Leur Quête - III

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Kalyso
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Leur Quête - III

Message par Kalyso »

Il posait problème. C'était évident, gros comme une maison, repérable comme le nez au milieu de la figure, ça crevait les yeux ! D'ailleurs, il aurait bien crevé une paire d'yeux. Oh, des tous petits ! Si petits que ça ne se verrait pas, que ça ne ferait de mal à personne. Que ça ne poserait même pas problème à leur propriétaire ! Il fallait même des yeux mauvais, méchants, des fentes insondables et observatrices, qui ne demandaient qu'à éclater ! Plop ! Plop, plop, plop. Aha ! Il pourrait sauter en rythme d'un pied sur l'autre, accompagné de ces « plop » mélodieux ! Mais il ne pouvait pas, non, car il posait problème. A tel point qu'aujourd'hui encore on l'avait enchaîné. Heureusement, la bassine était prise, sans quoi, direct à l'eau ! A l'eau qui mouille et qui colle, et qui brûle la peau. Non, décidément, il n'aimait pas la cuve. Il faudrait bien se tenir d'ailleurs. Pas plop, pas même couac. Rien du tout. Ou alors il serait un encore plus gros problème. Alors il restait sagement assis sur son siège, et il regardait passer les infirmières, leurs jupes courtes, les infirmiers et leurs bras musclés. Et crac les jupes, et crac les bras. Ah lala, ça pourrait être une telle symphonie ! Et clac, et crac, et couac et plop. Rien de tel pour égayer un cœur solitaire par une journée pluvieuse !

C'est là qu'il le remarqua. Suivant une paire de gambettes littéralement à croquer, il avançait dignement sous les gouttes. Un homme si peu amusant qu'il ne faisait naître en lui aucun début de mélopée. Alors il se renfrogna, les voyant s'approcher de la grille, et soupira. Il ne finirait pas son concerto aujourd'hui non plus...

---------

Etes-vous absolument sûr ? Monsieur ?

L'homme ne répondit pas tout de suite. Les yeux rivés sur l'imposante bâtisse, il s'abandonna un instant à une apaisante rêverie.
Etait-ce vraiment judicieux ? Tant risquer au nom de quoi, une vieille histoire, des espoirs adolescents, une couronne de souvenirs sucrés ? L'image l'amusa. Sucré n'était pas le terme. Doux-amers ? Tirant un peu sur le vomitif, même... Et qui pourtant continuaient de lui arracher des sourires. Même dans l'obscurité. Même dans la foule. Même dans l'oubli. Mais si, devant la mémoire retrouvée, incarnée, révélée sous un jour nouveau, plus rien ne venait lui soulever les coins des lèvres ? Si l'insipide l'emportait, finalement ? Pouvait-il se permettre d'ouvrir une fenêtre et de voir s'en évaporer un songe si réconfortant ?

Oui, oui. Je dois m'assurer qu'il s'agit de la bonne personne.

L'infirmière qui l'avait accueilli fut parcourue d'un frisson, comme si jusqu'à la dernière minute elle avait espéré que l'odeur d'humidité, la pierre grisâtre et les cent paire d'yeux vides de la muraille dissuaderaient l'homme d'accomplir l'objet de sa visite. Miléna avait été désignée comme gardienne par ses collègues, qui s'amusaient de son effarouchement facile et de son exemplaire naïveté. Les provoquer était devenu un jeu pour l'équipe médicale entière, si bien que moult légendes lui avaient été contées sur le grand bâtiment du fond, le seul disposant d'une protection renforcée et entourée de grilles presque aussi hautes que lui. Ainsi, c'est s'apprêtant à devoir passer devant une armée d'écorchés - « mais des écorchés domestiqués ! » - et repassant mentalement l'ordre des dix-neuf mots de passe qu'elle aurait à réciter à tel ou tel endroit de la visite, qu'elle inséra une vieille clé rouillée dans une serrure qui aurait pu avaler sa main.

Pourquoi tremblez-vous, mademoiselle ? Il n'y a, en principe, pas grand chose à craindre dans un établissement à la réputation du votre.

Oh, c'est que les dispositifs du Lievante me sont inconnus, et que je crains de faire une erreur.


Elle se garda de prononcer la fin de sa phrase. Parler à l'homme des piques de fer et des flèches empoisonnées qui viendraient leur transpercer le corps à la moindre erreur de sa part ne serait pas professionnel. Par ailleurs, il y avait au fond de ses grands yeux attentifs une chaleureuse lueur qui l'enveloppait toute entière, et lui donnait envie de se remettre entièrement à ses longues mains. Une fascinante force l'intriguait en lui. Ses pensées inopportunes furent brutalement interrompue par sa voix calme.

Lievante, hein ?

Oui, chaque lieu ici porte le nom d'un endroit historique. Ça apaise les patients. Ainsi, ils ne sont pas complètement – abamanial -déracinés, ou perdus. Parler, par exemple du Duanration plutôt que de la salle capitonnée leur permet de s'évader, au moins par l'esprit.

Intéressant...

Oh, vous ne comprenez pas. C'est normal, vous ne savez pas. Ils sont là, pour la plupart, depuis des années. Et la majorité le resteront – shtrufban – sûrement jusqu'à la fin.


Ils étaient encore libre, les incantations avaient donc été prononcées aux bons endroits. Quel homme étrange, quand même. Il avait annoncé sa visite quelques jours plus tôt, en apparence intéressé par la modernité de la structure et des soins prodigués. Il devait être connu des chefs, puisqu'à aucun moment ses projets n'avaient été contestés. Puis il était arrivé, dans une tenue inhabituelle – même pour la Neuvième Galactica, même pour l'endroit visité – et tenant du bout des doigts une petite photo d'une jeune fille riant aux éclats. S'interrogeant sur la nature de leur relation, Miléna poussa la lourde porte du Lievante, et fut sûrement aussi surprise que l'hôte de constater le contraste entre l'extérieur du bâtiment, les effrayantes promesses de ses collègues, et la réalité.

On le reconnut, et il fut pris en charge par une autre jeune femme, qui lui fit traverser un dédale de couloirs oppressants, entendre mille appels à l'aide. Le spectacle de cette déchéance aseptisée le rendait mal à l'aise. Il écoutait poliment les explications. Chocs, électrochocs, pilules, décoctions, ablations, castrations – ici, les déchets étaient protégés d'eux mêmes à coups de soins dénotant la créativité de l'être pensant dès qu'il s'agit de trouver les limites physiques de son voisin. Il était dans le pavillon deserticain. « Sûrement en référence au sable qui s'écoule dans leur tête » avait pouffé l'infirmière. L'aile des dangereux, qu'on veut faire taire parce que leurs cris inondent le monde réfléchi. Qu'ils résonnent sous forme de meurtres, de massacres, de manipulation destructrices. Il assistait à ce sadisme muet en continuant de s'interroger sur le bien-fondé de son entreprise. Ca ne pouvait être elle. Comment aurait-elle atterri ici ? Et si elle méritait vraiment sa place dans le coin, c'est qu'elle avait continué à tester le monde qui l'entourait. Jusqu'où était-elle allée ? Et où était-elle à présent ?

L'infirmière, boudant son absence de réaction, lui ouvrit une porte en lui dictant mécaniquement les procédures de sécurité. S'il voulait se retrouver seul avec elle, soit. Mais qu'il ne se plaigne pas en sortant de là défiguré...


Il lui fallut quelques minutes pour s'habituer à la semi-obscurité de la pièce. Une petite chambre au sol nu, aux murs nus, aux fenêtres barrées et au matelas éventré. Il y promena ses yeux en quête d'une once de vie, se perdant dans le silence, assourdissant après les hurlements de l'extérieur. Et enfin, il la remarqua. Boule de chaire bleutée, assise dos contre un mur, déchiffrant des pages couvertes d'une écriture brouillonne, ne se souciant guère de sa présence.
Ce n'est que lorsqu'il laissa échapper son prénom qu'elle releva la tête.

