Isadora

Tout le role-play qui ne rentre dans aucune autre catégorie

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Kel'Zahra
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Isadora

Message par Kel'Zahra »

Je précise qu'il est pas de moi :o Mais d'une amie qui adore écrire, mais qui veut pas poster ^^


Chapitre I : Le début d'une guerre

Passer le seuil du quartier d'Isadora, c'était comme passer dans une autre dimension. Tout y était radicalement différent. Le goudron et les trottoirs se transformaient subitement en chemin de poussière rouge, et les beaux immeubles de verre bien rangés devenaient de vieux bâtiments s'empilant les uns sur les autres en une tracée sinueuse jusqu'au cul-de-sac qui fermait le quartier. Une multitude de petits commerces s'étendaient au bas des édifices, dans lesquels habitaient les marchands. Les immeubles étaient violemment colorés par les toiles tendues aux nombreux balcons, qui séchaient tranquillement au soleil. Isadora était surtout connu pour ses boutiques apothicaires et ses voyants. Beaucoup de guérisseurs, de médiums, venaient se réfugier dans ce quartier dont les étranges fréquentations dissuadaient la police et les autres habitants de la ville d'entrer. Mais la plus grande part de mystère à Isadora consistait en une librairie, coincée entre deux immeubles, « La Clé des Juges », qui, sur vingt mètres de largeur, s'étendait sur quarante-cinq mètres de profondeur.
Dans la minuscule vitrine, au verre poussiéreux, s'entassaient des centaines de vieux livres, sous forme de grandes piles à la stabilité précaire. Quand on ouvrait la porte, une vieille clochette sonnait d'un tintement légèrement rouillé. Certains carreaux du sol, noirs et blancs, étaient fêlés. Sur le côté gauche se tenait un antique comptoir en bois rongé aux mites, dont la surface était recouverte de paperasse mal rangée. Derrière celui-ci, les étagères de bois étaient pleines à craquer de vieux livres à la reliure de cuir. D'immenses rayonnages poussiéreux, aux proportions colossales, que remplissaient des milliers de manuscrits, certains s'empilant sur le haut des meubles, ou encore à même le sol, s'étalaient dans tout le reste du magasin. Un ancien escalier de marbre, à la rambarde en fer forgé noir, en face du comptoir, menait en grandes spirales aux cinq étages supérieurs, dont les deux premiers servaient essentiellement de réserve et d'échelle pour certaines étagères qui grimpaient sans mal sur dix mètres de hauteur.

