Troubles de l'Iterps
Publié : 23 févr. 2008, 18:52
Le marais est toujours aussi confortable. En même temps je viens tout juste d’y élire domicile, mais je le trouve à mon goût.
J’avais 25 ans quand je suis né, il y a à peine dix minutes. Absurde logique qui nous dit qu’un nouveau né n’a jamais vécu avant de naître. La logique ne l’est que pour celui qui prétend pouvoir interpréter les cours des temps.
Moi j’aime ma nouvelle vie dans ce lieu qui respire la joie de s’enfoncer à chaque pas, grâce à ces chers sables qui ne peuvent s’empêcher de s’accrocher à moi pour m’entraîner loin, très loin en bas.
- Je reviens, je vais seulement faire un tour.
Ah ces chers grains se lamentent déjà de ne plus pouvoir m’étreindre et m’attirer tout au fond. Mais je n’ai pas que cela à faire, je viens de naître et il me faut rencontrer le seigneur du bois. J’ai dessiné dans ma tête un parcours qui longe la rivière. J’ai dessiné dans ma tête un parcours qui suit la mer, jusqu’au château terré.
Mais le chemin est déjà tracé alors je ne peux faire à ma guise. Quel est le vil qui m’oblige à être assez idiot pour suivre son parcours à lui. Déjà que mon coup de crayon n’a pas les bonnes grâces de l’art, si en plus il ne sert à rien ....
La forêt par laquelle je passe est infestée d’oiseaux. Je la plains mais je n’y peux rien, rien faire d’autre que les regarder grignoter les arbres comme du fromage. Et puis leurs feuilles tombent sans jamais se poser, il ne faut pas être un génie pour reconnaître qu’elle ne fait rien pour survivre. Moi j’ai été jusqu’à tuer des dragons, jusqu’à terrasser des montagnes, soumettre le monde. C’était dans mon imagination mais après tout, mon Iterps est l’univers dans lequel je viens de naître.
J’entends souvent un cri, un nom qu’une femme hurle comme si elle essayait d’en briser les lettres avec la voix. Je me vois aussi grimper une succession de marches et apparaître dans un étrange endroit blanc en hauteur, surplombant un terrain vaste. Des monstres volant aux reflets grisâtres s’approchent alors de moi ainsi que d’une déesse dont la robe capture l’essence du souffle nous abordant. A vrai dire je ne vois pas ce que tout cela peut être, mon imagination est taquine.
J’arrive devant ces champs d’enfants plantés, parsemés, enfoncés dans le sol la tête la première jusqu’au nombril. C’est assez impressionnant. Le blé leur sortant des poches, ils se plient au gré du vent qui me fait face en me poussant à avancer. D’innombrables paires de petites jambes se balancent au même rythme, suivant au geste près la moindre indication du chef d’orchestre. Je souris à l’ombre qui se cache.
- Nous nous verrons plus tard, je n’ai pas le temps.
Chuchotement...
Le propriétaire est là. Il me fait signe de venir à sa rencontre. Son sourire laissant paraître les insectes qui l’accompagnent, il fait parler ses mains qui me conseillent de ne pas les écouter. Une imitation de vague par ci, une figure à cinq doigts par là, je ne tarde pas à le suivre toujours sur le même chemin qui semble ne pas avoir de fin. Je me dis que celui qui l’a tracé en est mort, ou bien qu’il est devenu la continuité de sa création, rendant son existence immortelle. Quelle magnifique destinée.
Je lève la tête pour apprécier le ciel qui se sépare en deux. A ma gauche le soleil, à ma droite la lune. C’est par là bas que la nuit a envahi la moitié de la voûte céleste. C’est un beau spectacle mais les étoiles le gâchent en clignotant, en m’appelant pour que je les rejoigne. Elles me veulent bien sûr mais qu’elles ne s’inquiètent pas, j’irai, et je serai tenté de toutes me les approprier.
Nous prenons un raccourci qui coupe à travers une coulée de boue. Je suis enseveli mais cela ne m’empêche pas de continuer. Quand je ressors je suis complètement couvert par la matière. Elle essaie d’alourdir mon corps et y arrive, je dois ramper pour avancer. Je me retourne pour contempler le propriétaire qui se fait emporter par la coulée. Il sourit en faisant mine de nager mais ses gestes n’ont aucun effet. Je suis heureux pour lui.
Débarrassé de toute cette boue, je retrouve enfin le chemin interminable. Je me pensais idiot de le suivre mais finalement il me manquait. J’aime les choses qu’il me dit, c’est un être très drôle. Sa couleur changeante, passant du marron au jaune, puis au beige, est un régal pour les oreilles. Il fait tout ce qu’il peut pour me divertir pendant que je continue à avancer, cherchant à atteindre le centre même du néant.
