'on cherche à les trouver, on ne peut que conclure au déclin de sa sanité.

Mais aujourd'hui, la laine a bien poussé, les jabots sont tendus, l'herbe du pré vient à manquer et la cape, fragile et fine, ne flâne plus au vent. Sous le tissu, des épaules frêles et plus haut un visage qui regarde le troupeau s'affairer dans la rue au dessous. Deux mains aux doigts d'enfants signent un chien sur l'asphalte, crayonné à l'ombre que projette l'étoile à son zenith dans le ciel de la ville.

Il est midi.
Un murmure.

- knephas

...

Re: Larmes

Publié : 16 oct. 2020, 21:19
par Léh Mahav
...

L'ombre s'anime, s'épand et se rétracte. Deux yeux émeraudes luisent en son sein.

Soudain elle s'élance. Sa bouche, noire comme la nuit, engouffre les hommes, les femmes, les enfants, la vie et tout le reste. De son passage il ne reste qu'un peu de sang, qu'un peu de temps, des larmes qui coulent aux coins des yeux des survivants hagards, incapables de comprendre ce dont ils ne se souviennent déjà plus.

L'ombre disparait déjà, emportant avec elle les rires et les souvenirs.

Les doigts d'enfant, origine du chaos, agrippent la capuche d'un hoodie trop grand qu'ils rabattent sur un visage aux traits efféminés. Ni tout à fait femme, ni tout à fait enfant, ce dernier disparait dans l'ombre de son vêtement et puis plus encore. On ne distingue bientôt plus que la base d'un cou pâle et seulement marqué de quelques grains de beauté, parcimonieusement étalés de ci, de là. Plus bas encore, on distingue à peine les formes d'un corps trop étroit pour être en vie, trop debout pour être mort. Suspendu dans les limbes, il s'agite. Deux talons, maladroitement glissés dans des baskets blanches et bleus, se retournent en cadence et disparaissent au bout de la passerelle.

La vie reprend son cours comme ci de rien n'était parce que rien ne fut pour ces gens là. Il ne reste des cadavres que quelques photos, quelques vidéos, quelques hologrammes où l'on distingue vaguement une ancienne idylle dans ses bras, un enfant étrange qu'on tient par la main ou encore une dame un peu âgée dont on ne se souvient plus du nom. Toutes les fleurs sont fanées, elles baissent la tête et perdent leurs pétales comme pour ne plus voir l'insoupsonné massacre.

-------------

- C'est toujours un plaisir de travailler avec toi, Léah.

- Je voudrai pouvoir en dire autant pour toi mais tu sais bien ce qui arrive quand je mens.

- Ton nez s'allonge ?

- Notre employeur ne me payera jamais assez pour supporter ton humour…

- En parlant de ça…

- 30k ? On avait dit 20.

- Considère ça comme une offre d'emploi. Je crois que t'as tapé dans l'oeil de tu-sais-qui.

- J'en veux pas. Je suis comme une chambre d'hotel, j'ai un prix, tu en as pour ton fric, quand t'as fini tu dégages. Pas de question, pas d'embrouille, pas de compte à rendre…

- C'est ce que je lui ai dit mais il a insisté. Il dit qu'il n'a jamais été aussi satisfait de dépenser ses crédits. Bon, si vraiment tu n'en veux pas, ça te gêne pas si je me sers ?

- Fais ce que tu veux, c'est pas mon problème.

- Cool ! Pour la peine, je t'invite au Basic. Il parait qu'ils servent le meilleur chocolat chaud de la ville.

- 2 ans qu'on travaille ensemble, je vois que tu commences à connaitre mes faiblesses.

------------------