"Le fantastique de l'un n'est que le commun de l'autre."
Ethel Valentine


La clochette retentit. La porte s'ouvrit, laissant passer une gamine de treize ans, qui soupira en jetant son sac de cours dans un coin près du comptoir. Elle remit distraitement ses longs cheveux noirs dans son dos, parfaitement lisses, et arrangea le bandeau bleu sombre qui la coiffait. De petite taille, plutôt mince, les traits fins, sa peau était pâle et ses grands yeux d'une couleur cobalt envoûtante. Elle portait de vieux vêtements, bleus et noirs, trop grands pour elle, peu féminins. Une minuscule boule céruléenne ornait son oreille droite.
- Je suis rentrée, s'exclama-t-elle à travers toute la bâtisse.
Personne ne répondit. Elle soupira en enlevant son manteau, avant de le poser sur la rambarde de l'escalier, qui faisait office de porte-manteau. Elle alla derrière le comptoir et fouilla un instant la paperasse, écartant les nombreuses feuilles inutiles avec des gestes énervés. La petite retrouva enfin la surface du bois et observa les quatre feuilles cartonnées qui étaient scotchées dessus, sur lesquelles étaient tracés les emplois du temps.
- Evidemment, marmonna la môme, personne n'est rentré !
Elle décala quelques épais classeurs pour découvrir, derrière les piles peu stables, le téléphone. Elle mit le combiné à son oreille et tapa rapidement le numéro qu'elle lisait au bas de l'une des affichettes. Trois sonneries se firent entendre avant qu'elle ne tombe sur le répondeur. Elle laissa un message.
- Ouais, Adélaïde, c'est Ethel. C'était juste pour te dire qu'une fois de plus, tu étais partie sans fermer la maison. Voilà, c'est tout, à ce soir. Et n'oublie pas de regarder des deux côtés de la rue quand tu traverses. Bye.
Elle raccrocha sans plus de cérémonie et reposa le combiné sur son socle. Elle récupéra son sac et grimpa les escaliers. Elle passa les deux premiers étages d'un air maussade, veillant à éviter les piles de livres qui envahissaient les couloirs et les marches à n'en plus finir, avant d'arriver enfin au troisième étage. Elle ouvrit la première porte et entra dans la cuisine. Soupirant, elle fit une rapide pile des livres de cuisine qui traînaient ça et là sur le plan de travail, bancal, et les posa sur la table. Elle grimpa sur le bord de l'évier pour ouvrir les volets de la petite fenêtre éclairant toute la pièce. Après les immeubles d'Isadora s'étendait un immense désert au sol nu et à la poudre ocre, balayée par les vents. Descendant de son perchoir, Ethel ouvrit le frigo et sortit une bouteille de lait. Elle la posa sur le plan de travail, prit le pot de confiture à la fraise dans l'un des placards, et commença à se préparer des tartines, assise sur l'un des quatre hauts tabourets, avant de se servir un verre de lait. A peine avait-elle mordu dans la première que la porte s'entrouvrait et qu'un gros chien noir, à mi-chemin entre le rottweiler et le labrador, se glissait dans la cuisine en jetant à la gamine un regard suppliant. Ethel soupira.
- T'étais où, toi, marmonna-t-elle, encore à te faire nourrir par la voisine !
Le chien battit un instant de la queue avant de s'avancer vers elle et de poser son museau sur sa cuisse. La môme rejeta la tête en arrière d'un air exaspéré.
- Quand il s'agit de bouffe, t'es toujours là, mais pour le reste, y'a plus personne !
Le molosse baissa les oreilles en gémissant, avant de se reculer. Il pencha la tête sur le côté. Ethel leva les yeux au ciel en coupant un morceau de sa tartine.
- Hemingway, assis, fit-elle.
Hemingway s'assit. Elle lui passa le bout qu'il engloutit rapidement. Il reposa ensuite son museau sur la cuisse de la petite, et ne bougea plus jusqu'à ce qu'elle ait fini de manger. Elle mit son assiette et son verre dans l'évier, attrapa son sac et sortit de la cuisine pour grimper au dernier étage, juste en-dessous des toits, suivie d'Hemingway, ne faisant pas attention aux interdictions d'entrer et autres menaces de mort placardées sur la majorité des portes du quatrième étage. Seules quatre des quinze portes sur le mur droit du cinquième niveau, vieilles et grinçantes, étaient marquées d'un nom. Elle passa devant trois d'entre elles, Adélaïde, Ophélia, puis Irma, avant d'arriver devant la sienne, frappée de son propre prénom. Elle entra dans la mansarde, simplement meublé d'un lit, d'un bureau et d'une penderie à glace. Quelques posters étaient collés sur le plafond en pente et les murs, blancs. Elle ouvrit le velux et se posa sur son bureau alors qu'Hemingway s'étalait sur le lit, fait le matin même à la va-vite. La môme sortit ses devoirs d'anglais et les entama. Une demi-heure environ passa ainsi avant qu'elle ne lâche son stylo d'un air désespéré.
- J'y arrive pas, s'exaspéra-t-elle, je peux pas me concentrer correctement !
Elle fit pivoter sa chaise vers Hemingway qui avait relevé la tête, les oreilles baissées.
- Et toi non plus, tu peux pas dormir, remarqua-t-elle en levant un sourcil.
Le molosse émit un gémissement en se levant pour se rendre auprès de la petite. Celle-ci lui caressa distraitement la tête.
- Je crois comprendre pourquoi Ophélia a cramé les tartines, ce matin, soupira Ethel, elle avait la tête ailleurs...
Hemingway pencha la tête sur le côté en relevant les oreilles.
- T'as capté, marmonna-t-elle. Il va se passer un truc...
Le chien tourna la tête vers la porte, alerte. Il sortit de la chambre, bientôt suivi par Ethel.
En bas, une jeune fille d'environ dix-sept ans était rentrée, suivie d'une autre, de deux ans sa cadette. La première portait ses cheveux noirs au carré, courts, son regard sarcastique étant de la même couleur céruléenne que ceux d'Ethel. Elle était grande, élancée, sa taille était assez maigre et sa peau d'une pâleur cadavérique. Vêtue d'habits noirs, surchargés de dentelles, dans le style gothic lolita, elle était parée de nombreux bijoux d'argent et de cuir, notamment d'un tour de cou en soie noire et d'une croix d'argent pendante à l'oreille gauche. Elle posa son sac de cours sur le comptoir avec un soupir alors que la seconde, dans un style plus bohème, s'affalait dessus d'un air désespéré. Ses cheveux noirs de jais, plus longs que ceux de la première, ondulés, étaient retenus par une pince bleue, de la même couleur que ses beaux iris, à la pupille dilatée par la pénombre. Les traits fins, elle était assez grande, mince, beaucoup moins pâle que son aînée, et possédait, contrairement aux deux autres, une forte poitrine qu'elle cachait derrière un simple haut de toile bleue, à lacets, qu'elle portait sur un jean délavé au possible.
- Pourquoi faut-il que le lycée se trouve à l'autre bout de la ville, gémit-elle, dépitée.
- Et pourquoi faut-il que je supporte tes jérémiades tous les jours, inlassablement, soupira la gothique en mettant les mains sur les hanches d'un air exaspéré.
L'autre fronça les sourcils un instant, en pleine réflexion.
- Parce que t'es ma sœur, fit-elle enfin, septique.
L'aînée eut un sourire crispé en croisant ses mains devant elle.
- Tu sais, Irma, hésita-t-elle, il serait peut-être temps... que tu fasses un test de QI.
Irma lui jeta un regard noir en se redressant alors que sa vis-à-vis secouait doucement la tête, comme approuvant sa propre remarque.
- Je suis certaine que ça te serait bénéfique, appuya-t-elle ensuite avec un doux sourire.
- Au lieu de dire des bêtises, ma très chère Ophélia, rétorqua Irma en croisant les bras d'air sarcastique, t'as pas des trottoirs à faire ?
Ophélia resta un instant sans rien dire, la bouche légèrement entrouverte en début de sourire vengeur. Elle commença à rigoler en croisant les bras, suivie bientôt d'Irma. Au bout d'un temps d'hilarité, elle releva la tête vers sa petite sœur.
- J'vais t'tuer.
Elle se jeta sur Irma qui mettait instinctivement ses bras devant elle pour se protéger. Elles tombèrent toutes les deux par terre, Ophélia dessus, qui tentait vainement d'enlever les mains de sa sœur de devant son visage.
- Tu vas voir, s'exclama-t-elle en lui assenant un coup de genou dans les côtes. Quand j'en aurais fini avec toi, ta poitrine te poussera dans le dos !
- Tu t'en prends toujours à ma poitrine, s'écria Irma en roulant brusquement sur le côté pour se retrouver au-dessus d'Ophélia. C'est pas parce que t'es plate comme une planche que tu dois en vouloir à la terre entière !
- Je ne suis PAS plate !!
Ethel soupira en arrivant sur la dernière marche, observant ses sœurs se mordre et se tirer les cheveux en poussant des cris hystériques, se roulant constamment dessus pour tenter de prendre l'avantage. Hemingway, lui, observait la scène d'un air curieux, en remuant la queue, la tête penchée sur le côté.
- Vous croyez vraiment que c'est le moment de se battre, intervint Ethel d'une voix forte.
- La ferme, demi-portion, s'énerva Irma en tordant le bras de sa sœur. Tant qu'Adélaïde est pas là, on fait rien de toute façon !
Ophélia s'arrêta brusquement et se recula, fronçant les sourcils.
- Alors, j'avais pas rêvé, ce matin, marmonna-t-elle, la Lune était étrange. C'était pas qu'une impression. Vous l'avez senti aussi...
Les deux autres approuvèrent silencieusement.
- J'ai même pas pu faire mes devoirs d'anglais, ajouta Ethel en descendant enfin la dernière marche.
- De toute façon, t'es nulle en anglais, remarqua Irma en se penchant par-dessus le comptoir pour observer attentivement le carnet de note de la libraire.
- Ben moi, au moins, je suis capable d'avoir des notes au-dessus de la moyenne dans d'autres matières que les langues.
- Et moi, au moins, cassa Irma avec un demi-sourire, je ne suis pas une petite prétentieuse et garçon manqué brimée par ses camarades de classe ! Monsieur Gaspard doit venir chercher le livre qu'il a commandé tout à l'heure. Ophélia, tu sais où il est ?
- Je ne suis pas un garçon manqué, s'emporta Ethel en tapant rageusement du pied.
- Si c'est Le Grimoire de Seras, répondit Ophélia en ignorant royalement la plus petite, j'ai mon idée sur la question...
Elle se releva et s'enfonça sans plus de cérémonie dans la pénombre des nombreux rayonnages de la librairie. Au milieu même des étagères, la seule lumière qui filtrait était le soleil déclinant à travers les tuiles du toit, mal isolé. La poussière semblait figée dans l'air et les grimoires antiques attendaient sagement d'être vendus, serrés les uns contre les autres. Le silence qui régnait donnait une impression de malaise à laquelle la jeune fille semblait habituée. Ophélia arriva devant l'une des plus grandes étagères et observa en soupirant les derniers niveaux. Elle attrapa l'échelle coulissante, sur le côté, et la fit glisser jusqu'au centre du rayonnage. Elle grimpa rapidement dessus pour atteindre le sommet. Elle fouilla un instant parmi les nombreux volumes de l'avant-dernière étagère, posant distraitement ceux qui la gênait sur le haut du meuble, avant de sortir un vieux codex à la couverture de cuir vert émeraude, relié de fils d'argent, dont les lettres manuscrites, au bas du cuir, formaient la signature « Seras. », nom de son auteur. La petite gothique s'appuya distraitement sur la dernière barre de l'échelle et l'ouvrit, observant avec une admiration quasi-religieuse les pages écrites à la main, qui avaient jaunies avec le temps. Elle le lut ainsi pendant près de dix minutes, tournant très rapidement les pages, ses beaux yeux bleus allant d'un bout à l'autre des feuilles sans répit, un léger sourire ornant ses fines lèvres. Quand elle eut fini, elle ferma le livre en poussant un soupir satisfait.
- Ce genre de chef d'œuvre se fait bien trop rare, déplora-t-elle en enlevant distraitement la poussière qui couvrait encore la couverture.
Elle se leva alors pour descendre, avant qu'une étrange lueur bleutée n'attire son attention. Elle tourna la tête dans la direction de la lumière. Celle-ci semblait émaner du rayon suivant, en un point précis. Elle luisait par à-coup, brillant un temps avant de s'éteindre, pour se rallumer ensuite. Ophélia l'observa un moment, septique, avant de se retourner pour repartir d'où elle venait, le grimoire de Seras dans les bras.

