Re: Qui peut prétendre à faire sa propre justice ?
Publié : 30 juin 2008, 21:21
Des images défilaient en son esprit alors que la nuit se faisait de plus en plus pesante. Elle voyait des visages, femmes, hommes, enfants, des paysages, des situations, des milliers de tableaux sur lesquels pourraient être bâties autant d'histoires. Et chacune d'elle en sa pensée prenait une forme différente, une teinte d'abord pâle, puis des contours de plus en plus nets, un éclat écarlate, une explosion presque, et toutes mouraient comme elles avaient vu le jour, sans d'avantage d'intérêt. Et comme ses rêves se glissaient entre les barreaux de sa prison, elle pensait à cette légende de son enfance qui l'avait menée ici même. Cette femme, prisonnière, qui écoutait chaque jour le récit de cent vies, connaissait un millions d'âmes, et était incapable de se définir elle-même. Voilà ce qu'on appelait l'ironie du sort.
Un bruit la sortit de ses mornes pensées, et elle se leva pour se dégourdir les jambes. Elle ne dormirait pas cette nuit. Elle voulait voir les étoiles, une dernière fois. Shingaz l'avait heurtée, dans la mesure où elle retournait ses dernières paroles dans sa tête. Oh, il avait voulu provoquer la foule, c'était indéniable. Mais il avait aussi cherché à l'atteindre. Elle éprouvait des remords pour Halad. Que serait il devenu s'ils n'étaient parti, quelques années en arrière.... Mais que serait il advenu s'il n'avait été sacrifié ? Non... Il n'y avait même rien à en penser. C'était son rôle. Certains n'avaient pas le droit de vivre. Il fallait des objets pour meubler les existences de ceux qui en profitent. Elle en était. Lui aussi. Aussi grande soit leur envie de ressentir, cela leur était simplement interdit par leur condition. Et s'ils essayaient, ils se heurtaient bien vite à la réalité de leur nature. Elle secoua la tête et soupira, laissant s'échapper ce ris cynique qu'elle n'accordait qu'à sa personne. Pour se changer les idées, elle claqua des doigts. Un filet de fumée ocre s'évapora de sa paume ouverte. Les barrières anti magie étaient puissantes en ce lieu. Elle se rappela avoir assisté à leur mise en place. Tant de choses s'étaient élevées. Combien tiendraient ? Etaient elles toutes condamnées à s'effriter sous le poids du temps et de l'égoïste indifférence générale ?
Un bruit de pas, et elle se retourna, seule, au milieu de la pièce. Face aux barreaux de cette cage, qui s'était enfin matérialisée.
Et à sa grande surprise, Percelet Belmor lui faisait face. Ses yeux riaient d'une joie écœurante comme il pointait sur elle une arme Duanratienne. Il parla, de sa voix criarde, au débit hésitant. Il semblait se convaincre lui même du bien fondé de son projet. Et il parla. Il parla de son ressenti pour elle, pour les femmes. Il parla de la douloureuse mort de Duanration, que Kalyso avait aimé, autrefois. Il parla de ce monde qui n'était plus, et où ils vivaient encore, ces pauvres fatalistes qui s'accrochaient pourtant à l'espoir de le voir s'illuminer de nouveau.
Meurs...
Elle ne réagit pas, silencieuse, immobile. Ombre d'un passé plus glorieux. Elle ne dit mot, mais sourit, de ce petit sourire si fragile qu'il étonnait les interlocuteurs à qui elle l'adressait. Ce sourire sincère, dont la faiblesse était celle de la foi qui l'animait.
Il fit mine de tirer, elle ne cilla point. Et ils se toisèrent, une minute, deux, dix. Chacun mesurant les idéaux de l'autre, soupesant ses forces, ses faiblesses. Enfin elle détourna le regard et rit de nouveau, de ce petit éclat cristallin au bord du bris.
Pourquoi ris tu ? Tu as perdu femme. Tu es faible, faible, faible ! Tu t'écrases et tu pleures, et tu me laisses savourer ta mort.