Un flot de souvenirs lui coupa alors le souffle, et quand sa respiration redevint régulière il remarqua qu'elle s'était levée. Elle portait une longue chemise de papier, qui ne faisait d'elle qu'une silhouette aux contours incertains. Ses longs cheveux tombaient jusque son bassin, où ses mains les attrapaient, nerveuses. Et le rictus qui faisait tressauter à intervalle régulier son visage émacié épousait en noces funestes l'absence de vie dans son regard.
Rien, pourtant, n'avait changé. Ils auraient pu se quitter la veille qu'il l'aurait reconnue aussi vite.

Kaly, Kaly tu es là.

La créature eut un mouvement de recul, puis un sourire mauvais figea son expression. Elle s'approcha doucement de lui, comme si chaque contact avec le sol la glaçait. C'est lorsqu'elle se pencha sur lui qu'il remarqua qu'il était presque appuyé contre le mur.

Alors quoi, vous n'en avez pas vu assez ? Vous allez commencé à affluer de l'autre côté du voile, maintenant, pour constater la fin ?

Kaly, tu...

« Kaly, tu »


Sa voix n'était plus qu'un souffle, grinçant, méprisant, et brisé.

Qui êtes-vous, cette fois-ci. Un autre représentant du Centre ? Il veut que sa chienne revienne au panier, c'est ça ? Ou est-ce le Shadowsong qui s'assure que je n'ai pas quitté ces murs ? Dites leur que c'est terminé. Qu'il n'y a plus de résistance de ma part. Que je ne bougerai pas, qu'ils ont gagné. Qu'ils chantent, qu'ils dansent, qu'ils se réjouissent en invoquant l'apocalypse. La situation est tellement absurde que je ne me débattrai même pas. Crevez tous, envoyez moi devant.

Non, ce n'est pas...

Ce n'est pas quoi ? Aha... Tu as payé le prix fort au directeur, c'est ça ? Passer après Kaitsork, ça en jette. Mais vas y, il n'y a qu'à demander.


Sur ces mots, elle partit d'un rire fou et arracha la chemise. Sous les lambeaux de papier, ceux de peau offrait un étal d'une folie meurtrière.

Qu'est ce qu'ils t'ont...

C'est laid, n'est-ce-pas ? On regrette d'avoir payé, d'un coup ! Ou suis-je devenue un attrait à touriste, offert avec la visite ? Formidable, je participe au financement de ma future geôle. Me voilà indépendante, que demande le peuple ?!


Droguée, ivre de colère, de craintes, elle s'élança simplement contre lui. Elle opposa à peine une résistance lorsqu'il lui attrapa les poignets d'une main, la gifla de l'autre.

Il est vraiment temps que tu te réveilles ma grande.

Que je me réveille ? Lequel d'entre nous deux t'a l'air le plus...


Et elle s'arrêta net. Un éclat lointain chassa l'erzatz de colère de ses yeux, qui avalèrent subitement son visage.

Non. C'est impossible. Tu.. Vous.. Non...

Il ne la laissa pas finir de réaliser qu'ils couraient déjà entre les mondes. Et avec leur course, celle de leurs cœurs qui battaient de nouveau à l'unisson. Elle ne tint pas la distance, seule la surprise l'avait poussée à trouver en elle la force nécessaire à s'engouffrer à sa suite dans le portail. Trois Galactica se succédèrent sous leurs pieds avant qu'elle se dégage.

Oh, non. Non non. J'ai besoin de toi, sur ce coup là. Et je crois que tu as besoin de quelque chose aussi. Alors tu viens.

Serrant son bras d'une étreinte sans possibilité d'échappatoire, il sauta d'une colline, et trois paysages se succédèrent autour d'eux avant qu'ils ne soient happés par une mer d'encre.

Le plongeon eut le mérite de réveiller complètement la jeune femme, qui regagna prestement la côte. Petite ombre blanche dans l'immensité nocturne, elle se retourna, furieuse, grelottante, ridicule, vers son libérateur. Celui-ci s'empressa de la recouvrir de sa veste, trop longue, et de s'éloigner d'un pas, ne connaissant que trop bien l'imminente réaction de son ancienne compagne de route.

Mais qu'est ce que tu as fait ? Idiot, pourquoi ? Pourquoi a t-il fallu que tu viennes ? Pourquoi a t-il fallu que tu gâches tout ? Pourquoi t'obstines tu à me sortir sempiternellement de là où je me retrouve ? Tu ne crois pas que la merde m'attire pour que j'y passe de telles éternités ?

Kaly, je ne veux pas qu'on se batte. Ecoute, j'ai besoin de toi. Quelque chose est en marche, je peux le sentir. J'ai besoin de toi pour l'appréhender.

Tu as besoin de moi ? Mais je ne suis plus, Halad. Tienn était une ombre plus consistante que moi. Je ne veux plus, tu comprends, ça ? Je ne vis plus de ça. Tout a foutu le camp. Regarde moi bien, il n'y a plus rien. Je suis un trou béant. C'est à peine si je porte encore un nom.

Tu m'as appelée, je te signale. Hurle le contraire tant que tu veux – ce dont je te déconseille d'abuser, on dirait que tes sédatifs font encore effet vu que tu n'as pas attenté à ma vie pour le moment – je t'ai entendue. Je n'aurais pas bougé, sinon.

Je t'ai appelé ? Moi, je t'ai appelé ? Il est trop tard, je n'ai plus de voix. C'était il y a un siècle, ou deux. C'était une autre. C'était toi. C'est toi, de nous deux, qui crois !


Et elle s'élança de nouveau contre lui, et frappa, impuissante, jusqu'à épuisement, le corps impassible. Puis elle releva la tête, et sembla chercher quelque chose dans ses yeux quelques secondes, avant de glisser sa main sur sa jambe.
Il la saisit, las, et murmura.

Regarde toi, Kalyso...

Et comme si elle avait enfin attrapé ce qu'elle attendait, elle recula. Ses yeux s'embuèrent, et elle se retourna pour vomir ; comme si elle recrachait un hôte indésirable, de mauvais souvenirs, sa haine, ses peurs. Elle vomit de l'air, principalement, jusqu'à ce que sa gorge la brûle ; et se laissa tomber sur le sable, la tête vers les étoiles, témoins comme autrefois, les yeux fermés. Et dans un soupir elle lui demanda ce qu'elle pouvait pour lui.

Alors, doucement il vint s'asseoir en tailleur à ses côtés, et à peine eut-il posé une main sur son épaule qu'elle se jeta dans ses bras, et se mit à sangloter.

Ils étaient réunis, et une fois reposés ils pourraient reprendre leur quête, qui s'impatientait par delà les mémoires.
Aurel
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Re: Leur Quête - III

Message par Aurel »

La lune s'était levée depuis quelques heures, et Kalyso s'était endormie, roulée en boule près du feu. Quelques flammèches crépitaient encore alors que les dernières brindilles humides terminaient de se consumer. Halad se redressa enfin, s'arrachant à la contemplation du corps ravagé de la jeune femme. Il soupira doucement et secoua la tête. Ces trois années de captivité avaient imposé sur elle un tribut dont il n'avait pas soupçonné l'ampleur jusqu'à présent. S'il avait su, sans doute aurait-il agi plus tôt, au risque de se faire arracher les yeux par la jeune femme et de la perdre définitivement. S'il y avait un domaine dans lequel Kalyso excellait, c'était bien celui de la fuite en avant.

Halad rajusta sa veste qui couvrait le corps frêle de la jeune femme assoupie, et s'éloigna de quelques pas dans la nuit. Il ne dormait plus beaucoup depuis quelques mois ; son corps poursuivait les profondes mutations qui lui rendraient un jour prochain l'ensemble des capacités qui étaient les siennes lorsqu'on l'appelait encore Shingaz. Déjà il entendait la nuit chanter, le vent lui murmurer ses secrets, les étoiles pulser lentement leur force. Halad observa le paysage qui l'entourait : ils s'étaient arrêtés dans le creux formé par quelques dunes de sable couvertes d'herbes rabougries, au bord d'un océan calme comme un lac, dans le miroir duquel se reflétaient les étoiles. Au loin il pouvait apercevoir les premières frondaisons de ce qui devait probablement être une grande forêt. Autant qu'il pouvait l'affirmer, ce recoin du Voile ne semblait pas habité.