"Se demander pourquoi les choses sont comme elles sont, c'est remettre en cause notre rôle de pion."
Adélaïde Valentine


Ethel était à moitié allongée sur les marches froides de l'escalier, Hemingway près d'elle, qu'elle caressait distraitement. Irma, elle, était assise en tailleur sur le comptoir, parmi la paperasse, et lisait d'un air absorbé un vieux bouquin dont l'écriture était purement illisible, tournant les pages à une vitesse impressionnante. Ophélia soupira en posant le grimoire de Seras sur le comptoir, à côté de sa petite sœur qui ne lui jeta même pas un regard, concentrée sur sa lecture.
- Monsieur Gaspard va arriver dans quelques minutes, remarqua Ophélia en notant le livre sur le registre de la librairie. Mais il risque pas d'entrer si la boutique est fermée.
- T'as qu'à l'ouvrir, répliqua Irma avec un haussement d'épaule en continuant à lire.
- C'est pas mon tour, rétorqua Ophélia avec mauvaise humeur.
- C'est pas le mien non plus, fit Irma en levant un sourcil.
Elle lâcha son livre et tourna la tête, en parfaite synchronisation avec son aînée, vers leur petite sœur qui faisait mine de regarder ailleurs d'un air gêné, une grimace accrochée aux lèvres.
- Tu l'as encore fait exprès, déclarèrent les aînées d'une voix atrocement calme.
- Jamais je ne participerais à l'extension de cette librairie minable, se récria Ethel d'un air rageur, en se levant brusquement, surprenant Hemingway. Je déteste ce quartier ! Je déteste cette baraque ! Je déteste CES LIVRES !!!!
En disant cela, elle avait donné un coup violent dans une des piles de livres en équilibre précaire sur la rampe, qui lui tomba tout bonnement dessus, la faisant basculer en arrière. Ophélia secoua la tête d'un air désolé en croisant les bras, alors qu'Irma plongeait dans son livre pour cacher tant bien que mal son éclat de rire.
- Tu sais très bien que dès que tu dis du mal d'eux, ils se vengent, remarqua Ophélia en levant un sourcil amusé.
- J'm'en fiche, s'énerva Ethel en tentant de se dégager de sous l'écroulement de bouquins. Je les déteste ! Bien plus qu'hier et bien moins que demain !
- Et ils te le rendront jusqu'à ta mort, cassa la gothique avec un grand sourire en tournant le panneau « fermé » pour afficher « ouvert ».
- Tu rêves, s'exclama Ethel en se dégageant enfin complètement, quand j'aurais dix-huit ans, je partirais ! Je ferais des études scientifiques et quand je me marierais, je demanderais même pas la clause du matriarcat ! Donc, je serais plus une Valentine ! Donc je serais libérée de toute responsabilité ! Donc j'aurais enfin la paix !!
- Imbécile !
A peine avait-elle eut le temps de tourner la tête en direction de la porte d'entrée, d'où provenait la voix, qu'elle se recevait un énorme livre dans la tête, la faisant à nouveau tomber en arrière. La jeune femme, âgée de deux ans de plus qu'Ophélia, remonta ses fines lunettes rectangulaires, entourées de bleu, sur son nez en poussant un soupir à fendre l'âme. Plus grande que les trois autres, mieux formée, la beauté de ses longues mèches noires et de ses envoûtants yeux saphir était pourtant entachée par ses vêtements sombres, trop grands pour elle, débraillés, et loin d'attirer le regard. Elle posa son lourd sac de cours sur le comptoir, déboutonna sans autre forme de procès sa chemise froissée, ridicule, et l'enleva, la jetant sur les marches de l'escalier, pour dévoiler un débardeur bleu sombre qui moulait à la perfection une taille de guêpe.
- Adélaïde, s'écria Irma en se jetant au cou de l'aînée, on t'avait pas entendu entrer !! Comment c'était la fac ?
- Ereintant, soupira Adélaïde en posant distraitement une main sur la tête de sa petite sœur qui ne l'avait pas lâchée. Ethel, tu ne changeras jamais de nom.
- Bien sûr que si, s'injuria celle-ci en se redressant vivement, massant son front devenu rouge.
- Bien sûr que non, répliqua Adélaïde avec un soupir. Tu es invivable, aucun garçon ne voudra de toi. Tu es plus susceptible qu'Ophélia et plus stupide qu'Irma !
- Hé, s'indigna cette dernière, je suis pas stupide !
- Et tu es encore plus chiante qu'Adélaïde, ajouta Ophélia en levant les bras au ciel en signe d'impuissance.
Adélaïde attrapa le premier livre qui lui tomba sous la main, alors qu'une veine battait violemment sur sa tempe, et le lança en direction de la seconde de la fratrie, qui le prit en pleine face, ne pouvant l'éviter.
- Ça t'apprendra à dire des choses totalement fausses sur tes aînés, fit Adélaïde avec un haussement d'épaule satisfait.
- Ouais, marmonna Ophélia d'un air boudeur en se frictionnant douloureusement le nez, en attendant, voilà Monsieur Gaspard.
Les quatre sœurs tournèrent la tête vers la porte d'entrée, peu après, un vieil homme d'une soixantaine d'années apparut à la porte, qu'il ouvrit, un sourire fendant sa barbe blanche.
- Bonjour, jeunes filles, s'exclama-t-il d'un air joyeux.
- Bonjour, Monsieur Gaspard, répondirent automatiquement celles-ci.
- On a votre livre, déclara Ophélia en prenant le grimoire de Seras qu'elle avait posé sur le comptoir.
Elle le lui tendit, et il le prit avec un sourire.
- Merci bien, fit Monsieur Gaspard, ça faisait longtemps que j'attendais ce volume. Seras était vraiment un grand Mage !
- Entièrement d'accord, soupira Adélaïde avec un sourire nostalgique.
- Bien, dit Gaspard en posant l'argent sur le comptoir, j'aimerais discuter plus longtemps, mais il me semble qu'aujourd'hui, vous ayez mieux à faire...
- Moi, j'espère pas, marmonna Ethel comme une confidence à Hemingway.
- Vous me tiendrez au courant, demanda le vieil homme en sortant.
- Bien sûr, assura Adélaïde avec un doux sourire.
Il partit. Adélaïde se tourna vers ses cadettes.
- Alors, demanda-t-elle.
- C'est en marche, soupira Ophélia. La question est : « Que va-t-il en résulter ? ».
- J'me fiche de ce que c'est, j'y participerais pas, décidé Ethel en montant les marches d'un pas assuré.
- D'un autre côté, rigola Adélaïde, t'as pas vraiment le choix !
Ethel se re tourna brusquement.
- Ben si faut, il sera écrit que je ne participerais pas, répliqua-t-elle d'un air pincé. Car les basses besognes ne sont que pour les rats !
- Tu te contredis, marmonna Ophélia en regardant distraitement les comptes. Si les basses besognes sont réellement pour les rats, comme tu nous l'affirmes, tu es forcément concernée !
Ethel lui jeta un regard plus noir que nuit alors qu'Adélaïde ricanait d'un air mesquin.
- Je vous déteste aussi, s'emporta la plus petite.
- Ça nous fait une belle jambe, rétorqua l'aînée en se dirigeant vers le fond de la boutique d'une démarche féline.
- Tu y vas, s'étonna Irma en relevant enfin la tête de son livre qu'elle avait bientôt fini.
- Il est temps, répondit Adélaïde avec un doux sourire. Tout le monde est là ! Qui m'aime me suive !
Irma sauta du comptoir et elle et Ophélia suivirent leur aînée, Hemingway après elles. Ethel ne bougea pas d'un iota, les bras croisés d'un air boudeur. Les trois avaient déjà disparu dans les rayonnages.
- ET CEUX QUI NE M'AIMENT PAS AUSSI !!!!
Ethel serra les dents, la mine rageuse, en courant les rejoindre. Les quatre Valentine se dirigèrent rapidement à travers le dédale de livres, pour arriver au rayon où Ophélia avait trouvé le grimoire de Seras. La lueur, au bout de l'étagère, était toujours présente, si ce n'était qu'elle se faisait plus intense.
C'était un énorme volume à la couverture de cuir sombre, reliée de fins fils d'argent. Une pierre ovale, cobalt, était incrustée dans la tranche du livre, et émettait l'étrange lumière bleutée. Il se trouvait en plein milieu du rayonnage, entouré de ses milliers d'autres congénères. Adélaïde grimpa sur l'échelle, s'asseyant sur l'une des barres, et le prit, faisant attention à ne pas abîmer plus les pages jaunies par le temps, ondulées par l'humidité. Elle l'ouvrit, faisant courir le papier sous ses doigts fins, jusqu'à trouver le milieu. Le reste des feuilles était blanc. Lentement, des mots s'inscrivaient sur le manuscrit, à l'encre bleue. L'aînée des Valentine commença la lecture.
- « Chapitre quatre-mille quatre-cent quarante-huit, annonça-t-elle gravement, en cette année annonciatrice de l'Ere du Verseau, le quartier intemporel d'Isadora se verra être le théâtre de la neuf-cent quatre-vingt-dix-neuvième guerre entre les êtres au sang noir. Les règles seront identiques à celles qui ont régi les précédents affrontements. Pour veiller au bon déroulement du jeu, le Juge Valentine devra arbitrer les combats avec toute l'impartialité et le talent dont il est capable. ».
Adélaïde referma le livre et tourna la tête vers ses trois cadettes.
- Une guerre, marmonna Ophélia, rien que ça ?
- Tout son talent, geignit Ethel, avec toute l'impartialité et le talent dont il est capable... POURQUOI SUIS-JE A CE POINT MAUDITE ?!!!!!!!
- Tu te poses encore la question, maugréa Ophélia en se bouchant les oreilles.
Irma se contenta de soupirer.
- Je crois bien que ce n'est pas cette année que l'on pourra prendre des vacances, remarqua-t-elle avec un haussement d'épaule. Je n'ose imaginer le nombre d'étrangers qui vont envahir la ville, avec tout ça.
- De toute façon, répliqua Adélaïde en observant d'un air distrait Ophélia tirer vivement les joues d'Ethel alors que celle-ci tentait en vain de se dégager, ça ne commencera pas avant que les personnes choisies n'aient reçu la lettre. C'est toujours comme ça, dans une guerre.
- Je ne me rappelle pas, dit Irma en levant un sourcil.
- Tu étais trop petite, soupira Adélaïde en repartant vers l'entrée de la boutique, après avoir remis le grimoire en place. Même moi, je ne m'en souviens pas beaucoup. Je n'étais même pas en âge de juger.
- Mais une guerre, c'est pas très différent d'un duel, non, demanda Irma en la suivant.
- En effet, approuva Adélaïde, c'est le même concept, si ce n'est qu'il peut se répéter jusqu'à six fois dans une journée.
- Eh ben, marmonna Irma d'un air dépité, je crois que les prochains mois seront éreintants, déjà que le lycée n'est pas de tout repos en temps normal...
- Je pense que tu ne te rends pas compte de l'ampleur de cet évènement, déclara Adélaïde en se retournant vers sa sœur. Il ne nous suffira pas d'employer la procédure habituelle, c'est beaucoup plus important. Le nombre d'étrangers qui viendront dans la ville sera considérable, et tu devras faire en sorte de rester loin d'eux, c'est extrêmement difficile. Nous sommes au début d'une guerre, Irma.
L'aînée se détourna et partit, laissant l'adolescente dans ses pensées.
Dernière modification par Kel'Zahra le 27 févr. 2008, 21:54, modifié 2 fois.
Kel'Zahra
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Re: Isadora