Je passe à côté d’un trou creusé dans le sol, de taille moyenne. Quand je regarde vers le fond j’y aperçois un homme se tenant debout, ses pieds sont complètement enfoncés jusqu’aux genoux. Le visage vers moi, il me regarde et me sourit, tandis que deux autres hommes tâchent de reboucher le trou avec toute la terre qu’il y a autour.
- Belle journée n’est-ce pas ?
Il ne répond pas. Son regard joyeux emplit mon cœur de paix.
J’arrive ensuite devant un barrage. Ce sont trois femmes enveloppées d’étoffes. Elles dansent légèrement tout en tournoyant sur elles-mêmes. Leurs neufs bras suivent des courbes dans l’air, dessinant mille symboles à la suite, je suis tenté de les accompagner. Je les contourne pour continuer mais la chevelure de l’une des femmes m’attrape le poignet. Je regarde celle-ci qui me dit :
- Abandonne... Laisse la Quoemuse te prendre... Car elle se Quoem de ton avis.
Je lui réponds :
- C’est gentil. Je reviens, je vais seulement faire un tour.
Ses yeux glacés me font sourire. Ses cheveux me lâchent et je reprends ma route menant au château du seigneur du bois. J’aperçois maintenant ce dernier qui est installé dans un trône de foin. Je le rejoins et nous nous regardons pour nous accueillir mutuellement. Il se lève et marche, son torse se tordant de gauche à droite avec élégance, son cou basculant complètement à l’opposé pour me sourire. Nous sommes le duo des marcheurs et nous avons pour chemin le monde entier. Notre destination est cette petite cabane en bois pourri devant laquelle nous venons de nous arrêter. Il me dit que c’est son château et m’invite à entrer. Je voudrais le remercier mais je n’arrive pas à parler, l’émotion peut être de pouvoir apprécier une véritable structure royale.
J’entre. L’intérieur est somptueux. Des colonnes de marbre décorées d’or, des milliers de bougies qui éclairent merveilleusement le hall. Le tapis recouvrant le sol fait office de moquette, s’étendant sur toute la surface. On me fait signe d’aller là-bas, dans une salle qui abrite toute la famille. Ils s’apprêtent à manger et je suis leur invité de marque. Je regarde le roi en face de moi, qui devient l’un de ses servants avant de se changer en statue. Je complimente cet effort d’accueil :
- Très jolie pierre de qualité.
La reine me sert du vin dans un vase de cristal, puis se blottit contre un mur, sur lequel elle se fait crucifier. Elle rit pendant que les clous s’enfoncent dans ses poignets. Je bois mon vin rapidement pour remplir de nouveau mon vase avec ses larmes de joie qui coulent à flot. J’aime cet endroit sur lequel les ronces règnent. Et la pluie y est goûteuse, semblable au miel.
J’aperçois l’ombre dans un coin de la salle.
Chuchotement...
- Plus tard, tu vois bien que je mange.
La reine répond à cela :
- Non Kemeth, tu dois y aller. Laisse la Seaufuche te prendre.
- Ne m’appelez pas Kemeth, car c’est le nom de mon Iterps. Moi je suis le Tamoxuce.
Elle rit.
Deux loups jouent aux échecs sur le côté. L’un d’eux m’observe du coin de l’œil, quelle touchante attention.
L’échiquier me sourit avec ses grands yeux. La musique des murs est douce. J’aime cet endroit, mais mon marais me manque tout de même.
Les ronces enveloppent le roi qui se met à bailler, tandis que la reine se ronge le bras par ennuie soudain.
Chuchotement...
- Oui je viens, pas la peine de t’énerver.
Je m’approche de l’ombre qui m’attrape.
Un son aigu, continu et éloigné, vient alors se faire entendre. Un nom est de nouveau hurlé et je crois bien que c’est le miens. Une femme pleure près de moi, je ne la vois pas mais je sens sa présence. Des mouvements tout autour de moi. Une personne m’appuie sur la poitrine comme si elle essayait de la rompre. Des mots se perdent dans mon Iterps, m’empêchant de les comprendre. Un froid pointe son nez glacé et je suis triste. Triste sans savoir pourquoi. L’impression d’oublier quelqu’un, d’oublier du monde, d’être oublié ? Ces larmes qui coulent sur mon visage ne sont pas les miennes. La femme pleure toujours et elle me tient la main, elle m’appelle, elle me supplie de rester comme si je partais. Je souris. Je ne pars pas, je ne fais que voyager à travers les temps.
