La Chute

[Stanford]

Une bougie à la lueur hypothétique, à bout de souffle, dans un effort vain et désespéré d’éclairer la pièce sombre,le bureau sommairement meublé d’une rigueur spartiate, à la baie avide ouverte sur la douce nuit d’été Vertane. Une tache claire, surmontée d’une lueur verte tire l’obscurité de sa léthargie ombreuse. La magicienne aux cheveux émeraude, au visage lilial se tient devant la cheminée qui malgré la douceur ambiante brûle d’un feu vif.
Stanford, d’éternité transie jusqu’à la moelle des os, semble à cet instant dévorée d’une humanité inhabituelle. Seraient les songes auxquels elle se livre, fixant les flammes dans une inaccessible méditation ?
Quelques pas pressés dans le couloir, la porte s’ouvre, Lilas la rouquine, dont les formes ont fondu dans un brasier enragé s’accompagne d’une lumière indiscrète qui vient fouiller tous les recoins.

Ma fille, je t’attendais.

Ces mots, cette chaleur, stérilement espérés, ce cadeau inattendu et trop tardif ne changeront rien.

Ultime affrontement des yeux verts où la magicienne met tout l’amour de pudeur si longtemps comprimé.

Trop tard.

L’indifférence apparente a engendré la haine chez celle qui a tant manqué d’amour qu’elle offrira pour l’obtenir l’idéal et la pureté d’un Etat.

Mère, vous savez pourquoi je suis venue.

L’ironie se veut mordante pour rétablir et souligner la distance.

Elle sait évidemment.

Ainsi voici venu le terme du voyage et que dire, quels conseils donner à cette enfant pour qu’elle surmonte mieux que moi les obstacles.

Rien, il n’y a rien à dire, car pour le Stanford tout se jouera après cet acte odieux, et pour toutes deux tout semble écrit depuis si longtemps.
Celle dont le cœur est figé de haine n’a jamais commis aucune forfaiture, pris aucune décision qui ne soit mûrie en toute conscience et tout ce qui a été entrepris se voulait contribuer à l’intérêt sinon la gloire de l’état.
Et l’autre cette perdue d’amour, cette quêteuse éternelle dont l’esprit déborde de compassion va entamer sa carrière par une série d'initiatives douteuses qui amèneront mort et désolation et feront honnir le nom même de Stanford.

Les regards se dénouent ; Lilas s’impatiente. Toutefois, chaque étape se doit d’être respectée.

Lilas, il y avait trois voies, il n’en restera plus que deux, bien qu’elles paraissent toutes deux aussi sombres, l’une mènera quand même vers la lumière et le renouveau, tandis que l’autre...

Un frisson…La deuxième, c’est le néant, un néant sépulcral, lugubre et désolé, plus affligeant que ne le promettait l’Ekelia
Elle cherche le contact mental, ne le trouvera pas, l’autre depuis son enfance sait fermer son esprit pour se garder de toute emprise.
Aura-t-elle le choix celle-ci, et l’ayant, pourra-t-elle reconnaître le moment où la décision en apparence anodine qu’elle prendra aura une cruciale incidence sur l’avenir. Non bien sûr personne ne sait jamais et ces moments si fugaces, même elle avec ses dons de prescience ne les a jamais perçus avant…
Un geste las, la magicienne d’une mimique familière passe la main dans ses cheveux courts, les ébouriffant au passage. Elle eût aimé une étreinte qui permît à cet amour maternel trop contraint de s’exprimer enfin, elle emportera aussi ce regret.

Finissons-en si tu veux bien.

Elle a fermé les yeux, elle connaît la suite, il n’y a qu’un seul processus pour mettre fin à cette vie qui n’a que trop traîné et aurait dû durer 500 ans.
Lilas lève ses mains. Une force obscure se lève tandis qu’elle psalmodie une étrange incantation.
Les mains touchent les yeux.
La magicienne perd la vue. L’éclat de ses yeux verts plus jamais ne tranchera le fil d’un discours.
Un voile bleu recouvre tout.

Bleu comme Ravalonne, jadis aux confins de la galaxie...
Ravalonne oubliée de tous perdue à jamais.