Après un regard en direction de leur campement de fortune, Halad tendit la main droite, paume vers les cieux, et murmura une brève incantation. Une poudre argentée fit peu à peu son apparition, et très vite s'échappa de la prison de ses doigts repliés pour s'envoler au gré du vent. Observant un instant le vol chaotique de ces grains de poussière lumineuse, et semblant tirer de leurs mouvements convolutifs une sagesse cachée, il hocha lentement la tête. En sortant Kalyso de sa prison, il avait marché au hasard du Voile, passant d'une version de Galactica à l'autre sans réellement tenter d'orienter leur course. Le Voile devenait de plus en plus mouvementé ces dernières années, et de nouveaux mondes apparaissaient et disparaissaient au gré du hasard. On était bien loin de l'époque où il pouvait simplement parler des Dix-Neuf. Seul le Centre restait inchangé, pivot régulant constamment la course des mondes. Avec une pensée pour les êtres qu'il avait laissés dans ce lieu étrange, il reprit le chemin du campement où sa compagne se reposait toujours d'un sommeil agité.

~ ~ ~

Cela faisait plusieurs heures maintenant qu'ils marchaient, s'arrêtant à peine le temps de manger un morceau. Une fois de plus les mondes s'étaient succédés, mais la fatigue apparente dans les mouvements de Kalyso – et ce malgré ses efforts pour la dissimuler – avait conduit Halad à limiter leurs marches entre les mondes. Le passage d'un portail, bien que naturel maintenant pour tous les deux, restait un exercice éprouvant sur le long terme, et la jeune femme souffrait des suites de son internement. Ils progressaient donc maintenant dans une pinède interminable, sans plus chercher à emprunter des raccourcis par les chemins tortueux chers aux arpenteurs du Voile.

Tu ne veux toujours pas me dire où on va ? interrogea une fois de plus Kalyso.

Et te gâcher la surprise ?

La jeune femme esquissa un demi-sourire, puis ajouta d'une voix dans laquelle Halad put percevoir sa lassitude :

On ne pourrait pas au moins accélérer un peu ? Tu as un peu trop forcé sur la bouffe durant ces trois ans, un peu d'exercice ne te ferait pas de mal...

Ne t'en fais pas pour ça,
sourit Halad, te connaissant on va très bientôt se retrouver la cible d'un quelconque psychopathe et on aura sans doute l'occasion de courir un peu.

Ne fais pas ta fillette, si un méchant veut te faire du mal je n'aurai qu'à lui dire où j'ai passé ces dernières années pour qu'il décampe aussi...


Kalyso s'arrêta au beau milieu de sa phrase. Dans une éclaircie au milieu des arbres, elle venait d'apercevoir le sommet d'une tour blanc ivoire, perçant les nuages et dominant le reste du paysage. Jamais elle ne s'était rendue sur ce monde, mais on le lui avait décrit à de maintes reprises. Le doute n'était pas permis.

Tu m'emmènes à la Citadelle ? demanda-t-elle lentement.

On ne peut rien te cacher. Je crois savoir que tu as des liens particuliers avec les mythes de Lieventa... Mais je ne crois pas que tu as visité celle-ci. Il y a encore quelques mois, cette ville faisait partie du Septième, mais la séparation entre les mondes n'est plus ce qu'elle était.

Ah ?

De nombreux lieux se détachent de leur emplacement millénaire et flottent simplement dans le Voile... Leurs frontières sont des zones dangereuses où plus d'un voyageur s'est perdu, condamné à errer sans fin dans les limbes.

Warren a fait des siennes ?
demanda Kalyso avec un sourire.

Pas à ma connaissance, répondit Halad en riant. Si j'ai bien compris, il a surtout consacré son temps à te chercher. Je pense que s'il avait su où te trouver, le Lievante serait en bien mauvais état à l'heure qu'il est...

Le regard de la jeune femme s'assombrit à la mention de sa prison. Plongeant son regard dans les yeux gris de Kalyso, Halad ajouta simplement :

Enfin, le principal est que tu aies décidé d'en sortir. Tâche simplement de te souvenir de ce que tu as vécu ces trois dernières années la prochaine fois que tu auras envie de « t'isoler ». Possible que tu optes pour une solution un peu moins radicale...

Kalyso ne répondit pas et Halad n'insista pas. Il avait une assez bonne idée de ce qui avait pu motiver les choix de son amie, et ne tenait pas à émettre un quelconque jugement. Se retournant vers la tour qu'on apercevait à l'horizon, il reprit d'une voix plus enjouée :

Bon, la Citadelle donc. Tu sais, sa réputation n'est pas entièrement méritée. J'y suis entré une fois, et je suis toujours en vie.

Les seigneurs de la Citadelle n'ont pas la dent assez dure pour toi,
renifla Kalyso avec un sourire en coin. C'est pas pour ça que j'ai envie de leur rendre visite...

A vrai dire, j'espère qu'on n'aura pas à en arriver là. Je comptais juste te proposer une petite balade dans les rues de cette Lievanta. On marche un peu, on fait du shopping – il paraît qu'on peut trouver de magnifiques shurikens en Zian, je crois que ça devrait t'intéresser – , on parle aux gens, et puis tu me diras si tu as envie de t'attarder.

Toi, faire du shopping ? Il me semblait pourtant que tu préférais un dîner avec des écorchés que de te retrouver coincé dans une boutique...

Ne te moque pas
, rétorqua Halad en riant, certains écorchés sont probablement très sympathiques.

Qu'est-ce qu'on vient faire ici réellement ?

Encore une fois, ne sois pas trop pressée. Je ne peux pas te gâcher la surprise, tu ne voudrais même plus faire l'effort de m'accompagner. Je m'ennuie quand tu n'es pas à mes côtés pour mettre un peu d'animation...


Sur ces entrefaites, les deux voyageurs quittaient peu à peu la dense végétation qui les accompagnait depuis leur entrée dans ce monde. A leurs pieds s'étendait un vaste marais duquel s'élevait une brume épaisse, qui dissimulait à leurs regards les tours nacrées d'Illyandir, la funestement célèbre citadelle se dressant au cœur de cette version de Lievanta.

Les deux marcheurs s'engagèrent résolument dans les dangereuses étendues fangeuses, appréhendant en silence les épreuves qui les attendaient mais heureux de marcher de nouveau côte à côte.
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Kalyso
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Re: Leur Quête - III

Message par Kalyso »

L'esprit humain regorgeait décidément de bien des surprises. Quel que soit le sens dans lequel on voulait le faire ployer, il finissait par s'armer d'un subconscient enfermé en prévision à double tour, pour se redresser majestueusement.

Elle s'était appliquée à défaire consciencieusement toute forme de lien avec le monde qui l'avait vue naître, avait elle-même tranché les fils tendus. Certaines choses étaient pourtant enracinées si profondément qu'elle n'aurait jamais la force de les exhumer. Et il en était. Une promesse, une seule promesse pas même formulée avait soufflé ses efforts annihilateurs. Une simple caresse avait libéré le trop plein. Quelques pas au soleil suffisait à lui donner la volonté de cent hommes.

Elle eut un sourire triste en pensant cela, qui s'élargit lorsqu'elle le vit fendre la foule et se transforma en éclat de rire lorsqu'il esquissa un pas de danse maladroit devant la table où elle avait trouvé place. Il avait l'air d'un homme d'affaire, dans son costume de soie. Il était devenu un homme tout court, sous son éternel sourire et ses sourcils froncés. D'une force qui ne cesserait de croître...

Madame..

La jeune femme lui offrit sa main en se levant de sa chaise, et il la fit tourner sur elle même. Sa robe fleurie et son grand chapeau, costumes parfaits pour ce monde sans époque, s'accordait à la tenue de son ami. Il virevoltèrent entre les tâches de lumière sous les regards amusés de passants, et finirent essoufflés mais hilares sur un muret, à l'ombre d'un buisson aux fleurs doucement parfumées.

Monsieur, votre classe n'a d'égale que votre grâce.

Vous ne vous en sortez pas mal non plus, Madame. Bon, le rythme dans votre tête est assez étrange, mais le décolleté compense...


Elle lui donna une petite tape sur le bras.

outch ! Tu pièges tes manches, maintenant ?

Oh ! Non, cadeau !
– il fit glisser deux étoiles métalliques qui avaient fait rêver son amie, quelques années plus tôt dans les mines de Zian.

