L’anonymat est une chose terrible de nos jours. La vie s’est répandue de manière telle que chaque habitant de l’univers n’est qu’un être lambda sans aucune espèce de reconnaissance de la part d’autrui. A moins de faire partie des hautes sphères, de ces masques ténébreux qui tirent les ficelles de manière à ce que la mécanique se meut sans problèmes, vous ne pourrez jamais vous démarquer de cet âpre tas d’ombre et poussière. Cela explique probablement l’augmentation exponentielle du nombre d’assassins ces dernières années. La technologie élaborée permet maintenant d’exécuter des meurtres parfaits. Puis, avec la surpopulation tant décriée, le moindre crime ou enlèvement ne fait même plus flancher les familles. Tous savent que la police universelle ne se déplace que si le pesant d’or en vaut la chandelle. Ainsi, si votre nom a le malheur de se retrouver sur un contrat quelconque, priez, fermez les yeux et attendez…
Je m’appelle Naub Letalhym. Vous n’entendrez mon nom qu’une seule fois : Lorsque je vous offrirai un verre, vous regarderez dans les yeux et vous direz « Je vous aime ». Comme tout assassin j’ai ma marque de fabrique. Je ne tue que des êtres du sexe féminin. Certains appellent ça des femmes, foutaises ! Trou conviendrait mieux à ces êtres de facture inférieure. Le dernier psy, ou devrais-je dire la dernière, en date à m’avoir psychanalysé m’a dit d’un air aussi livide qu’ahuri : « Vous n’êtes qu’un misogyne misanthrope sans la moindre once d’état d’âme ». Je ne m’en cache pas, il est vrai que mon dédain pour le sexe faible n’a d’égal que mon ego mais je fais bien mon boulot. Satisfaire mes employeurs, c’est tout ce qui compte. Car ne nous cachons pas, qu’on soit extraterrestre ou humanoïde, voir une femme arriver au sommet de la hiérarchie ne peut être qu’une erreur. Moi on me paie pour buter la pourriture de notre univers, c’est un boulot comme un autre. Après tout, il n’existe pas de sous métiers. Ce que j’adore par-dessus tout ce sont de fastes paysages. Il ne se trouve plus grande douceur que la brise angevine dardant à travers une écharpe de nuage pour caresser la cime des arbres qui se meuvent sous cette tendresse. Une petite table au milieu d’une clairière, quelques bougies, ça fait plus romantique, et une charmante créature pâmée devant le bel éphèbe que vous êtes. Vous la laissez faire la conversation, feignant d’abreuver ses paroles. Elle vous admire, elle vous dégoûte, elle succombe, au revoir. Ceci dit, un dîner avec moi en guise de dernière faveur avant de rendre son dernier souffle n’est que la plus belle récompense qu’on puisse espérer avant de geindre d’un dernier râle. Certains jugeraient ces paroles comme particulièrement empreintes d’égotisme, ce n’est rien d’autre que la constatation d’un fait tangible.
