Les Terres du Vindilis sont bel et bien isolées... Perdues au cœur de la plus grande forêt vertanienne, il n'y a guère que les détecteurs de chaleur pouvant l'identifier de l'espace : les constructions sont pour la plupart sous les immenses arbres, ou encore sur les branches touffues. Un peuple arboricole vivant de l'exploitation de la Mana sacrée, s'y consacrant exclusivement. Militairement parlant, le Vindilis ne vaut pas une chiure de drone, mais cet état a au moins sa fierté et son indépendance culturelle, choses rares par les temps qui courent. L’armée est faible, mais la culture magique forte ! Et qui dit culture magique dit mages, ne l'oublions pas trop vite.
Un beau matin, Llûd, le Vindilis-ror du Vindilis, haut responsable de l’état-major donc, se réveilla avec sur son bureau une missive envoyées par un de ses espions sur Galactica.
Rien de bien nouveau. Le Shadowsong est toujours tapi quelque part, nul ne sait où. Pas de nouveau bunker galacticain débusqué. Manifestation devant le Sénat, quelques blessures et un mort par brûlure. Rien d'important. Prochain rapport dans trois jours.
Gros soupir. Il est temps, mieux que de réagir, d'agir. Le druide claqua des doigts, immédiatement huit petites lumières violacées apparurent, flottant paisiblement en rond autour de sa tête. Le temps de leur intimer un ordre télépathique, et les Luciolettes filèrent vers les huit autres chefs de corps d’armée. Quelques minutes plus tard ils arrivèrent, avant même leur petit déjeuner.
-Messieurs, lisez donc ce rapport... Il semble ne pas donner d'information concrète, n'est-ce pas ? N'est-il pas creux ? Et surtout, n'y voyez-vous pas la marque d'une normalisation des malheurs, d'une banalisation du chaos, d'un manque de respect envers la Vie ?
-Allons, Llûd... C'est notre espion, tu le connais, il est concis et un peu détaché, mais la Vie suit son cour, justement...
-La ferme, Maghom. Tu es bon diplomate mais ce n'est pas moi qu'il faut adoucir, ce n'est pas avec moi que tu dois négocier. C'est compris ? Bon. Voila ce que nous allons faire. Ici sur le Vindilis, tout va bien. Notre peuple vit en harmonie entre ses nombreuses races, la durée hebdomadaire de travail est de 20h, la retraite a 40 ans, mais ce n'est pas le cas partout et vous le savez bien. Nous devons agir sur le reste du monde.
-On ne peut pas ! Nous avons une armée de la taille d'un casse-blocus... Et si nous pillons les riches sans les combattre, eux vont nous combattre !
-Je le sais bien Vendetta. Mais nous allons agir. Tout d'abord, que cet espion trop suffisant et au jugement déplacé soit réduit au silence. Il connait les risques du métier et notre philosophie, il n'avait qu'à ne pas juger la misère du peuple sans importance. Ensuite, nous allons nous rendre, tout les neufs, au Sénat. Devant le Sénat, en fait. Nous allons manifester, ou plutôt nous allons NOUS manifester, de manière à rappeler certaines choses aux pédants et arrogants. Voici le plan d'action...
Deux heures plus tard, ayant mangé et trouvé les déguisements nécessaires à l'action voulue par le druide, tout l’état-major du Vindilis se téléporta dans une ruelle adjacente au Sénat Galactique, loin et proche à la fois de la manifestation. La petite troupe se sépara, puis se fondit dans la foule bariolée des activistes et militants, nombreuse mais bien cernée par les gardes sénatoriaux. Le spectacle des chefs Galacticains tentant de se frayer un chemin vers le Sénat à travers la foule parfois bien miséreuse des manifestants était de toute beauté ! Ces arrogants parvenus agrippaient leur portefeuille de toutes leurs forces, houspillant les houspilleurs. Ces personnages de la Haute pensent pouvoir vivre en dehors de la crasse et de la misère, leurs crédits leur permettant de ne plus voir le bas-peuple qu'ils asservissent, mais là aucun moyen de l’éviter, ils étaient obligés de plonger dans cette foule qu'ils adorent, puisqu'ils la pille, et qu'ils détestent, parce-qu’elle ne peut pas se payer le dernier parfum à la mode. C'est peu, mais c'est déjà une punition valable, et un rappel : oui, nous le petit peuple, nous existons dans le même monde que vous, les ploutocrates. Les gêner ne serait-ce que quelques minutes est déjà une victoire.
En dix minutes, le druide vit ce qu'il devait voir. Le plan allait pouvoir commencer. Il s’apprêtait à lancer son signal aux autres, lorsque tout près de lui un étrange vertanien à la pilosité excessive pris feu, juste à coté de lui. Stupéfait devant cette anomalie, il comprit vite en voyant le mégot de cigare, ainsi que la tête de l'Amiral Delamarre un peu plus loin. Fou de rage, il invoqua rapidement un nuage, dont il modifia la densité jusqu’à le concentrer assez pour qu'il pleuve pile et uniquement sur le malheureux embrasé. Seulement ensuite il lança son signal, une simple flammèche envoyée en l'air. Qu'il est pratique d’être un mage multi-élementaire !