Monsieur, vous savez parler aux femmes....

A quel degré leurs plaisanteries étaient-elles sincères ? Un doute mordant se logea dans sa poitrine et elle détourna les yeux. A quoi jouaient-ils ? Ils savaient tous deux que ce répit serait fugace, et que Leur Quête ne les mènerait – par mille chemins détournés et ô combien appréciables – qu'à un autre éloignement aliénant. Jusqu'à la prochaine. Y aurait-il une prochaine ? Ce cycle avait-il vocation à se reproduire à l'infini ? Et combien de temps lui restait-il ?

Car si Halad avait gagné en assurance et idéaux, grandit, s'était renforcé, il perdait du terrain. Oh, Maître Shingaz... Dieu sait le respect et l'affection que je vous porte. Mais je ne veux plus, maintenant, que vous le consumiez. Il a fait ses preuves, laissez-moi vous trouver un autre porteur.

Tu sais aussi bien que moi qu'il n'y a d'hôte plus intéressant qu'un Gardien...

Elle tressaillit, et du se retenir pour ne pas sauter au cou qu'Halad avait cédé, pour quelques instants.

Heureux de voir que le gamin t'a enfin sortie de... Hmm. Ecoute moi, Kalyso, j'ai peu de temps. Les Forces s'alignent de nouveau. La structure change. Les composantes ne sont plus les mêmes. Et pour la première fois, nous ne sommes plus maîtres de l'Avenir. J'ai besoin que vous trouviez les informations qui nous échappent. Halad connaît la route, fais lui confiance. Vous nous retrouverez par la suite au Centre...

Mais...

Les composantes ne sont plus les mêmes. Tu as dormi longtemps. Une fois que vous aurez les éléments nouveaux, revenez au Centre. Nous vous y attendrons.

Promettez moi une chose.

Kalyso, je n'ai pas le temps pour...

Je vous en prie. Promettez-le moi...

On en reparlera.

Je ne veux pas me battre contre vous. Je vous en prie...

On en parlera.


Ce point là était final. Tenter de poursuivre le dialogue serait inutile – il était déjà parti.
Elle déglutit, prise de tremblements. Son traitement avait été trop agressif pour que le sevrage se passe sans encombre. Attrapant son visage dans ses mains, elle tenta de calmer l'angoisse, la paranoïa. Il ne pouvait pas disparaître. Il n'avait pas le droit, c'était trop tôt. Plus personne ne le devait. Plus personne ne devait mentir, se cacher. Il ne fallait plus rien comprendre, juste se laisser guider, juste s'assoupir. Ensemble, sans secrets, sans remords, sans espoir.

La main de son ami sur son épaule la rappela. Préoccupé, il cherchait une lumière sous ses paupières closes.

Shingaz est passé ?

Ca arrive souvent ?

Hmm...

Halad.. Il faudra qu'on en parle...


Et ils se levèrent en silence. La récréation était terminé, la Citadelle attendait. Elle arrangea ses cheveux, mit de longs gants blancs et attrapa une pochette de cuir. Il ajusta sa cravate, et lui présenta le bras.

Nous sommes absolument ridicules.

Et il y a des chances que ça marche...
Aurel
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Re: Leur Quête - III

Message par Aurel »

La porte de la cellule se referma derrière eux dans un vacarme assourdissant. Le cliquetis du mécanisme de verrouillage se faisait encore entendre pendant de longues secondes après que les derniers échos des pas des gardiens eurent disparu dans le lointain.

Ça aurait pu être pire, lâcha Halad.

C'est vrai, rétorqua Kalyso. Ils auraient aussi pu nous enlever nos vêtements, en plus de tout notre équipement.

Halad laissa échapper un petit rire, avant de palper attentivement les parois de leur cellule.

Un détail intéressant au sujet du Zian, énonça-t-il d'une voix docte. Utilisé correctement, il peut aussi bloquer toute magie... Ce qui en fait un matériau idéal pour construire de jolies prisons.

Première pour la paillasse !
lança Kalyso. Tu peux dormir par terre à côté si tu veux !

Halad sourit et s'installa posément sur le sol. Il ne leur restait plus qu'à attendre...

~ ~ ~

Quelques heures plus tôt, à l'entrée de la Citadelle d'Illyandir...

Les deux gardes échangèrent un regard, puis reportèrent leur attention sur l'étrange couple de nobles qui leur faisait face.

Vous dites que vous êtes le frère du Premier Régent ? répéta le premier soldat avec incrédulité.

Tout à fait, répondit son interlocuteur d'un ton froid et hautain. Combien de fois me sera-t-il nécessaire de le marteler dans votre minuscule crâne ?

La compagne du noble visiteur ajouta d'une voix haut perchée :

Vous êtes en présence de son Excellence Roger le Magnifique, Treizième Empereur de Duanratie, Huitième Célestin de l'Orbe de l'Infinie Béatitude, Douze Fois Sacré Héraut de l'Escouade Chaotique du Thorinempire, Resplendissante Lumière du Destin Immuable...

Halad interrompit Kalyso d'un geste bienveillant.

Il suffit, Dame Gertrude. Inutile d'assommer ces braves hommes de trop de détails généalogiques. Je crains que nous n'ayons le loisir d'écouter la liste de mes sept cent sept titres.

Comme il vous sierra, Votre Magnificence.


La jeune femme inclina respectueusement la tête, puis esquissa un sourire avant d'ajouter, dans un murmure de connivence à l'intention des gardes :

Savez-vous ce qu'il a fait à la dernière personne qui lui a manqué de respect ? Un jeune troubadour originaire de la Quatorzième Desertica, acclamé dans l'ensemble des Dix-Neuf et jusqu'au Centre pour sa dextérité et sa capacité à jongler avec douze boules. Son Excellence Roger le Magnifique lui en a offert deux nouvelles...

Halad s'éclaircit bruyamment la gorge, coupant court aux confidences de son amie :

Menez-nous immédiatement dans les appartements du Premier Régent, nous sommes attendus et il n'appréciera pas notre retard.

Ce faisant, il agita légèrement la main. « Ce ne sont pas les droïdes que vous recherchez », murmura-t-il à Kalyso avec un clin d’œil.

Les gardes hésitèrent quelques secondes, puis leur commandant claqua les talons et déclara simplement :

Mes plus plates excuses, Monseigneur Roger le Magnifique. Vous comprenez, la sécurité a été renforcée, avec l'arrivée récente du joyau de l'empire. Veuillez me suivre, je vais vous indiquer la voie.

Halad hocha simplement la tête et lui emboîta le pas, Kalyso à ses côtés.

Roger le Magnifique... répéta-t-il à voix basse en secouant la tête. La prochaine fois, on discutera avant du choix de mon nom...

Comme vous le souhaitez, Votre Magnificence
, rétorqua Kalyso avec un sourire espiègle. Je ne suis que votre humble servante...

~ ~ ~

Jusque là, on s'en sort plutôt pas mal, commenta la jeune femme avec le sourire.

C'est grâce à l’extrême subtilité de mon plan, répondit son compagnon avec le plus grand sérieux. Comment un stratagème aussi minutieusement préparé aurait-il pu échouer ?

En effet, j'en suis toute admirative. Bon, on va chercher le Premier Régent maintenant ?
interrogea gaiement Kalyso. Après tout ce que j'ai entendu à son sujet... A moins que tu ne veuilles voir directement les seigneurs de la Citadelle ?

Si possible, j'aimerais éviter l'une et l'autre rencontre. Ce que je recherche ici est d'une toute autre nature... Et non, je ne peux toujours pas t'en dire plus !
coupa-t-il court à toute récrimination. Je pense que c'est ce que les gardes ont appelé « joyau de l'empire »... Même si je doute qu'ils en comprennent la nature.

Alors quoi, on se reconvertit en voleurs de bijoux ?

Tu peux voir ça comme ça pour l'instant,
s'esclaffa Halad, même si l'aspect de ce « bijou » risque toi aussi de te surprendre. Normalement on devrait le trouver dans le sanctuaire intérieur... Ce qui nous pose un léger problème, car il sera très difficile d'y entrer discrètement. Du coup, je propose de passer à la deuxième étape de mon plan.

On casse tout ?