Message par Kel'Zahra »

Chapitre II : Date assignée

La guerre avait été annoncée à Isadora, et tous les habitants étaient en pleine effervescence. Les vieilles marchandises de valeur, gardées pour les grandes occasions, avaient été remontées de la cave par les fils aînés, qui ne se gênaient pas pour lever les yeux au ciel avec un soupir quand leur mère tournait le dos pour hurler, cette fois, sur les plus petits qui s'éclaboussaient dans les tubs, plutôt que de se laver proprement. Les maisons et les appartements étaient nettoyés de fond en comble par les filles, alors que les chefs de famille piquaient un somme à l'ombre des tentures qui recouvraient leur étal, ou parlaient entre eux de leur dernier rendement important, qui remontait à la dernière guerre. Il faisait beau. Et come il faisait beau, les plus garnements avaient réussi à échapper à la vigilance quasi-militaire de leur mère et se battaient devant « La Clé des Juges », criant et se roulant dans la poussière sans la moindre hésitation.
Au cinquième étage, dans sa chambre, Irma, enfouie dans un demi-sommeil, tentait tant bien que mal de se rendormir, ne prenant pas garde aux piles de livres en équilibre précaire qui s'amoncelaient sur la planche au-dessus de son lit, faisant office d'étagère. Mais rien à faire : les gamins faisaient trop de bruit, ou bien c'était qu'elle avait l'ouïe trop fine. Elle soupira en ôtant enfin son oreiller de sur sa tête pour regarder le vieux réveil qui trônait sur deux gros dictionnaires et une encyclopédie. Il indiquait une heure de l'après-midi.
- C'est pas possible de faire autant de bruit si tôt, s'énerva-t-elle en se redressant. Ces mômes n'ont vraiment aucune éducation !
Remettant distraitement ses mèches noires dans une position convenable, elle se roula hors de son lit, prenant garde à ne pas butter dans les empilages de volumes qui encombraient le sol de la chambre, le bureau et la commode. Elle sortit de la chambre, toujours dans un état comateux et traversa le couloir pour descendre les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée.
Elle trouva l'aînée de la famille, en petite tenue, dormir comme une bienheureuse sur les innombrables feuillées étalées sur le comptoir. Le style bleu était encore posé à côté de sa main, ouvert. Irma bailla en allant légèrement secouer l'épaule de sa sœur.
- Adélaïde, marmonna-t-elle en se frottant les yeux de sa main libre. Adélaïde ! Il est une heure de l'après-midi. - Eh ben, j'ai encore besoin de deux petites heures de sommeil pour avoir une nuit complète, soupira Adélaïde en tournant la tête de l'autre côté, enlevant ses lunettes avec lesquelles elle s'était endormie pour les poser sur une pile de documents.
- Mais tu t'es encore endormie sur ta thèse, s'opposa faiblement Irma en réprimant un autre bâillement.
- C'est que les brouillons, maugréa Adélaïde en repoussant la main de sa sœur sur son épaule.
- Mais y'a les garçons qui se battent encore devant la librairie, geignit Irma. J'arrive plus à dormir !
- Et ça veut dire que si tu ne dors pas, personne ne dois dormir, c'est ça, souffla Adélaïde sans pour autant ouvrir les yeux. Fiche-moi la paix, Irma, ou Ethel ne sera bientôt plus mon souffre-douleur officiel. Et puis c'est normal, que les garçons soient là, Ethel est sortie j'crois. Ils ont dû la voir, t'as qu'à les faire partir. Maintenant, laisse-moi dormir.
- Mais...
Elle ne put finir sa phrase, un étrange son, comme le roulement des engrenages d'une vieille horloge, l'en empêchant. Adélaïde soupira en ouvrant enfin les yeux. Elle remit ses lunettes en se redressant, et tourna à son tour la tête vers la porte d'entrée. A côté de celle-ci se trouvait une ancienne boîte aux lettres, rouillée, qui pendait simplement au mur, accrochée à un gros clou.
- Va voir, ordonna l'aînée d'un air ennuyé en s'appuyant sur un coude.
Irma souffla bruyamment en s'exécutant. Elle alla ouvrir la boîte et en sortit une enveloppe, légèrement jaunie, cachetée d'un sceau noir, à l'écriture distinguée.
- « Invitation à participer à la neuf-cent quatre-vingt-dix-neuvième guerre du Treize », lut Irma.
- Passe, fit Adélaïde en tendant le bras, paume tendue, vers l'adolescente.
Celle-ci lui donna la lettre et la plus grande la décacheta, se mordant distraitement la lèvre inférieure.
- Alors, souffla-t-elle en parcourant rapidement la lettre des yeux. « Monsieur, Madame. Afin de réguler les troubles générés par les trop grands flux d'énergie, qui traversent chaque jour la planète en treize vagues successives, nous vous invitons à participer à la neuf-cent quatre-vingt-dix-neuvième guerre du Treize. Ainsi, ledit évènement aura lieu autour du quartier intemporel d'Isadora, où se déroulera la cérémonie d'ouverture à laquelle vous êtes convié, le 13 Octobre. Nous comptons sur votre assiduité d'être au sang noir pour le trouver par vos propres moyens. Les êtres mortels ne devront pas se rendre compte de votre présence. De ce fait, la guerre s'organisera par combat de un contre un. Il vous faudra treize victoires pour être exempt de continuer, et vous aurez le droit à trois défaites. Si vos trois chances sont écoulées, vous disparaîtrez. Si vous n'atteignez pas les treize victoires requises avant que tous les candidats ne soient éliminés, vous disparaîtrez. Si vous ne signez pas de votre sang ce même papier qui vous engage à participer, vous disparaitrez. Les règles seront édictées plus en détail par notre émissaire lors de la cérémonie d'ouverture. Toute attaque envers un autre participant avant le début des jeux vous vaudra une disqualification : vous disparaîtrez. Veuillez agréer de nos sentiments les plus distingués. »