Immédiatement, Vendetta sauta sur un tonneau de cervoise apporté par Dame Sushido, et commença à haranguer la foule. Sa cape marron, tachée de boue, ses chausses usées, sa chemise défraichie, rien ne trahissait son statut d'officier supérieur. Elle avait également adapté son niveau linguistique pour ne pas paraître trop intellectuelle... Un vrai camouflage social.
-Moi, Vienduba, chuis une travailleuse ! Mais j'en pense pas moins ! Ecoutez-les ces saligauds de capitalistes, regardez ce qu'ils font ! On l'sait qu'c'est pas correct ce qu'ils nous font, à nous aut' les gueux, comme ils nous appellent. Et moi j'vais vous dire ! Ya pas qu'ca ! Ce sont des cochons, mais des cochons de la pire espèce ! Ils font pas que nous obliger à travailler aux usines comme des drones, ils nous piquent aussi nos maris pour la guerre ! Ils nous piquent nos meilleurs enfants pour leurs écoles spéciales, où ils se font refaire l’intérieur de la tête pour oublier qui ils sont et d’où ils viennent ! Et ils prennent les plus belles vierges, pas pour les épouser, mais pour en faire des putains, qu'ils auront baisé une fois ou deux, avant de les abandonner à leur maquereaux. Et...
Pendant que Vendetta attirait l'attention d'une grosse partie de la foule, y compris des gardes surveillant celle-ci, les mages Ard Khor, Spheherix et Dagda se réunirent au centre de la place. Ils lancèrent un rapide enchantement, et leurs trois puissances unies permirent au sortilège de recouvrir tout les participants... Une masse d'Ombre Solide, un étrange gaz compact, apparut dans le ciel, prenant la forme d'un disque qui filtra bientôt la lumière du soleil. Un crime allait se commettre envers la toute puissance du Sénat, mieux valait pour le Vindilis que cela se passe dans l'ombre et l'anonymat...
Une fois la pénombre installée, Airgetlam put entrer en action. Habillé comme un ouvrier mécano, il prit dans sa petite trousse à outils, accrochée à sa ceinture, l'objet magique qu'elle contenait. Une Pierre de Glace ! Quelques mots et elle s'activa, encore une incantation et elle se brisa en une multitude de plus petits cristaux de roche, presque de la poussière. Airgetlam les lança en l'air comme s'il semait du vent pour récolter la tempête... Guidant mentalement les éclats de la Pierre, il les fit virevolter autour des gardes du Sénat. Dans la pénombre, aucun moyen d’apercevoir cette fine poussière, donc de s'en protéger : tout les gardes furent bientôt pétrifiés sur place, comme gelés.
-Si ça dure plus de dix minutes, ils vont crever ces enfoirés... Et avoir la mort de 300 gardes sur le dos... Rhaaa, j'aurais jamais du accepter... Fichu druide...
Budstep, voyant que le garde duquel il s’était rapproché était immobile, le fît tomber. Aucune réaction de sa part, ni de ses congénères. Il cria alors :
-Regardez ! Les gardes sont foutus !
La réaction ne se fît pas attendre : l'ombre avait déjà intrigué la foule... Quand elle vit les gardes paralysés, elle entra en mouvement, d’elle-même, sans aucun ordre donné ni reçu. Les plus pacifistes se réunirent au centre de la place, tandis qu'au contraire les enragés allaient aux bords, à la rencontre des gardes, les faisant tomber, les désarmant, les pillant. Quelques uns furent piétinés, volontairement ou pas. En trente secondes, la place avait bien changée... Quelques gardes sortirent du Sénat et des renforts déboulèrent d'une rue adjacente où il y a un poste de guet, mais Airgetlam veillait et il lui restait encore assez de Pierre de Glace et d’énergie magique pour les réduire à l'impuissance.
Budstep fît alors ce qu'il savait faire de mieux : manipuler des ondes sonores. Un bruit magique. Sans crier ni ventriloquer, il envoya de très basses fréquences vers les quatre coins de la place, avec juste quelques aigus haut perchés au milieu, le tout calculé au centième de hertz près. Le son peut être magnifique en musique, destructeur en guerre, ou... constructeur, parfois. C'est ainsi que toutes les plantes décoratives entourant l'endroit, bien taillées et domestiquées par les jardiniers galacticains, devinrent folles : les fréquences spéciales émises magiquement par Budstep entrainèrent comme prévu une croissance démesurée et ultra accélérée. Les capitalistes, avec leur Booster de Drone, en seraient jaloux... La production de nourriture serait énorme avec une telle magie... Mais pour l'instant, les riches capitalistes présent étaient plutôt préoccupés. Les plantes grimpèrent le long des murs, les recouvrant, puis les fissurant... Les racines grossirent au point d'entamer progressivement les fondations de la place et des bâtiments alentours, de petites crevasses apparurent sur le sol. Budstep stoppa alors son sortilège, ne voulant tuer personne, seulement casser et endommager. De quoi faire dépenser plein de crédits aux richous à qui appartiennent l'endroit... Les rénovations, la coupe et le déracinage des plantes serait un vrai casse-tête pour eux, car tout les bâtiments touchés sont désormais fragilisés et ne tiennent plus que grâce aux tiges, troncs et racines les ayant recouvert.