J'étais sûr que tu serais partante... Évite de te défendre trop violemment quand même, l'objectif est qu'ils nous capturent. Si mes prévisions sont exactes, ils seront curieux de savoir comment nous avons pu pénétrer la Citadelle, et ils nous enfermeront dans la prison du sanctuaire intérieur pour être interrogés. Ça devrait nous permettre de passer les défenses extérieures...

C'est ça ton plan ? Se laisser capturer pour être enfermés plus près de notre but ? Félicitations, quel stratège !

Plutôt que de te moquer, tu as une autre idée pour passer les protections placées autour du sanctuaire ?

Oh mais non, ton plan me convient parfaitement. Ça faisait un petit moment que j'avais envie de me défouler de toute façon... Dis, je peux en casser deux ou trois avant de me laisser capturer ?


Halad sourit en sortant son épée du fourreau.

Fais-toi plaisir...
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Kalyso
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Re: Leur Quête - III

Message par Kalyso »

Et l'attente se révéla longue.

Ca va aller, ton bras ?

Cesse de me couver comme ça, tu vas te transformer en poule...


La jeune femme déchira un pan de sa robe et en banda son poignet avec une grimace.

Ils n'y sont pas allés de main morte...

On n'a pas vraiment fait dans la dentelle non plus.

Eh, ils n'ont pas à se plaindre, il nous est arrivé de nous montrer moins enclins à la passivité.

Ca pique un peu, d'ailleurs.

Ta fierté, sûrement. Dis toi que c'est pour la bonne cause.


Kalyso devina le sourire de son ami dans la pénombre et appuya sa tête contre le mur humide derrière elle.

Pour la première fois depuis qu'il avait fait irruption dans son existence elle pouvait prendre le temps de penser tout cela. Qu'il ait été poussé par Shingaz ou simplement suivi son instinct, Halad n'était pas venu la rechercher pour le plaisir d'une aventure à l'aveuglette. Il avait quelque chose derrière la tête. Quelque chose d'autre que les ordres du Centre. Il avait grandi, et ses pouvoirs aussi. Il pouvait sentir de nouvelles choses, jouer avec le Voile, en malléer les plis à sa guise... Et il ne s'arrêterait pas en si bon chemin... Restait à déterminer ses desseins. Il avait, de par sa nature, une inclination à le protéger de la déchirure. Cette propension pourtant avait elle-même été affectée par les dernières années. Il avait multiplié les expériences, parcouru la plupart des mondes, et côtoyé les plus imprévisibles puissants.

Et Warren au Centre... Quand l'avait-elle vu pour la dernière fois ? Il y avait eu cette chasse, retrouver Senctia... Les batailles, floues et incessantes. Les géants sans visage. Et l'envers du décor. Ca avait été leur dernier contact. Sa voix s'échappa quelques instants des lointains souvenirs de la jeune femme. L'avenir nous le dira, Dame Kalyso . Elle lui avait alors demandé si c'est sur un champ de bataille que se ferait leur prochaine rencontre, et s'il aurait à chanter. Le murmure de Shingaz effleura son oreille. Et pour la première fois, nous ne sommes plus maîtres de l'Avenir . Y avait-il un lien ? Shingaz craignait-il une percée non maîtrisée ? Ou voulait-il connaître son nouveau jouet ?

Quelque chose ne va pas ?

Où m'emmènes tu, Halad ?

Pour le moment dans cette somptueuse suite de la Citadelle. Une paillasse tout confort, pas de fenêtre pour ne pas être dérangés par la plèbe. Massage au pal offert pour...

Je suis sérieuse.


Il se renfrogna.

Fais moi confiance, Kaly.

Tu sais que c'est le cas. J'ai juste été éjectée de ce monde depuis trop longtemps. Explique moi au moins où nous en sommes. S'il te plaît.

Eh bien... Voyons... Warren était là quant je me suis réveillé. Senctia n'a jamais été retrouvée.

Tu veux dire qu'elle est toujours dans la nature ?

J'imagine. Tu sais bien que les dix-sept univers derrière le voile sont liés à ses songes...

Oui, enfin une fois cette organisation mise en place son humeur n'a plus eu d'incidence que sur le Centre, non ? Je pensais qu'elle resterait avec ses animaux de compagnie. Et le Maître ?


Tout le mépris du monde aurait pu se concentrer dans le regard de son ami à ce moment là.

Kaitsork se terre quelque part au Centre. Il reste maître des lieux par tradition...

Tu veux dire que son pouvoir a été complètement anéanti ?

Je n'ai pas cherché à savoir. Il est juste comme vide. Sa présence qui autrefois suffisait à faner les fleurs les plus éclatantes s'est trouvée considérablement diminuée... Mais je n'irai pas jusqu'à dire que ses forces ont été réduites à néant...

Alors il l'aimait vraiment.


Dans le silence qui suivit, Halad se leva péniblement et marcha jusqu'au centre de la pièce. Il s'y accroupit et gratta la terre. Un petit nuage mauve s'en échappa et sembla lutter pour ne pas retourner à la poussière.

Ouaip, le Zian tient ses promesses.

Il se laissa lourdement tomber au sol en tailleur et leva les yeux vers son amie, interrogateur. Elle répondit d'un ton voilé.

Alors ce n'était pas une vulgaire mascarade ? Une justification à ses actes immondes ?

Pourquoi penses tu à ça maintenant ? Ca ne veut plus dire grand chose...

Bien sûr que si. Il l'aimait au point de l'emprisonner, de lui faire mal, de la détruire doucement pour la retrouver. Il lui a consacré sa force, son image, son éternité. Enfin, si on réfléchit bien, il n'était pas un tel monstre. L'hésitation et la condescendance n'ont jamais été ses points forts mais...

Et les vies qu'il a prises ? Les génocides, les massacres ?

Pour elle !

Tu vas me dire que tu lui pardonnerais ça, parce que son regard était tournée vers une femme et non sa toute-puissance ?

Qui parle de pardonner ? Il s'agit de comprendre. Tout aurait été différent.

Qu'est ce qui aurait été différent ? Il a passé des millénaires à façonner et détruire des existences sans aucun état d'âme.

Il souffrait.

On souffre tous, on n'envoie pas des bébés dans les murs pour autant.

Et si on savait que ça pourrait soulager notre âme ? Si on en avait l'occasion, les couilles ? Et ces bébés n'auraient jamais vu le jour sans lui, en premier lieu.

On serait des monstres comme lui.

Des monstres tellement humains...

Kaly, je ne vois pas où tu veux en venir.

Nulle part, je réfléchis, c'est tout. Je l'ai tellement prise en pitié, cette pauvre créature silencieuse, qui fredonnait au fond de la pièce. Elle était là, enchaînée, assise par terre, nue. C'était un tableau vivant. Une statue de marbre. Elle me mettait mal à l'aise. Alors je m'asseyais près d'elle, et essayais de comprendre. Tu sais, comme la norme cherche à percer la folie, à l'aimer, à ne pas en être dégoûtée. J'ai du avaler la réserve de la bibliothèque du Centre, tous les ouvrages qui traitent de leur histoire sont inscrits dans un coin de ma tête. Je ne l'ai jamais vue que comme un sujet d'étude. Alors qu'elle avait une âme, en définitive, et que c'est ce qu'il cherchait à ramener.

Tu crois que c'est le moment de culpabiliser ?

Ah, je réfléchis ! Bien sur que je culpabilise, je réalise, surtout. Il n'était qu'un homme, Halad. Un homme seul, rongé par les remords, par ses actes, par ses doutes, et qui n'aspirait qu'à retrouver l'Amour. Haha, tu te rends compte ? Ce n'était pas plus compliqué que ça. Il a crée un foutu monde. Qu'est ce que je raconte, dix-huit foutus monde, pour lui permettre de vivre ! Pour lui permettre de s'épanouir, de ne pas se manger elle-même !

Tu t'éloignes. Il a beau avoir fait ça par amour, ça ne nettoie pas le sang qu'il a sur les mains.

Et nous ? Nous sommes tout aussi sales. Tu vas essayer de me faire croire que tu arrives à dormir, la nuit, si ton esprit n'est pas complètement prisonnier d'une quelconque quête ? Que tes aventures n'ont pas vocation à t'occuper le cerveau ?