"Il faut croire que toute abjection est notre quotidien."
Irma Valentine


Irma leva les yeux au ciel d'un air blasé.
- Plutôt obligeante, cette invitation...
- Ils ont toujours eu un drôle de sens de l'humour, soupira Adélaïde en observant tout le contenu de l'enveloppe. Il y a une autre lettre. « Cher Juge Valentine, vous avez trouvé ci-joint une copie de la lettre envoyée à chaque participant. Votre qualité de Juge requérant toutes vos capacités, nous avons donné le rôle d'émissaires aux gardiens du quartier. Ils se chargeront des divers préparatifs tels que les terrains, ou bien encore la liste des inscrits. Leur doyen aura la tâche de discourir lors de la cérémonie d'ouverture, durant laquelle vous ne serez absolument pas dans l'obligation de vous montrer, il sera fait selon votre propre initiative. »
L'aînée des Valentine poussa un soupir à fendre l'âme en lâchant la lettre sur le comptoir.
- Invitation implicite au Juge à ne pas se montrer, conclut-elle en levant un sourcil, les bras croisés contre sa poitrine.
- Et tu penses que le Juge se montrera, demanda Irma avec un demi-sourire, appuyée sur le comptoir.
- Je sais que non, répondit Adélaïde avec un sourire.
Elles entendirent alors une porte claquer, au cinquième étage. Des pas descendant les escaliers d'un air énervé, une porte qui s'ouvre au quatrième étage.
- VOUS FAITES TROP DE BRUIT JE PEUX PLUS ME RENDORMIR !!!!!!!!
La porte se claque.
Adélaïde leva les yeux en ciel avant de vérifier rapidement les comptes, alors qu'Irma sautait sur le comptoir pour s'y asseoir en tailleur, et attrapait un gros livre caché son le comptoir, dont les mots ne semblaient vouloir rien dire. Elle l'entama.
- Ophélia s'est réveillée, marmonna l'aînée, hum... de l'allemand ?
- Du vietnamien, rétorqua Irma en lui jetant un regard blasé, ça se voit, non ?
- Pas vraiment, fit Adélaïde avec un sourire en coin, il n'y a vraiment que toi pour faire la différence. Et puis, pourquoi le vietnamien utiliserait l'alphabet occidental si c'est une langue asiatique ?
- Parce que le vietnamien est la seule langue asiatique à employer l'alphabet occidental, soupira Irma, c'est encore une histoire de colonisation...
Il y eut du brouhaha devant la librairie, les garçons s'écriaient fort.
- FICHEZ-MOI LA PAIX, BANDE DE CRETINS ATROPHIES DU BOCAL !!!!!!!!!!!!!!!
- Ethel est vraiment la seule d'entre nous à être du matin, marmonna Adélaïde, une pointe d'envie dans la voix. La plus petite de la famille ouvrit la porte de la boutique d'un coup de pied énervé, pourtant plusieurs sacs de papier à bout de bras, tous plus remplis les uns que les autres d'aliments. Elle alla poser le tout sur le comptoir, à côté de ses sœurs, alors que les mômes, de son âge, se bousculaient à l'entrée pour avoir l'honneur de passer la tête par l'entrebâille. Ethel tourna la tête vers eux, exaspérée.
- Vous pouvez pas dégager, là, s'exclama-t-elle, vous enlaidissez le paysage !
- On ne partira pas avant que tu leur ais dit que c'st avec moi, que tu te marieras , répliqua un petit brun en poussant brusquement le rouquin qui tentait de lui passer devant.
- Non, avec moi !!
- N'importe quoi ! Elle se mariera avec moi !!
- Arrêtez de rêver ! Il n'y a que moi qui sois digne d'elle !
- FOUTEZ LE CAMP !!!!!
Ethel attrapa le premier livre qui lui tomba sous la main et le lança violemment dans leur direction. Elle profita du fait que les garçons s'écartent pour éviter de se prendre le volume, trop épais à leur goût, dans la tête, pour leur fermer la porte au nez. Elle les laissa tambouriner contre la porte, inspirant puis expirant profondément. L'un d'entre eux finirait bien par donner un coup à un autre, et ils iraient se battre plus loin. Irma frissonna d'effroi.
- Une future Adélaïde, gémit-elle, horreur !
Sa sœur aînée allait lui envoyer un livre à la figure quand un cri provenant du quatrième étage les interpella.
- Venez voir, s'écria Ophélia en se penchant exagérément par-dessus la rambarde. Vite !!
- D'accord, répondit Adélaïde en se levant, mais évite de tomber ! Le ménage a été fait la semaine dernière, ce serait embêtant de devoir encore nettoyer le sol seulement parce que ta cervelle y dégoulinerait.
- Trêve de sarcasmes, répliqua Ophélia en courant vers la pièce d'où elle était brusquement sortie. Rappliquez !!!
Les trois autres grimpèrent les marches, alors qu'Ethel faisait acerbement remarquer à ses sœurs qu'elles étaient encore en sous-vêtements. Elles entrèrent dans la pièce réservée à Ophélia, dont la porte était probablement celle qui comportait le plus de menaces de mort et de dessins sanglants. La pièce était plongée dans la pénombre, seulement éclairée par les trois écrans plats, fixés sur leurs tiges de métal, de part et d'autre des nombreux claviers, sur lesquels Ophélia, enfoncée dans son grand fauteuil tournant, pianotait avec frénésie. La pièce était remplie d'unités centrales qu'Ophélia avait récupérées par-ci par-là et avait remises en état. Les filles se frayèrent un chemin parmi les milliers de fils électriques multicolores qui jonchaient le sol, et se placèrent derrière le fauteuil d'Ophélia, observant les écrans en levant un sourcil perplexe.
- Alors, demanda Adélaïde, qu'est-ce que tu voulais nous montrer ?
- Ça, s'exclama Ophélia en appuyant sur une touche qui afficha une longue liste de noms sur l'écran principal. Ceci, mes très chères sœurs, est la liste des élèves du collège, et du lycée ! Ne remarquez-vous pas quelque chose, d'étrange ? Irma, regarde ta classe !
Irma observa attentivement la liste indiquée.
- Ah, s'exclama-t-elle au bout d'un moment, oui ! Ils ont oublié un L à mon second prénom ! C'est Ludmilla, pas Ludmila !
- Idiote, s'énerva Ophélia en lui donnant un coup de coude dans les côtes. On s'en fout, c'est pas le problème ! Vous êtes combien, dans la classe, normalement ?
- Ben, vingt-deux, répondit Irma sans comprendre, les classes de langues sont encore trop récentes pour être nombreuses.
- Et bah, si tu regardes le total, en bas, tu te rends compte qu'il y a un problème, répliqua Ophélia d'un air satisfait.
Irma fronça les sourcils en regardant le nombre en question. Il n'affichait effectivement pas vingt-deux, mais vingt-quatre. Elle repassa rapidement en revue tous les noms de la liste, et trouva les deux erreurs, Marcus Velam et Tora Jensen. Elle grimaça.
- Jensen, c'est un nom danois, marmonna-t-elle. Je vois l'erreur...
- Et pareil pour la mienne, ajouta Ophélia en montrant le nom intrus sur sa liste, James Carl. Et pour Ethel.
Sur celle-ci avait été ajoutée le nom des jumelles Bianca et Carmela Solère.
- Eh ben, on est pas dans la merde, soupira Ethel.
- Eh ben, tu crois pas si bien dire, marmonna Ophélia en affichant une nouvelle liste, je vous parle pas du nombre d'entrées à l'université ! Tu vas avoir plein de nouveaux copains, Adélaïde !