Vous savez ce que j’aime le plus dans galactica ? Le quartier des catins, au moins certaines d’entre elles, probablement celles dont la masse cérébrale est la plus évoluée, même si tout est relatif bien entendu, ont compris leur rôle premier dans la vie. Satisfaire nos désirs les plus primaires et s’en aller. De toutes les fonctions qu’une femelle peut adopter, c’est probablement la plus utile. Gagner quelques crédits avec de telles pratiques s’avère assez astucieux, je le reconnais. Maintenant que les présentations sont faîtes, parlons de mon contrat de la journée. Dame Kalyso, parce qu’en plus elles ont un titre de noblesse maintenant, chef de l’état Zerkola. Intéressant, on fomenterait un coup d’état contre elle, son bras droit. J’adore les bras droits, de véritables pourritures pour la plupart. Ce sont ce genre d’êtres qui vous susurrent des opprobres au creux de votre oreille, manifestant une confiance et une loyauté à toute épreuve à votre égard. Ce délicieux nectar de paroles agit comme un doux poison, une fois votre garde meurtrie, c’en est terminé. Il prend votre place, choisi un bras droit et le cercle vicieux continue sa route tel un rouage sans imperfections. Le problème des bras droits c’est qu’on ne peut pas s’en passer. Non pas parce que deux cerveaux valent mieux qu’un, mais parce que les populations ont peur d’être gouverné par un être seul qui ne soit pas surveillé de près. Pour éviter que les chimères de la folie mènent les chefs d’état vers une croisade de destruction massive, ils préfèrent se tourner vers une galéjade de sécurité en imposant des bras droits … Que de billevesées en ce monde, ça en devient déprimant… Revenons-en à mon contrat. Elle vaut un sacré paquet de crédit la petite ! Avec ce qu’ils comptent me filer pour ce boulot, je vais pouvoir prendre une retraite anticipée ! Un membre influent de la plèbe de Galactica. Soit elle couche à tout va, soit elle roule sur l’or… Dans tous les cas, je dois la battre puis l’abattre. Au sein d’une agglomération comme Galactica, je ne puis me permettre de faire dans la dentelle. Le coup de la clairière sera pour une autrefois. Elle n’est pas protégée, pas un seul garde du corps, pas de caméras, rien. Juste un appartement miteux dans laquelle la petite doit se scarifier en secret. C’est toujours comme ça, de sacrés artifices pour paraître impeccables et une fois dans l’ombre, on se mutile le corps, on déprime, on cherche à se suicider… La mondanité et la frivolité ne font pas bon ménage. Alors qu’une tranche de la population noie son effroi dans des orgies bestiales où la souffrance efface la morosité quotidienne le temps d’un soupir, d’autres plus esseulés brisent la glace et se servent du même verre pour teindre leur chair d’un joli ton pourpre. Dans ces sillons d’hémoglobines sombre la mélancolie qui s’égare de méandre en méandre, le glas de la fin happant toute envie de retour en arrière… Dans son logis vétuste, je n’ose même pas imaginer à quels jeux sinistres et macabres elle se livre… Annihiler cette ignominie de la surface de Galactica apparaît donc comme clairement logique.
Un manteau de nuit recouvre désormais la ville. Les âmes s’apaisent, les yeux se ferment, le libertinage va commencer. Je me promène avec un air furibard, le visage masqué par une capuche. Mes pas sont saccadés, on dirait un requiem dont chaque note annonce un peu plus l’issue funeste de mon dessein. De ma main droite je sers un kriss, l’acier froid se colle à ma chaire, la pointe de la lame essayant de pénétrer à travers ma peau. Du calme ma petite, ta soif de sang sera étanchée bientôt, très bientôt. Je pénètre dans l’immeuble, le portier me laisse passer. Inutile de vous dire qu’il est de mèche, mais qui aura remarqué que ce n’est pas le type habituel ? J’appelle l’ascenseur, le visage toujours masqué ; la décoration se révèle assez terne. On sent que l’argent coule à flot dans cette bâtisse mais pourquoi les appartements ont cet aspect aussi délabré ? Serait-ce ce genre de trous à rat où l’on emmène les catins ? Peu importe, j’appuie sur le bouton, le monte-charge s’élève, mon cœur s’emballe. Les rares fois où cela arrive, c’est qu’un événement imprévu va surgir. Je le sens, au plus profond de moi, quelque chose ne tourne pas rond. Si tout paraît facile, ce n’est pas cela qui me dérange. Mon talent est tel que je rends les choses aisées. Non, le malaise se trouve ailleurs : ma cible ! Pourquoi un paquet de fric aussi élevé pour un simple chef d’état ? Un flux de questions me briment l’esprit, mon instinct me force à reculer… Je ne dois pas, du moment que je respecte la règle numéro 1 : Ne jamais soutenir une proie du regard, yeux dans les yeux, plus de trois secondes. Passé ce délai, c’est terminé. La compassion prendra le dessus, je n’aurai pas les forces de résister, mon bras va s’abaisser et c’est moi qui fermerai les yeux.