Maghom, Maldoror et Panno Ramix entrèrent alors en action. Lançant chacun la même incantation, ils déclenchèrent l'ultime phase de l'attaque. Semblant venir du nuage d'Ombre Compacte, une pluie de crédits tomba sur la foule ahurie par autant d’événements en si peu de temps (seules deux minutes s’étant écoulées depuis l'apparition de l'Ombre). Évidemment, elle se ressaisit et se mit bientôt à recueillir cette pluie inattendue. Mais la situation devint plus qu’étrange... Les crédits ne cessant de tomber en quantité astronomique, les poches n’étant pas extensibles, la foule de manifestants ne puit plus en prendre d'avantage, et en eu bientôt jusqu'aux genoux.
Le druide Llud jeta alors sa cape de bure et sauta sur le tonneau délaissé par Vendetta, et cria d'une voix de stentor :
-Peuple travailleurs ! Vous tous qui avez laissé votre emploi aujourd'hui pour venir ici ! Vous tous qui avez un patron ! Vous qui passez plus de temps à l'usine qu'avec votre femme ou vos enfants ! Vous qui n'aurez votre liberté d'agir qu'à la lointaine retraite légale, lorsque vous serez déjà usés par le labeur et blasés par le système ! Voyez cet argent, et prenez-le si vous le voulez ! C'est celui du Vindilis, un petit état dont je suis le chef d’état-major ! Je vous le donne car les crédits sont peu important pour nous autres, vindilisiens, qui avons à manger, à boire, de quoi s'instruire et du temps libre... J'ai ordonné à nos banques de produire ces crédits pour vous, afin de vous faire comprendre que cet argent n'est RIEN ! On vous trompe depuis longtemps mes frères ! Les dirigeants comme moi ont le pouvoir de fabriquer leurs crédits, et ils ne s'en privent pas. Ce sont ces ploutocrates capitalistes qui vous manipulent en disant que l'argent se mérite. Ils vous lobotomisent doucement mais sûrement en vous faisant croire que l'argent, c'est le nerf de la guerre, que c'est lui qui peut vous nourrir et vous donner des vêtements, des vacances pour les plus chanceux, et d'autres fariboles !
La vérité est toute autre ! Ce sont vos bras qui vous nourrissent en plantant la nourriture ou en la chassant, ce sont vos jambes qui vous amènent à la plage. Du moins ça serait vrai si vous aviez le temps de le faire, et c'est là le problème. Les riches ne vous prennent pas votre argent, ils vous prennent votre temps, donc votre vie. Ce sont des vampires, rien de plus, rien de moins. Le Shadowsong n'a pas qu'un visage, souvenez-vous qu'il manipule de nombreux Etats à travers ceux qui croient en lui et en sa Puissance Sombre ! Récupérez vos vies ! Changez le cour du temps en redevenant les seuls maîtres ! Arrêtez de donner votre énergie et vos enfants au système qui vous les prend de force, par la force de la Loi, ou par la force des armes si vous résistez !
Vous verrez que si vous arrêtez de travailler, vous n’arrêterez pas de vivre, vous ne perdrez même pas le peu de confort que ces chacals de la haute finance veulent bien vous accorder au compte-goutte. Au contraire, vous revivrez grâce au temps libre ainsi gagné ! Vous aurez le temps de faire pousser et d’élever votre nourriture, qui sera au passage bien plus saine que celle de vos supermarchés habituels ! La vie dans les champs EST meilleure qu'en ville, et pour toi, petit peuple Galacticain n'ayant plus de terres arables, voici le bon conseil : faites pousser des plantes au lieu de faire pousser des bâtiments ! Éventuellement, faites pousser des plantes dans et sur des bâtiments, c'est possible ! Appropriez-vous l'espace inutilisé et réquisitionnez le reste ! RÉVOLUTION !
D'un claquement de doigts, il fît tomber une pluie de cigares allumés sur Longuequeue. Son costume dernier cri fut ruiné en moins de deux, et surtout il fut brulé de partout : d'atroces marques fumantes se voyaient maintenant sur tout son corps à travers les trous des vêtements, de la tête aux pieds. Une odeur de porc grillé se répandit...
Content de lui, le druide sauta par terre, remit sa cape, enfila une coule de moine, claqua à nouveau des doigts, ce qui changea sa coiffure et la couleur de ses cheveux, lui faisant aussi pousser une barbe inhabituelle. Un dernier claquement de doigts et une flammèche partit en l'air, signal de fin. L'Ombre se dissipa. L’état-major du Vindilis se réunit discrètement, sous leurs nouvelles apparences, près des tréteaux du banquet de Dame Sushido. Ils mangèrent en silence quelques restes, au milieu du chaos végétal et monétaire qu'ils ont crée.