"Je suis frappée d'ostracisme."
Adélaïde Valentine


- Déjà que j'en ai pas un dans les six milles que compte actuellement l'université, remarqua sèchement Adélaïde. Je vous préviens, si nous pouvons les détecter, ce n'est pas leur cas, alors rien d'étrange, ou quoi que ce soit pour se faire remarquer, compris ?
- Pourquoi, demanda Ophélia en sortant un paquet de clopes de sa poche, même si c'est nous qui faisons les conneries, c'est eux qui seront pénalisés, non ?
- J'aimerais faire en sorte qu'ils n'aient pas à le savoir, expliqua Adélaïde en croisant les bras.
Ophélia ne répondit pas et alluma la cigarette qu'elle venait de tirer du paquet. Elle la mit à la bouche et prit le temps de souffler des volutes de fumée blanche avant de demander.
- Question d'avantage ou de tranquillité ?

"Je sais que la tranquillité est un avantage."
Ophélia Valentine


Adélaïde eut un sourire mauvais alors qu'une lueur lubrique passait dans son regard, au-dessus de ses lunettes qu'elle avait abaissées sur son fin nez.
- C'est pour avoir deux longueurs d'avance, cela va sans dire.
Kel'Zahra
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Re: Isadora

Message par Kel'Zahra »

Chapitre III : Seule la pluie nous révèle

Il y en avait quarante-six. Irma soupira en rattachant distraitement ses cheveux, ignorant son professeur de math, au tableau, qui expliquait à la classe l'arrivée de deux nouveaux élèves, le tout avec son air pompeux des grands jours. Elle n'était pas aussi douée en calcul qu'Ophélia, mais elle avait bien compris que quarante-cinq croix étaient venues s'ajouter à celle qu'elle avait laissé quelques semaines plus tôt, en réponse à la phrase qu'elle avait gravé à côté de sa propre croix « Que ceux qui s'ennuient gravent une croix. » Elle allait rajouter la quarante-septième quand les deux nouveaux entrèrent. Elle ne leva même pas la tête quand toute la classe s'extasia sur leur beauté et leur distinction naturelle.
Irma savait que les êtres au sang noir étaient beaux de nature, c'était dans leur code génétique. Grands, intelligents, et souvent excellant dans le domaine qui leur plaisait le plus. Ils n'étaient mauvais en rien, mais n'étaient pas forcément bons en tout. Ils avaient un air qui les différenciait des mortels, et qui indiquait clairement à tous ceux qui les voyaient qu'ils étaient d'une race supérieure. Ce n'était qu'une impression, pas un trait physique bien réel, mais c'était suffisant pour qu'ils deviennent un centre de gravité à eux seuls. Ainsi, ce fut sous les soupirs des filles et les sifflements des garçons que le beau brun ténébreux Marcus Velam gagna sa place à côté du délégué de la classe, et que la plantureuse rousse qu'était Tora Jensen s'assit à côté de la chef des pom-pom-girls du lycée, dans la même rangée qu'Irma, qui s'appliquait, sa langue humectant distraitement ses lèvres, à faire sa croix.

- Qu'est-ce qu'ils sont beaux, soupira la petite brunette à côté d'Irma en se retournant vers les nouveaux, plus loin derrière elles.

- Hum, fit Irma sans y penser. Tu veux faire une croix, Nadège ?

- Tu ne m'écoutes même pas, déplora Nadège, faut dire que toi, la beauté, tu dois pas connaître, avec la sœur que t'as !

Irma aurait pu demander « laquelle ? ». Oui, elle aurait pu, mais elle savait pertinemment de quelle sœur parlait Nadège. Ophélia Valentine était ce que l'on pouvait appeler le mouton noir des profs. Elle était belle. Très belle, même, mais gothique option lolita. Elle faisait au moins un effort en sport, les vêtements, sobres à son sens, qu'elle mettait la faisaient plus passer punk que vampire-style. C'était un plus, au moins, elle avait l'air humaine. Irma ricana et continua sa gravure, alors que le prof entamait le cours. Tandis qu'il s'appliquait à son cours, et Irma à sa traduction du tout nouveau livre de l'auteur à sensation du moment, susnommé Xipe Topec, en espagnol, les élèves de la classe observaient peu discrètement les nouveaux. Si Tora s'amusait à sourire aux garçons plutôt mignons, Marcus restait le regard fixé sur le dos de l'élève devant lui. Le cours se finit ainsi, et quand la sonnerie retentit, la seule à se lever, prendre ses affaires et sortir pour se rendre au self fut Irma. Elle se tourna d'un air septique vers Nadège, qui comme les autres élèves de la classe, entouraient les nouveaux en pépiant toutes sortes d'inepties.

- Nad, tu viens, l'appela-t-elle.

- Euh... plus tard, Irma, répondit l'autre en s'enfonçant un peu plus dans la masse d'élèves.

Irma soupira en levant les yeux au ciel et partit. Elle longea les couloirs pleins de monde et arriva à la cafétéria, déjà blindée. Elle repéra vite Ophélia, prit son plateau et la rejoignit à leur table habituelle. La table des Bizarres. Ames sensibles s'abstenir. C'était le mot d'ordre qui circulait dans le lycée depuis qu'Ophélia l'avait intégré. Si les profs se réjouissaient que ce soit sa dernière année, ils déploraient fortement qu'elle soit l'aînée de deux autres petites, la dernière étant comme l'autre promise à ce lycée.

- Alors, demanda-t-elle à sa sœur en s'asseyant en face d'elle. Ton nouveau ?

- Un lover, soupira Ophélia en croquant dans une pomme rouge sang. Je pouvais pas tomber plus mal. Et toi ?

- Un Comte Dracula avec les dents en moins et une petite Angélina Jolie toute rouge !

- Mes aïeux, s'étouffa Ophélia, les rousses, c'est les pires ! J'en ai eu une, une fois, dans ma classe, elle snobait tout le monde ! J'ai fait en sorte qu'elle arrête, j'en pouvais plus !

- Et qu'est-ce qu'elle est devenue, fit distraitement Irma en reprenant sa traduction.

- D'après ce que j'ai entendu dire, elle suit toujours sa thérapie, répondit Ophélia après réflexion. Mais ça va mieux, elle peut passer devant une gothique sans s'évanouir, maintenant.

Irma jeta un regard blasé à sa sœur qui lui lança un sourire digne d'un pub de dentifrice, avant de retourner à sa version. Un grand brouhaha s'éleva soudain dans le self : les nouveaux venaient d'entrer, bien entourés des plus populaires. Il y avait Marcus Velam, Tora Jensen, un blond magnifique qu'Ophélia lui indiqua être James Carl, et quatre autres tout aussi captivants. Ils s'installèrent à la table centrale, celle des plus adulés, qui accueillait principalement l'équipe de pom-pom-girls et celle de basket.

"La perfection devient fade, quand on y est trop confronté."
Ophélia Valentine


Nadège arriva ensuite, et partit vers la table des Valentine d'un air hésitant. Irma savait depuis longtemps que Nadège avait une peur bleue d'Ophélia. Ce qui était normal, la plus grande des lycéennes Valentine tyrannisait les secondes, oppressait les premières, et asservissait les terminales. Mais elle n'avait pas vraiment le choix, Irma était sa seule amie, et elle mangeait tous les jours avec sa sœur.

- Bonjour, Ophélia, fit-elle timidement en s'installant le plus près possible d'Irma qui cacha un sourire.

Ophélia ne la calcula même pas et s'adressa à Irma.

- Au fait, je rentrerais pas avec toi, ce soir, j'ai reçu des lettres de menace de Terry Marshall.

- Elle t'en veut encore pour avoir fait capoter la cérémonie de rentrée des classes, s'étonna Irma en levant enfin la tête de sa traduction.

- Tu connais les barbies, soupira Ophélia d'un air las, elles continuent à brailler tant qu'on leur a pas arraché la tête ! Tu traduis quoi là ?

- « L'éclat d'une rose pourpre » de Xipe Topec, répondit Irma avec un sourire en montrant le livre qu'elle tenait. C'est véritablement une merveille !

- Contrairement au pseudo de l'auteur, ricana l'aînée.

- Ça veut dire quoi, Xipe Topec, demanda Nadège en fronçant les sourcils.

- C'était le dieu de la végétation printanière dans la mythologie aztèque, expliqua Irma en se re-concentrant sur son œuvre.