Je crochète la serrure, il fait sombre, je n’allume pas elle est peut-être dans son lit. Je me glisse à pas feutré vers la chambre, personne. Est-elle sortie ? Je n’ai pas le temps de m’interroger que la lumière s’allume. Je fais immédiatement volte-face, rebroussant la manche qui dissimule le kriss, ma capuche tombant en arrière. Je n’étais jamais pris par surprise ! Paniqué, c’est là que je croisais son regard superbe.
Une pupille mystérieuse sur laquelle
1
se dessinent les sillons d’une souffrance
2
qui en deviendrait presque envoûtante
3
tant la douleur l’a rendue vide de tout sentiment
4
Mon bras s’abaisse, mon flanc s’affaisse, une douleur à la poitrine… 4 secondes… Elle me dévisage, mon corps brasse l’air en tombant, elle n’esquisse pas le moindre geste, mon genou touche le sol…
Une seconde...
Modérateur : Modérateurs
Re: Une seconde...
J’ai pleuré, tu sais ? Oh, ce n’était pas grand-chose en réalité. Juste quelques larmes. Elles avaient cette odeur salée des blessures de mon enfance. C’est drôle ça. Comme tout est lié, à l’intérieur. Comme chaque image renvoie à une autre…
__________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________Revenir sur … ? Mon passé tu veux dire ? Oh il n’y a _________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ pas grand-chose à en dire non plus. Des rires, quelques soupirs, quelques égratignures…. _________________Tellement de regrets surtout…Mais c’est sans importance.
____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________Eluder ? rire Tu commences à trop bien me connaître. Je ne veux pas parler. Ca me fait mal, _____________________________maintenant. Enfin. Non. Pas vraiment. Rien ne me fait plus mal. Ce n’est même pas ça. J’ai trop mal. Et pour une fois le superlatif n’est pas _______________________________________________________ superflu. Trop mal pour être atteinte par autre chose.
Tu m’as manqué.
____
La notoriété est une chose terrible de nos jours. A n’importe quel niveau. Dans n’importe quel milieu. Ce n’est pas désagréable, au début. Il y a cet éclat, qui attire les regards. Ces regards qui réchauffent. Et cette chaleur qui porte une attente empoisonnée. Je crois qu’il n’y a en notre société qu’une bien minime partie de la population qui s’aime. Pardon. Correction. Une bien petite partie de la population qui arrive à faire entrer en adéquation sa vision de la perfection et son comportement personnel. Alors on essaye, on ment – à soi en premier – on s’efforce, on finit par y croire, et les autres aussi. Et plus les autres sont nombreux, plus c’est ardu, cela va de soi. Il faut que ça dure. Imaginez alors la transition entre ce moment où l’on sort de l’anonymat, difficile, mais confortable pour la raison que nul à part nous même, ne nous voit, pour s’exposer aux pupilles charognes au moins aussi acérés que les mots qui les accompagnent.
Parce que la susnommée notoriété et donc ses susnommées conséquences sont devenues bien plus accessibles. Autrefois, il fallait briller réellement, pour sortir de la masse informe et grouillante, aux mille bras agrippants. Rester au dessus était, après tel effort, naturel. Maintenant tout est plus simple. Le niveau est plus bas, l’étonnement plus facile à soulever. Et l’oubli plus rapide. Alors on se déchaîne, comme expliqué plus tôt, pour garder un masque derrière lequel on se complaît en tant que modèle, et qu’on s’assure plaisant pour les autres, mais qui ne laisse pas de répit. Et on attire cupidement ces regards qui nous rongent, par toutes les façons qui soient. Et on pleure des larmes acides dès qu’ils se détournent. On gesticule, on s’essouffle, on enchaîne les courbettes. Et on se crève, dans le sens que vous voudrez.