On ne fonctionne pas tous de la même façon, Kaly.

Ton calme m'exaspère.

Ta nervosité me surprend.

Ca doit être la fatigue. Excuse-moi.

Et le manque ?

Va te faire f... Eh, Halad !


Elle avait sauté sur ses pieds et s'était précipitée vers la grille de leur cellule. Celle-ci était entrouverte.

Je m'attends presque à trouver une grande trainée sanguinolente à suivre jusqu'au grand méchant...

hein ?

Nan, rien. Un petit donjon ?


Les deux amis se sourirent et franchirent silencieusement la porte. Ils se savaient sûrement observés, voire pris au piège. Par ailleurs, les doutes formulés plus tôt quant à leur état d'esprit trouvèrent vite un écho. Kalyso s'approcha de son ami et brisa le silence d'une petite voix.

Je ne me sens pas très bien. Je ne sais pas pour toi, mais j'ai l'impression d'être... profondément malheureuse. Enfin, démunie. C'est étrange, comme si j'allais fondre en larmes et ne plus jamais me relever. Ca n'annonce rien de bon...

Tu veux qu'on fasse demi tour ?

Pas question. Ils nous testent. Ou testent les pouvoirs du « joyau ». Ce n'est pas normal, comme si quelqu'un était en train de triturer doucement mon cerveau en appuyant sur les boutons d'humeur. Je te le signale simplement pour que tu fasses attention. Ne nous laissons pas aller aux premiers sentiments qui, je le sens, ne vont pas tarder à nous assaillir.


Halad lui jeta un regard entendu, et lui sourit, moqueur. « Trop tard, non ? » Elle lui rendit une tape et tenta de dissiper le profond malaise qui s'emparait d'elle. Ils marchèrent en silence, sur leurs gardes. Comme prévu, tout sembla changer en eux à plusieurs reprises. Il leur sembla être hystériques, passer d'un extrême désespoir à une euphorie folle. Pour ne pas se laisser distraire, ils échangeaient des anecdotes.

Hmm, c'est moi ou les « attaques » gagnent en intensité ?

On doit s'approcher du but.

Quel but ?

On le saura bien assez tôt.

Eh, Halad, tu sais à quoi tout ça me fait penser ? A la traversée des mondes. Enfin, tu sais, quand on court entre les portails, pour passer d'une dimension à l'autre, et que les paysages se succèdent ? J'ai l'impression qu'il se passe la même chose à l'intérieur de ma tête. Je vois des images de mon passé, des avenirs hypothétiques, des regrets qui s'estompent ou au contraire s'amplifient.

Il se passe plus ou moins la même chose dans ma tête, oui. De quoi devenir fou.

Pourtant, on le contrôle, non ?


A peine cette phrase prononcée, une fine pluie s'abattit brutalement sur eux. Ils se trouvèrent dans un brouillard de gouttelettes si épais, que bientôt seule la main d'Halad – dans laquelle la jeune femme avait glissé la sienne – lui permettait de le deviner près d'elle. Il ne restait rien des murs de leur prison, et ça ne la surprit guère. Elle sentit sous ses pieds nus une herbe humide. Bientôt, la jeune femme n'eut qu'une idée en tête – s'asseoir par terre et attendre le soleil qui viendrait vite les réchauffer. Mais elle se souvint qu'elle était dans la Citadelle, et qu'elle portait des chaussures. Par ailleurs, il était physiquement impossible que tant d'eau tombât du plafond. Or, à aucun moment elle ne se rappelait avoir quitté son abris. Alors, comme elle était arrivée, la pluie cessa, un cuir rassurant enveloppa ses pieds. Elle sourit gaiement, confiante, et ferma les yeux, comme pour imprimer cette scène étrange dans sa mémoire avant qu'elle ne soit complètement effacée.

Je dois avouer que s'évader de la sorte est plutôt agréable. Heureusement qu'on ne s'est pas lâchés, je crois que je serais en train de cueillir des fleurs !

A ce moment là, la jeune femme réalisa qu'elle était encore trempée, que l'eau ruisselait sur ses épaules. Elle voulut essorer ses cheveux, mais Halad ne lui lâchait pas la main. Il était si froid... Alors, enfin, elle leva les yeux vers lui. Et elle le vit. Chaque trait de son visage, tels qu'ils avaient été marqués au fer rouge dans son esprit, semblait l'ausculter, vouloir la saisir, la transpercer. Et ses yeux se firent flammèches, et ses lèvres s'étirèrent. Et un rire grinçant s'en échappa, interminable, obsédant.

Elle hurla en retour, ferma les yeux, et le frappa de toutes ses forces. Elle savait que le coup ne lui ferait rien, que son propre subconscient l'empêcherait de le déchirer en morceaux. Pourtant, elle y mit tout son coeur. Il n'avait pas le droit de revenir, ce temps était révolu, loin derrière elle.

Et alors qu'il devait rencontrer sa mâchoire, son poing fut transpercé d'une douleur vive, lancinante. Elle réprima un cri, et frappa de nouveau. Un craquement annonça la douleur à venir, et elle ouvrit les yeux. Le décor était revenu à la normale. Halad courait dans sa direction, une tâche de sang empourprant son épaule.

Kaly, ça va? Qu'est-ce que …

Elle réalisa qu'elle gardé le poing levé, à quelques centimètres d'un mur de pierre nue.

Halad !Tu saignes !

Elle essaya de déplier les doigts.

Qu'est ce que... Où, pourquoi ?

Je ne sais pas. On marchait, tu as dit avoir peur. Tu es devenue si pâle que nous avons rebroussé chemin, je crois que je ne t'avais jamais vue dans cet état. Tu t'es serrée contre moi comme une petite fille, tu appelais à l'aide, désespérée... Puis on s'est trouvés coincés, des portes ont claqué de chaque côté du couloir. Et ses murs ont commencé à s'approcher de nous. Et je me suis retrouvé seul. J'ai voulu en forcer une, je n'ai réussi qu'à me faire très très mal. Puis tu as hurlé, et je t'ai vue te briser les phalanges contre le mur. Ce... Merde, qu'est ce qu'il s'est passé ?

Je crois qu'il serait sage de ne pas tenter le diable. On ne contrôle plus rien, ils jouent avec notre perception des choses et ordonnent à notre cerveau de nous foutre en l'air. J'en tremble encore, c'était si réaliste...


Une larme de colère et de douleur coula sur sa joue alors qu'elle renforçait son bandage de fortune.

Tu sais à quoi je pense, là ?

Dis moi ?

A elle. J'ai l'impression qu'on est foutus, et je ne peux penser qu'à elle.



Elle était simplement tellement puissante que le monde entier a été affecté. Un monde qui dépendait de la folie d'une déesse.

Je ne te suis pas.

Rappelle toi de l'histoire. Ils l'ont torturée. Torturée pour avoir aimé. Ils l'ont rendue dingue, c'est exactement ça qui l'a bouffée. Sauf que sa puissance était telle qu'un monde entier était affecté par l'inconstance de ses sentiments.

Senctia.. Tu crois qu'elle est le joyau ?

Je n'en sais rien. Je crois qu'on vient juste d'avoir un aperçu de ce qui la taraude. Et que ce n'est pas notre grande force qui nous a sorti de là. On nous observe. Rien ne me garantit que je ne suis pas en train de parler à un épouvantail alors que tu bois le thé avec un canard quelques mètres plus loin... On nous observe, on nous insuffle un doute très désagréable, on nous manipule. Et nous ne pouvons absolument rien y faire. Nous sommes les cobayes d'une nouvelle expérience. J'ignore qui est derrière tout ça, mais je n'ose imaginer les conséquences de cette force lâchée sur....


Elle ne termina pas sa phrase, le regard de son ami en disait assez long. Cette fois-ci, le risque ne venait pas de l'extérieur. L'univers tel qu'ils le connaissaient risquait simplement de se digérer lui-même, sans que ses habitants ne se rendent compte de leur allègre suicide.
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Kalyso
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Re: Leur Quête - III

Message par Kalyso »

Ne pensez-vous pas qu'il est sérieusement temps de considérer la chose ?