Perdu ? Mais je n'ai même pas joué, Belmor. Je ne joue plus depuis longtemps. A quoi bon combattre un homme dont la foi en sa victoire le rendra aveugle à toute autre issue ?
Tais toi.
Il leva de nouveau son arme, et la promena devant lui, comme s'il voulait en caresser le corps de la condamnée. Elle, restait dans l'obscurité de sa cage, les yeux rivés au sol, le dos courbé, les mains ouvertes. Lorsqu'elle parla, sa voix était plus légère. Comme libérée du poids qui l'avait accablée jusqu'alors.
C'est drôle je trouve.
Quoi ?
Tout ça. Ce n'est qu'une allégorie de ce que nous vivons. Moi je suis en cage. Vous avez le pouvoir. Ou en êtes tout du moins convaincu. Vous allez m'abattre sans état d'âme. Je ne crierai pas. C'est drôle.
Quoi donc ?
Que vous soyez mon dernier dialogue. Avant le tombé du rideau. Je voyais cela se jouer d'une façon tellement plus...théâtrale voyez vous. Mais le destin m'a choisi une scène plus intime. Sans spectateur. Sans éclat. Oh je n'en voulais pas. Mais je pensais... m'enflammer, en sentant venir la mort. Je suis une grande rêveuse, en fin de compte. Qui continue de songer malgré les chutes. Et vous êtes trop terre à terre pour vous mettre à ce niveau. C'est pour cela que je trouve drôle que votre main m'éteigne. Enfin, ce n'est qu'une certitude qui éveille un dormeur. J'aurais aimé que cela soit différent. Mais tout prend son sens. Tout s'incarne. Tout n'est que continuité de ce cycle que je voulais voir autre....
La folie prive tes phrases de sens. Tu es une chienne. Une chienne folle qu'il faut mettre à mort. Il n'y a même plus l'ombre d'un doute maintenant.
Le coup parti. Un sur la tempe, puis un autre dans le bas ventre. Et Percelet tomba au sol. Il gémit et rampa dans un coin. Il n'avait pas prévu que l'autre soit là. Le compagnon de Kalyso se tenait face à lui et le regardait, méprisant. Il lui cracha dessus, et lui décocha un violent coup de pied entre les jambes. Dans un gémissement dont on ne put distinguer s'il était de douleur ou de plaisir, le Grand Conseiller se recroquevilla. L'autre prit son élan, mais il sembla retenu par quelque chose. Kalyso passait une main au travers des barreaux, et une fumée plus dense en sortait. De grosses gouttes de sueur coulaient sur son visage albe. Il s'arrêta et vint vers elle.
A quoi joues tu ? Il va te tuer ?
Elle lui offrit ce sourire faible avant de glisser au sol.
Ce ne serait pas le premier...
Il voulut la rejoindre, mais la barrière était trop forte. Elle en payait déjà le douloureux prix. Quelques minutes, il la regarda, petite figure si abimée. Et l'empathie lui donna presque envie de la tuer, et de mourir à son tour. Il la comprenait. La boucle était bouclé. L'amour jouait son rôle. Il l'avait joué depuis le début. Depuis leurs premières rencontres. Ce cycle destructeurs qui les avait happés tous deux prendrait fin quand ils le désireraient.
Il la caressa du regard encore et encore, la couvrant de cet amour dont il saisissait enfin l'essence. Il aurait voulu que ses yeux puissent apaiser ses blessures. Elle respirait fort, de ce souffle sensuel qui suit l'union charnelle. Qu'ont les femmes, après avoir de tout leur être, exprimé ce sentiment si intense. Ce souffle qu'elles ont quand il est réellement ancré en elles. Qu'il est si bon d'entendre après que l'Amour aie prit forme.