- Je ne vois pas l'intérêt de prendre un pseudo pareil, fit Nadège en levant un sourcil.

- Tu sais, remarqua Irma avec un sourire en coin, ce qui se passe dans la tête des auteurs n'est pas forcément logique.

La brunette lui jeta un regard perplexe mais n'ajouta rien. Le repas se continua en silence, les Valentine ignorant complètement Nadège. Ophélia avait sorti un bloc-notes noirci de chiffres, qui remplissaient même mes marges, et continuait tranquillement ses équations.
Il y eut alors un mouvement du côté de la table centrale, un jeune homme de terminale, magnifique châtain baraqué au sourire ravageur, capitaine de l'équipe de basket, se leva avec ses affaires, et partit vers la table des Bizarres, ignorant royalement les protestations des pom-pom-girls. Il s'allongea sur le banc à côté d'Ophélia avec un soupir et posa tout bonnement sa tête sur la cuisse de la jeune fille.

- Gabriel, s'écria la chef des pom-pom-girls de la table centrale en se levant brusquement, revient ! C'était pour rire !

- Crève, répliqua le garçon sans bouger, tu sais ce que ça veut dire, Mélia ?

Mélia se rassit en rageant et se tourna pour parler vivement avec Tora qui affichait un sourire amusé. Ophélia ricana en se désintéressant de ses calculs pour dégager distraitement les mèches de cheveux qui barraient le front de Gabriel.

- Salut, fit celui-ci avec un sourire narquois. Comment vont mes Valentine ?

- Elles vont bien, rigola Irma en arrêtant enfin sa traduction.

- Cool, s'exclama Gabriel en se redressant brusquement.

Il se pencha soudainement sur Nadège qui, pétrifiée depuis qu'il s'était assis à la table, rougit jusqu'aux oreilles.

- Hey, commença-t-il d'un air ensorceleur, Nadège, ma chérie !

Il lui tendit un billet de vingt entre deux doigts.

- Tu sais quelle marque tu prends, déclara-t-il avec un clin d'œil.

Nadège acquiesça vivement en prenant le billet. Elle se leva et sortit précipitamment du self.

- Elle est trop mignonne à exécuter mes quatre volontés, jubila Gabriel en s'appuyant sur ses coudes.

- C'est pas pour rien qu'on t'appelle l'Ensorceleur, faut dire, remarqua Ophélia en levant un sourcil blasé.

- Hum... c'est un détail secondaire, répliqua Gabriel en fronçant le nez, jouant distraitement avec l'anneau en onyx à son oreille gauche. Bon, je suis pas là pour parler drague. Il me semble de toute évidence que je n'ai rien à vous apprendre sur le sujet. Même votre plus petite est calée, à ce niveau !

- Toi, t'as parlé à Nahuel, conclut Irma avec un sourire.

- C'est lui qui m'a parlé, rectifia Gabriel, nuance ! Et puis, Nahuel est mon cousin, après tout. A quelques degrés près, soit. Mais ce n'est pas parce que la branche de ma famille dans laquelle je suis est partie d'Isadora que je ne suis pas au courant de ce qui s'y passe ! Ce n'est pas comme si je ne venais pas vous voir, ou comme si je ne travaillais plus pour leur compte ! Isadora un jour, Isadora toujours ! Alors, cette guerre ? Paraît que tous les gardiens du quartier sans exception s'occupent de tout mettre en place. Nahuel doit avoir du boulot, surtout que Nigel est en pleine formation, il est très instable !

- Et toi, demanda Ophélia, la formation de Raguel ?

- Oh, cette peste de frangine, soupira Gabriel, Maman a usé ses chaussures à trop les lui lancer dessus ! Enfin, c'est la vie, faut bien former les gardiens !

- Toi aussi, alors, t'es dans la préparation de la guerre, fit Irma en fronçant les sourcils.

- J'm'occupe du registre, tu parles d'une tâche intéressante, déplora Gabriel. Sinon, je crains le pire si toutes les filles participantes sont comme cette Tora Jensen. Une croqueuse d'hommes ! Je lui dis bonjour, limite elle me déshabille pas du regard, j'avais l'impression de passer aux rayons X, elle doit être un peu nympho sur les bords.

- Et les autres, interrogea Ophélia.

- Alors, fit Gabriel d'un air pensif, Marcus Velam, c'est genre un peu « je m'en fous ». Le tien, James Carl, il drague tout ce qui bouge, mais j'ai l'impression qu'il a un grand potentiel, il est à surveiller. Pour les quatre que vous n'avez pas vu de près, il y a Li Wei Song, qui est dans ma classe, elle est très sociable et rit volontiers, charmante petite chinoise. Gillian MacArthur vient ensuite. En première, c'est une écossaise très digne, d'une grande famille, mais pas condescendante pour autant. En première encore, Kouakou Nguyen, originaire d'Afrique, lui, c'est le fils du shaman de son village, visiblement. Très sympa, mais il peut être pince-sans-rire. Le dernier, en terminale, c'est Robin Lyhon, un crétin de français totalement « j'aime le capitalisme » ! Abruti !

- T'as un problème avec les français, toi, ricana Irma.

- Il a un problème avec tout le monde, ouais, s'esclaffa Ophélia, t'es qu'un chieur, Gabriel Warden !

- Comme tous les Warden, plaida Gabriel en levant les bras au ciel en signe d'impuissance, je ne suis pas un cas à part dans ma famille ! La cérémonie a lieu quand ?

- Dans une dizaine de jours, répondit Irma, le 13 Octobre.

- Dieu du ciel, s'épouvanta faussement Gabriel, il faut que je ressorte l'habit de cérémonie ! Il serait peut-être temps de le dépoussiérer. Le Juge sera présent ?

- Non, il ne se montrera pas, fit Irma avec un sourire.

- Adélaïde trouve que c'est mieux s'il ne se montre pas, soupira Ophélia en se levant. Je vais en cours d'informatique !

Elle fit la bise à Gabriel et sortit de la cafétéria, après avoir posé son plateau.

- Bon, moi, j'attend que Nadège revienne et je retourne voir cette peste de Mélia, déclara Gabriel en faisant craquer son cou.

- C'était quoi, l'excuse, cette fois, demanda Irma en relisant attentivement la page qu'elle venait de traduire.

- Ben tiens ! Tu sais pas ce qu'elle pas ce qu'elle m'a sorti, cette fois, s'exclama Gabriel en se rapprochant d'Irma, prenant un air de confidence. Je suis tellement bizarre que je pourrais presque être originaire d'Isadora ! Quelle absurdité, n'est-ce pas ? Si un Isadora se trouvait dans notre fabuleux lycée d'élite, nous ne saurions, après tout !

Irma ricana.

- Tu es toujours aussi sarcastique, Gabriel.

- Nan mais c'est vrai, continua Gabriel avec un sourire ironique. N'importe qui de censé dans cette ville saurait que les Isadora vont au lycée de l'Ouest ! Il serait stupide d'en voir un dans le lycée de l'Est !

"L'humour est bien souvent la seule chose qui puisse nous rattacher à la réalité."
Irma Valentine


Irma sourit en refermant ses cahiers. Bien sûr qu'aucun Isadora n'était déclaré dans les écoles de l'Est. Un marginal dans une école élitiste aurait fait polémique, surtout auprès des parents d'élèves. Le quartier d'Isadora soulevait encore bien trop d'interrogations pour que les agissements de ses habitants puissent être facilement divulgués.
Nadège arriva, rougissante, et tendit à Gabriel un paquet de clopes bleu, avec une bouteille et la monnaie.

- Je t'ai pris de l'eau, aussi, dit-elle d'un air hésitant, je sais que t'as sport après, et il y a toujours trop de monde aux lavabos.

Gabriel lui fit un grand sourire, accompagné d'un clin d'œil.

- Gentille attention de ta part, répondit-il en se levant, prenant ses affaires, t'es vraiment un ange !

Il partit tranquillement vers la sortie après avoir fait la bise à Irma. Nadège s'assit, complètement déboussolée.