Le regard ambré de Naÿa glissa pudiquement du sol vers le visage de son maître. Sans vraiment savoir ce qu'elle y cherchait, elle osa s'y attarder quelques secondes. Il restait impassible, enfermé dans un monde inaccessible. Et comme elle poussait l'audace à espérer un éclat dans le regard perdu, ses pensées glissèrent vers une question devenue récurrente. Une sorte de bilan vertigineux des dernières années.

La jeune femme était née à la cour du Centre. Elle avait fait ses premiers pas dans le majestueux palais changeant, et suivi les couloirs de la destinée tracée bien avant sa naissance. Elevée dans une tradition rigoureuse, elle était devenue sage, cultivée, connaissant sur le bout des doigts le protocole, l'histoire, les promesses du Palais. Plutôt que de la rendre légère et sûre d'elle, sa position de favorite l'avait forcée à prendre son rôle encore plus au sérieux, de se concentrer sur l'accomplissement de ce qui était écrit. Et elle s'appliquait, dans l'attente, à interpréter les textes anciens, y cherchant le détail oublié, l'information nouvelle. Sa réputation grandissait avec sa beauté, et les Démons se disputaient les faveurs d'une Dame insensible à leurs efforts, qui s'était offerte toute entière à l'inéluctable.

Et le bouleversement avait eu lieu, sous une forme inattendue. Un matin, Kaïtsork et sa suite proche avaient quitté le Palais, emmenant avec eux la mystérieuse Senctia et quelques inconnus aux auras trop troubles pour être uniquement cousues du voile. La brèche laissée par sa longue absence était comblée de l'idée qu'il était parti à la rencontre de l'ère nouvelle qui les verrait libérés, et plus puissants. Il rentra cependant seul et sombre, et n'offrit aucune explication. Plus jamais les chaînes de Senctia ne chantèrent, et les palais resta figé sous la forme imposante et douloureusement majestueuse que la créature lui avait donnée en partant. La douleur du maître se déversait dans le ciel sanglant, et ses larmes venaient nourrir le lierre sombre, qui engloutissait à une vitesse folle les murs gris. Et plus rien. Il alla s'enterrer dans les profondeurs de ce monde pilier sans que nul ne put l'en dissuader. La vie continua au palais, toujours faste, mais morne, et peu à peu les Démons s'en retournèrent à leurs dimensions respectives, fidèles à l'attente du renouveau promis, mais trop mécréants pour lui sacrifier leur idleness.

Naÿa était restée avec ceux qui, ayant reçu la même éducation qu'elle, continuaient d'offrir leurs âmes au château jamais rassasié.

Puis ils étaient arrivés. Cette étrange compagnie, menée par le jeune homme qui avait suivi Kaïtsork quelques temps auparavant. Et les portes, dociles, s'étaient ouvertes. Ils s'étaient installés, respectueux des traditions et insufflant de nouveau la vie aux murs froids. Ils allaient dans les couloirs, faisant bruisser leurs longues robes, accordant l'attention nécessaire à la Cour revenue. Une dérisoire mais suffisante impression que rien n'a changé, quand plus rien n'existe.

Et les fidèles y avaient vu le bouleversement prévu. L'ère nouvelle s'installait. Ils pouvaient sagement reprendre leur rôle, attendant d'être récompensés.

C'est ainsi que Naÿa était devenue la suivante principale du jeune Shadowsong. Avait-elle été imposée, l'avait il choisie, on ne le savait pas vraiment. Elle était là, éternellement à ses côtés, lui murmurant à l'oreille les chapitres manquant parfois à sa culture sans bornes, prévenant la moindre de ses demandes, accueillant le moindre signe de reconnaissance avec le même enthousiasme enfantin. En deux ans, elle avait appris à reconnaître ses expectatives. La moindre ride sur son front, un sourcil à peine levé, éveillaient une attention dévolue.

Il avait, quant à lui, occupé de longues soirées à lui parler de cet autre monde si étrange, déchiré par des conflits irrationnels, et qui gâchait son espérance de vie à lancer des pierres dans l'eau. Naÿa se rappelait des légendes, de la Grande Séparation, du tissage du Voile. Elle connaissait et rougissait de parfois de ressentir le sentiment de convoitise qui rongeait ses pairs quand l'autre côté était évoqué. Mais l'accès à ce sujet lui avait été restreint. Elle avait un rôle à jouer, et une vie ne suffirait à acquérir ce qui était indispensable à celui-ci. Pourquoi irait-elle s'embarrasser de ces préoccupations masculines ? Alors elle goûtait avec délices aux histoires de Warren. Rêvait de sentir cet autre vent sur sa peau, cette eau à la fraîcheur si lointaine, de connaître ces peines et ces joies alternatives. Et de revoir le soleil. Et elle s'envolait, rêveuse, au dessus de groupes de cavaliers errants, par delà des montagnes ; ne se lassait de répéter les noms aux sonorités si étranges.

Puis il s'était rembruni, sans prévenir. Leur complicité naissante avait été balayée par un pli soucieux sur le beau visage. Il s'enfermait souvent dans l'ancienne salle du trône, devenue une petite pièce aux murs pourpres, pour s'entretenir avec ses compagnons. Certains restaient avec lui tout le temps, d'autres allaient et venaient, l'air réjoui ou sombre, rapportant les tribulations du Voile.

Il partageait le reste de son temps dans des voyages secrets, revenant parfois ravagé. Alors il s'enfermait dans un mutisme acéré et ne laissait s'approcher de lui que les plus silencieux. Il était arrivé à Naÿa de recoudre à vif des plaies profondes dont il avait tu l'origine, sans qu'il s'autorise un commentaire, ou une grimace même de douleur. Ses yeux seuls, perdus dans l'insondable, étaient un brasier destructeur qui rappelait qu'une vie habitait le corps.

La jeune femme, sentant le Destin se détourner d'elle pour la première fois, avait décidé de le forcer un peu. Aussi, elle tentait d'éveiller chez Warren le désir d'user de son rôle de porteuse. Elle était née pour permettre aux importantes lignées de conserver leur place indélébile dans l'Histoire. Un outil discret mais indispensable, un réceptacle, un appui, une source d'inspiration. La meilleure qui puisse être. Effacée mais efficace.

Elle s'approchait de lui, et effleurait délicatement son épaule.

Ne pensez-vous pas qu'il est sérieusement temps de considérer la chose ?

Elle répétait inlassablement cette invitation, les yeux modestement rivés au sol, une main sur le ventre. Et son silence, dur et froid, lui répondait. Aujourd'hui pourtant, elle avait senti une brèche. Une fatigue nouvelle. Peut-être un besoin de se confier ? Alors elle était restée, et avait fouillé dans ces yeux emprunts de lassitude. Et il les avait tournés vers elle, finalement. Elle fut frappée de remarquer qu'il n'était encore qu'un enfant. Il avait déposé sa carapace, sa prison.

Il soupira, et attrapa la main de Naÿa. Et celle-ci se sentit happée dans un rêve, projetée dans le regard de son maître. Et une succession d'images insoutenables lui fit monter les larmes aux yeux. Une foule emprisonnée, l'obscurité tranchée par les flammes, la douleur, les fers aux pieds. La victoire d'un Mal à l'état pur, du Chaos, de la Fin. Une victoire inévitable. Tout avait été pensé, toutes les routes y mèneraient. Elle ne comprenait pas quel rôle Warren Shadowsong allait y jouer. Elle ne saisissait pas pourquoi il ne pouvait l'éviter alors qu'il semblait en avoir le pouvoir. Des visages apparurent, de l'autre côté, du passé, de l'avenir. Des sentiments inexpérimentés.

Elle se dégagea, et quitta aussitôt la foule désespérée, l'inéluctable tragédie, la douleur mordante. Atterrissant au milieu de la petite pièce sanguine, sous les yeux porteurs de ces promesses tragique, elle chancela. Qui était-il ? Que savait-il ? Qu'est ce qui les attendait ? Il lui faisait peur, dorénavant. Et pourtant, elle était plus déterminée que jamais à le convaincre de s'ouvrir à elle. Il fallait qu'elle joue son rôle jusqu'au bout. Quitter la route sur laquelle notre naissance nous place est une injure au Destin, qui nous y ramènera toujours brutalement.

