ANAGURA

Ici sont chroniquées les histoires des Etats et de leurs dirigeants

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Sursum Corda
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ANAGURA

Message par Sursum Corda »

Curieuse sensation que les mots qui s’écoulent, se fondent et se déroulent comme une mélopée. Parfois ils viennent à moi comme marée montante et s’éloignent soudain en suivant le reflux.
Mais ils sont là, présents, solides, assidus même, quand je conte l’histoire qui, quelques tours qu’elle prenne est toujours et encore la même en fin de compte, celle d’une passion que rien n’assouvira.


Plongé dans ses pensées l’homme était seul au monde, seul pilote à bord à contempler le vide sidéral.
Au milieu de la foule aussi, il était seul.
Il portait sa solitude comme un étendard à jamais maculé de larmes.
Dans les yeux de tous se reflétait l’image d’un Prince mélancolique et on pouvait lire au fond de son regard d’émeraude, la douleur d’une blessure qui ne se refermait pas.

Il avait cherché l’oubli en parcourant l’univers au gré d’aventures plus ou moins sanglantes, plus ou moins glorieuses mais n’avait jamais pu l'atteindre. Suivant les méandres de son destin, il se trouvait continuellement confronté au pouvoir, supportant des responsabilités qu’il n’avait jamais cherchées, dont il n’avait jamais voulu mais qui le précipitaient dans l’état le plus proche de l’oubli qu’il avait réussi à connaître. Il avait présidé à la destinée de bien des peuples mais la sienne était brisée.

S’enivrant dans l’action, il tentait de se perdre lui-même. il changeait de planètes, d’identités, de rôles mais malgré ces pathétiques gesticulations, il demeurait au fond de lui même que la somme de ses souffrances et les années s’étaient écoulées sans qu’une seule nuit lui fasse grâce des cris et de la terreur qui l’avait privés de celle qui était son âme.

Une errance de plus …

Il posa son chasseur dans le minuscule astroport ravagé par la rudesse du climat d’un petit État deserticain dont personne n’avait jamais entendu parler et où la vie se résumait à quelques trafics d’acier de qualité médiocre.
Dans le ciel rougeâtre du crépuscule, des nuages se bousculaient et déjà quelques gouttes de pluie le firent frissonner.
Il remonta le col du long manteau de cuir brun dont les pans battaient ses bottes à chaque pas et traversa la distance qui le séparait d’un petit boui-boui crasseux bâti de quatre planches, sous des bourrasques de vent qui emportaient, en volutes lascives, le sable du désert.


La pièce était sombre, un petit droïde de service, maquillé comme une radasse et affublé d’un tablier blanc plein de taches, rouillait dans un coin.
Assis aux tables de bois sombres ou accoudés au comptoir, quelques clients silencieux avaient commencé leur voyage d’alcoolique, les yeux perdus au fond de leur verre.
Contre un mur, un vieux jukebox clignotant hurlait un tube planétaire depuis longtemps oublié.

Ces pauvres types échoués dans cette gargote comme des baleines sur l’aridité d’une dune, il leur ressemblait, il était comme eux, perdu dans le trou du cul du monde, au milieu de nulle part.
Comme eux, il allait noyer son destin brisé dans l’alcool aigre de l’androïde ridicule.

La première gorgée, c’est la plus dure ! Le feu liquide de l’alcool vous embrase la bouche, puis peu à peu endort vos sens, embrouille vos idées, anesthésie vos douleurs.
Un verre, deux, trois et plus rien n’existe de ce monde dont je ne veux pas.


Il s’endormit sur la table, ignorant la musique, ignorant la fumée et le vacarme. Une larme coula doucement sur sa joue.

Lorsqu’il ouvrit les yeux, elle était là.

Elle apparaissait comme ça, on ne savait jamais ni comment ni pourquoi, l’instant d’avant il n’y avait personne et tout d’un coup, elle était là.
Hélissa surgissait brusquement dans les lieux les plus étranges et les plus reculés.
Une fois de plus l’empathe polymorphe se retrouvait à la croisée des chemins et serait l’engrenage de ce qui devait être accompli.

Le sang pulsait contre ses tempes, sa tête semblait prise dans un étau, il sentait contre sa joue le frottement du bois rugueux de la table sur laquelle il s’était endormi, assommé par l’alcool, dont les effluves remontaient jusqu’à ses narines lui provoquant des hauts le cœur.
Il ouvrit ses yeux lentement de peur que la lumière ne vienne rajouter à la somme de ses maux mais les referma brusquement.

Hélissa !
Que faisait-elle là et comment l’avait-elle retrouvé ?


Non c'était surement une hallucination due à ce maudit alcool.

Il souleva à nouveau les paupières pour constater que la jeune femme était bel et bien là et le regardait d’un air grave. Il releva la tête et tenta maladroitement de retrouver un peu de dignité.

Comment m’as-tu retrouvé ? demanda-t-il dans un souffle alors qu’à chacune de ses paroles il avait l’impression qu’un concert de percussions envahissait son crane.

Sans un mot, Hélissa poussa devant lui un verre d’eau dans lequel finissait de se dissoudre une pastille effervescente. Elle attendit tranquillement qu’il l’eût bu et que les effets du médicament estompent ceux de l’alcool.

Sursum nous devons parler.

Ha ! Il s’y attendait à celle là ! Elle n’y va pas par quatre chemins l’ancienne diplomate du Substratum !

- Hooo … Bonjour Sursum, comment vas-tu depuis toutes ces années ? Railla-t-il d’une voix suave.
- Nous n’avons pas de temps à perdre en politesses ou en circonvolutions l’interrompit-elle. Il se passe des choses très graves et Luziel m’a demandé de venir te chercher d’urgence.

- Me chercher ? À moi ? Et pour quoi faire ? Qu’est ce qui pourrait être assez important pour m’arracher à ce paradis ?

D’un geste large de la main, il invita Hélissa à contempler le sordide bistro où son long voyage en enfer l’avait conduit.

Je suis chez moi ici désormais, à ma vraie place, avec mes pareils, toutes les épaves de la galaxie, tous les paumés et les ratés de l’univers et rien, tu m’entends ! Rien ne pourrait me faire bouger de là !

Ni les glapissements de Sursum ni son ironie cruelle ne vinrent à bout de la détermination d’Hélissa.
Elle connaissait bien Sursum Corda et malgré la souffrance immense qu’elle avait toujours sentie chez cet homme, elle savait que cela ne l’avait jamais empêché d’agir lorsqu’il le fallait.

Sursum, écoute-moi vieille bourrique ! Il s’agit de la source !
Luziel pense qu’un danger énorme y pourrit lentement, fruit des aberrations que toi et les anciens procréateurs y avez entretenues et tu en es responsable au même titre que Nikki, Kami ou Kel’Zarha !
Alors si tu préfères rester ici, au fond de ta bouteille, libre à toi de tourner le dos à l’homme que tu as été, ce faisant, tu tourneras aussi le dos à tes amis qui devront affronter seuls la responsabilité de vos errements et leurs dangers aussi !


Sur ces mots, les contours d’Hélissa s’estompèrent doucement et elle disparu comme il l’avait vu le faire maintes et maintes fois par le passé.

Sursum frappa de toutes ses forces la table de son poing fermé et la bouteille se renversa.

Fait chier !

Il se leva et regagna son chasseur à pas lents, indifférent à la violence d’une improbable pluie qui s’abattait maintenant sur le désert tourmenté.
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