Et dans un ballet presque figé, sa poitrine se souleva avec un craquement. Elle se cambra, puis se plia, avec un cri presque imperceptible. Elle avait raison. Tout ne faisait que s'incarner. Et il fallait connaître l'Histoire que la captive des légendes de son enfance leur aurait contée pour comprendre. Le rire de Percelet fut vite interrompu. Les journaux ne précisèrent la cause de sa mort. Les légistes dirent qu'il avait été broyé, battu d'une force surhumaine.
Des légendes urbaines donnèrent vie à une créature sans visage qui déchiquèterait sans scrupules les promeneurs solitaires.
Un bruit la sortit de ses mornes pensées, et elle se leva pour se dégourdir les jambes. Elle ne dormirait pas cette nuit. Elle voulait voir les étoiles, une dernière fois. Shingaz l'avait heurtée, dans la mesure où elle retournait ses dernières paroles dans sa tête. Oh, il avait voulu provoquer la foule, c'était indéniable. Mais il avait aussi cherché à l'atteindre. Elle éprouvait des remords pour Halad. Que serait il devenu s'ils n'étaient parti, quelques années en arrière.... Mais que serait il advenu s'il n'avait été sacrifié ? Non... Il n'y avait même rien à en penser. C'était son rôle. Certains n'avaient pas le droit de vivre. Il fallait des objets pour meubler les existences de ceux qui en profitent. Elle en était. Lui aussi. Aussi grande soit leur envie de ressentir, cela leur était simplement interdit par leur condition. Et s'ils essayaient, ils se heurtaient bien vite à la réalité de leur nature. Elle secoua la tête et soupira, laissant s'échapper ce ris cynique qu'elle n'accordait qu'à sa personne. Pour se changer les idées, elle claqua des doigts. Un filet de fumée ocre s'évapora de sa paume ouverte. Les barrières anti magie étaient puissantes en ce lieu. Elle se rappela avoir assisté à leur mise en place. Tant de choses s'étaient élevées. Combien tiendraient ? Etaient elles toutes condamnées à s'effriter sous le poids du temps et de l'égoïste indifférence générale ?
Un bruit de pas, et elle se retourna, seule, au milieu de la pièce. Face aux barreaux de cette cage, qui s'était enfin matérialisée.
Et à sa grande surprise, Percelet Belmor lui faisait face. Ses yeux riaient d'une joie écœurante comme il pointait sur elle une arme Duanratienne. Il parla, de sa voix criarde, au débit hésitant. Il semblait se convaincre lui même du bien fondé de son projet. Et il parla. Il parla de son ressenti pour elle, pour les femmes. Il parla de la douloureuse mort de Duanration, que Kalyso avait aimé, autrefois. Il parla de ce monde qui n'était plus, et où ils vivaient encore, ces pauvres fatalistes qui s'accrochaient pourtant à l'espoir de le voir s'illuminer de nouveau.
Meurs...
Elle ne réagit pas, silencieuse, immobile. Ombre d'un passé plus glorieux. Elle ne dit mot, mais sourit, de ce petit sourire si fragile qu'il étonnait les interlocuteurs à qui elle l'adressait. Ce sourire sincère, dont la faiblesse était celle de la foi qui l'animait.
Il fit mine de tirer, elle ne cilla point. Et ils se toisèrent, une minute, deux, dix. Chacun mesurant les idéaux de l'autre, soupesant ses forces, ses faiblesses. Enfin elle détourna le regard et rit de nouveau, de ce petit éclat cristallin au bord du bris.
Pourquoi ris tu ? Tu as perdu femme. Tu es faible, faible, faible ! Tu t'écrases et tu pleures, et tu me laisses savourer ta mort.
Perdu ? Mais je n'ai même pas joué, Belmor. Je ne joue plus depuis longtemps. A quoi bon combattre un homme dont la foi en sa victoire le rendra aveugle à toute autre issue ?
Tais toi.