Je pense que c’est ce qui explique en partie la croissance exponentielle d’êtres qui sombrent quotidiennement dans une douloureuse folie, pour, s’ils sont assez lucides, réussir finalement à mettre fin à leur existence. Lucides de la façon où ils comprennent leur inconsistance, et surtout la vulnérabilité de leurs frêles épaules. Et je dois dire que je parle en connaissance de cause. D’accord, l’acheminement vers ma situation actuelle est assez … hum … facile. Mais avec ce que je viens de m’enfiler dans les artères, je vous prierais d’excuser la légèreté de mon verbe. Je m’appelle Kalyso. Stratège militaire, chef d’état, prostituée candide, femme-enfant assassine, victime éplorée, meurtrière rancunière, spectatrice silencieuse, actrice grimaçante… J’en ai porté des masques. Non pour satisfaire les avides regards. J’emmerde la foule. Non… Pour me satisfaire moi… Oh, non pas pour ces conneries d’adéquation non plus. Je me hais autant que je méprise le reste, mais je m’en fous. C’était juste le cours de mes pensées qui essayait de fuir ce monologue pathétique qui me rend folle depuis tout à l’heure, et qui me ramène inévitablement vers cette introspection, occupation des longues soirées. Vous savez, c’est comme quand une formule vous rentre dans la tête, et y tourne, y tourne, y tourne. Sans qu’elle soit forcément en rapport avec quoi que ce soit. C’est juste une chanson que votre subconscient n’arriverait pas à mettre en stand by. En attendant, cette petite voix me répète inlassablement qu’elle a pleuré, tu sais, et que tu lui as manqué. Et m’empêche de réfléchir à quoi que ce soit de constructif.
Je passe devant un miroir, réflexion – mauvais jeu de mot non voulu - absolument parfaite de l’endroit où je me trouve. Les fissures qui le parcourent me rappellent les craquements du sol humide, les taches brunes fondues dans sa surface lisse sont les bêtes qui rampent dans l’ombre. L’opacité qui renseigne sur les mauvais traitements du temps, enfin, est l’atmosphère de cette chambre. L’air de tout ce quartier, en réalité. Et moi, d’un côté comme de l’autre, je suis ce fantôme translucide et hanté de doutes, d’incertitudes, de tristesse, un peu, et surtout de colère. Aussi blanche que la nuit est noire, de profondes cernes sous les yeux, le cheveu long et terne, l’œil fatigué. Je m’attarde une minute sur cette lucarne sur mon âme, et constate avec amusement qu’elle se met alors à mentir. Elle a pris le pli. Elle parle pour moi. Je me souris, en murmurant pauvre conne , et retourne à mon poste, près de la fenêtre sale.
Mitti a deux heures de retard. Il m’a donné rendez-vous ici, retardant une attaque, prétextant une affaire de la plus haute importance. Je ne l’aime pas beaucoup. Il ne m’inspire pas confiance. Mais tant qu’il est mon second et que la petite Neiko, mon apprentie, accessoirement la maîtresse de mes terres, refuse de le renvoyer, j’ai les mains liées. Et puis, il faut bien lui laisser sa chance. Peut-être n’est il pas un si mauvais bougre. Peut-être a-t-il une femme, et des enfants, qu’il aime et qui l’aiment. Peut-être sourit-il sincèrement.
Je prends une autre pilule, pour faire passer le temps. Il paraît que je devrais arrêter cette dope. Il paraît que je me pourris la santé. Il paraît aussi que ça m’est égal. Plus rien ne compte maintenant. Oh la oh la, je me fais rire malgré moi. A croire que j’appelle la mort aussi ardemment que… Encore un regard dans le vide. Encore un sourire amusé. Encore une rasade du mauvais vin que je bois à la bouteille depuis tout à l’heure. Et encore ce stupide refrain…. Que le bruit libérateur d’une serrure qu’on crochète ne laisse pas s’achever. Une main sur l’interrupteur, une autre sur mon arme, les yeux rivés sur l’ombre prédatrice qui déjà avance vers moi à tâtons. Et le silence. L’un jauge l’autre, les muscles se tendent, la ville se tait.