- Il a dit que j'étais un ange, répéta-t-elle, comme pour s'en convaincre elle-même.

Irma soupira en se levant de table, balançant son sac sur son épaule. Nadège n'avait aucune chance avec Gabriel.

- On a italien, déclara-t-elle, faut y aller.

Nadège se leva à son tour et elles partirent en direction des salles de langues, Nadège révisant ses cours en vue d'un hypothétique contrôle surprise, la prof étant une véritable harpie. Ariel Giovanni était une plantureuse blonde d'une trentaine d'années, sa plastique fabuleuse, sa classe inégalable et son intelligence époustouflante n'étaient pourtant, aux yeux des élèves, pas des qualités suffisantes pour palier son sadisme et sa méchanceté digne de Méphistophélès. Fidèle à sa réputation, Mme Giovanni ne manqua pas d'annoncer le test tant redouté.
Irma sourit ironiquement en voyant les élèves de sa classe se décomposer devant les questions, auxquelles elle avait déjà répondu. Les seuls, à part elle, à ne pas être agités de tics nerveux, typiques de l'état de stress, étaient Marcus Velam et Tora Jensen, qui avait eux aussi déjà posé leur stylo sur la table. A peine Giovanni avait-elle vu Irma retourner sa feuille qu'elle se levait de son bureau, et se dirigeait vers elle avec un léger sourire, faisant claquer ses Prada sur le carrelage de la classe. Elle prit délicatement la feuille qu'Irma lui tendait. Elle la lut sur place et repartit à son bureau en déclarant haut et fort que Signorina Valentine avait, comme à l'accoutumée, tout juste.

La jeune Valentine ignora royalement les regards noirs des autres élèves et sortit sa traduction de « L'éclat d'un rose pourpre ». elle devait le finir au plus vite. L'auteur Xipe Topec lui donnait beaucoup de mal, retranscrire ses idées dans une autre langue était à la limite de l'impossible. Giovanni ramassa ensuite les autres copies et continua son cours, se délectant des mines dépitées de la majorité des élèves. Elle ne disait rien sur l'air absent d'Irma qui était sa petite préférée. Quand la fin du cours sonna, le temps que tout le monde range ses affaires, Mme Giovanni regarda les tests des deux nouveaux élèves et annonça enfin la sentence.

- J'ai le plaisir de vous dire qu'Irma ne sera plus la seule à remonter la moyenne de cette classe. Tora, Marcus, vous êtes les premiers après Irma à avoir la moyenne ! Et une excellente note, par-dessus le marché !
Les nouveaux la remerciaient sobrement alors qu'Irma sortait, stoïque, Nadège sur ses talons qui s'extasiait sur leur intelligence. Irma soupira intérieurement. Leurs capacités étaient fantastiques, les siennes irritantes. Cela ne la dérangeait pourtant pas outre mesure, elle savait qu'elle resterait toujours la préférée de Mme Giovanni. Le reste de l'après-midi passa tranquillement, et Irma reçut un trois sur vingt en math ainsi qu'un six sur vingt en histoire.

Elle sortit de la salle d'histoire en soupirant, alors que Nadège la suivait en souriant devant son quatorze.

- On peut pas avoir des bonnes notes partout, ricana-t-elle en agitant sa note sous le nez de l'adolescente.

- D'un autre côté, remarqua Irma en levant un sourcil, moi, j'arrive à avoir la moyenne dans les matières dont le coefficient est prédominant dans notre filière.

Nadège lui jeta un regard noir.

- C'est pas le cas de tous les élèves de la classe, ajouta Irma avec un sourire innocent.

- Valentine, s'exclama une voix derrière elle.

Irma se retourna pour voir la chef des pom-pom-girls lui faire face. A côté d'elle se tenait Tora Jensen, qui tapait un texto sur son portable dernière génération.

- Un problème, Mélia, demanda-t-elle en poussant Nadège brandissait encore son quatorze à bouts de bras.

- J'aimerai te parler un moment...

Irma soupira en jetant un regard par la fenêtre. Comme Ophélia, le matin-même, l'avait laissé présager, le ciel s'était couvert, et il n'allait pas tarder à pleuvoir.

- C'est à propos de Gabriel, fit Irma de but en blanc. Si c'est ça, dis-toi qu'il se fiche pas mal de ce que tu penses de lui.

- Alors pourquoi il est parti, s'énerva Mélia en entraînant Irma à l'écart.

- Il voulait dire un truc à Ophélia, expliqua Irma en se grattant négligemment le front, tu sais bien qu'il trouve n'importe quel prétexte pour aller lui parler. Ils sont amis d'enfance, après tout. Ils sont proches.

- Trop proches.

La jeune Valentine soupira en posant sa main sur l'épaule de Mélia.

- Ecoute-moi bien, fit-elle en la regardant droit dans les yeux, ce n'est pas de l'amour, qu'il y a, entre Gabriel et Ophélia. C'est ce que l'on appelle de la rivalité fraternelle.

- De la rivalité fraternelle, répéta Mélia.

Irma approuva avec un sourire.

- C'est la vérité, ajouta-t-elle.

- Ah... d'accord.

L'adolescente lui sourit à nouveau et la laissa pour rejoindre Nadège qui regardait la scène d'un air septique.

- J'arrive pas à croire qu'elle ait gobé ton histoire, déclara-t-elle alors qu'elles s'éloignaient. Non mais elle a l'air d'un poisson hors de l'eau ! Comment tout le monde fait pour te croire alors que tu dis des énormités plus grosses que toi ?!

- Je n'ai pas la prétention de mentir. Il faut juste savoir employer les mots à bon escient, répondit Irma avec un sourire. Ils sont... une arme insoupçonnée.

- Tu es trop bizarre, Irma Ludmilla Valentine, soupira Nadège d'un air désespéré.

- Peut-être bien, rigola Irma. Bon, je vais par là, moi.

Les deux jeunes filles se séparèrent au croisement, Nadège partant vers l'Avenue, et Irma longeant les terrains de sport, laissant distraitement courir ses doigts contre le grillage humide. Il se mit à pleuvoir. Une pluie chaude, comme toujours dans cette ville. Les gouttes coulèrent lentement dans la chevelure noire d'Irma, la démêlant doucement, jusqu'à ce que ses boucles gorgées d'eau tombent en cascade sur ses hanches, les noircissant plus encore qu'à l'accoutumée, d'un noir obscur et impénétrable. Sa peau pâlit lentement alors qu'elle ne faisait rien pour s'abriter de l'averse, bleutant lentement les ombres de son corps, jusqu'à la faire irradier d'une lueur presque divine. Ses yeux devinrent plus bleus encore et ses pupilles plus noires, plus grandes. L'eau détrempait totalement ses vêtements, révélant les moindres courbes de son corps. Son ombre sur le sol s'allongea.

Un cri lui parvint du côté des terrains et elle tourna la tête pour observer, avant de s'appuyer contre le grillage pour attendre. Finalement, elle rentrerait avec sa sœur. Elle attendrait qu'elle ait fini. Ophélia était dans le même état qu'elle, ses cernes violacées donnant une profondeur effrayante à ses pupilles dilatées. La pluie effaçait doucement le sang qui coulait de sa bouche. Elle l'essuyant de sa main droite alors que la gauche relâchait doucement la gorge fine de Terry Marshall qui, en pleurs et en sang, se retournant brusquement pour vomir sur le côté et tenter de retrouver une respiration normale. Ophélia se relevant en soupirant, rajustant ses habits débraillés, et s'écarta de Terry Marshall pour prendre ses affaires, ignorant les trois autres, étalées plus loin. Elle sortit une clope qu'elle mit à la bouche et alluma avec difficulté, l'abritant de la pluie.

« Pas humaine » furent les seuls mots que la présidente de l'association des élèves du lycée de l'Est put faire sortir de sa bouche. Ophélia tourna la tête vers sa sœur, laissant la fumée blanche sortir de ses narines pour être rapidement dissipée par la pluie. Elle laissa là Terry Marshall et ses amies évanouies, sous la pluie.

"La pluie, c'est tellement plus qu'une succession de gouttes d'eau qui vous trempent jusqu'aux os."
Ophélia Valentine
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