Il leva de nouveau son arme, et la promena devant lui, comme s'il voulait en caresser le corps de la condamnée. Elle, restait dans l'obscurité de sa cage, les yeux rivés au sol, le dos courbé, les mains ouvertes. Lorsqu'elle parla, sa voix était plus légère. Comme libérée du poids qui l'avait accablée jusqu'alors.
C'est drôle je trouve.
Quoi ?
Tout ça. Ce n'est qu'une allégorie de ce que nous vivons. Moi je suis en cage. Vous avez le pouvoir. Ou en êtes tout du moins convaincu. Vous allez m'abattre sans état d'âme. Je ne crierai pas. C'est drôle.
Quoi donc ?
Que vous soyez mon dernier dialogue. Avant le tombé du rideau. Je voyais cela se jouer d'une façon tellement plus...théâtrale voyez vous. Mais le destin m'a choisi une scène plus intime. Sans spectateur. Sans éclat. Oh je n'en voulais pas. Mais je pensais... m'enflammer, en sentant venir la mort. Je suis une grande rêveuse, en fin de compte. Qui continue de songer malgré les chutes. Et vous êtes trop terre à terre pour vous mettre à ce niveau. C'est pour cela que je trouve drôle que votre main m'éteigne. Enfin, ce n'est qu'une certitude qui éveille un dormeur. J'aurais aimé que cela soit différent. Mais tout prend son sens. Tout s'incarne. Tout n'est que continuité de ce cycle que je voulais voir autre....
La folie prive tes phrases de sens. Tu es une chienne. Une chienne folle qu'il faut mettre à mort. Il n'y a même plus l'ombre d'un doute maintenant.
Le coup parti. Un sur la tempe, puis un autre dans le bas ventre. Et Percelet tomba au sol. Il gémit et rampa dans un coin. Il n'avait pas prévu que l'autre soit là. Le compagnon de Kalyso se tenait face à lui et le regardait, méprisant. Il lui cracha dessus, et lui décocha un violent coup de pied entre les jambes. Dans un gémissement dont on ne put distinguer s'il était de douleur ou de plaisir, le Grand Conseiller se recroquevilla. L'autre prit son élan, mais il sembla retenu par quelque chose. Kalyso passait une main au travers des barreaux, et une fumée plus dense en sortait. De grosses gouttes de sueur coulaient sur son visage albe. Il s'arrêta et vint vers elle.
A quoi joues tu ? Il va te tuer ?
Elle lui offrit ce sourire faible avant de glisser au sol.
Ce ne serait pas le premier...
Il voulut la rejoindre, mais la barrière était trop forte. Elle en payait déjà le douloureux prix. Quelques minutes, il la regarda, petite figure si abimée. Et l'empathie lui donna presque envie de la tuer, et de mourir à son tour. Il la comprenait. La boucle était bouclé. L'amour jouait son rôle. Il l'avait joué depuis le début. Depuis leurs premières rencontres. Ce cycle destructeurs qui les avait happés tous deux prendrait fin quand ils le désireraient.
Il la caressa du regard encore et encore, la couvrant de cet amour dont il saisissait enfin l'essence. Il aurait voulu que ses yeux puissent apaiser ses blessures. Elle respirait fort, de ce souffle sensuel qui suit l'union charnelle. Qu'ont les femmes, après avoir de tout leur être, exprimé ce sentiment si intense. Ce souffle qu'elles ont quand il est réellement ancré en elles. Qu'il est si bon d'entendre après que l'Amour aie prit forme.
Et dans un ballet presque figé, sa poitrine se souleva avec un craquement. Elle se cambra, puis se plia, avec un cri presque imperceptible. Elle avait raison. Tout ne faisait que s'incarner. Et il fallait connaître l'Histoire que la captive des légendes de son enfance leur aurait contée pour comprendre. Le rire de Percelet fut vite interrompu. Les journaux ne précisèrent la cause de sa mort. Les légistes dirent qu'il avait été broyé, battu d'une force surhumaine.
Des légendes urbaines donnèrent vie à une créature sans visage qui déchiquèterait sans scrupules les promeneurs solitaires.