La nuit a maintenant recouvert toute la voûte céleste.
Et l’obscurité me gagne.
Je m’éteins...
J’avais 25 ans quand je suis né, il y a à peine dix minutes. Absurde logique qui nous dit qu’un nouveau né n’a jamais vécu avant de naître. La logique ne l’est que pour celui qui prétend pouvoir interpréter les cours des temps.
Moi j’aime ma nouvelle vie dans ce lieu qui respire la joie de s’enfoncer à chaque pas, grâce à ces chers sables qui ne peuvent s’empêcher de s’accrocher à moi pour m’entraîner loin, très loin en bas.
- Je reviens, je vais seulement faire un tour.
Ah ces chers grains se lamentent déjà de ne plus pouvoir m’étreindre et m’attirer tout au fond. Mais je n’ai pas que cela à faire, je viens de naître et il me faut rencontrer le seigneur du bois. J’ai dessiné dans ma tête un parcours qui longe la rivière. J’ai dessiné dans ma tête un parcours qui suit la mer, jusqu’au château terré.
Mais le chemin est déjà tracé alors je ne peux faire à ma guise. Quel est le vil qui m’oblige à être assez idiot pour suivre son parcours à lui. Déjà que mon coup de crayon n’a pas les bonnes grâces de l’art, si en plus il ne sert à rien ....
La forêt par laquelle je passe est infestée d’oiseaux. Je la plains mais je n’y peux rien, rien faire d’autre que les regarder grignoter les arbres comme du fromage. Et puis leurs feuilles tombent sans jamais se poser, il ne faut pas être un génie pour reconnaître qu’elle ne fait rien pour survivre. Moi j’ai été jusqu’à tuer des dragons, jusqu’à terrasser des montagnes, soumettre le monde. C’était dans mon imagination mais après tout, mon Iterps est l’univers dans lequel je viens de naître.
J’entends souvent un cri, un nom qu’une femme hurle comme si elle essayait d’en briser les lettres avec la voix. Je me vois aussi grimper une succession de marches et apparaître dans un étrange endroit blanc en hauteur, surplombant un terrain vaste. Des monstres volant aux reflets grisâtres s’approchent alors de moi ainsi que d’une déesse dont la robe capture l’essence du souffle nous abordant. A vrai dire je ne vois pas ce que tout cela peut être, mon imagination est taquine.
J’arrive devant ces champs d’enfants plantés, parsemés, enfoncés dans le sol la tête la première jusqu’au nombril. C’est assez impressionnant. Le blé leur sortant des poches, ils se plient au gré du vent qui me fait face en me poussant à avancer. D’innombrables paires de petites jambes se balancent au même rythme, suivant au geste près la moindre indication du chef d’orchestre. Je souris à l’ombre qui se cache.
- Nous nous verrons plus tard, je n’ai pas le temps.
Chuchotement...
Le propriétaire est là. Il me fait signe de venir à sa rencontre. Son sourire laissant paraître les insectes qui l’accompagnent, il fait parler ses mains qui me conseillent de ne pas les écouter. Une imitation de vague par ci, une figure à cinq doigts par là, je ne tarde pas à le suivre toujours sur le même chemin qui semble ne pas avoir de fin. Je me dis que celui qui l’a tracé en est mort, ou bien qu’il est devenu la continuité de sa création, rendant son existence immortelle. Quelle magnifique destinée.
Je lève la tête pour apprécier le ciel qui se sépare en deux. A ma gauche le soleil, à ma droite la lune. C’est par là bas que la nuit a envahi la moitié de la voûte céleste. C’est un beau spectacle mais les étoiles le gâchent en clignotant, en m’appelant pour que je les rejoigne. Elles me veulent bien sûr mais qu’elles ne s’inquiètent pas, j’irai, et je serai tenté de toutes me les approprier.
Nous prenons un raccourci qui coupe à travers une coulée de boue. Je suis enseveli mais cela ne m’empêche pas de continuer. Quand je ressors je suis complètement couvert par la matière. Elle essaie d’alourdir mon corps et y arrive, je dois ramper pour avancer. Je me retourne pour contempler le propriétaire qui se fait emporter par la coulée. Il sourit en faisant mine de nager mais ses gestes n’ont aucun effet. Je suis heureux pour lui.
Débarrassé de toute cette boue, je retrouve enfin le chemin interminable. Je me pensais idiot de le suivre mais finalement il me manquait. J’aime les choses qu’il me dit, c’est un être très drôle. Sa couleur changeante, passant du marron au jaune, puis au beige, est un régal pour les oreilles. Il fait tout ce qu’il peut pour me divertir pendant que je continue à avancer, cherchant à atteindre le centre même du néant.