Et la lumière inonde la pièce dans un flot agressif, qui détruit tout sur son passage. Le bruit reprend en premier, de la bouteille qui s’écrase au sol, aux cris dans la rue. Puis un courant d’air venu d’on ne sait où. Et enfin, l’aveuglement se dissipe, l’ombre prend figure humaine. Et contre toute attente, ce n’est celle d’un éventuel miséreux du bourbier où l’on se trouve. Il n’est pas de ce monde là. Cela se voit. Il est beau, et classieux, vêtu de tant de masque superposés que j’en ai le tournis. Derrière la brume étourdissante de mon esprit enivré, il me rappelle un homme que j’ai connu, autrefois, ailleurs. Et comme il cache une lame dans sa manche avant que son regard ne darde mon bras en joue, et que nos yeux se croisent enfin, je me surprends à baisser le bras. Qu’y lit-il ? Il se trouble. Moi je trouve dans le sien, en l’espace de cette seconde ininterrompue par la petite voix, une surprise soudaine. C’est un chasseur. Dont la proie est armée. Mais en dépit de sa condition de dépendance, à un contrat, à l’argent, à une signature, il est libre.
Je n’ai pas le temps de fouiller plus loin que je l’entends déjà, au loin, quelque part sous mes vertiges, qui supplie l’arme de déchirer mon albe peau.
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Tu m’as manqué.
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La notoriété est une chose terrible de nos jours. A n’importe quel niveau. Dans n’importe quel milieu. Ce n’est pas désagréable, au début. Il y a cet éclat, qui attire les regards. Ces regards qui réchauffent. Et cette chaleur qui porte une attente empoisonnée. Je crois qu’il n’y a en notre société qu’une bien minime partie de la population qui s’aime. Pardon. Correction. Une bien petite partie de la population qui arrive à faire entrer en adéquation sa vision de la perfection et son comportement personnel. Alors on essaye, on ment – à soi en premier – on s’efforce, on finit par y croire, et les autres aussi. Et plus les autres sont nombreux, plus c’est ardu, cela va de soi. Il faut que ça dure. Imaginez alors la transition entre ce moment où l’on sort de l’anonymat, difficile, mais confortable pour la raison que nul à part nous même, ne nous voit, pour s’exposer aux pupilles charognes au moins aussi acérés que les mots qui les accompagnent.
Parce que la susnommée notoriété et donc ses susnommées conséquences sont devenues bien plus accessibles. Autrefois, il fallait briller réellement, pour sortir de la masse informe et grouillante, aux mille bras agrippants. Rester au dessus était, après tel effort, naturel. Maintenant tout est plus simple. Le niveau est plus bas, l’étonnement plus facile à soulever. Et l’oubli plus rapide. Alors on se déchaîne, comme expliqué plus tôt, pour garder un masque derrière lequel on se complaît en tant que modèle, et qu’on s’assure plaisant pour les autres, mais qui ne laisse pas de répit. Et on attire cupidement ces regards qui nous rongent, par toutes les façons qui soient. Et on pleure des larmes acides dès qu’ils se détournent. On gesticule, on s’essouffle, on enchaîne les courbettes. Et on se crève, dans le sens que vous voudrez.
Je pense que c’est ce qui explique en partie la croissance exponentielle d’êtres qui sombrent quotidiennement dans une douloureuse folie, pour, s’ils sont assez lucides, réussir finalement à mettre fin à leur existence. Lucides de la façon où ils comprennent leur inconsistance, et surtout la vulnérabilité de leurs frêles épaules. Et je dois dire que je parle en connaissance de cause. D’accord, l’acheminement vers ma situation actuelle est assez … hum … facile. Mais avec ce que je viens de m’enfiler dans les artères, je vous prierais d’excuser la légèreté de mon verbe. Je m’appelle Kalyso. Stratège militaire, chef d’état, prostituée candide, femme-enfant assassine, victime éplorée, meurtrière rancunière, spectatrice silencieuse, actrice grimaçante… J’en ai porté des masques. Non pour satisfaire les avides regards. J’emmerde la foule. Non… Pour me satisfaire moi… Oh, non pas pour ces conneries d’adéquation non plus. Je me hais autant que je méprise le reste, mais je m’en fous. C’était juste le cours de mes pensées qui essayait de fuir ce monologue pathétique qui me rend folle depuis tout à l’heure, et qui me ramène inévitablement vers cette introspection, occupation des longues soirées. Vous savez, c’est comme quand une formule vous rentre dans la tête, et y tourne, y tourne, y tourne. Sans qu’elle soit forcément en rapport avec quoi que ce soit. C’est juste une chanson que votre subconscient n’arriverait pas à mettre en stand by. En attendant, cette petite voix me répète inlassablement qu’elle a pleuré, tu sais, et que tu lui as manqué. Et m’empêche de réfléchir à quoi que ce soit de constructif.