Elle réprima donc le flot d'émotions qui la submergeait, et énonça simplement qu'elle attendrait qu'il prenne sa décision, demanda la permission de rejoindre ses quartiers et s'y abandonna à ces tourmentes nouvelles qu'elle avait tant aspiré à connaître.

De nouveau, au loin, on invoquait son nom. De nouveau on tuait pour lui. La spirale continuerait sa danse vers les profondeurs. Jusqu'à l'explosion.
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Kalyso
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Re: Leur Quête - III

Message par Kalyso »

Et c'est ainsi qu'après avoir tourné en rond dans leur cellule pendant quatre mois, se nourrissant de rognures d'ongles et de mousse, qu'Halad et Kalyso décidèrent de passer aux choses sérieuses. Avec un regard caméra insoutenable de sous entendus haineux, ils adressèrent à leur créateur un geste obscène, se tournèrent vers la grille restée ouverte, et sortirent bras dessus bras dessous. Ayant compris le fonctionnement du joyau - ils avaient eu le temps de réfléchir à la question, entre deux parties de morpion - ils se vautrèrent dans leurs fantasmes plus ou moins avoués, visitant les profondeurs acidulées de leurs subconscients malades, avant de mourir d'une overdose de dopamine. Ils furent retrouvés par accident quelques mois plus tard, lorsque Azariel et Drim se mirent en quête d'un petit nid pour leur amour enfin assumé.

Suite à cela, Lord Yu ordonna une opération "Grand Ménage de Printemps", au cours de laquelle furent retrouvés les restes en décomposition (ou déjà décomposés) de nombreuses figures oubliées. L'économie relancée par cette vague inespérée d'activité valut à Lord Yu une place de Grand Maître Incontesté de Galactica. C'est la raison pour laquelle ne traînent plus sur les cinq que des bandes d'individus titubant tenant des lapins multicolores en laisse.

Warren, quant à lui, épousa une chèvre et se reconvertit dans la contrefaçon de sphères.
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Re: Leur Quête - III

Message par kay »

On ne m'a pas laissé le temps d'hésiter à accepter le contrat. C'est sûrement ce qui a fini de me convaincre.

Je m'étais promis de me mettre au vert. Une retraite bien méritée, après m'être remis les idées en place. Un cabanon perdu dans la nature, et ce qu'il faut de contacts avec mes pairs pour ne pas perdre le sens des réalités. J'ai presque réussi à trouver une sorte de stabilité. Tous ces trucs à la con dont on vante les mérites dans les revues médicales. Une pomme par jour, un footing le matin, et des nuits complètes, sans réveil en sursaut, sans main sous l'oreiller serrant la crosse de mon meilleur copain. Une sorte de stabilité, oui. La forme physique, la constance, un regard fixe vers l'avenir. Et un putain d'ennui. Je dois avouer que cette histoire de fuite, avec la môme, m'a franchement secouée. Je n'étais pas mécontente qu'elle s'achève, peu importent les conséquences. En habituée, j'ai empoché le flouze et ravalé mes questions en tournant les talons. Il m'a fallu quelques temps pour digérer tout ça. Peser les pour et contre. Ne pas choisir l'option « boire mon salaire », au profit d'une entrée dans les rangs.

C'est sûrement ce qui lui a permis de me retrouver, malgré l'énergie déployée à effacer mes traces.

Je l'ai repéré, ce soir là, en commandant l'entrée, son regard a estompé les parcelles de doute avant le plat, et je me suis décidée à lui rentrer dans le lard en attendant le dessert. Mes dettes étaient toutes payées, mes contrats honorés, et je pensais avoir été assez claire en disparaissant de la circulation. Peut-être avait-il mal compris la coupure de ma ligne ? Puis en plein rendez-vous galant, merde ! C'est pas comme si devenir quelqu'un de mortellement ennuyeux se faisait tout seul, il fallait qu'en plus on me mette des bâtons dans les roues.

Il a écouté ma diatribe en souriant poliment, puis m'a signalé qu'il attendrait que j'en aie terminé avec ce gentleman avant de m'inviter à le rejoindre. J'ai laissé Marius payer, et lui ai promis de le rejoindre plus tard. Sans se départir de son sourire, il m'a regardée faire.

Une fois installée face à lui, et lui signalant qu'il avait mon attention, je l'ai observé. Teint bleuté, quelques rides d'expression insuffisante à lui donner un âge, longs doigts soigneusement manucurés jouant avec un chapeau melon, téléphone et portefeuille dans une poche, revolver contre un flanc, sûrement un poignard dans la ceinture. Il n'a pas perdu de temps en politesses, préférant entrer dans le vif du sujet. Il m'a longuement parlé d'histoires étranges, complétant des informations glanées à droite à gauche. De menaces, d'objets sacrés, de contrées oubliées, de mondes parallèles, et de traversées magiques. Juste assez pour aiguiser ma curiosité. Puis il a joué cartes sur table. Deux contrats, une quête. Au delà de toute conception. Ne pas chercher à savoir. Abattre, trouver, rapporter. Un jeu d'enfants. Grosse somme à la clef, et pas le temps de retourner la chose dans ma tête.

Abattre, trouver, rapporter.

Une porte claque, la lumière s'éteint, et je soupire d'aise en me laissant glisser contre un pilier. Entrer a été plutôt simple. Le plan fournit par mon employeur s'est déroulé à merveille. Tout, ici, est un mécanisme bien huilé. Rien n'est laissé au hasard. Et rien ne semble pouvoir perturber le moindre rouage. Alors on s'y adapte. On se glisse dans les creux, on va au rythme des marteaux, on devient partie intégrante de la machine. Et ça passe.

Ils sont arrivés à l'heure prévue et ont retenue l'attention des gardes juste assez longtemps pour me laisser prendre mon poste. Puis ont rejoint l'endroit convenu, et semé la pagaille promise. Ils m'ont paru improviser. Impossible, pourtant, vue la correspondance quasi millimétrée de leurs gestes avec ceux annoncés par l'homme au chapeau. Je n'ai pas eu le temps de les voir de près. Ne rien savoir d'eux sinon leurs compétences en les matières qui pourraient poser problème au bon déroulement de ma mission me perturbe. Je suis du genre à connaître mes proies, leurs habitudes, sur le bout des doigts. La métaphore du mécanisme me revient en tête et je souris. Ça doit aussi être ça, vieillir, ne plus laisser de place aux surprises. J'aurais largement le temps de les observer et de comprendre deux-trois détails tout à l'heure. Et rien ne m'empêchera par ailleurs de profiter des pouvoirs qui me sont temporairement alloués pour visiter un peu cet univers entier qui s'est ouvert à moi. Mais pour l'instant, je dois rester concentrée. Rester concentrée et attendre la relève de la garde.

Elle arrive vite, et encore une fois tout se passe comme prévu. Avant que je puisse les surprendre, les gardiens semblent s'effacer. Ils traversent, m'a expliqué le boss. Je ne suis pas sûre d'avoir compris, mais ce coup de main n'est pas de trop. Un rire timide me parvient du fond du couloir, que je suis, silencieuse, jusqu'à la cellule que je dois ouvrir avant d'attendre, encore. Et comme je tends une main que personne ne remarque, mes yeux s'arrêtent sur leurs visages souriants.

Et je sens mon pouls s'accélérer. La stupeur me paralyse comme je suis submergée par une vague de sentiments mélangés. Comment est-ce possible ? C'est donc pour ça qu'il fallait me recruter, moi, précisément ? La colère m'aveugle presque, et je sens mes doigts trembler. Le voile qui m'habille et me dérobe à leurs yeux perd consistance. Les tuer sur place, ne pas réfléchir ? Ecouter ce qu'ils ont à dire puis les abattre ? J'ai le pouvoir de le faire, et je peux trouver l'objet de ma quête seule. Ils sont à ma merci. Complètement. Me calmer. Suivre le plan. Réfléchir quand le temps m'en sera laissé. Le prendre comme une motivation supplémentaire. En faire un jeu. C'est ça. Un foutu jeu.

Je ne peux m'empêcher de contempler une dernière fois cette joie injustifiée, imméritée. Ce larcin pour lequel ils vont payer. Doublement. Respire, ma grande... Et j'ouvre la porte, qui grince à peine. Et me fonds dans les ombres, que je laisse m'envahir avec un sourire mauvais.
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