Je passe à côté d’un trou creusé dans le sol, de taille moyenne. Quand je regarde vers le fond j’y aperçois un homme se tenant debout, ses pieds sont complètement enfoncés jusqu’aux genoux. Le visage vers moi, il me regarde et me sourit, tandis que deux autres hommes tâchent de reboucher le trou avec toute la terre qu’il y a autour.
- Belle journée n’est-ce pas ?
Il ne répond pas. Son regard joyeux emplit mon cœur de paix.
J’arrive ensuite devant un barrage. Ce sont trois femmes enveloppées d’étoffes. Elles dansent légèrement tout en tournoyant sur elles-mêmes. Leurs neufs bras suivent des courbes dans l’air, dessinant mille symboles à la suite, je suis tenté de les accompagner. Je les contourne pour continuer mais la chevelure de l’une des femmes m’attrape le poignet. Je regarde celle-ci qui me dit :
- Abandonne... Laisse la Quoemuse te prendre... Car elle se Quoem de ton avis.
Je lui réponds :
- C’est gentil. Je reviens, je vais seulement faire un tour.
Ses yeux glacés me font sourire. Ses cheveux me lâchent et je reprends ma route menant au château du seigneur du bois. J’aperçois maintenant ce dernier qui est installé dans un trône de foin. Je le rejoins et nous nous regardons pour nous accueillir mutuellement. Il se lève et marche, son torse se tordant de gauche à droite avec élégance, son cou basculant complètement à l’opposé pour me sourire. Nous sommes le duo des marcheurs et nous avons pour chemin le monde entier. Notre destination est cette petite cabane en bois pourri devant laquelle nous venons de nous arrêter. Il me dit que c’est son château et m’invite à entrer. Je voudrais le remercier mais je n’arrive pas à parler, l’émotion peut être de pouvoir apprécier une véritable structure royale.
J’entre. L’intérieur est somptueux. Des colonnes de marbre décorées d’or, des milliers de bougies qui éclairent merveilleusement le hall. Le tapis recouvrant le sol fait office de moquette, s’étendant sur toute la surface. On me fait signe d’aller là-bas, dans une salle qui abrite toute la famille. Ils s’apprêtent à manger et je suis leur invité de marque. Je regarde le roi en face de moi, qui devient l’un de ses servants avant de se changer en statue. Je complimente cet effort d’accueil :
- Très jolie pierre de qualité.
La reine me sert du vin dans un vase de cristal, puis se blottit contre un mur, sur lequel elle se fait crucifier. Elle rit pendant que les clous s’enfoncent dans ses poignets. Je bois mon vin rapidement pour remplir de nouveau mon vase avec ses larmes de joie qui coulent à flot. J’aime cet endroit sur lequel les ronces règnent. Et la pluie y est goûteuse, semblable au miel.
J’aperçois l’ombre dans un coin de la salle.
Chuchotement...
- Plus tard, tu vois bien que je mange.
La reine répond à cela :
- Non Kemeth, tu dois y aller. Laisse la Seaufuche te prendre.
- Ne m’appelez pas Kemeth, car c’est le nom de mon Iterps. Moi je suis le Tamoxuce.
Elle rit.
Deux loups jouent aux échecs sur le côté. L’un d’eux m’observe du coin de l’œil, quelle touchante attention.
L’échiquier me sourit avec ses grands yeux. La musique des murs est douce. J’aime cet endroit, mais mon marais me manque tout de même.
Les ronces enveloppent le roi qui se met à bailler, tandis que la reine se ronge le bras par ennuie soudain.
Chuchotement...
- Oui je viens, pas la peine de t’énerver.
Je m’approche de l’ombre qui m’attrape.
Un son aigu, continu et éloigné, vient alors se faire entendre. Un nom est de nouveau hurlé et je crois bien que c’est le miens. Une femme pleure près de moi, je ne la vois pas mais je sens sa présence. Des mouvements tout autour de moi. Une personne m’appuie sur la poitrine comme si elle essayait de la rompre. Des mots se perdent dans mon Iterps, m’empêchant de les comprendre. Un froid pointe son nez glacé et je suis triste. Triste sans savoir pourquoi. L’impression d’oublier quelqu’un, d’oublier du monde, d’être oublié ? Ces larmes qui coulent sur mon visage ne sont pas les miennes. La femme pleure toujours et elle me tient la main, elle m’appelle, elle me supplie de rester comme si je partais. Je souris. Je ne pars pas, je ne fais que voyager à travers les temps.
La nuit a maintenant recouvert toute la voûte céleste.
Et l’obscurité me gagne.
Je m’éteins...