Je passe devant un miroir, réflexion – mauvais jeu de mot non voulu - absolument parfaite de l’endroit où je me trouve. Les fissures qui le parcourent me rappellent les craquements du sol humide, les taches brunes fondues dans sa surface lisse sont les bêtes qui rampent dans l’ombre. L’opacité qui renseigne sur les mauvais traitements du temps, enfin, est l’atmosphère de cette chambre. L’air de tout ce quartier, en réalité. Et moi, d’un côté comme de l’autre, je suis ce fantôme translucide et hanté de doutes, d’incertitudes, de tristesse, un peu, et surtout de colère. Aussi blanche que la nuit est noire, de profondes cernes sous les yeux, le cheveu long et terne, l’œil fatigué. Je m’attarde une minute sur cette lucarne sur mon âme, et constate avec amusement qu’elle se met alors à mentir. Elle a pris le pli. Elle parle pour moi. Je me souris, en murmurant pauvre conne , et retourne à mon poste, près de la fenêtre sale.
Mitti a deux heures de retard. Il m’a donné rendez-vous ici, retardant une attaque, prétextant une affaire de la plus haute importance. Je ne l’aime pas beaucoup. Il ne m’inspire pas confiance. Mais tant qu’il est mon second et que la petite Neiko, mon apprentie, accessoirement la maîtresse de mes terres, refuse de le renvoyer, j’ai les mains liées. Et puis, il faut bien lui laisser sa chance. Peut-être n’est il pas un si mauvais bougre. Peut-être a-t-il une femme, et des enfants, qu’il aime et qui l’aiment. Peut-être sourit-il sincèrement.
Je prends une autre pilule, pour faire passer le temps. Il paraît que je devrais arrêter cette dope. Il paraît que je me pourris la santé. Il paraît aussi que ça m’est égal. Plus rien ne compte maintenant. Oh la oh la, je me fais rire malgré moi. A croire que j’appelle la mort aussi ardemment que… Encore un regard dans le vide. Encore un sourire amusé. Encore une rasade du mauvais vin que je bois à la bouteille depuis tout à l’heure. Et encore ce stupide refrain…. Que le bruit libérateur d’une serrure qu’on crochète ne laisse pas s’achever. Une main sur l’interrupteur, une autre sur mon arme, les yeux rivés sur l’ombre prédatrice qui déjà avance vers moi à tâtons. Et le silence. L’un jauge l’autre, les muscles se tendent, la ville se tait.
Et la lumière inonde la pièce dans un flot agressif, qui détruit tout sur son passage. Le bruit reprend en premier, de la bouteille qui s’écrase au sol, aux cris dans la rue. Puis un courant d’air venu d’on ne sait où. Et enfin, l’aveuglement se dissipe, l’ombre prend figure humaine. Et contre toute attente, ce n’est celle d’un éventuel miséreux du bourbier où l’on se trouve. Il n’est pas de ce monde là. Cela se voit. Il est beau, et classieux, vêtu de tant de masque superposés que j’en ai le tournis. Derrière la brume étourdissante de mon esprit enivré, il me rappelle un homme que j’ai connu, autrefois, ailleurs. Et comme il cache une lame dans sa manche avant que son regard ne darde mon bras en joue, et que nos yeux se croisent enfin, je me surprends à baisser le bras. Qu’y lit-il ? Il se trouble. Moi je trouve dans le sien, en l’espace de cette seconde ininterrompue par la petite voix, une surprise soudaine. C’est un chasseur. Dont la proie est armée. Mais en dépit de sa condition de dépendance, à un contrat, à l’argent, à une signature, il est libre.
Je n’ai pas le temps de fouiller plus loin que je l’entends déjà, au loin, quelque part sous mes vertiges, qui supplie l’arme de déchirer mon albe peau.